ADLC, 24 octobre 2018, n° 18-D-23
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de matériel de motoculture
L'Autorité de la concurrence (section II),
Vu la décision n° 17-SO-06 du 28 avril 2017, enregistrée sous le numéro 17/0160 F, par laquelle l'Autorité de la concurrence s'est saisie d'office de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de matériels de motoculture de marque Stihl ; Vu l'article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après, " TFUE ") ; Vu le livre IV du Code de commerce et notamment son article L. 420-1; Vu les décisions de secret des affaires n° 17-DSA-330 du 8 août 2017 et n° 17-DSA-331 du 9 août 2017 ; Vu les observations présentées par les sociétés Andreas Stihl SAS, Stihl Holding AG & Co. KG et le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Andreas Stihl SAS, Stihl Holding AG & Co KG entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 6 juillet 2018 ; Adopte la décision suivante :
Résumé1 :
Aux termes de la décision ci-après, l'Autorité sanctionne les sociétés Andreas Stihl SAS et Stihl Holding AG & Co KG pour avoir mis en œuvre dans le cadre de leur réseau de distribution sélective de matériel de motoculture une entente illicite, contraire aux articles L. 420-1 du Code de commerce et au paragraphe premier de l'article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, consistant à interdire de facto la vente des produits Stihl et Viking à partir des sites Internet des distributeurs.
L'instruction menée dans la présente affaire a conduit à la notification de deux griefs aux sociétés précitées, l'un portant sur l'interdiction de vente des produits Stihl et Viking à partir des sites Internet des distributeurs, l'autre concernant l'interdiction de vente de ces mêmes produits sur les plateformes en ligne tierces.
L'Autorité n'a pas remis en cause le principe du recours à la distribution sélective pour des produits qui, comme ceux concernés en l'espèce - tronçonneuses, débroussailleuses, élagueuses, sécateurs à batterie - revêtent un certain degré de dangerosité et requièrent, de ce fait, la mise en place de services d'assistance et de conseil afin d'en préserver la qualité, d'en assurer le bon usage et de garantir la sécurité des utilisateurs.
Elle a, en revanche, estimé qu'en exigeant une " mise en main " entre l'acheteur en ligne et le distributeur à l'origine de la vente impliquant un retrait du produit dans le magasin du revendeur ou une livraison par ce dernier en personne au domicile de l'acheteur, Stihl avait de facto interdit la vente de ses produits à partir des sites Internet de ses distributeurs. Elle a considéré que cette interdiction, ni exigée par la réglementation relative à la commercialisation des produits concernés, ni appliquée par les concurrents de Stihl ou par nombre de grandes surfaces de bricolage, allait au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver la santé du consommateur et constituait, de ce fait, une restriction de concurrence. Elle a, en outre, rappelé qu'une restriction qui, comme celle concernée en l'espèce, réduisait la possibilité des distributeurs de vendre des produits hors de leur zone de chalandise physique et limitait le choix des clients désireux d'acheter sans se déplacer, revêtait un degré particulier de nocivité pour la concurrence et constituait, par conséquent, une restriction anticoncurrentielle par objet.
Enfin, l'Autorité a considéré que cette interdiction, d'une part ne pouvait bénéficier du règlement d'exemption par catégorie applicable aux restrictions verticales, dans la mesure où elle s'apparentait à une restriction caractérisée des ventes passives, d'autre part ne remplissait pas les conditions requises pour l'octroi d'une exemption individuelle.
S'agissant par ailleurs de l'interdiction de vente sur les plateformes en ligne tierces, l'Autorité a estimé qu'il n'y avait pas lieu à donner suite au grief notifié à ce titre. Elle a, en effet, considéré que cette pratique permet à Stihl, qui n'a aucun lien contractuel avec ces plateformes, de s'assurer, de manière à la fois appropriée et proportionnée, que ses produits sont vendus dans des conditions qui préservent son image de marque et garantissent la sécurité du consommateur.
En conséquence, seule la première des deux pratiques visées par les griefs notifiés a été sanctionnée.
Une amende de 7 000 000 d'euros a été infligée à Stihl.
En outre, il a été enjoint à Stihl de modifier, dans un délai de 3 mois à compter de la notification de la décision, ses contrats de distribution sélective, afin de stipuler, en termes clairs, que les distributeurs agréés membres de son réseau de distribution sélective avaient la possibilité de procéder à la vente en ligne de tous les produits Stihl et Viking, sans exiger de ceux-ci une " mise en main " auprès de l'acheteur, laquelle impliquerait un retrait du produit au magasin du distributeur, auprès duquel il a été acquis, ou la livraison par ce distributeur en personne ou l'un de ses employés au domicile de l'acheteur. Il a en outre été enjoint à Stihl de transmettre à l'ensemble de ses points de vente, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, une lettre recommandée avec accusé de réception leur annonçant les modifications ainsi apportées à leurs contrats de distribution sélective.
I. Constatations
A. LA PROCÉDURE
1. Par lettre du 28 février 2017, le ministre de l'économie a, en application de l'article L. 450-5 du Code de commerce, transmis au rapporteur général de l'Autorité de la concurrence, les résultats d'une enquête réalisée dans le secteur de la distribution de matériels de motoculture. Le rapport d'enquête du 23 décembre 2016, établi par la Direction Régionale des Entreprises de la Concurrence de la Consommation, du Travail et de l'Emploi Grand Est (ci-après, la " Direccte ") faisait état de restrictions à la revente des produits de la société Andreas Stihl SAS (ci-après, " Stihl " ou " le fournisseur ") sur les sites Internet de ses distributeurs spécialisés, ainsi que sur les plateformes tierces (dites également " places de marché ").
2. Par décision n° 17-SO-06 du 28 avril 2017, l'Autorité de la concurrence (ci-après, " l'Autorité ") s'est saisie d'office de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de matériels de motoculture de marque Stihl.
3. Le 7 septembre 2017, une notification des griefs a été adressée aux sociétés Stihl et Stihl Holding AG & Co. KG.
4. Par lettre du 24 octobre 2017, les sociétés Stihl et Stihl Holding AG & Co. KG ont demandé, en application de l'article L. 463-2 du Code de commerce, un délai supplémentaire pour présenter leurs observations, invoquant notamment la nécessité de traduction de documents en allemand (cotes 5073 à 5075). Par un courrier du 31 octobre 2017, le rapporteur général de l'Autorité leur a accordé un mois supplémentaire pour formuler leurs observations (cotes 5070 à 5072).
5. Après réception des observations des parties, un rapport leur a été adressé le 5 avril 2018.
6. Les sociétés mises en cause ont à nouveau sollicité un délai d'un mois supplémentaire pour transmettre leur réponse au rapport. En l'absence de circonstances exceptionnelles susceptibles de justifier une telle demande, celle-ci a été rejetée par le rapporteur général.
7. La séance devant l'Autorité s'est tenue le 6 juillet 2018.
B. LE SECTEUR CONCERNÉ
1. LES PRODUITS EN CAUSE
8. Les produits concernés par la présente procédure relèvent de l'activité de motoculture. Cette appellation recouvre deux catégories de produits : d'une part, les machines à moteur de grande taille destinées au travail de la terre et à l'agriculture intensive, telles que les tracteurs et les moissonneuses-batteuses, d'autre part, les machines à moteur de plus petite taille, généralement portables, utilisées par des particuliers ou des professionnels pour les travaux forestiers ou l'entretien d'espaces verts.
9. La présente procédure concerne uniquement des produits appartenant à cette seconde catégorie, comme les tronçonneuses, les taille-haies, les souffleurs et les tondeuses à gazon, ainsi que les accessoires et équipements de protection liés à l'utilisation de ces produits.
10. Les machines concernées présentent plusieurs caractéristiques communes. Tout d'abord, elles sont équipées d'un moteur thermique ou électrique. En outre, la grande majorité d'entre elles pèsent plus de 10 kilos, certaines atteignant même plusieurs centaines de kilos. Enfin, il s'agit de machines de dimension importante. Ainsi, une débroussailleuse mesure généralement deux mètres, la chaîne d'une tronçonneuse peut atteindre 90 cm, et si les tondeuses à gazon mesurent en moyenne entre 1,50 et 1,90 mètre, les tondeuses autoportées les plus imposantes ont une taille comparable à celle d'une voiturette.
11. Compte tenu de leur dimension, la plupart des machines concernées sont livrées partiellement montées par les fabricants et il revient aux revendeurs d'en finaliser le montage et de procéder aux derniers réglages et à la mise en marche avant la livraison au client final. Si ces opérations peuvent être réalisées rapidement pour une machine simple, telle une débroussailleuse, la mise au point d'un mini-tracteur peut, en revanche, mobiliser un technicien durant plusieurs jours.
12. Certaines de ces machines se distinguent en outre par leur degré de dangerosité, notamment celles pour lesquelles l'outil tranchant ou coupant (chaîne, lame, fil, etc.) doit entrer en contact avec la matière à trancher et ne peut donc être isolé du corps humain par un dispositif de protection. Il s'agit notamment des tronçonneuses, des découpeuses, des perches d'élagage, des taille-haies, de certains coupe-bordures, des élagueuses, des CombiSystèmes (machines regroupant les fonctions de plusieurs outils) et des sécateurs à batterie.
2. L'ORGANISATION DU SECTEUR
Commercialisation et distribution
13. La vente de détail de matériels de motoculture destinés à la tonte, le tronçonnage, l'élagage et le débroussaillage a représenté en France un chiffre d'affaires total de 955 millions d'euros en 2015.
14. La commercialisation de ces produits est réalisée à 54 % par le biais de réseaux de revendeurs spécialistes, à 31 % par les grandes surfaces de bricolage (ci-après, " GSB "), à 4,7 % par les grandes surfaces alimentaires (ci-après, " GSA ") et à 7,5 % par les libres services agricoles (ci-après, " LISA ") (voir annexe 7 du rapport administratif d'enquête ci-après, " RAE ", cote 288). Ces chiffres varient en fonction des produits concernés, sans toutefois que la hiérarchie des canaux de distribution soit modifiée. À titre d'exemple, 72 % des tronçonneuses et élagueuses sont commercialisées par des revendeurs spécialistes, et seulement 19,6 % par les GSB. De même, la part des spécialistes dans la distribution des débroussailleuses et coupe-bordures atteint 54,6 % contre 28,8 % pour les GSB (cote 228).
15. Les réseaux de distribution spécialisés sont composés de revendeurs situés pour la plupart en milieu rural, ayant une zone de chalandise physique limitée, couvrant, selon le RAE, 30 à 80 km (cote 97) et offrant une gamme complète de produits de diverses marques. Ces revendeurs spécialistes fournissent également des conseils et assurent le service après-vente et les réparations.
16. En revanche, les GSB sont implantées en zone urbaine ou périurbaine et ont, selon la pratique décisionnelle de l'Autorité, une zone de chalandise de l'ordre de 20 kilomètres (décision n° 14-DCC-198 du 31 décembre 2014 relative à la prise de contrôle exclusif de neuf fonds de commerce d'articles de bricolage par la société Bricorama France SAS ; décision n° 13-DCC-40 du 27 mars 2013 relative à la prise de contrôle conjoint de deux fonds de commerce d'articles de bricolage par les sociétés La boîte à Outils et Mr. Bricolage SA). Elles proposent généralement une gamme de produits plus restreinte, composée uniquement de modèles d'entrée et de milieu de gamme, ainsi qu'un nombre limité de marques en sus de leur propre marque. Par ailleurs, les GSB ne proposent généralement pas de service après-vente ou de réparation mais renvoient leurs propres clients vers les spécialistes en cas de panne.
Caractéristiques de l'offre et de la demande
17. L'offre de machines dédiées à l'entretien des parcs et jardins, bois et forêts est abondante. Il existe en effet près de 50 marques de fabricants européens, américains ou asiatiques, comme Honda, Husqvarna, Staub, Toro, Orégon, Kubota, MTD, Wolf, Grillo, McCulloch et Jonsered.
18. Si les fabricants proposent des gammes complètes de machines, leur réputation repose le plus souvent sur un type particulier de produits. Ainsi, les mini-tracteurs du fabricant japonais Kubota sont particulièrement prisés par les consommateurs. Il en est de même pour les tondeuses à conducteur de la marque Honda. De ce point de vue, les deux principaux acteurs du secteur, Stihl et Husqvarna, font figure d'exception, chacun proposant une gamme complète et variée de produits qui sont tous reconnus pour leur qualité. Ces deux fabricants représentent à eux seuls près de 40 % du marché français.
19. En 2016, la part de marché de Stihl sur le marché global de la motoculture était de 18 % et atteignait respectivement 57 % et 47,4 % pour les tronçonneuses et les débroussailleuses/coupe-bordures (cotes 301 et 303). À la même date, son chiffre d'affaires issu de la vente des produits de motoculture s'élevait à 241,8 millions d'euros, dont 221,7 millions (soit environ 92 %) provenant de son réseau de distributeurs spécialisés.
20. La demande des machines concernées comprend à la fois les particuliers et les professionnels spécialistes (paysagistes, jardiniers, bûcherons etc.) et non spécialistes du secteur (services techniques de collectivité ou d'entreprise en charge de la gestion d'espaces verts). Si certains produits, notamment les plus puissants, ne conviennent pas à un usage domestique, la plupart des machines peuvent répondre tant aux attentes d'un professionnel qu'à celles d'un particulier exigeant sur la qualité ou le confort d'utilisation.
3. LE CADRE JURIDIQUE
21. Compte tenu du risque découlant de l'utilisation de certaines de ces machines, leur commercialisation est soumise à un certain nombre d'exigences spécifiques, édictées par la directive 2006/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 mai 2006, relative aux machines (ci-après, " la directive machines "), transposée en droit national par le décret n° 2008-1156 du 7 novembre 2008 relatif aux équipements de travail et aux équipements de protection individuelle qui modifie les articles R. 4311-4 et suivants du code du travail, et présentée dans un guide publié par la Commission Européenne en juin 2010.
