Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 17 octobre 2018, n° 16-10631

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Le Financier Occitan (SARL)

Défendeur :

BNP Paribas Personal Finance (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Calbet, Mendes Gil

T. com. Paris, du 4 avr. 2016

4 avril 2016

Faits et procédure

La société Le Financier Occitan (la société LFO) est une société de courtage en financement de prêts, crédits, crédit-bail aux particuliers et aux entreprises, achat vente de tout matériel en vue de sa location, et en conseils services et courtage dans le domaine de la gestion du patrimoine privé et professionnel de l'entrepreneur.

La société Cetelem, nouvellement dénommée BNP Paribas Personal Finance à la suite d'une opération de fusion-absorption intervenue en juin 2008, est spécialisée dans l'octroi et la gestion de crédits aux particuliers et aux entreprises.

Le 13 mars 1997, la société LFO a signé un contrat de " correspondant " avec la société Cofica, aux droits de laquelle est venue, le 4 décembre 2000, par voie de fusion-absorption, la société Cetelem, lui confiant la mission de diffusion de ses produits de financement de véhicules automobiles sur le département du Tarn et Garonne. Ce contrat de mandat a fait l'objet d'une succession de renouvellements exprès annuels jusqu'au 30 juin 2010, la mission étant alors étendue à d'autres départements (Tarn, Lot, Aveyron, cantal, Lozère).

Le 26 mai 2010, la société BNP Paribas Personal Finance, venue aux droits de la société Cetelem à compter du 30 juin 2008, a conclu avec la société LFO un contrat de mandat d'intermédiaire en opérations de banque et services de paiement, régi par les articles L. 519-1 et suivants du Code monétaire et financier. Cette convention a été souscrite pour une première période devant s'achever au 31 décembre 2010 et était renouvelable par tacite reconduction pour des périodes d'un an.

En 2014, les relations entre les parties se sont dégradées et après des échanges de courriels en juillet 2014, dont un courriel du gérant de la société LFO, M. X, le 5 juillet 2014, et une réunion qui s'est tenue le 12 août 2014, par lettre recommandée avec accusé de réception du 25 septembre 2014, la société BNP Paribas Personal Finance a notifié à la société LFO son intention de ne pas renouveler le contrat de mandat venant à échéance au 31 décembre 2014.

Par courriers d'avocat des 28 octobre et 2 décembre 2014, la société LFO a contesté cette décision de ne pas renouveler le contrat, arguant du caractère brutal de la rupture de la relation commerciale établie.

Dans ces conditions, par exploit du 23 décembre 2014, la société LFO a assigné la société BNP Paribas Personal Finance devant le tribunal de commerce de Paris en indemnisation pour rupture brutale des relations commerciales établies.

Par jugement du 4 avril 2016, le tribunal de commerce de Paris, sous le régime de l'exécution provisoire :

- s'est dit compétent,

- a débouté la société Le Financier Occitan de l'ensemble de ses demandes,

- a condamné la société Le Financier Occitan à payer à la société BNP Paribas Personal Finance la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- a rejeté comme inopérantes ou mal fondées toutes conclusions plus amples ou contraire au jugement en a débouté respectivement les parties,

- condamné la société Le Financier Occitan aux dépens.

Par déclaration du 10 mai 2016, la société Le Financier Occitan a relevé appel de ce jugement.

La procédure devant la cour a été clôturée le 3 juillet 2018.

LA COUR

Vu la déclaration d'appel et les dernières conclusions déposées et notifiées le 2 juillet 2018, par lesquelles la société Le Financier Occitan invite la cour, au visa des articles D. 442-3 et L. 442-6, I, 5° du Code commerce, et 1240 du Code civil, à :

- infirmer le jugement du 4 avril 2016 prononcé par le tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il s'est déclaré compétent,

statuant à nouveau,

- dire que la société BNP PF a rompu les relations commerciales établies depuis le 13 mars 1997 avec la société LFO,

- constater l'insuffisance de la durée du préavis consenti par la société BNP PF et le caractère brutal de la rupture au regard des relations établies avec la société LFO,

en conséquence,

- dire que la rupture par la société BNP PF des relations commerciales établies avec la société LFO est fautive et abusive,

- condamner la société BNP PF à payer à la société LFO la somme de 375 561 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la réception de la lettre de mise en demeure du 28 octobre 2014, soit le 30 octobre 2014 et jusqu'à parfait règlement,

- condamner la société BNP PF à payer à la société LFO la somme de 54 459,92 euros au titre du coût des licenciements consécutifs à la rupture des relations commerciales, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la réception de la lettre de mise en demeure du 28 octobre 2014, soit le 30 octobre 2014 et jusqu'à parfait règlement,

en tout état de cause,

- débouter la société BNP PF de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société BNP PF à payer à la société LFO la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Bayard Automobile aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

Vu les dernières conclusions de la société BNP Paribas Personal Finance, intimée, déposées et notifiées le 2 juillet 2018, par lesquelles elle demande à la cour, au visa des articles 1134 ancien du Code civil et L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, de :

à titre principal,

- dire mal fondé l'appel de la société Le Financier Occitan,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 4 avril 2016 en toutes ses dispositions,

- débouter, en conséquence, la société Le Financier Occitan de l'ensemble de ses conclusions, fins et prétentions,

à titre subsidiaire,

- dire que la société BNP Personal Finance n'est responsable d'aucune rupture brutale de relations commerciales établies envers la société Le Financier Occitan,

- dire que la société Le Financier Occitan ne justifie d'aucun préjudice réparable,

- débouter, en conséquence, la société Le Financier Occitan de l'ensemble de ses conclusions, fins et prétentions, en tout état de cause,

- débouter, la société Le Financier Occitan de l'ensemble de ses conclusions, fins et prétentions,

- condamner la société Le Financier Occitan à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Le Financier Occitan au paiement des entiers frais et dépens ;

Vu les notes en délibéré adressées par chacune des parties à la demande de la cour signifiées respectivement les 11 et 12 septembre 2018 ;

Sur ce,

Sur le champ d'application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce

Aucune disposition spécifique du Code monétaire et financier ne régissant la rupture d'un contrat de mandat d'intermédiaire en opérations de banque confié par un établissement de crédit à une entreprise, les dispositions de droit commun de l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce relatives à la responsabilité encourue pour rupture brutale d'une relation commerciale établie s'appliquent à un tel contrat.

