CA Riom, 3e ch. civ. et com., 17 octobre 2018, n° 17-00309
RIOM
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
CNH Industrial France (Sté)
Défendeur :
Etablissement Dachard (SAS), Gan Assurances , MMA Iard (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Riffaud
Conseillers :
M. Kheitmi, Mme Theuil Dif
Avocats :
SCP Collet de Rocquigny Chantelot Brodiez & Associés, Selarl Le cabinet 28 octobre, SCP Martin Laisne Dethoor Martin Portal Galand, SCP Chateau, SCP Presle Associés
Faits et procédure - demandes et moyens des parties :
Le 31 janvier 2013, la SAS CNH Industrial France (la SAS CNH) a vendu à la SAS Établissements Dachard (la SAS Dachard) un tracteur agricole de marque New Holland portant le numéro de moteur ZD 8N 105 41, pour un prix de 86 052,68 euros.
Le 16 septembre 2013, la SAS Dachard a revendu ce tracteur à M. X, pour le prix de 85 000 euros.
Le 26 septembre 2013, alors que l'engin se trouvait à l'arrêt depuis environ une heure, après avoir été utilisé pour des travaux de labour, un incendie s'est déclaré dans le tracteur, l'a entièrement détruit, et a endommagé la remorque qui y était attelée.
M. X a déclaré le sinistre à son assureur de dommages la SA MMA Iard qui, après deux expertises officieuses n'ayant pas permis de déterminer la cause du sinistre, a versé à M. X des indemnités d'un montant total de 92 663,90 euros, pour la valeur de remplacement du tracteur, et pour les frais de remise en état de la remorque.
La SA MMA Iard a fait assigner les 1er et 4 décembre 2014 la SAS Dachard et l'assureur de celle-ci la SA Gan Assurances devant le Tribunal de grande instance de Cusset, en demandant la résolution de la vente finale, pour vice caché.
La SA Gan Assurances a fait elle même assigner devant le même tribunal la SAS CNH, afin qu'elle soit condamnée le cas échéant à la garantir de toute condamnation qui serait prononcée contre elle sur la première assignation.
Le tribunal de grande instance, suivant un jugement contradictoire du 28 novembre 2016, a :
- déclaré recevables les demandes de la SA MMA Iard ;
- condamné solidairement la SAS Dachard, la SA Gan Assurances et la SAS CNH à payer à la SA MMA Iard, subrogée dans les droits de M. X, les sommes principales de 84 800 et de 7 863,90 euros, soit un total de 92 663,90 euros, et une somme de 700 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamné la SAS CNH à garantir la SAS Dachard des condamnations prononcées contre elle ;
- condamné solidairement la SAS Dachard, la SA Gan Assurances et la SAS CNH aux dépens, et rejeté le surplus de leurs demandes.
Par une lettre déposée au greffe le 9 février 2017, en raison d'une panne du réseau de communication électronique, la SAS CNH a interjeté appel général de ce jugement.
La SAS CNH demande à la cour d'infirmer le jugement, de dire que sa responsabilité ne peut être engagée en l'absence de vice ou de défaut ayant affecté le tracteur lors de sa vente, et de rejeter toutes les demandes formées contre elle.
La société appelante fait valoir qu'aucune des deux expertises officieuses n'a permis de connaître la cause de l'incendie, et que la preuve n'est pas rapportée qu'il soit résulté d'un vice ayant affecté le tracteur dès avant la première vente, intervenue entre elle même et la SAS Dachard.
La SAS Dachard conclut elle aussi, à titre principal, au rejet des demandes formées par la SA MMA Iard, au motif que les éléments de la garantie des vices cachés ne sont pas réunis ; à titre subsidiaire elle demande la garantie de la SAS CNH.
La SA Gan Assurance, assureur de la SAS Dachard, déclare s'associer aux demandes et aux observations de cette société.
La SA MMA Iard conclut à la confirmation du jugement. Elle expose que l'existence d'un vice caché peut, faute de preuve, se déduire en l'espèce de présomptions : le tracteur était neuf (230 heures d'utilisation au total, au moment du sinistre), et aucune cause extérieure n'a été décelée, de sorte que l'incendie ne peut avoir été provoqué que par un vice propre de l'engin.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 3 mai 2018.
Il est renvoyé, pour l'exposé complet des demandes et observations des parties, à leurs dernières conclusions déposées en cause d'appel, les 20 et 30 juin, 5 juillet et 7 août 2017.
Motifs de la décision :
Le tribunal a rappelé à bon droit les dispositions des anciens articles du Code civil, applicables à la cause, et notamment celles de l'article 1641, selon lesquelles le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à son usage.
Ainsi que l'exposent les sociétés CNH, Dachard et Gan Assurance, il incombe à l'acquéreur, ou à l'assureur subrogé dans ses droits qui exerce l'action en résolution de la vente pour vice caché, de rapporter la preuve de l'existence d'un défaut de la chose vendue (en ce sens Cass. com. 12 octobre 2004, pourvoi n° 03-12.632) ; et s'il est possible de rapporter cette preuve par l'élimination d'une autre cause possible, dans le cas notamment de la destruction d'un véhicule par incendie, encore faut-il que les circonstances permettent d'exclure toute autre cause possible, et de conclure ainsi à l'existence certaine d'un vice caché, affectant la chose vendue au moment de la vente (Cass. civ. 1re 2 décembre 1992, pourvoi n° 91-13.463).