22. En vertu de l'article 1er de la directive, celle-ci s'applique notamment aux machines (voir a) de l'article 1er de la directive et article L. 4311-4 du code du travail), et l'article 2 de la directive définit les machines comme comprenant notamment les ensembles équipés ou destinés " à être équipé[s] de tout système d'entraînement autre que la force humaine ou animale appliquée directement, composé de pièces ou d'organes liés entre eux dont au moins un est mobile et qui sont réunis de façon solidaire en vue d'une application définie " (voir a) de l'article 2 de la directive et article R. 4311-4-1 du code du travail).
23. L'annexe 1 de la directive précitée énumère par ailleurs les " Exigences essentielles de santé et de sécurité " devant être observées à la fois lors de la conception, la construction et la commercialisation de ces machines. Il convient de relever que cette annexe est entièrement reprise par le décret n° 2008-1156 du 7 novembre 2008 relatif aux équipements de travail et aux équipements de protection individuelle qui transpose le texte européen en droit national.
24. Elle fait notamment peser sur le fabricant une obligation générale de prévention des risques, en vertu de laquelle " La machine doit être conçue et construite pour être apte à assurer sa fonction et pour qu'on puisse la faire fonctionner, la régler et l'entretenir sans exposer quiconque à un risque lorsque ces opérations sont effectuées dans les conditions prévues par le fabricant mais en tenant également compte de tout mauvais usage raisonnablement prévisible " (voir point 1.1.2 de l'annexe 1 de la directive machines " Principes d'intégration de la sécurité ", soulignement ajouté).
25. Si la directive machines vise à ce que les risques et dangers soient, autant que possible, éliminés dès la conception de la machine, cet objectif peut ne pas être atteint à ce stade, notamment pour des raisons techniques. Les fabricants doivent alors prévoir des dispositifs de protection contre les risques et dangers résiduels et en informer les utilisateurs (voir point 1.7.2 de l'annexe 1 de la directive machines).
26. De ce fait, la directive machines subordonne la mise sur le marché et la libre circulation de chaque machine au sein du territoire de l'Union à la communication au consommateur d'informations sur ses conditions d'utilisation. Chaque machine doit ainsi être accompagnée d'une notice d'utilisation rédigée dans la langue de l'État dans lequel elle est commercialisée. Cette notice doit comprendre notamment une description à la fois générale et détaillée de la machine, les explications nécessaires pour son utilisation, son entretien et sa réparation, une description de son usage normal, les instructions de montage, d'installation et de raccordement, les instructions concernant les mesures de protection à prendre par les utilisateurs, la description des opérations de réglage et d'entretien que devrait effectuer l'utilisateur et les spécifications concernant les pièces de rechange à utiliser (voir point 1.7.4 de l'annexe 1 de la directive machines).
27. Le point 2.2 de l'annexe 1 de la directive prévoit par ailleurs des dispositions spécifiques pour les " machines portatives tenues et/ou guidées à la main ", telles que les tronçonneuses. Ces machines doivent être conçues de telle sorte qu'elles puissent être allumées ou éteintes sans être relâchées. Elles doivent disposer de moyens de préhension tels que leur stabilité soit assurée lorsqu'elles fonctionnent et que l'utilisateur puisse contrôler visuellement la zone dangereuse et l'action de ces machines sur le matériau travaillé. La notice d'instructions qui les accompagne doit, en outre, contenir des informations sur les vibrations engendrées par la machine. Enfin, ces machines doivent également faire l'objet d'une certification particulière.
28. Il faut souligner, à ce stade, que dès lors qu'une machine répond aux exigences posées par la directive machines, notamment celle relative à la fourniture d'une notice conforme, elle peut être commercialisée librement dans toute l'Union, sans restriction quant au canal de commercialisation pouvant être utilisé.
C. LES ENTITÉS CONCERNÉES
29. La société Andreas Stihl France SARL, devenue SAS au 1er février 2012, est la filiale de distribution du groupe Stihl en France. Elle commercialise les produits de la marque Stihl, à savoir principalement des tronçonneuses, des perches d'élagage, des coupe-bordures, des débroussailleuses, des taille-haies mais aussi des machines destinées au nettoyage, des pulvérisateurs et des équipements de protection individuelle. Elle commercialise également les tondeuses à gazon de la marque Viking.
30. Depuis le 13 octobre 2013, Andreas Stihl SAS est détenue à 100 % par la société de droit allemand Stihl International GmbH. Avant cette date, son capital appartenait pour 0,03 % à Hans-Peter Stihl et pour 99,97 % à Stihl International GmbH, laquelle est elle-même détenue à 100 % par la société allemande de production Andreas Stihl AG & Co. KG. Ces deux sociétés sont ultimement détenues par une société mère allemande, Stihl Holding AG & Co. KG.
31. En 2016, Andreas Stihl SAS a réalisé un chiffre d'affaires total de 247 millions d'euros. Stihl Holding AG & Co. KG a quant à elle réalisé un chiffre d'affaires de plus de 3 milliards d'euros.
D. LES PRATIQUES CONSTATÉES
1. LA RESTRICTION DE LA VENTE DES PRODUITS STIHL ET VIKING SUR LES SITES INTERNET DES DISTRIBUTEURS AGRÉÉS
a) Les restrictions à la vente en ligne des produits Stihl et Viking avant 2014
32. À titre liminaire, il convient de souligner que Stihl dispose de son propre site Internet. Celui-ci présente les produits des marques Stihl et Viking ainsi que l'entreprise Stihl. Il décrit également les services techniques et commerciaux proposés aux consommateurs. Ceux-ci peuvent aussi y trouver des fiches conseil leur permettant de choisir l'outil le plus adapté à leur besoin et de visionner des vidéos de démonstration portant sur le fonctionnement de différents produits. En revanche, il convient de relever que ce site ne permet pas la commercialisation directe des produits mais se contente de fournir à l'internaute souhaitant effectuer un achat, l'adresse physique du distributeur spécialisé membre de son réseau ou de la GSB revendant ses produits les plus proches de chez lui.
33. Force est de constater, nonobstant l'existence de ce site, que jusqu'à la fin de l'année 2013, toutes les modalités de vente à distance, dont la vente sur Internet, de produits de marque Stihl et Viking étaient, en droit comme en pratique, assorties d'importantes restrictions, liées pour l'essentiel à l'obligation de " mise en main " posée par le contrat de distribution sélective et à son suivi par Stihl.
34. Tout d'abord, l'article 10, paragraphe 3 du contrat de distribution sélective " Partenaire professionnel ", qui liait le fournisseur à ses distributeurs de 2006 à fin 2013, stipulait que " Le Partenaire Commercial s'engage à respecter son obligation de conseil en cas de vente par le biais de son site Internet. Le Partenaire Commercial s'interdit toute vente de matériel STIHL et VIKING (à l'exception des vêtements Timbersports) sans une mise en main complète de la machine, avec montage complet du matériel, explications de fonctionnement et précautions à prendre pour un usage dans des conditions de sécurité optimales " (cote 4625 ; soulignement ajouté).
35. Par ailleurs, s'agissant de la livraison consécutive à une vente à distance, le représentant du fournisseur a précisé lors de son audition par les services de la Direccte le 19 septembre 2016 qu'elle " ne peut se faire que dans un point de vente, avec une prise en main assurée par le revendeur, ou au domicile de l'acheteur, par le revendeur (" livraison personnalisée ") " (cote 2675).
36. Cette exigence de " mise en main " ou " prise en main " ressort également du rappel à l'ordre adressé par Stihl à un distributeur signataire du contrat de distribution sélective de 2006 : " les conditions générales de vente que vous présentez sur votre site Internet ne satisfont pas aux accords que nous venons de rappeler : 1) il n'y est nullement stipulé qu'aucune vente ne peut être effectuée sans une mise en main complète de la machine 2) étant donné que la vente à distance par le biais d'Internet avec une livraison par un transporteur non cité (ou colissimo) ne permet pas une telle mise en main, nous vous prions de modifier immédiatement vos conditions pour satisfaire à nos exigences. Une mention pourrait être : " les produits STIHL commandés sur Internet ne sont disponibles que dans nos points de vente qui en assureront une mise en main complète ou seront livrés par un collaborateur de notre entreprise qui en assurera la mise en main ". Nous vous rappelons par ailleurs que le respect de votre zone d'influence vous interdit de démarcher des clients au-delà de ce secteur, notamment via e-mailing sur Internet (...) " (cote 1706, soulignement ajouté).
37. Ainsi, la " mise en main " de la machine prévue par la clause 10.3 précitée du contrat " Partenaire professionnel " impliquait nécessairement, aux termes du contrat et selon l'interprétation même de Stihl, un contact direct entre l'utilisateur final et le revendeur. Elle imposait, partant, que la remise du produit soit effectuée en magasin ou lors de la livraison par un revendeur au domicile de l'acheteur, et excluait, de facto, la possibilité d'une livraison à distance de la machine par un tiers au réseau de distribution sélective.
38. La nécessité d'un contact direct entre le vendeur et l'acheteur a d'ailleurs été confirmée par certains distributeurs, qui l'ont assimilée à une interdiction pure et simple de toute vente à distance : " pour ces machines, STIHL exige une remise en main du client et interdit la vente par correspondance avec une livraison à domicile (...) " (cote 2263).
39. Au demeurant, jusqu'en 2014, le fournisseur s'est appuyé sur l'exigence de " mise en main " pour exiger que ses distributeurs cessent les livraisons à domicile de produits de marque Stihl ou Viking.
40. À titre d'exemple, Stihl a écrit en 2009 à l'un de ses distributeurs, pionnier en matière de distribution sur Internet : " Nous constatons que vos engagements ne sont pas tenus, notamment lorsque vous offrez la livraison gratuite d'appareils. D'une part, il n'est pas indiqué que les produits sont disponibles uniquement en magasin, d'autre part, vous indiquez " port offert ", ce qui vient en contradiction avec la mention que nous vous demandions d'apposer et au minimum avec la demande de mise en main du matériel que vous commercialisez " (cote 131, soulignement ajouté). Par la suite, ce distributeur s'est plié à la demande du fournisseur en apposant la mention " disponible uniquement en magasin " (cote 132).
41. De 2006 à 2014, Stihl a adressé des courriers similaires à de nombreux distributeurs agréés afin de les empêcher de vendre et de livrer à distance des produits de marque Stihl ou Viking.
42. Ainsi, un courrier de rappel à l'ordre à l'un de ses distributeurs en date du 21 décembre 2011 indique : " A notre demande, vous avez fait évoluer votre site de vente sur Internet en y indiquant que les produits Stihl-Viking n'étaient disponibles qu'en magasin et n'étaient donc pas livrables par correspondance [...] Cependant, nous constatons [que] [...] vous continuez à livrer par correspondance des matériels de notre entreprise et nous vous en joignons la preuve au présent courrier [...]. Sans une explication plausible et écrite sous 15 jours de votre part, nous serons en droit de rompre le contrat de partenariat commercial (...) " (cote 1391, soulignement ajouté).
43. De même, Stihl a enjoint à un autre de ses distributeurs, sous peine, à défaut, de mettre fin à leurs relations commerciales, de modifier les mentions figurant sur son site Internet, en indiquant que les produits n'étaient disponibles qu'en magasin et qu'ils ne pouvaient faire l'objet d'une livraison par correspondance. Il a même suggéré à ce revendeur d'insérer le message suivant sur son site : " pour assurer une satisfaction totale et une sécurité optimale des consommateurs/utilisateurs des produits STIHL/VIKING, les machines de ces marques ne sont vendu(e)s qu'en magasin où vous disposerez des conseils et de l'assistance d'un spécialiste " (cote 3795, soulignement ajouté).
44. Ainsi, en exigeant un contact direct entre le distributeur et le client final, la politique commerciale de Stihl interdisait toute vente à distance incluant une livraison du produit par un tiers et tendait nécessairement à réserver la vente de produits Stihl et Viking aux seuls magasins physiques.
45. Ce constat a d'ailleurs été confirmé sans ambiguïté par le Président de Stihl, lequel a déclaré lors de son audition par les services de la Direccte que " jusqu'à la fin de l'année 2013, la vente à distance des produits STIHL VIKING était purement interdite par STIHL. Sous l'impulsion des évolutions du marché et du cadre juridique, le groupe STIHL a mis en place un nouveau contrat de distribution sélective en 2014, lequel autorise désormais la vente à distance des machines " (cote 2675, gras et soulignement ajoutés).
b) L'encadrement de la vente en ligne de produits Stihl et Viking à compter de 2014
Les stipulations contractuelles restreignant les ventes en ligne à compter de 2014
46. En 2014, une " Annexe au contrat de distribution spécialisée portant sur la distribution des produits STIHL et VIKING par Internet " (cotes 1258 à 1271) a été ajoutée au contrat de distribution sélective de Stihl. À compter de 2015, les stipulations figurant dans cette annexe ont été incluses dans le nouveau contrat encadrant la relation entre Stihl et les membres de son réseau de distribution.
47. Ce nouveau dispositif contractuel est composé d'un contrat et de 14 annexes (cotes 3057 à 3093). Comme tout contrat de distribution spécialisée, il organise les relations entre le fournisseur et ses distributeurs et prévoit notamment les critères d'entrée d'un distributeur dans le réseau de distribution, les conditions de résiliation du contrat et les conditions tarifaires applicables entre les signataires.
48. S'agissant des principes régissant la vente en ligne des produits Stihl, ils figurent à la fois (i) dans les dispositions générales du contrat, (ii) à l'article 7 relatif au site Internet du revendeur, ainsi qu'à (iii) l'annexe 11 du contrat spécifiquement dédiée à la vente sur Internet.
i. Les dispositions générales du contrat de distribution spécialisée de Stihl
49. L'article 1 du contrat, qui porte sur les principes de la coopération entre les distributeurs spécialisés et le fournisseur, est libellé de la façon suivante : " 1.1 l'exigence de haute qualité et la garantie d'une utilisation conforme aux prescriptions des produits Stihl et Viking nécessitent une distribution des produits exclusivement par le biais de distributeurs spécialisés sélectionnés (système de distribution sélective) assurant en spécialistes conseil, assistance à la prise en main et service au client " (soulignement ajouté). L'assistance du distributeur à la prise en main par le client est donc posée d'emblée comme l'un des principes fondamentaux régissant le réseau Stihl.