Sur la brutalité de la rupture

Aux termes de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :...5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ".

Il est constant qu'afin de combiner le respect de la liberté contractuelle et les prescriptions de cet article, son domaine d'application est limité aux cas où la relation commerciale entre les parties revêtait avant la rupture un caractère suivi, stable et habituel et où la partie victime de l'interruption pouvait raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

En l'espèce, il ressort de l'instruction du dossier les éléments suivants :

- le 26 mai 2010, la société BNP Paribas Personal Finance, venant aux droits de la société Cetelem depuis le 30 juin 2008, a conclu avec la société LFO un contrat de mandat d'intermédiaire en opérations de banque, pour une première période expirant le 31 décembre 2010, et renouvelable par tacite reconduction pour une période d'un an, sauf dénonciation par l'une ou l'autre des parties, moyennent l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception au plus tard le 30 septembre de chaque année,

- le contrat a été renouvelé tacitement chaque année, la dernière fois le 1er janvier 2014 pour une durée d'un an expirant le 31 décembre 2014,

- aucune des parties ne conteste qu'au cours du dernier renouvellement, des divergences sont apparues entre la société LFO et la société BNP,

- par courriel du 2 juillet 2014, la société BNP Paribas Personal Finance s'est plainte de contre-performances de la société LFO et le 3 juillet 2014, elle a annoncé la tenue d'une réunion le 12 août 2014 sans en indiquer le motif,

- le courriel de la société LFO demandant à connaître les raisons de cette réunion est resté sans réponse,

- dans un courriel du 5 juillet 2014, M. X, gérant de la société LFO, a proposé de céder ses parts de l'entreprise,

- par courriel du 27 juillet 2014 (pièce appelante n° 31), afin d'éviter des discussions inutiles, M. X a proposé d'axer le thème de la réunion à venir du 12 août 2014, sur la vente des parts sociales de la société LFO, en précisant : "Aujourd'hui, il me semble que si je reste, je ne vais pas m'entendre avec la suite de l'histoire et les hommes qui vont la faire. Il est donc logique que je me retire",

- une réunion s'est tenue le 12 août 2014, à l'issue de laquelle, par courriel du même jour, (pièce intimée n° 9), M. X :

* s'est insurgé contre la décision de BNP Paribas Personal Finance de mettre fin, brutalement et sans raisons valables, à 18 ans de collaboration particulièrement fructueuse et ce, d'autant que lors de la réunion, il avait été évoqué "des motifs vagues liés à l'archaïsme de nos méthodes" et confirmé que la société LFO n'était fautive "en rien",

* a renouvelé son offre de céder les parts de son entreprise, comme proposé dan son mail précédent du 5 juillet 2014, en détaillant les modalités de cette cession, précisant : "je peux comprendre que la valorisation et la reprise de AFC 31 (filiale à 50 % de LFO) ne vous concerne en rien et que le non-renouvellement du mandat vous permette de sortir sans frais de la relation qui nous lie",

* proposé, à défaut de rachat, un dédommagement (valorisation du portefeuille, coût des licenciements économiques...) ou une cession à un tiers,

- par courrier du 25 septembre 2014, la société BNP Paribas Personal Finance a indiqué à la société LFO réitérer formellement sa décision de ne pas renouveler le mandat arrivant à son terme le 31 décembre 2014.

Contrairement à ce que soutient la société BNP Paribas Personal Finance, le courriel du 27 juillet 2014 par lequel le gérant de la société LFO a notamment fait part de son souhait de céder les parts sociales de la société LFO ou d'obtenir un dédommagement, ne vaut pas manifestation d'une volonté expresse de rompre les relations commerciales qu'elles entretenaient, à tout le moins, depuis le 26 mai 2010, et par suite, notification de leur rupture. En revanche, la lettre recommandée avec accusé de réception de la société BNP Paribas Personal Finance du 25 septembre 2014 dénonçant le contrat à son terme avec un préavis de 3 mois, vaut notification de la rupture des relations commerciales.

Pour autant, il résulte de l'examen des faits relatés ci-dessus et de leur chronologie qu'ayant précédemment fait part de sa décision ferme de se désengager, sous quelques formes que ce soit, de la relation commerciale qu'elle entretenait avec la société BNP Personal Finance, la société LFO ne considérait plus que la relation commerciale avait un avenir pérenne de sorte qu'elle ne saurait invoquer l'existence de relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce.

Par suite, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté la société LFO de sa demande d'indemnisation fondée sur les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.

Par ailleurs, la rupture n'est pas fautive en ce que la société BNP Paribas Personal Finance a respecté les termes du contrat en notifiant sa rupture avec le préavis de trois mois contractuellement convenu. La société LFO sera également déboutée de sa demande en paiement du coût des licenciements consécutifs à la rupture des relations commerciales.

En définitive, le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions.

La société LFO qui succombe également en appel, en supportera les dépens et devra verser à la société BNP Paribas Personal Finance la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, sa propre demande étant rejetée.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; y ajoutant, Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ; Condamne la société Le Financier Occitan aux dépens de l'appel ; Condamne la société Le Financier Occitan à verser à la société BNP Personal Finance la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.