La vente du tracteur en cause à M. X a donné lieu à l'émission d'une facture du 16 septembre 2013, qui mentionnait entre autres : " démonstration maxi 250 heures " garanti 1 an " ; et les deux rapports d'expertise officieux, établis contradictoirement les 5 et 28 novembre 2013, par les cabinets Vichy Expertise Autos et BSA Moulins, désignés respectivement et par l'assureur la SAS Dachard et par celui de M. X, indiquent que l' " horométrage " au moment de l'incendie se situait "entre 200 et 230 ", ou à " 200 heures ". Le premier rapport précise qu'au moment de sa mise en service par M. X le 18 septembre 2013, le tracteur "aurait [eu] 197 heures au compteur".
Le premier rapport contient la relation des faits le jour du sinistre, relation non contredite par le second rapport : selon le propriétaire M. X, le tracteur est utilisé le 26 septembre 2013 à partir de 8 h 30 pour des travaux de labourage ; à 13 h, un plein de carburant est effectué ; la journée de travail s'arrête à 18 h 30, et l'employé s'éloigne du tracteur environ un quart d'heure plus tard ; vers 20 h, le propriétaire reçoit un appel téléphonique d'un voisin, qui a constaté que le tracteur était en feu.
Les deux experts ont d'ailleurs constaté que le tracteur était entièrement détruit par l'incendie, et ils ont admis tout les deux qu'aucun indice flagrant ne leur permettait de déterminer la cause du départ de feu. Le second expert, désigné par l'assureur de M. X, a précisé que les faisceaux ne présentaient pas la raideur caractéristique d'un court circuit, et que les parties reconnaissaient que le départ de feu se situait vers l'automoteur. Le second expert a encore énoncé qu'aucun élément extérieur ne semblait être à l'origine du foyer, ce qui était confirmé par la brigade de gendarmerie de Varennes sur Allier qui était intervenue sur les lieux, et qui avait fait les constatations d'usage. Selon les dires de M. X aux experts, l'employé qui pilotait le tracteur le jour dit n'a constaté aucune anomalie lors de l'utilisation.
Ces éléments ne permettent pas d'exclure avec certitude que l'incendie soit résulté d'une autre cause qu'un vice propre à l'engin, qui aurait existé au moment de la vente du 16 septembre 2013 : il est vrai que dix jours seulement se sont écoulés, entre cette vente et l'incendie survenu le 26 du même mois, cependant les conditions d'utilisation et d'entretien, et le nombre d'heures de fonctionnement du tracteur pendant cette période ne sont connues que par les seules affirmations de l'acquéreur ; l'absence de cause extérieure n'est pas non plus attestée par un élément de preuve concret, puisque les constatations des gendarmes ne sont que rapportées par l'un des experts. Le lieu précis où le tracteur a été laissé vers 18 h 30 n'est pas indiqué (" sur le lieu de travail "), et il n'est pas exclu que, pendant le laps de temps de plus d'une heure qui s'est écoulé jusqu'à la découverte de l'incendie par un voisin vers 20 h, une cause extérieure quelconque, telle qu'un acte de malveillance, ait provoqué l'incendie en litige : il n'apparaît pas que le témoignage de ce voisin ait été ni recueilli, ni même demandé. Et l'avis des parties, selon lequel le feu aurait pris naissance sur la partie avant du tracteur, ne suffit pas à établir l'existence d'un défaut du tracteur.
Dès lors l'absence d'indice décisif, le manque de précision sur les circonstances du départ de feu, et l'absence de certitude sur le mode d'utilisation du tracteur pendant les jours et les heures ayant précédé le sinistre, ne permettent pas d'écarter, de manière certaine, une autre cause qu'un vice propre de l'engin : le preuve n'est donc pas rapportée d'un défaut inhérent au tracteur, et qui serait à l'origine du sinistre.
La SA MMA Iard ne saurait d'ailleurs se prévaloir d'une reconnaissance, par la SAS Dachard, de l'existence d'un vice caché, que comporterait son assignation d'appel en cause de la SAS CNH du 13 mars 2015 : s'il est vrai que dans cette assignation, la SAS Dachard a demandé au tribunal de prononcer que le tracteur était affecté d'un vice caché indécelable, cette demande, et celle tendant à une garantie par la SAS CNH, n'ont été présentées que sous toute réserve, et dans un acte qui n'était pas délivré à la SA MMA Iard, alors que, dans le cadre de l'instance principale préalablement engagée par la SA MMA Iard contre la SAS Dachard, celle-ci a en revanche expressément contesté l'existence d'un vice caché (cf. le jugement déféré, page 3 in fine).
C'est donc à tort que le tribunal a considéré que la preuve d'un vice caché était établie ; il convient d'infirmer le jugement, et de rejeter la demande de résolution de la vente formée par la SA MMA Iard, ainsi que toutes les demandes accessoires présentées par cette société.
Par ces motifs : LA COUR, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à la disposition des parties au greffe ; Infirme le jugement déféré et, statuant à nouveau, Rejette toutes les demandes de la SA MMA Iard ; Condamne la SA MMA Iard à payer, par application de l'article 700 du Code de procédure civile, une somme de 2 000 euros à la SAS Dachard, et une somme de 1 500 euros à chacune des sociétés CNH et Gan Assurances ; Rejette le surplus des demandes ; Condamne la SA MMA Iard aux entiers dépens de première instance et d'appel, y compris les frais d'appel en garantie de la SAS CNH.