50. L'article 2.2 relatif à " l'Assistance à la prise en main " précise " le Partenaire Commercial Spécialisé explique au client l'utilisation correcte et sécurisée conformément aux règles applicables ainsi que l'entretien que nécessitent les produits et informe les clients sur l'utilisation des équipements de sécurité. Par principe, le Partenaire Commercial Spécialisé remet les produits Stihl et Viking prêts à fonctionner directement au client et il lui présente également en pratique le produit si le client le souhaite " (soulignement ajouté). Le distributeur doit donc remettre, directement et en main propre, le produit à son client et doit, le cas échéant, être en mesure de le lui présenter.
51. Cette remise en main impose un contact direct et personnel entre le client et le distributeur, y compris en cas de vente sur Internet, comme le précise l'article 2.2.3, selon lequel " Un contact direct et personnel entre le Partenaire Commercial Spécialisé et le client est nécessaire pour que le client puisse recevoir un conseil relatif aux éléments indispensables au choix d'un produit adapté et une assistance à une prise en main sécurisée - sans oublier également pour des raisons de sécurité. En cas de vente par le biais de son site Internet Le Partenaire Commercial Spécialisé s'engage à respecter cette obligation de conseil. Le Partenaire Commercial Spécialisé s'interdira toute vente de produits Stihl et Viking par le biais de son site Internet sans assurer l'assistance à la prise en main du client " (soulignement ajouté).
ii. L'article 7 du contrat de distribution spécialisée de Stihl relatif au site Internet des distributeurs
52. S'agissant plus précisément de la vente sur Internet, l'article 7-1 du contrat de distribution spécialisée précise, concernant la " Mise en place et gestion du site pour la distribution des produits Stihl et Viking par Internet ", que " pour l'établissement et la gestion du site Internet marchand" le distributeur " doit impérativement se conformer aux dispositions du contrat portant sur la distribution des produits Stihl et Viking (annexe 11) ".
53. Il rappelle en outre que le distributeur a la possibilité d'utiliser la plateforme " Stihl Online Partner " (voir infra paragraphes 61 et 62) tout en respectant les dispositions du contrat d'utilisation de la plateforme ainsi que " les critères de commercialisation sur Internet des produits Stihl et Viking ".
54. Enfin, cet article précise que " les critères énoncés dans le Contrat portant sur la distribution des produits Stihl et Viking (annexe 11) ou résultant de l'application du contrat d'utilisation de la plateforme " Stihl Online Partner " visent à préserver l'image de marque de Stihl et Viking et à garantir le système de distribution sélective " (soulignement ajouté).
iii. L'annexe 11 du contrat de distribution spécialisée de Stihl
55. L'annexe 11 du contrat de distribution spécialisée Stihl est exclusivement dédiée à la distribution sur Internet des produits Stihl et Viking.
56. Elle rappelle tout d'abord certains des principes qui régissent la coopération entre Stihl et ses distributeurs. Ainsi, compte tenu de la " grande qualité " des produits " techniquement complexes ", les distributeurs spécialisés signataires du contrat s'engagent à les " présenter (...) dans un environnement de grande qualité et à garantir une décision d'achat optimale desdits produits et une utilisation sure et conforme à leur destination, grâce au conseil à l'assistance à la prise en main " (article 1.1). Elle indique en outre que dans le cadre du dispositif contractuel en cause, la distribution des produits Stihl s'entend comme " la possibilité donnée au client par le [distributeur] d'acheter (fonction panier de produits), de réserver les produits Stihl et Viking ou de demander un devis sur Internet. Toute autre forme de présentation des produits sur Internet n'est pas comprise dans le présent contrat " (article 1.2).
57. Ensuite, l'article 2 explicite la notion de la prise en main des machines. Il pose de nouveau le principe d'un contact direct et personnel entre le client et le distributeur, en opérant toutefois une distinction, qui ne figurait pas dans le dispositif contractuel avant 2014, entre les produits limitativement énumérés à l'annexe 11-A qui sont " autorisés à la vente à distance (livraison par un tiers) " et ceux qui, ne figurant pas dans cette liste, ne peuvent faire l'objet que d'un " achat ou d'une réservation sans distribution à distance ". Ce faisant, le fournisseur distingue, d'une part, la vente à distance, qui inclut l'achat en ligne et la livraison à distance, c'est-à-dire hors du point de vente et par un tiers, et, d'autre part, la seule possibilité d'acheter ou de réserver en ligne sans distribution à distance.
58. Ainsi, aux termes de la liste figurant à l'annexe 11-A, peuvent être vendus à distance, livraison par un tiers incluse, des produits comme certains modèles de coupe-bordures, les souffleurs, les aspiro-broyeurs, les systèmes de nettoyage, les aspirateurs eau et poussière et accessoires, les atomiseurs et pulvérisateurs et accessoires, lesMultiSystemes, les vêtements de protection et de travail, les carburants, produits de nettoyage et d'entretien, les batteries et chargeurs des accessoires pour tronçonneuses et débroussailleuses, les Stihl Timbersports Collection et tous les produits de la marque Viking.
59. En revanche, les produits tels que les débroussailleuses, les découpeuses, une large partie de la gamme des coupe-bordures, les élagueuses, les taille-haies, les perches d'élagage, les CombiSystèmes, les tronçonneuses et les sécateurs à batterie (cotes 2789 à 3056) ne peuvent qu'être réservés et, à partir de 2015, payés sur Internet. Le client final doit donc soit se déplacer jusqu'au point de vente physique du distributeur pour prendre possession du produit, soit être livré à domicile par le distributeur lui-même ou l'un de ses employés.
60. Enfin, l'article 9 de l'annexe 11 précise les obligations supplémentaires qui pèsent sur les distributeurs, s'agissant de l'assistance à la prise en main en cas de vente sur Internet. Elles consistent notamment à intégrer sur leur site les " outils d'assistance à la prise en main des produits " adaptés à Internet, tels que les animations et les vidéos, et à proposer " activement " au client de consulter ces outils. Ces obligations s'ajoutent, sans se substituer, au principe du contact direct et personnel prévu à l'article 2 ci-dessus et à celui de l'exclusion de la vente à distance sur Internet, au sens d'une vente réalisée en ligne et assortie d'une livraison de produits à distance par un tiers.
L'encadrement des ventes en ligne par la plateforme SOP
61. Parmi les nouvelles dispositions introduites dans le système de distribution Stihl à compter de 2014, figure la création d'une plateforme de vente en ligne, Stihl Online Partner, ou " SOP ", que les distributeurs membres du réseau Stihl peuvent utiliser pour commercialiser les produits de la marque, sans livraison par un tiers pour les produits dits dangereux.
62. Chaque distributeur peut ainsi créer sa propre boutique en ligne sur la plateforme SOP, et avoir ainsi la garantie que son site Internet respecte les contraintes imposées par le fournisseur en ce qui concerne la présentation des produits (espace dédié, code couleur, présence des logos etc.) et que tous les produits non listés dans l'annexe 11-A ne seront proposés qu'avec la mention " uniquement disponible en magasin " (cotes 3057 à 3093).
c) La mise en œuvre du dispositif contractuel restreignant la vente en ligne des produits Stihl par les distributeurs spécialisés
63. La mise en œuvre du nouveau dispositif contractuel entré en vigueur entre 2014 et 2015 a donné lieu à l'envoi d'une circulaire explicative aux distributeurs, dont l'application a été contrôlée par Stihl. Les dispositions restrictives imposées par le fournisseur ont conduit nombre de distributeurs à considérer que la vente en ligne des produits Stihl était interdite.
La circulaire expliquant le nouveau dispositif contractuel de Stihl aux distributeurs
64. Lors de son audition par les services de la Direccte, le représentant de Stihl a déclaré : " lorsque nous avons mis en place notre dispositif contractuel, au début de l'année 2014, nous avons présenté à l'ensemble de notre réseau les différentes possibilités de distribution sur Internet (...). Nous avons adressé aux points de vente qui avaient déjà mis en place un site Internet une lettre circulaire le 7 avril 2014 en impartissant un délai de 6 mois pour se mettre en conformité " (cote 2675).
65. Le courrier adressé à cette occasion aux distributeurs comportait une lettre circulaire exposant les grandes lignes de la nouvelle politique commerciale de vente sur Internet mise en place par le fournisseur, l'annexe 11 relative à la vente sur Internet, dans sa version de 2014, accompagnée de la liste limitative des produits autorisés à la vente à distance (cote 3271) ainsi qu'une note explicative visant à répondre aux questions que cette nouvelle politique commerciale pouvait susciter de la part des distributeurs.
66. En préambule, la circulaire explique aux distributeurs que la " stratégie de distribution sur le net a évolué dans le respect des critères de distribution sélective qui fondent [la] politique commerciale [de Stihl] ". Elle ajoute que les exigences qualitatives qui en découlent sont consignées dans l'annexe 11 du contrat de distribution spécialisée Stihl, laquelle doit être approuvée et paraphée par les distributeurs. Ces derniers disposent d'un délai de six mois pour s'y conformer ; à défaut, Stihl tirera toutes les conséquences de cette " violation grave de ses critères de distribution ". La circulaire précise enfin que les distributeurs peuvent aussi choisir de distribuer les produits Stihl via leur boutique créée sur la plateforme SOP.
67. Cette circulaire est accompagnée d'une liste explicative qui met en exergue le fait que les produits qualifiés de dangereux peuvent être réservés en ligne mais que leur " expédition [est] NON autorisée ". Elle précise par ailleurs que le paiement ainsi que le retrait des produits dangereux doivent être effectués en magasin " avec une mise en route préalable et une remise en mains propres avec instructions " (cote 1357). La possibilité de procéder au paiement en ligne sera toutefois expressément autorisée dans la version 2015 de l'annexe 11.
Le contrôle par Stihl de la mise en œuvre par les distributeurs du nouveau dispositif contractuel
68. Le contrôle des sites des distributeurs effectué par le fournisseur à la suite de l'envoi de cette circulaire a révélé que 28 d'entre eux - soit entre 8 à 12 % des sites de distributeurs actifs sur Internet - n'étaient pas conformes aux nouvelles stipulations contractuelles présentées ci-dessus.
69. Parmi les critères d'évaluation utilisés par Stihl pour apprécier la conformité des sites des distributeurs avec sa nouvelle politique de distribution en ligne figurait l'" indication pour chaque produit " réservation / livraison possible ou non ; retrait en magasin " (cote 3306). Cette indication correspondait à la possibilité, ou non, de livrer des produits non cités dans l'annexe 11-A. Le défaut d'une telle indication a été constaté pour 24 des 28 sites déclarés non conformes.
70. Le fournisseur a adressé des rappels à l'ordre aux distributeurs dont le site n'était pas en conformité avec ses exigences.
71. Si ces envois de courriers répétés ont systématiquement abouti à la disparition de la possibilité d'une livraison à distance, les distributeurs ont toutefois diversement réagi à ces rappels à l'ordre. Ainsi, dix d'entre eux ont maintenu la possibilité de réaliser une transaction ou une réservation en ligne mais ont cessé les livraisons à domicile et ont imposé l'enlèvement en magasin par le consommateur. Huit autres ont choisi de rejoindre la plateforme SOP, qui prévoit un enlèvement systématique en magasin pour les machines Stihl ne figurant pas sur l'annexe 11-A du contrat. Dans six autres cas, la possibilité de réserver en ligne a été supprimée, le consommateur ne pouvant que se renseigner sur le produit, l'achat se faisant nécessairement en magasin. Enfin, quatre distributeurs ont purement et simplement retiré les produits Stihl de leur site Internet.
72. Certains distributeurs concernés ont en outre indiqué avoir vu leurs ventes chuter ou leurs perspectives commerciales se dégrader de façon substantielle en raison des exigences de Stihl.
73. L'un d'entre eux a ainsi déclaré " la progression de notre chiffre d'affaires Internet a connu un coup d'arrêt fin 2014, lorsque Stihl a interdit la revente sur Internet d'un ensemble de machines dont les tronçonneuses et les débroussailleurs. En 2013, première année de lancement du site Internet, j'avais vendu 70 tronçonneuses, 350 en 2014, 50 en 2015 (sur un total de 130 pour la société Voisin) et 16 pour 2016 (...) " (cote 1174).
74. De même, un autre distributeur a exposé que " nous avions eu à un moment l'envie de mettre des machines Stihl en vente sur le site bolmont.fr mais nous avons abandonné lorsque nous avons appris que Stihl voulait exiger la remise en main du client des machines, ce qui obligeait à un passage en magasin " (cote 1148).
75. Un troisième distributeur a indiqué que, selon lui, l'arrêt de la vente sur Internet était une opportunité commerciale gâchée, en déclarant : " c'est dommage pour notre activité car nous avions senti que les clients étaient surtout intéressés par les tronçonneuses. Nous en aurions peut-être vendu beaucoup " (cote 1274).
76. Enfin, un dernier revendeur a relayé les critiques formulées par les clients sur la politique de vente en ligne de Stihl, dans les termes suivants : " cela mécontente les clients. La plupart m'appellent en me demandant de les livrer à domicile pour leur éviter d'avoir à se déplacer jusqu'au magasin et pour éviter de perdre temps et argent dans ce transport. Je suis contraint de leur refuser et je rate, pour cette raison, de nombreuses ventes " (cote 2263).
L'assimilation de la politique commerciale de Stihl à une interdiction de vente en ligne
77. L'analyse de leurs déclarations respectives démontre que tant une partie des distributeurs que le fournisseur lui-même ont considéré que les restrictions imposées par Stihl équivalaient en réalité à une interdiction des ventes en ligne d'abord de la quasi-intégralité des produits Stihl, puis, après 2014, des produits non listés à l'annexe 11-A précitée.
Le point de vue des distributeurs
78. La nature restrictive de la politique commerciale du fournisseur ressort en premier lieu de nombreuses déclarations émanant des distributeurs.
79. Ainsi, selon le représentant du revendeur Motoculture Saint Jean, " depuis plusieurs années, STIHL n'autorise plus les distributeurs à vendre leurs produits sur Internet " (cote 1362, soulignement ajouté). Cette interdiction a également été constatée par le représentant des Etablissements Marcel, selon lequel " Les produits STIHL (...) ne sont pas disponibles à la vente en ligne (...) " (cote 2458). Ces déclarations sont corroborées par les mentions portées sur les sites Internet de certains revendeurs. L'un d'entre eux indiquait ainsi que " STIHL interdit à ses revendeurs de vendre ses produits sur Internet, cependant ils sont disponibles en magasin " (cotes 3503, 3510 et 3511), un autre a précisé que le produit ou article " ne peut être vendu qu'en magasin " (cote 3415 et 3601).
80. Parmi les distributeurs interrogés, certains ont apporté des précisions quant au type de produits concernés par les restrictions imposées par Stihl. Selon le revendeur Poirot SARL, " concernant la distribution sur Internet, les fournisseurs ont parfois des exigences particulières (...) c'est aussi le cas de STIHL qui interdit formellement la vente de machines dangereuses sur Internet (tronçonneuses notamment) et la vente de tous produits à la marque STIHL sur les market place comme AMAZON " (cote 806, soulignement ajouté). De même, Di Marco Motoculture a indiqué " depuis 2014, nous n'y [sur Internet] vendons plus de tronçonneuses ni de débroussailleurs de la marque STIHL car le fournisseur a interdit la revente sur Internet des machines dotées d'outils tranchants, pour des raisons de sécurité du consommateur (...) " (cote 2263, soulignement ajouté). Le distributeur Nicolas Espaces Verts a précisé " Pour ces machines, STIHL exige une remise en main du client et interdit la vente par correspondance avec une livraison à domicile (...) " (cote 2263, soulignement ajouté).
81. Les conséquences de l'obligation de mise en main ont également été soulignées par le représentant des Etablissements Lambin, lequel a déclaré " STIHL n'indique pas de zone géographique de vente mais contourne cette clause en imposant une prise en main du client et donc une visite en magasin physique. Par rapport au site Internet, cela revient à nous interdire de vendre les produits de cette marque en vente à distance (...). Suite à l'introduction de cette clause, nous avons préféré retirer de la vente à distance la plupart des produits STIHL " (cotes 1459 et 1462, soulignement ajouté).
82. De même, certains distributeurs ont fait état des conséquences commerciales résultant de l'interdiction de vente en ligne instaurée par Stihl. Ainsi le représentant des Etablissements Voisin a indiqué : " La progression de notre chiffre d'affaires Internet a connu un coup d'arrêt fin 2014, lorsque STIHL a interdit la revente sur Internet d'un ensemble de machines dont les tronçonneuses et les débroussailleurs (...) l'interdiction de revendre des machines considérées comme dangereuses a été prononcée par STIHL le 01-10-2014 " (cote 1174). Quant au revendeur Walliser, il a déclaré : " je vends aujourd'hui beaucoup plus de tronçonneuses de la marque HUSQVARNA qu'auparavant. Cette progression est principalement due à l'interdiction de vendre sur Internet certaines machines jugées dangereuses pour la sécurité du consommateur, interdiction formulée par STIHL en 2014 " (cote 2511).
83. Certains revendeurs ont, enfin, exprimé leur scepticisme quant aux motifs mis en avant par Stihl pour restreindre la vente à distance. Ainsi, pour le distributeur Rullier SARL, " Husqvarna et STIHL VIKING nous refusent la faculté de vendre ce que nous voulons sur Internet (certains produits sont autorisés, d'autres pas). Ils mettent en avant des raisons liées à la sécurité et la mise en route. Mais c'est une " fausse barbe " : ils livrent la grande distribution qui fonctionne exactement comme Internet de ces deux points de vue " (cote 1800, soulignement ajouté) (à noter, toutefois, que le fait que Husqvarna restreigne les ventes sur Internet est démenti par l'examen de son contrat de distribution sélective, d'une part, et par les déclarations de plusieurs distributeurs, d'autre part (voir paragraphes 202 et suivants).
Le comportement de Stihl
84. En second lieu, le fournisseur lui-même tend à assimiler sa politique commerciale à une interdiction des ventes en ligne.
85. Cela ressort notamment de certains documents internes à Stihl, tels que certaines grilles d'évaluation, dont celle datée du 7 octobre 2014 qui comporte les mentions suivantes : " pas de réservation mais il y a bien livraison de produits autorisés et disponibilité en magasin de ceux non autorisés à la vente sur le net " ou encore " commande d'une machine non autorisée possible " (cotes 3386 et 3734).
86. Les échanges entre Stihl et ses distributeurs témoignent également de la volonté du fournisseur d'interdire la vente en ligne de certains produits.
87. Ainsi, dans un courrier du 26 mai 2015 adressé par le fournisseur à un de ses revendeurs, il est mentionné : " nous vous rappelons que l'annexe 11, point 2.1 de notre contrat de distribution sélective, précise " le partenaire commercial spécialisé doit en informer le client de façon claire (...) " dans ce sens, nous vous demandons de bien vouloir apporter la mention suivante aux produits non autorisés à la vente et la livraison à distance : " Montage assuré - produit à venir chercher en magasin " (cote 3719, soulignement ajouté).
88. Dans un autre courrier du 10 mars 2016 émanant de Stihl, celui-ci rappelle à un de ses distributeurs que " quant à la vente à distance de nos produits STIHL et VIKING par la société Mégavert, elle reste soumise à nos règles de distribution sur Internet, telles que précisément décrite dans l'annexe 11 de notre contrat, entre autres : (...) non vente et non livraison à distance des produits interdits incluant les pièces détachées et mention explicite faite au consommateur " (cote 3729, soulignement ajouté).
2. L'INTERDICTION DE LA REVENTE SUR LES PLATEFORMES INTERNET TIERCES
89. Si la vente sur les sites Internet des distributeurs est, comme exposé ci-avant, fortement restreinte, la vente de produits Stihl sur des plateformes tierces, est, quant à elle, strictement interdite par les stipulations de l'annexe 11 du contrat.
90. En effet, cette annexe comprend un paragraphe 3 intitulé " Autorisation de l'URL et des boutiques en ligne, plateformes de vente, d'enchères et de place de marché en ligne " aux termes duquel le distributeur :
- doit communiquer au fournisseur le domaine de premier niveau de la page Internet sur laquelle il envisage de distribuer les produits Stihl et Viking et attendre l'autorisation du fournisseur pour commencer la commercialisation. Cette autorisation est requise pour " les domaines de premier niveau qui ne contiennent pas le nom ou les marques Stihl et Viking (séparément ou combiné avec d'autres termes) ou des appellations non conformes à l'image des marques " susmentionnées. Stihl se réserve le droit de révoquer cette autorisation dès lors que le distributeur " contrevient aux obligations susmentionnées malgré une mise en demeure d'y remédier " (voir points 3.1, 3.2, 3.4) ;
- s'engage " à ne proposer, ni directement ni indirectement (par exemple au moyen de liens hypertextes) de produits Stihl et Viking à la vente via des URL (adresses web ou Internet) de plateformes d'enchères et de vente ou des places de marché en ligne, telles qu'eBay ou Amazon " (point 3.3) (gras et soulignement ajoutés).
91. Ainsi, quels que soient les produits concernés, la vente sur Internet en dehors du site Internet du distributeur n'est pas autorisée par le fournisseur.
92. Stihl a d'ailleurs strictement fait appliquer cette règle en rappelant à l'ordre, par courriers, deux distributeurs qui pratiquaient la vente sur des places de marché.
93. Le 18 mai 2015, elle a écrit à son distributeur Nicolas Espaces Verts Sarl : " nous avons pu constater toujours récemment la vente de produits STIHL sur Cdiscount via MegaMarché, un revendeur approvisionné par la société NICOLAS ESPACES VERTS et ce, au mépris des dispositions du Contrat qui interdisent de vendre sur des places de marché (...) " (cote 3707).
94. Le 19 janvier 2015, le distributeur Vosges Alsace Espaces Verts s'est vu mis en demeure dans les termes suivants : " nous venons de constater que vous distribuez des produits STIHL ou VIKING sur le site www.amazon.fr ce qui va à l'encontre des accords que vous avez signés et nous vous prions de retirer immédiatement ces produits et de cesser la commercialisation des produits STIHL et VIKING sur ces sites. Un non-respect de cette consigne entraînerait une résiliation de notre contrat dans les plus brefs délais " (cote 866). Le fournisseur a réitéré sa sommation par un courrier du 13 mars 2015 qui indiquait : " nous constatons que vous distribuez encore sur le site www.amazon.fr des chaînes STIHL et que vous n'avez pas tenu compte de notre courrier du 19 janvier dans lequel nous vous demandions de vous mettre en conformité avec vos engagements. Un non-respect immédiat de cette consigne entraînera une résiliation de votre contrat dans les plus brefs délais " (cote 867).
95. À la suite de ces avertissements, la commercialisation de produits Stihl sur les plateformes Internet tierces s'est interrompue.
3. LA DURÉE DES PRATIQUES
96. La restriction de la vente en ligne des produits de Stihl a débuté a minima en 2006, date à laquelle le fournisseur s'est appuyé sur les stipulations du contrat de distribution sélective pour rappeler à l'ordre ses distributeurs et leur interdire de pratiquer la vente à distance. Comme l'a indiqué le représentant du fournisseur, cette interdiction a été générale jusqu'à la fin de l'année 2013, puis la signature de l'avenant au contrat de 2014 a assoupli cette interdiction, pour qu'en soit exempté un petit groupe de produits.
97. La revente à distance de tout produit du fournisseur a donc été interdite, à tout le moins, depuis 2006 et jusqu'en 2014. De 2014 à la notification des griefs, seuls les produits figurant à l'annexe 11-A n'ont pas été soumis à cette interdiction.
98. Quant à l'interdiction inconditionnelle et absolue de vente sur les plateformes tierces, elle a débuté au moins en 2006 et était encore en vigueur lors de l'envoi de la notification de griefs.
E. LES GRIEFS
99. Les deux griefs suivants ont été notifiés à la société mise en cause et à sa société mère :
Grief n° 1
" Il est fait grief à La société Andreas Stihl SAS en raison de sa participation directe et à la société Stihl Holding AG & Co. KG en sa qualité de société mère exerçant une influence déterminante sur Andreas Stihl SAS ;
D'avoir, dans le secteur de la distribution de matériel de motoculture conclu des accords et mis en œuvre une entente visant à restreindre les ventes à distance sur Internet depuis les sites Internet des distributeurs agréés dans le cadre de son réseau de distribution sélective entre 2006 et la présente notification de griefs.
Cette pratique a eu pour objet de restreindre les ventes passives des membres du réseau de distribution sélective de Stihl et le jeu de la concurrence dans le secteur de la distribution des produits d'entretien des espaces verts, bois et forêts.
Cette pratique est prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce et l'article 101§1 du TFUE. "
Grief n° 2
" Il est fait grief à La société Andreas Stihl SAS en raison de sa participation directe et à la société Stihl Holding AG & Co. KG en sa qualité de société mère exerçant une influence déterminante sur Andreas Stihl SAS ;
D'avoir depuis 2006 jusqu'à la date de la présente notification de griefs, dans le secteur de la distribution de matériel de motoculture conclu des accords et mis en œuvre une entente visant à interdire les ventes à distance sur Internet depuis des plateformes tierces.
Cette pratique a eu pour objet de restreindre les ventes passives des membres du réseau de distribution sélective de Stihl et le jeu de la concurrence dans le secteur de la distribution des produits d'entretien des espaces verts, bois et forêts.
Cette pratique est prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce et l'article 101§1 du TFUE ".
II. Discussion
A. SUR LA PROCÉDURE
1. SUR LA CONDUITE DE L'INSTRUCTION
100. Stihl relève dans ses observations que la notification de griefs a été établie essentiellement à partir du RAE de la Direccte Grand Est. Au stade de la réponse au rapport, elle reproche aux services d'instruction de s'être contentés de reprendre les déclarations des distributeurs entendus par la Direccte, sans procéder à des auditions supplémentaires. Elle déplore également le fait de ne pas avoir été entendue en audition dans le cadre de la procédure d'instruction.
101. Or, il convient de rappeler qu'il résulte d'une pratique décisionnelle et d'une jurisprudence constantes que le rapporteur, seul maître de la conduite de l'instruction, détermine l'organisation de son instruction et de ses étapes successives : ainsi, dans l'arrêt Pharma-Lab du 23 janvier 2007 (RG n° 2006/01498), la cour d'appel de Paris a rappelé qu'" il résulte des articles L. 450-1 et L. 450-6 du Code de commerce que le rapporteur est maître de la conduite des investigations et qu'il apprécie librement l'opportunité des mesures à mettre en œuvre " (voir également, arrêt de la Cour de cassation du 15 juin 1999, société Lilly France, pourvoi n° 97-15.185).
102. Plus particulièrement, la Cour de cassation a jugé que " l'audition de témoins est une faculté laissée à l'appréciation du rapporteur ou du Conseil, eu égard au contenu du dossier " (arrêt de la Cour de cassation du 15 juin 1999, société Lilly France précité, voir également en ce sens, arrêt de la cour d'appel de Paris du 29 janvier 2008, Société Le Goff Confort SAS, n° 2006/07820, page 12). Dès lors, le fait que les services d'instruction n'aient pas, compte tenu des éléments déjà recueillis, entendu d'autres distributeurs que ceux auditionnés par la Direccte est sans incidence sur la validité de la procédure.
103. Par ailleurs, la circonstance que les représentants de Stihl n'aient pas été entendus durant la procédure d'instruction n'a en aucune manière porté atteinte au principe du contradictoire et au respect des droits de la défense, dès lors que l'entreprise mise en cause a été mise en mesure de présenter en temps utile ses observations tant sur la notification de griefs que sur le rapport établi par les services d'instruction (voir en ce sens arrêt de la Cour de cassation du 15 juin 1999, société Lilly France précité et décision du Conseil de la concurrence n° 96-D-72 du 19 novembre 1996 relative aux pratiques constatées dans la distribution des montres Rolex, page 9).
104. Dès lors, les critiques formulées par Stihl concernant le nombre et la nature des actes accomplis par les rapporteurs dans le cadre de l'instruction du dossier sont inopérantes et au surplus, non fondées.
2. SUR L'IMPARTIALITÉ DE L'INSTRUCTION
105. Selon Stihl, l'instruction aurait été menée uniquement à charge, comme en témoignerait notamment l'exploitation partiale, par la notification de griefs, des déclarations des distributeurs des marques Stihl et Viking
106. Or, il ressort notamment d'un arrêt de la cour d'appel de Paris du 21 décembre 2017 (Société Crédit Lyonnais, n° 2015/17638, page 31) que, lorsque l'impartialité de l'instruction est, comme en l'espèce, contestée, la cour s'assure tout d'abord de ce que les mis en cause ont pu exercer les prérogatives qui leur sont reconnues dans le cadre d'une procédure contradictoire, lesquelles impliquent qu'ils aient eu accès à l'entier dossier de l'affaire, qu'ils aient pu faire connaître leurs observations sur les griefs et le rapport, et s'exprimer en séance.
107. L'arrêt précité rappelle en outre que, selon l'article R. 463-11 du Code de commerce, il incombe aux rapporteurs de "soumet[tre] à la décision de l'Autorité de la concurrence une analyse des faits et de l'ensemble des griefs notifiés ", dont l'Autorité apprécie librement la justesse et le bien-fondé dans le cadre du débat contradictoire. Pour ce faire, les rapporteurs peuvent d'une part, retenir au soutien de leur analyse les éléments du dossier qui leur paraissent les plus pertinents, sans être tenus d'exposer les motifs pour lesquels ils ne se sont pas appuyés sur d'autres éléments et, d'autre part, soumettre au débat contradictoire leur propre interprétation des éléments du dossier. L'appréciation que les rapporteurs sont ainsi amenés à porter sur la valeur, l'importance ou l'interprétation des éléments du dossier ne saurait être considérée comme un manquement à leur devoir d'impartialité, sauf à les priver des moyens de soumettre à l'Autorité leur propre analyse des faits et des griefs notifiés (arrêt de la cour d'appel du 21 décembre 2017, Société Crédit Lyonnais, n° 2015/17638, pages 31 et 32).
108. Ainsi, contrairement à ce que soutient l'entreprise mise en cause, l'utilisation et l'interprétation par les services d'instruction des déclarations des distributeurs de Stihl dans le cadre de la présente procédure ne constituent pas une violation de leur devoir d'impartialité mais la mise en œuvre de leur pouvoir d'appréciation. Par ailleurs, il convient de souligner que Stihl, qui a eu accès à l'ensemble des pièces du dossier, a été à plusieurs reprises en mesure de contester l'interprétation des services d'instruction. De même, il est établi qu'elle a pu apporter toutes les pièces et développer tous les arguments qu'elle estimait utiles à sa défense. L'argument selon lequel les services d'instruction auraient porté atteinte au principe d'impartialité doit donc être écarté.
3. SUR LE PRINCIPE DE CONFIANCE LÉGITIME
109. Stihl prétend que les dispositions régissant son système de distribution par Internet auraient été élaborées en coordination avec l'Autorité de concurrence allemande (Bundeskartellamt). En outre, elle soutient que leur compatibilité avec le droit de la concurrence aurait, par la suite, été confirmée par les autorités de concurrence suédoise (Konkurrensverket) et suisse (Commission de la concurrence). Dans ces circonstances, la présente procédure révèlerait un manque de cohérence dans l'application du droit de la concurrence au niveau européen qui, selon la mise en cause, viderait de sa portée la confiance légitime qu'un opérateur doit avoir à l'égard des avis et décisions d'autres autorités de concurrence.
110. À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence européenne, le principe de confiance légitime s'étend à tout particulier placé dans une situation dont il ressort que l'administration a fait naître chez lui des espérances fondées, étant précisé que nul ne peut invoquer une violation de ce principe en l'absence d'assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables, que lui aurait fournies l'administration (voir notamment arrêt du Tribunal de l'Union du 14 avril 2011, Visa Europe et Visa International Service/Commission,T-461/07 points 222 à 224).
111. Les juridictions nationales reconnaissent également à ce principe. Pour le Conseil d'État qui s'y réfère dans le cas où la situation juridique est régie par le droit communautaire (arrêts du Conseil d'État du 30 mars 2007 n° 289687, du 5 juillet 2018 n° 401157 et du 5 mars 2018 n° 410670), il s'applique lorsqu'une autorité nationale fait naître chez l'opérateur économique des " espérances fondées ". Toutefois, " un opérateur prudent et avisé doit pouvoir prévoir l'adoption d'une mesure de nature à affecter ses intérêts " (arrêt du Conseil d'État du 25 septembre 2015, n° 376431). De même, la Cour de cassation se réfère au " principe de protection de la confiance légitime énoncé par la Cour de justice de l'Union européenne comme principe général du droit de l'Union européenne ". Celui-ci s'applique lorsqu'un particulier " se trouve dans une situation dont il ressort que l'administration, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître chez lui des espérances fondées " (voir notamment arrêts de la Cour de cassation du 20 novembre 2007 n° 06-11457 et du 4 octobre 2011, n° 10-30217).
112. Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union que les autorités nationales de concurrence ne peuvent faire naître dans le chef des entreprises une confiance légitime de ce que leur comportement n'enfreint pas l'article 101 TFUE (arrêt de la Cour de justice de l'Union du 18 juin 2013, Bundeswettbewerbsbehörde Bundeskartellanwalt, C-681/11, point 42). En effet, afin de garantir une application cohérente des règles de concurrence, seule la Commission européenne peut constater, par voie de décision, que les articles 101 et 102 TFUE sont inapplicables. Les autorités nationales ne sont quant à elles pas compétentes pour prendre une " décision négative " qui conclurait à l'absence de violation de ces articles. Ainsi, lorsqu'elles considèrent, sur la base des éléments dont elles disposent, que les conditions d'interdiction ne sont pas réunies, elles ne peuvent que constater qu'il n'y a pas lieu pour elles d'intervenir (voir l'arrêt de la Cour de justice de l'Union du 3 mai 2011, Tele2 Polska, C-375/09, points 19 à 30).
113. Stihl ne saurait donc valablement s'appuyer sur des décisions d'autorités nationales de concurrence pour invoquer l'inapplicabilité de l'article 101 TFUE à son système de distribution et se prévaloir, de ce fait, d'une violation du principe de confiance légitime.
114. Une telle violation n'aurait pas davantage été établie quand bien même ces autorités ne se seraient prononcées qu'au regard de leur droit national respectif.
115. À cet égard, il doit d'abord être souligné que la mise en cause n'a, en tout état de cause, produit aucun élément matériel permettant de s'assurer du contexte et de la teneur de ses échanges avec le Bundeskartellamt. Il ne saurait, dans ces conditions, être admis, sur le fondement de ses seules déclarations, que le Bundeskartellamt lui aurait apporté des assurances précises, inconditionnelles et concordantes quant à la conformité de son système de distribution avec les règles de concurrence.
116. S'agissant par ailleurs de la position de l'autorité helvétique de concurrence, Stihl a fourni une lettre indiquant que l'enquête préalable ouverte sur son système de distribution en ligne avait été clôturée au motif que " le projet et les nouveaux contrats de distribution ont été examinés par l'office fédéral allemand des ententes (Bundeskartellamt), et aucune objection n'a été formulée " (cote 5936). La décision de cette autorité se réfère ainsi uniquement à l'examen antérieur supposé du Bundeskartellamt et ne saurait donc, pour les motifs exposés supra, être qualifiée, en tout état de cause, d'assurance précise, inconditionnelle et concordante de nature à susciter une confiance légitime, au sens de la jurisprudence précitée.
117. Enfin, le fait que l'autorité suédoise de concurrence n'ait pas sanctionné Stihl, sur le fondement de la plainte déposée par un de ses distributeurs, ne saurait non plus être regardé, en tout état de cause, comme une " validation " de son système de distribution. En effet, la décision de clôture de la procédure précise, d'une part, que l'affaire ne remplissant pas les critères de " la politique de priorité de ladite autorité " n'a pas donné lieu à un examen détaillé et, d'autre part, que cette clôture " ne signifie pas une prise de position visant à savoir si la pratique est contraire aux règles de concurrence " (cote 5943).
118. Ainsi, aucun des avis et décisions émanant des autorités nationales de concurrence dont se prévaut Stihl ne saurait, en tout état de cause, être qualifié d'assurances précises, inconditionnelles et concordantes de la compatibilité de son système de distribution avec le droit de la concurrence, au sens de la jurisprudence précitée. Le moyen tiré du prétendu non-respect du principe de confiance légitime sera par conséquent écarté.
B. SUR L'APPLICATION DU DROIT DE L'UNION
119. Selon la jurisprudence de l'Union synthétisée dans la Communication de la Commission européenne portant lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 101 et 102 du TFUE, trois éléments doivent être réunis pour que des pratiques soient susceptibles d'affecter sensiblement le commerce entre États membres : l'existence d'échanges, à tout le moins potentiels, entre les États membres portant sur les produits ou les services en cause, l'existence de pratiques susceptibles d'affecter ces échanges et le caractère sensible de cette affectation. S'agissant de ce troisième élément, le paragraphe 52 des lignes directrices précitées se réfère à deux seuils cumulatifs en deçà desquels un accord est présumé, selon la Commission européenne, ne pas affecter sensiblement le commerce entre États membres. Ainsi, faut-il que (i) la part de marché totale des parties sur le marché européen affecté par l'accord n'excède pas 5 % et (ii), dans le cas d'accords verticaux, que le chiffre d'affaires annuel total réalisé par le fournisseur dans l'Union avec les produits concernés par l'accord n'excède pas 40 millions d'euros.
120. Au cas particulier, l'existence d'un courant d'échanges portant sur les produits en cause est avérée. Stihl, groupe allemand de dimension internationale, est en effet présent dans la plupart des États membres et se trouve en concurrence avec d'autres sociétés internationales, comme Husqvarna, Kubota ou encore Honda, lesquelles distribuent également leurs produits sur l'ensemble du territoire de l'Union.
121. Par ailleurs, les pratiques en cause sont, par leur nature même, susceptibles d'affecter le commerce entre les États membres. En limitant la vente par Internet des produits Stihl et Viking, Stihl restreint nécessairement la capacité de ses revendeurs à toucher une clientèle située en dehors de leur zone de chalandise physique et donc à répondre à la demande de consommateurs situés dans d'autres États membres. Ces pratiques qui reviennent à cloisonner les marchés nationaux, voire locaux, sont donc susceptibles de restreindre les échanges potentiels directs entre les États membres.
122. Enfin, le caractère sensible de cette affectation résulte du fait que l'entreprise mise en cause est l'un des acteurs majeurs du secteur concerné et y détient des parts de marché particulièrement importantes, bien supérieures au seuil de 5 % de parts de marché au niveau européen. Par ailleurs, le chiffre d'affaires réalisé par les produits en cause est largement supérieur à 40 millions d'euros, la seule vente de tronçonneuses et de débroussailleuses en France représentant 84,6 millions d'euros en 2015 selon les déclarations de Stihl (cote 3133) et le marché national de la motoculture représentant quant à lui un chiffre d'affaires de plus de 900 millions d'euros en 2015.
123. Au vu de ce qui précède, le commerce entre les États membres est susceptible d'être affecté de manière sensible par les pratiques en cause. Celles-ci doivent donc être examinées tant au regard du droit national, notamment de l'article L. 420-1 du Code de commerce, que du droit de l'Union, notamment de l'article 101 du TFUE.
C. SUR LE MARCHÉ PERTINENT
124. La présente affaire concerne l'intégralité de la gamme de produits vendus sous les marques Stihl et Viking, laquelle comprend notamment les tronçonneuses, les taille-haies et les élagueuses, les débroussailleuses ainsi que les tondeuses à gazon.
125. L'ensemble de ces produits se distingue de la catégorie des matériels agricoles lourds, tels que les tracteurs ou les moissonneuses-batteuses, par leurs prix, leurs caractéristiques techniques et leur usage. Ils ne sont en effet pas destinés au travail de la terre mais à l'entretien des espaces verts, bois et forêts. Ils peuvent donc, le cas échéant, être utilisés en complément d'engins agricoles lourds mais en aucun cas à leur place.
126. Leur commercialisation est assurée principalement par des revendeurs multimarques spécialisés qui opèrent au sein de réseaux de distribution sélective et, plus marginalement, par des GSB, voire (mais pas dans le cas de Stihl) par des GSA. La clientèle est composée tant d'utilisateurs professionnels que de particuliers.
127. Compte tenu de ces caractéristiques, un marché pertinent de la distribution au détail de produits d'entretien des espaces verts, bois et forêts, tels que les tronçonneuses, les taille-haies et les élagueuses, les débroussailleuses et les tondeuses à gazon, pourrait être retenu.
128. Un tel marché serait de dimension nationale, compte tenu du fait que les fournisseurs définissent leurs réseaux de distribution en désignant, sur la base de critères déterminés, un nombre limité de revendeurs au sein d'un État membre.
129. En tout état de cause, lorsque les pratiques en cause sont examinées, comme en l'espèce, au titre de la prohibition des ententes, il n'est pas nécessaire de définir le marché avec précision, dès lors que le secteur a été suffisamment identifié pour qualifier les pratiques observées et permettre de les imputer aux opérateurs qui les ont mises en œuvre (voir notamment arrêt du Tribunal de l'Union du 12 septembre 2007, William Prym/Commission, T-30/05, point 86 et décision de l'Autorité de la concurrence n° 13-D-12 du 28 mai 2013 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation de commodités chimiques, paragraphes 574 et 575).
D. SUR LE BIEN-FONDÉ DES GRIEFS
130. Selon l'article 101, paragraphe 1, du TFUE, sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence dans le marché intérieur.
131. De même, l'article L. 420-1 du Code de commerce prohibe les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites entre les entreprises lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, notamment lorsqu'elles tendent à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse.
132. Au terme des griefs notifiés, en interdisant de facto à ses distributeurs de vendre les produits Stihl et Viking à partir de leurs propres sites, d'une part, et à partir des sites des plateformes tierces telles qu'Amazon ou eBay, Stihl aurait participé à deux ententes verticales anticoncurrentielles par objet.
133. Afin d'apprécier le bien-fondé de ces griefs, il convient, après avoir rappelé les principes applicables, de se prononcer successivement sur l'existence d'un accord de volontés entre Stihl et ses distributeurs, le caractère restrictif de concurrence et, le cas échéant, le degré de nocivité de chacune des deux interdictions concernant la vente en ligne en vigueur au sein du réseau de distribution sélectif de Stihl, avant de déterminer si les conditions d'octroi d'une exemption au titre des articles 101, paragraphe 3, TFUE et L. 420-4 du Code de commerce pourraient être remplies les concernant.
1. LES PRINCIPES APPLICABLES
a) L'accord de volontés
134. La preuve d'une entente verticale requiert la démonstration de l'accord de volontés des parties à l'entente exprimant leur volonté commune de se comporter sur le marché de manière déterminée (voir notamment arrêt de la Cour de justice de l'Union du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41/69, point 112, et du 11 janvier 1990 ; arrêt de la cour d'appel de Paris du 26 janvier 2012, Beauté Prestige International e.a., n° 2010/23945, page 42).
135. Selon la Cour de justice de l'Union, la preuve d'un tel accord " doit reposer sur la constatation directe ou indirecte de l'élément subjectif qui caractérise la notion même d'accord, c'est-à-dire d'une concordance de volontés entre opérateurs économiques sur la mise en pratique d'une politique, de la recherche d'un objectif ou de l'adoption d'un comportement déterminé sur le marché, abstraction faite de la manière dont est exprimée la volonté des parties de se comporter sur le marché conformément aux termes dudit accord " (arrêt Bayer C-2/01 P, point 173).
136. S'agissant plus spécifiquement de l'appartenance à un réseau de distribution, les juridictions européennes et nationales ont, par ailleurs, clairement précisé d'une part qu'elle ne pouvait, à elle seule, laisser présumer de l'existence d'un concours de volontés, d'autre part que la démonstration de l'existence d'un tel accord pouvait être constituée tant par des preuves directes (clauses d'un contrat, par exemple) qu'indirectes (déclarations des intéressés, ou acquiescement tacite) (voir arrêt de la cour de Justice de l'Union du 13 juillet 2006, Volkswagen, C-74/04, points 37-39 ; arrêt de la cour d'appel de Paris du 13 mars 2014, Société Bang & Olufsen, n°2013/00714, pages 5,6 et 9).
b) Le caractère restrictif de concurrence d'un réseau de distribution sélective et des dispositions des contrats de distribution sélective
137. S'agissant des accords dits de distribution sélective, par lesquels un producteur choisit, notamment, de diffuser ses produits ou ses services via des distributeurs préalablement sélectionnés par ses soins, il est désormais de jurisprudence constante que de tels accords, même s'ils " influencent nécessairement la concurrence dans le marché commun ", peuvent néanmoins être conformes aux exigences des articles 101 paragraphe 1, TFUE et L. 420-1 du Code de commerce.
138. De fait, il est admis que la nature et l'intensité de la concurrence peuvent varier en fonction des produits ou services concernés et de la structure économique des marchés affectés. Il existe des exigences légitimes, telles que le maintien de canaux de distribution spécialisés, capables de fournir des prestations spécifiques pour des produits de haute qualité et technicité, qui justifient une réduction de la concurrence par les prix au bénéfice d'une concurrence portant sur d'autres éléments que le prix (voir arrêts de la Cour de justice de l'Union du 25 octobre 1983, AEG-Telefunken, 107/82, point 33, arrêt du 6 décembre 2017, Coty Germany GmbH, C-230/16, point 23).
139. Toutefois, la licéité de tels accords constituant un système de distribution sélective, de même que celle de leurs clauses, est soumise au respect de certaines conditions.
140. S'agissant des accords, ceux-ci ne sont licites qu'à la condition que les revendeurs soient choisis sur la base de critères objectifs de caractère qualitatif, fixés de manière uniforme pour tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire (voir notamment arrêt de la Cour de justice de l'Union du 25 octobre 1977, Metro SB-Großmärkte/Commission, 26/76, point 20).
141. L'appréciation de la nature qualitative des critères de sélection des revendeurs requiert nécessairement l'examen des propriétés du produit en cause, afin de vérifier, d'une part, que celles-ci nécessitent, pour préserver la qualité du produit et en assurer le bon usage, un système de distribution sélective et, d'autre part, qu'il n'est pas déjà satisfait à ces objectifs par la réglementation nationale (arrêts de la Cour de justice de l'Union du 11 décembre 1980, L'Oréal, 31/80, points 15 et 16, et du 13 octobre 2011, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, C-439/09, point 41).
142. En outre, il importe de s'assurer que les critères imposés ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire (arrêt de la Cour de justice de l'Union du 11 décembre 1980, L'Oréal, 31/80, points 15 et 16 ; voir également les arrêts du 13 octobre 2011, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, C-439/09, point 41, et du 6 décembre 2017, Coty Germany GmbH, C-230/16, points 24, 40 et 43).
143. S'agissant des clauses contractuelles, telles qu'une interdiction de toute forme de vente par Internet, contenues dans les accords de distribution sélective, il convient de vérifier si les restrictions de la concurrence qu'elles impliquent poursuivent d'une manière proportionnée les objectifs légitimes de préservation de la qualité des produits et de sécurisation de leur bon usage (arrêt de la Cour de justice de l'Union du 13 octobre 2011, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, C-439/09, point 41, arrêt de la Cour d'appel de Paris du 31 janvier 2013, RG n° 2008/23812).
144. Selon la Cour de justice de l'Union, cette condition est satisfaite lorsque " l'interdiction [formulée par la clause en cause au principal] est proportionnée au regard de l'objectif [qu'elle] poursui[t] (...) " et si elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif " (arrêt de la Cour de justice de l'Union du 6 décembre 2017, Coty Germany GmbH, précité, points 43 et suivants).
c) La restriction de concurrence par objet
145. Les articles 101, paragraphe 1, TFUE et L. 420-1 du Code de commerce précités établissent tous deux une distinction entre les restrictions de concurrence par objet ou par effet.
146. À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union que certains types de coordination entre entreprises, tels que, notamment mais pas exclusivement, les ententes sur les prix, révèlent intrinsèquement un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence pour qu'il puisse être considéré que l'examen de leurs effets n'est pas nécessaire (voir en ce sens, notamment, arrêts de la Cour de justice de l'Union du 11 septembre 2014, Groupement des cartes bancaires, C-67/13, points 49 et 50, du 30 juin 1966, LTM, 56/65, pages 359 et 360; du 20 novembre 2008, BIDS, C-209/07, point 15, ainsi que du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C-32/11, points 34 et 35).
147. De manière générale, l'appréciation de l'existence d'un degré suffisant de nocivité nécessite d'examiner concrètement et cumulativement la teneur et les objectifs de la disposition restrictive de concurrence, ainsi que le contexte économique et juridique dans lequel elle s'insère. Dans le cadre de l'appréciation dudit contexte, il y a lieu également de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés, ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en question (voir, en ce sens, arrêts de la Cour de justice de l'Union du 11 septembre 2014, Groupements des cartes bancaires, C-67/13, point 53 et du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., point 36).
2. L'APPLICATION AU CAS D'ESPÈCE
148. Conformément à la jurisprudence précitée, l'appréciation de la licéité du système de distribution sélective de Stihl au regard des règles de concurrence suppose, tout d'abord, d'exposer à titre liminaire les motifs pour lesquels la mise en place d'un tel système ne soulève pas, en son principe même, de difficultés (a). Il conviendra ensuite de vérifier si les dispositions propres à ce système de distribution sélective portant sur l'interdiction de vendre les produits concernés à partir du site Internet des distributeurs, visée par le grief n° 1 (b) et l'interdiction de vente sur les plateformes en ligne, visée par le grief n° 2, (c) constituent des ententes anticoncurrentielles prohibées au sens des articles des articles 101, paragraphe 1, TFUE et L. 420-1 du Code de commerce qui pourraient, le cas échéant, bénéficier d'une exemption au titre des articles 101, paragraphe 3, TFUE et L. 420-4 du Code de commerce.
a) Sur la licéité du recours à la distribution sélective
149. À titre liminaire, il convient de relever, au regard des critères énumérés ci-avant aux paragraphes 140 et 141, qu'au vu des éléments recueillis lors de l'instruction, Stihl choisit ses distributeurs en fonction de critères fixés de manière uniforme et qu'aucun élément du dossier ne fait ressortir de discrimination dans l'application de ces critères.
150. S'agissant de la nécessité de préserver la qualité et d'assurer le bon usage de certains produits de haute qualité et technicité, sans aller au-delà de ce qui est nécessaire, il doit être noté, en premier lieu, qu'en l'espèce, nombre des produits concernés, et notamment les produits " phare " des gammes Stihl et Viking, sont des outils motorisés portables utilisés pour les travaux forestiers ou l'entretien d'espaces verts, dont le montage et le maniement peuvent s'avérer délicats, notamment en fonction de leur taille et de leur poids, et qui présentent à l'évidence une certaine technicité.
151. En second lieu, l'utilisation de certains de ces produits - au premier rang desquels les tronçonneuses, débroussailleuses, élagueuses, sécateurs à batterie et certains coupe-bordures - peut présenter des risques, tels que des rebonds (ou " kick back ") entraînant une projection brusque de la machine vers l'utilisateur dans un mouvement incontrôlable, des projections d'éléments en contact avec l'outil tranchant de la machine, des risques de perte de contrôle de la machine avec des coupures et/ou un risque de projection de la machine vers des tiers. De fait, ces machines sont munies d'un outil tranchant ou coupant qui doit entrer en contact avec la matière à trancher et ne peut, partant, être isolé du corps humain par un dispositif de protection.
152. Au regard de ces différentes caractéristiques, il apparaît que la commercialisation des produits en question requiert effectivement l'existence de services d'assistance et de conseil afin d'en préserver la qualité et d'en assurer le bon usage. Par conséquent, il résulte de ce qui précède que le critère qualitatif conditionnant la licéité du recours à la distribution sélective doit être regardé comme rempli.
153. Dans ces conditions, le principe même de la mise en place par Stihl d'un réseau de distribution sélective ne saurait être contesté au regard des principes rappelés ci-dessus. Il convient, par conséquent, de circonscrire l'analyse concurrentielle aux seules clauses du contrat de distribution sélective de Stihl organisant la vente des produits sur Internet.
b) Sur l'organisation des ventes des produits Stihl et Viking à partir des sites Internet des distributeurs (premier grief)
154. Afin d'apprécier la réalité et la licéité de l'interdiction de vente des produits Stihl et Viking sur les sites Internet des distributeurs, visée par le premier grief notifié, il y a lieu d'établir tout d'abord l'existence d'un accord de volontés sur ce point entre Stihl et ses distributeurs (i), puis de déterminer si une telle interdiction constitue une restriction de concurrence (ii) qui revêt un degré de nocivité tel qu'elle puisse être qualifiée de restriction de concurrence par objet (iii). Enfin, il conviendra d'apprécier si les conditions d'octroi d'une exemption par catégorie ou individuelle sont remplies (iv).
(i) L'accord de volontés entre Stihl et ses distributeurs sur l'interdiction de vente en ligne des produits Stihl et Viking
155. Nonobstant les dénégations des représentants de Stihl, il apparaît que l'interdiction de vente en ligne des produits Stihl et Viking sur les sites Internet des distributeurs a bel et bien fait l'objet d'un accord de volontés, résultant aussi bien des termes mêmes du contrat de distribution sélective que des éléments factuels issus de l'instruction, tels que les déclarations et le comportement de Stihl et des distributeurs.
Les stipulations du contrat de distribution sélective
156. À titre liminaire, il convient de rappeler que, contrairement à ce que soutient l'entreprise mise en cause, le seul fait que le contrat de distribution sélective qui liait Stihl et ses distributeurs de 2006 à 2013 ne comporte pas de disposition interdisant expressément les ventes par Internet ne suffit pas pour exclure l'existence d'une telle interdiction (voir notamment, en ce sens, arrêt de la cour d'appel de Paris du 13 mars 2014, société Bang & Olufsen, n° 2013/00714, page 13).
157. En l'espèce, il a été relevé supra (voir paragraphes 32 à 45) que le contrat de distribution sélective, dans sa version en vigueur de 2006 à 2013, enjoignait aux distributeurs d'assurer " une mise en main complète de la machine " pour le consommateur en cas de vente à distance (cote 4625). Cette mise en main qui, selon le représentant de Stihl, ne peut se faire que " dans un point de vente, avec une prise en main assurée par le revendeur ou au domicile de l'acheteur par le revendeur (" livraison personnalisée ") " (cote 2675), implique nécessairement un contact direct entre le distributeur et le consommateur, ce qui exclut, par définition même, la possibilité d'une livraison à distance par un tiers au réseau de distribution ou par un distributeur autre que celui qui a procédé à la vente.
158. La même obligation de " mise en main " figure dans les stipulations propres à la vente sur Internet introduites progressivement dans le dispositif contractuel de Stihl à compter de 2014 (voir supra paragraphes 46 à 60).
159. En effet, le nouvel article 2.2.3. du contrat de distribution de Stihl précise que le distributeur " s'interdira toutes ventes de produits Stihl et Viking par le biais de son site Internet sans assurer l'assistance à la prise en main " (cote 3060).
160. L'annexe 11, exclusivement dédiée à la distribution sur Internet, adjointe en 2014 au contrat de distribution spécialisée Stihl, indique, en son article 2, que " les produits Stihl et Viking non mentionnés dans l'annexe A sont exclus de la vente à distance ".
161. L'annexe 11-A distingue les produits dits non dangereux, qu'elle énumère, qui sont " autorisés à la vente à distance (livraison par un tiers) ", des produits dits dangereux, non listés, qui ne peuvent faire l'objet que d'un " achat ou d'une réservation sans distribution à distance ".
162. Certes, les conseils de Stihl contestent que les deux seules modalités de livraison prévues par le contrat de distribution exclusive en cas d'achat de produits dits dangereux sur le site Internet d'un distributeur agréé - livraison à domicile par le distributeur agréé ou l'un de ses représentants ou retrait en magasin - puissent être assimilées à une interdiction de vente sur Internet. Ils soulignent, d'une part, que tous leurs produits peuvent, désormais, être commandés et payés sur Internet, la seule restriction concernant la livraison des produits dits dangereux, d'autre part que l'entreprise, loin d'interdire les ventes sur Internet, en fait au contraire la promotion active, comme le démontrent à la fois la mise en place, à partir de 2014, de la plateforme SOP et les nombreux développements spécifiques à Internet inclus dans le contrat de distribution. Ils affirment, enfin, que cette politique " pro-Internet " trouve son illustration concrète dans le fait que de nombreux distributeurs - 20 à 30 % selon les déclarations du président de Stihl France- réalisent des ventes à distance et que, partant, il ne saurait être raisonnablement soutenu que le dispositif contractuel de Stihl encourt les mêmes reproches que celui instauré par les entreprises précédemment sanctionnées par l'Autorité, telles Pierre Fabre ou Bang & Olufsen, celles-ci ayant purement et simplement exclu toute vente en dehors d'un point de vente physique et aucun de leurs distributeurs n'ayant ouvert un site marchand.
163. Cette argumentation ne saurait toutefois être retenue.
164. De fait, la distinction opérée par Stihl entre la vente et la livraison des produits paraît à tout le moins artificielle, dès lors que l'obligation de mise en main, qui s'appliquait à tous les produits avant 2014, et perdure depuis pour les produits dits dangereux, prive de son principal intérêt la vente à distance, le consommateur final ou le distributeur étant en toute hypothèse tenus de se déplacer.
165. Par ailleurs, le fait que le contrat de distribution sélective comporte désormais plusieurs stipulations relatives à la vente sur Internet est en l'espèce sans incidence sur l'analyse, les dispositions concernées portant pour la plupart sur les normes qualitatives (présentation, contenu, etc...) auxquelles doivent répondre les sites des distributeurs, qu'il s'agisse de sites marchands ou de simples vitrines visant à assurer la visibilité du distributeur ou à faire la promotion des produits Stihl et Viking sur Internet, et non sur la possibilité même d'effectuer un achat complet, livraison incluse, sur Internet.
166. Dès lors, il convient de considérer que, quelle que soit la période concernée, l'obligation de " mise en main " prévue par le contrat de distribution sélective, qui conduit à proscrire toute livraison par des tiers, supprime de facto les avantages essentiels de la vente sur Internet et revient, toujours de facto, à interdire cette modalité de vente.
167. Cette interdiction est, au demeurant, corroborée par le comportement de Stihl et de ses distributeurs.
L'interdiction de vente en ligne imposée par Stihl
168. Il ressort des éléments versés au dossier que Stihl a non seulement sciemment mis en place une politique visant à l'interdiction des ventes sur les sites Internet des distributeurs agréés mais en a également contrôlé l'application durant toute sa période de mise en œuvre.
169. L'adoption par Stihl d'une politique commerciale interdisant la vente sur Internet pendant la période 2006 à 2013 est tout d'abord illustrée par les propos tenus, lors de son audition par la Direccte, par le représentant de Stihl : " jusqu'à la fin de l'année 2013, la vente à distance des produits STIHL VIKING était purement interdite par STIHL (...) " (cote 2675, soulignement ajouté).
170. Elle est, par ailleurs, confirmée par les différents courriers de rappel à l'ordre que Stihl a envoyés à ses distributeurs, qui insistent sur le fait que ses produits sont " disponibles uniquement en magasin " ainsi que sur l'obligation de faire figurer sur leur site les mentions relatives à l'indisponibilité des produits sur Internet, et demandent la cessation de toute livraison par correspondance, sous peine d'être exclu du réseau (voir paragraphes 40 à 44).
171. Par ailleurs, contrairement à ce que semble indiquer son représentant, selon lequel " (...) Sous l'impulsion des évolutions du marché et du cadre juridique, [que] le groupe STIHL a mis en place un nouveau contrat de distribution sélective en 2014, lequel autorise désormais la vente à distance des machines " (cote 2675, soulignement ajouté), la nouvelle politique commerciale de vente en ligne lancée par Stihl en 2014 n'a pas remis en cause l'interdiction des ventes en ligne, au moins pour les produits dits dangereux.
172. Ainsi, à la suite de l'envoi de la circulaire visant à expliquer sa nouvelle politique aux distributeurs (voir paragraphes 63 et suivants), Stihl a souhaité s'assurer que ceux-ci s'étaient bien conformés aux nouvelles dispositions contractuelles. Elle a notamment vérifié si les sites des revendeurs intégraient l'" indication pour chaque produit " réservation / livraison possible ou non ; retrait en magasin " (cote 3306) et a adressé des courriers de rappel à l'ordre aux contrevenants.
173. À titre d'exemple, en mai 2015, Stihl a pris contact avec un de ses revendeurs pour lui indiquer " nous vous rappelons que l'Annexe 11, point 2.1 de notre contrat de distribution sélective, précise " le partenaire commercial spécialisé doit en informer le client de façon claire (...) " dans ce sens, nous vous demandons de bien vouloir apporter la mention suivante aux produits non autorisés à la vente et la livraison à distance : " Montage assuré - produit à venir chercher en magasin " (cote 3719, soulignement ajouté). De même, un courrier de 2016 émanant de Stihl rappelle à l'un de ses distributeurs que " quant à la vente à distance de nos produits STIHL et VIKING par la société Mégavert, elle reste soumise à nos règles de distribution sur Internet, telles que précisément décrite dans l'annexe 11 de notre contrat, entre autres : (...) non vente et non livraison à distance des produits interdits incluant les pièces détachées et mention explicite faite au consommateur " (cote 3729, soulignement ajouté).
L'interdiction de vente en ligne acceptée par les distributeurs de Stihl
174. Dans leur grande majorité, les distributeurs interrogés ont également interprété l'obligation de " prise en main " comme une interdiction de vente sur Internet.
175. Plusieurs déclarations citées aux paragraphes 79 à 83 attestent de ce fait, telles celles du revendeur Poirot SARL, selon lequel " (...) STIHL qui interdit formellement la vente de machines dangereuses sur Internet ", du distributeur Nicolas Espaces Verts " pour ces machines, STIHL exige une remise en main du client et interdit la vente par correspondance avec une livraison à domicile (...) " (cote 2263) ou du représentant des Établissements Lambin, qui a déclaré " STIHL n'indique pas de zone géographique de vente mais contourne cette clause en imposant une prise en main du client et donc une visite en magasin physique. Par rapport au site Internet, cela revient à nous interdire de vendre les produits de cette marque en vente à distance (...). Suite à l'introduction de cette clause, nous avons préféré retirer de la vente à distance la plupart des produits STIHL " (cotes 1459 et 1462, soulignements ajoutés).
176. Non seulement les distributeurs ont intégré le fait que la politique commerciale de Stihl consistait à interdire les ventes sur Internet mais ils s'y sont de surcroît conformés.
177. De fait, postérieurement à l'envoi de la circulaire de 2014 précitée, Stihl a procédé à un contrôle des sites de ses distributeurs. Elle a constaté que 28 d'entre eux - soit entre 8 à 12 % des sites de distributeurs actifs sur Internet - n'étaient pas conformes aux nouvelles stipulations contractuelles car ils ne présentaient pas l'" indication pour chaque produit " réservation / livraison possible ou non ; retrait en magasin " (cote 3306). Les distributeurs concernés ont fait l'objet de rappels à l'ordre répétés, qui ont systématiquement abouti à la disparition de la possibilité de livraison à distance.
178. Dans ses observations en réponse à la notification de griefs, Stihl admet qu'elle n'a dû intervenir activement qu'auprès " d'une infime minorité de distributeurs " pour faire respecter les critères d'appartenance à son réseau de distribution (cote 5093), le reste des distributeurs ayant appliqué spontanément les restrictions de commercialisation sur Internet. Ce faisant, elle confirme le fait que la totalité de ses distributeurs ont appliqué, de leur plein gré ou à la suite de ses relances, sa politique d'interdiction de vente sur Internet
Conclusion sur l'accord de volontés.
179. Il ressort de ce qui précède que si l'interdiction de vente en ligne de tous les produits Stihl et Viking sur la période de 2006 à 2013, et des seuls produits dangereux à compter de 2014, mise en œuvre au sein du réseau de Stihl, ne figure pas expressément dans le contrat de distribution sélective, elle résulte directement de l'obligation de " mise en main " exigée par Stihl de la part de ses distributeurs. Cette obligation, imposée et contrôlée par Stihl, a été assimilée par ses distributeurs à une interdiction de facto de la vente sur Internet à laquelle ils se sont conformés, démontrant ainsi leur parfaite compréhension et leur acquiescement à la politique commerciale de leur fournisseur. Partant, l'accord de volontés requis pour constater l'existence d'une entente est, en l'espèce, établi.
(ii) La restriction de concurrence résultant de l'interdiction de vente sur Internet
180. Afin d'établir le caractère restrictif de concurrence de l'interdiction de vendre en ligne des produits Stihl et Viking, il convient de vérifier si, comme le requiert la jurisprudence rappelée au paragraphe 143, cette prohibition poursuit d'une manière proportionnée les objectifs légitimes de préservation de la qualité des produits et sécurisation de leur bon usage.
181. À titre liminaire, il doit être relevé qu'en toute hypothèse, il ne saurait être question qu'une interdiction de vente en ligne puisse être considérée comme proportionnée et nécessaire pour les produits Stihl et Viking ne présentant aucun caractère de dangerosité. Partant, les développements qui suivent ne porteront que sur l'appréciation de l'interdiction de vente en ligne des seuls produits dits dangereux.
182. Cette appréciation sera effectuée en prenant en compte un faisceau d'éléments ayant pour point commun de confronter, sous l'angle des règles de concurrence, l'obligation de " mise en main " édictée par Stihl avec les caractéristiques, légales comme factuelles, des produits et secteurs concernés.
183. Tout d'abord, le caractère approprié de l'interdiction de vendre les produits Stihl et Viking sur les sites des distributeurs doit être examiné à l'aune des réglementations qui régissent la fabrication et la commercialisation de ces produits.
184. Par ailleurs, il paraît également pertinent, pour les besoins de l'analyse, d'une part, de s'attacher à rechercher dans quelle mesure la politique de vente en ligne de Stihl se distingue ou non de celle de ses concurrents, d'autre part, de s'interroger sur l'uniformité réelle de l'application par Stihl d'une telle interdiction, quel que soit le type de revendeur concerné, distributeur spécialisé ou GSB, enfin, d'évoquer la situation particulière des clients professionnels.
185. Ces différents points sont successivement examinés ci-après.
Sur la réglementation des conditions de fabrication et de commercialisation des produits en cause
186. À titre liminaire, il convient de rappeler que dans son arrêt l'Oréal précité du 11 décembre 1980, la Cour de justice a précisé que l'appréciation du caractère approprié, au regard de la nature des produits en cause, d'un système de distribution sélective nécessitait notamment de s'assurer " s'il n'est pas déjà satisfait à ces objectifs par une réglementation nationale de l'accès à la profession de revendeur ou des conditions de vente du produit en cause " (point 16).
187. De la même manière, le Tribunal, examinant l'articulation des dispositions sur la commercialisation des produits avec les règles de concurrence dans le cadre d'un réseau de distribution sélective de produits cosmétiques, a relevé que " à la différence de la commercialisation des médicaments, la distribution des produits cosmétiques n'exige pas de précautions supplémentaires par rapport à celles prévues par les législations nationales et communautaire en matière de contrôle de l'innocuité des produits cosmétiques et, en particulier, à celles résultant de la directive 76/768/CEE du Conseil, du 27 juillet 1976, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux produits cosmétiques (JO L 262, p. 169), modifiée. Cette règlementation garantit que les produits cosmétiques mis en vente ne présentent pas de danger pour la santé des consommateurs et que leur commercialisation n'exige pas de précautions supplémentaires, telles que celles qui existent pour les médicaments " (arrêt du Tribunal de l'Union du 27 février 1992, Société d'hygiène dermatologique de Vichy, T-19/91, point 70, soulignement ajouté).
188. En l'espèce, il apparaît que la fabrication et la commercialisation des produits du secteur de la motoculture est régie, comme rappelé aux paragraphes 21 à 28 de la présente décision, par une réglementation spécifique, à savoir la directive machines du 17 mai 2006, transposée en droit national par le décret n° 2008-1156 du 7 novembre 2008 relatif aux équipements de travail et aux équipements de protection individuelle.
189. Ces textes prévoient un ensemble d'exigences, visant essentiellement à la prévention des risques, relatives à la conception et la commercialisation des machines et à l'information des utilisateurs, certaines de ces exigences étant en outre renforcées pour les produits tels que les tronçonneuses.
190. Ainsi, la directive machines transposée en droit interne par les dispositions citées ci-dessus, autorise la commercialisation des machines dès lors qu'elles sont conçues et certifiées selon les règles de sécurité qu'elle prévoit, d'une part, et qu'elles sont accompagnées d'instructions précises et détaillées sur les précautions d'utilisation et les risques encourus en cas de non-respect de ces instructions, d'autre part.
191. Il doit être relevé que, si ce texte prévoit la communication d'une notice d'utilisation écrite dans la langue de l'État d'achat - notice qui, pour les produits dits dangereux visés en l'espèce, doit comporter des informations spécifiques - elle n'exige nullement, en revanche, la transmission d'informations orales par contact direct entre le distributeur et l'utilisateur final, ni la réalisation d'une démonstration devant cet utilisateur. De même, elle n'interdit aucun type de vente, notamment à distance, pas davantage qu'elle n'impose que les ventes soient réalisées dans un espace physique et soient accompagnées d'un conseil et/ou d'une démonstration par un vendeur spécialisé. Du point de vue des instances européennes, de telles exigences ne sont donc pas considérées comme nécessaires pour garantir une bonne utilisation du produit et la sécurité du consommateur.
192. De même, aucune disposition nationale fondée sur un objectif de sécurité du consommateur ne subordonne la commercialisation des produits en cause au fait de procéder à une " mise en main " lors d'un contact direct entre le distributeur revendeur et l'utilisateur.
193. Pour autant, Stihl conteste cette analyse, au motif que la " mise en main ", telle que définie par ses soins, serait le seul moyen approprié pour répondre aux obligations de sécurité renforcées qui lui incombent et pourrait, partant, légitimement s'ajouter au dispositif évoqué ci-avant.
194. À cet effet, elle soutient notamment que :
- l'article L. 423-1 du Code de la consommation, qui dispose que " le producteur fournit au consommateur les informations utiles qui lui permettent d'évaluer les risques inhérents à un produit pendant sa durée d'utilisation normale ou raisonnablement prévisible et de s'en prémunir, lorsque ces risques ne sont pas immédiatement perceptibles par le consommateur sans un avertissement adéquat " créerait à son égard une obligation renforcée de sécurité ;
- l'organisation de sa distribution serait, aux termes d'une consultation juridique versée par ses soins (consultation du Professeur Laurent Leveneur au sujet des obligations de sécurité et de mise en garde pouvant exister à l'occasion de la vente de produits dangereux, cotes 6408 à 6414), le seul moyen lui permettant de remplir l'obligation de " mise en garde " édictée à l'article 1135 du Code civil (devenu article 1194), aux termes duquel " Les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé mais encore à toutes les suites que leur donnent l'équité, l'usage ou la loi " ;
- la norme AFNOR NF S 55-500 portant sur la location de machines de bricolage, qui précise, en son article 3.4.2 : " il faut au minimum : indiquer les travaux auxquels le matériel est destiné ; appeler l'attention sur les aptitudes, compétences ou connaissances spécifiques requises pour utiliser le matériel ; indiquer les conditions d'utilisation et, si nécessaire, les précautions à prendre pour le transport et la manutention ; indiquer les accessoires, consommables, EPI [Équipements de protection individuelle] à utiliser " imposerait un contact direct entre le fournisseur et l'utilisateur d'un produit de ce type ;
- enfin, les dispositions qui imposent à un employeur de former ses salariés qui exécutent des tâches susceptibles de présenter un risque particulier pour leur santé ou leur sécurité, de même que le décret n° 2016-1678 du 5 novembre 2016, qui prévoit que, sur les chantiers forestiers et sylvicoles, " l'employeur s'assure que les travailleurs affectés sur les chantiers forestiers et sylvicoles disposent des compétences nécessaires pour réaliser les travaux selon les règles de l'art. Dans le cadre des dispositions relatives à la formation à la sécurité du titre quatrième du livre premier de la quatrième partie du code du travail, il adapte ou complète les connaissances des travailleurs en tant que de besoin " imposeraient également l'obligation de mise en main.
195. Cependant, aucun de ces arguments ne saurait prospérer.
196. Sur le premier point, il est patent que les règles précises et spécifiques prévues par la directive machines en matière de sécurité et d'information des consommateurs permettent de respecter les obligations prévues par le Code de la consommation, sans qu'il soit besoin de les renforcer.
197. Par ailleurs, l'obligation visée à l'article 1194 du Code civil ne saurait être interprétée comme imposant au fournisseur de mettre en garde les utilisateurs sur le caractère dangereux du produit commercialisé par la seule voie du conseil verbal eu égard à leur champ d'application - la portée des obligations contractuelles - et à leur portée générale.
198. S'agissant de l'argument relatif à la norme AFNOR NF 55 500, on notera tout d'abord que les informations que la norme recommande de transmettre sont moins complètes que celles que la directive machines exige de faire figurer dans la notice d'utilisation des appareils concernés. Mais surtout, cette norme ne saurait fonder en son principe la prohibition des ventes Internet mise en place par Stihl, dès lors qu'elle n'a aucun caractère obligatoire mais comme toute norme (voir notamment en ce sens les paragraphes 14 et suivants de l'avis n° 15-A-16 de l'Autorité de la concurrence du 16 novembre 2015 portant sur l'examen, au regard des règles de concurrence, des activités de normalisation et de certification) est d'application volontaire, et, qu'en outre, en tout état de cause, elle concerne les locations de machines de bricolage et non les ventes.
199. Enfin, l'obligation de formation prévue par le Code du travail et le décret précité du 5 novembre 2016 n'a pas lieu d'être invoquée en l'espèce, les règles régissant les relations entre les employeurs et leurs salariés n'ayant pas vocation à s'appliquer aux relations entre distributeurs et acheteurs.
200. Ainsi, non seulement aucune obligation de formation ou d'information par le seul biais d'un contact direct entre le distributeur et l'utilisateur de la machine ne ressort directement des réglementations européennes ou nationales invoquées visant à préserver la sécurité du consommateur mais il n'est par ailleurs nullement prouvé que Stihl soit dans l'obligation juridique d'imposer, pour leur application effective, une " mise en main " physique et l'interdiction de vente sur Internet qui en découle pour atteindre l'objectif de sécurité recherché.
Sur les politiques de vente en ligne adoptées par les concurrents de Stihl
201. Stihl affirme que ses principaux concurrents, Honda et Husqvarna, astreignent leurs distributeurs à la même obligation de mise en main. Elle cite, à cet égard, les déclarations de distributeurs selon lesquels " les produits (...) HONDA ne sont pas disponibles à la vente en ligne " (Ets Marcel SARL, cote 1362) ou " il y a aussi toutes les machines...HUSQVARNA que je ne peux plus vendre sur Internet " (Motoculture Jean SARL, cote 1716).
202. Cette analyse n'est toutefois pas unanime, certains des distributeurs interrogés lors de l'enquête effectuée par la Direccte ayant au contraire mis en avant la différence entre les restrictions imposées par Stihl et les politiques moins restrictives de ses concurrents. L'un d'entre eux a ainsi relevé que " le fabricant demande de respecter certaines obligations sinon comme dans le cas de STIHL nous avons des fiches de remarques. En revanche pour Husqvarna qui vend le même type de produits (exemple tronçonneuses), cela ne pose pas de problème, le client peut commander sur notre site Internet et recevoir directement à son domicile " (cote 1460). De même, un autre distributeur a indiqué que " celles-ci, [les autres marques que Stihl] se limitent, pour certaines, à exiger une mise en route des machines vendues sur Internet, avant de les livrer au client. Cette mise en route se fait par nos soins, dans nos ateliers, sans présence client et constitue en fait un test de fonctionnement " (cote 2047). Enfin, un autre revendeur a déclaré : " avec les autres marques que je distribue, il n'y a pas de contrainte au niveau de la vente sur Internet " (cote 1362).
203. Il convient, par conséquent, d'analyser précisément les politiques commerciales adoptées par Husqvarna et Honda en matière de vente sur Internet.
S'agissant de Husqvarna
204. Le contrat de distribution de Husqvarna, qui concerne la commercialisation de produits équivalents, prévoit en son article 15 une " Vérification avant livraison ", consistant pour le distributeur à " assembler et tester chaque Produit et à fournir au client des explications et une démonstration du fonctionnement du Produit avant la livraison " (cote 864). De même, l'annexe 9 de ce contrat rappelle que le produit doit être assemblé et inspecté par le distributeur avant livraison et ajoute que " tout produit doit être remis à l'usage au client, accompagné de toutes la documentation pertinente et des outils ou accessoires censés être fournis avec le produit. Le distributeur doit expliquer au client le fonctionnement du produit ainsi que les consignes de sécurité et d'entretien, conformément au manuel d'utilisation ".
205. Contrairement aux allégations de Stihl, l'obligation d'information présentée ci-dessus n'interdit pas de facto la vente en ligne des produits Husqvarna. Cette possibilité est au contraire expressément prévue par le même article du contrat, qui indique que cette obligation doit être respectée pour toutes les ventes " quel que soit le cadre, notamment et sans limitation showroom, téléphone, email et en ligne (y compris les enchères à distance, site Internet ou tout autre moyen de commerce électronique) " (cote 864).
206. Au demeurant, l'annexe 11 du contrat de Husqvarna intitulé " Conditions de vente sur Internet ", adjointe au contrat de distribution en 2015, fournit des précisions utiles sur la façon dont les distributeurs peuvent s'acquitter de l'obligation d'information prévue à l'article 15 précité dans le cadre des ventes en ligne. Ainsi, le site du distributeur " doit clairement indiquer que les Produits peuvent faire l'objet d'une démonstration dans le(s) Point(s) de Vente Agréé(s) ; ainsi que renseigner la (les) adresses(s) et coordonnées du (des) Point(s) de Vente Agréé(s) ". Le distributeur doit également " publier [sur son site] toutes les ressources numériques et autres informations techniques concernées, telles que destinées au consommateur final, qui lui ont été communiquées par Husqvarna " (soulignement ajouté).
207. Outre ces indications et publications, l'annexe 11 précitée impose aux distributeurs qui vendent en ligne de mettre en place un " Service clientèle ". Pour ce faire, le site du distributeur doit indiquer clairement, sur les pages consacrées au produit, un numéro de téléphone " hotline " accessible au moins huit heures par jour durant les jours ouvrables. Selon le contrat, ce service doit permettre aux clients de contacter du personnel qualifié et formé, capable de les conseiller et de répondre à leurs questions au sujet des produits. Le site du distributeur doit également leur offrir la possibilité de poser en ligne toutes leurs questions au sujet des produits et d'obtenir une réponse personnalisée dans un délai maximum de 24 heures pendant les jours ouvrables ou 48 heures les dimanches et jours fériés. Enfin, le service clientèle écrit et oral doit au moins être proposé dans la langue officielle du pays dans lequel le distributeur a été désigné.
S'agissant de Honda
208. L'article 9 du contrat de distribution prévoit que le distributeur devra " informer les clients des aspects techniques et de sécurité des Produits. Dans le but de garantir leur sécurité, l'Agent doit s'assurer que les clients sont suffisamment familiers avec le fonctionnement des commandes de base des produits des Produits, Pièces de Rechange et Accessoires " (cote 1318).
209. L'annexe 6 du contrat de distribution consacrée à " L'Internet " indique quant à elle que " la distribution des Produits nécessite une présentation physique de ceux-ci permettant une démonstration pratique de leur fonctionnalités. C'est pourquoi seuls les Distributeurs Agréés Honda sont à même de commercialiser les Produits sur Internet. Le maintien de l'image de Produits nécessite une harmonisation de la présentation virtuelle de ceux-ci et un haut niveau de qualité de présentation et du contenu de l'offre des Produits, quelles que soient les modalité[s] de leur distribution " (soulignement ajouté). En outre, le distributeur doit faire figurer clairement et visiblement son adresse physique afin " de permettre à l'internaute de se rendre sur place pour bénéficier d'une présentation du produit " (voir annexe 6 du contrat de distribution Honda, cote 1312).
210. Ainsi, contrairement à ce que soutient Stihl, ce contrat de distribution n'interdit pas la vente en ligne mais la réserve aux distributeurs détenant un point de vente physique et exclut les " pure players ". L'objectif de Honda est, ainsi, d'autoriser les ventes à distance tout en s'assurant que l'acheteur pourra se rendre dans un point de vente physique si nécessaire " c'est pourquoi seuls les Distributeurs Agréés Honda sont à même de commercialiser les Produits sur Internet ". C'est également la raison pour laquelle la convention d'agrément Honda dispose que " les Produits ne peuvent être commercialisés par Internet qu'à titre accessoire à l'activité principale de commercialisation des Produits au sein d'un point de vente physique du Réseau Honda de Distributeurs et d'Agents Agréés " (cote 1316).
211. En conclusion, contrairement à ce qui est soutenu par Stihl, Husqvarna et Honda n'ont donc pas interdit les ventes sur Internet sur les sites de leurs distributeurs agréés mais adapté leur politique commerciale afin de permettre la vente sur Internet, tout en s'assurant, par la mise en place de dispositifs spécifiques, que le consommateur ait accès à toutes les informations nécessaires pour garantir sa sécurité. Par comparaison, l'interdiction de vente en ligne imposée par Stihl à ses distributeurs va donc bien au-delà de ce qui est apparu nécessaire à ses concurrents pour préserver la sécurité du consommateur.
Sur les conditions de vente des produits Stihl par les GSB
212. Selon Stihl, les obligations et contrôles imposés aux GSB en matière de mise en main des produits seraient strictement les mêmes que ceux auxquels les distributeurs spécialisés sont astreints, et il n'y aurait pas lieu, partant, contrairement à ce qu'avancent les services d'instruction, de tirer argument d'une prétendue différence de traitement entre ces canaux de distribution pour exciper du caractère inapproprié des obligations et interdictions mises en place par ses soins.
213. Stihl s'appuie d'une part sur les déclarations du président de Stihl France (cote 2675), selon lequel " (...) STIHL a procédé depuis 2 ans à des audits, notamment auprès de ses clients de la grande distribution de bricolage pour s'assurer du respect du contrat de distribution, en particulier concernant les conseils de sécurité et l'assistance à la prise en main auprès de l'acheteur (...) ", d'autre part sur les fiches élaborées à la suite des audits systématiques ou ponctuels diligentés auprès des magasins agréés appartenant aux enseignes de GSB, qui portent tous, notamment, sur le respect des obligations de conseil lors de la vente des machines concernées. Elle cite également les déclarations de distributeurs agréés, aux termes desquelles " [Stihl] a obligé les GSB à prendre en main ces produits (sic) là. Il y a eu des enquêtes de la part de STIHL et les GSB ont été sanctionnées " (Motoculture St-Jean SARL, cote 1362) et " STIHL demande à ce que les vendeurs en GSB soient formés au conseil à la clientèle, notamment pour le montage des machines et leur utilisation " (Ets Marcel SARL, cote 2459).
214. Toutefois, il convient, tout d'abord, de relever qu'aucune obligation de " mise en main " ne figure dans les conventions versées au dossier signées annuellement entre Stihl et les GSB, telles que Castorama, Leroy Merlin, Truffaut, Mr. Bricolage, Bricorama (cotes 4475 et suivantes et cotes 4565 et suivantes).
215. Certes, comme le fait remarquer Stihl, ces conventions de coopération commerciale, conclues en application de l'article L. 441-7 du Code de commerce, n'ont pas vocation à fixer des critères de sélection des distributeurs. Il n'en demeure pas moins que, comme le révèle l'annexe 12 du contrat de partenariat entre Stihl et ses distributeurs agrées, consacrée aux " engagements et responsabilités du revendeur agréé redistribuant en GSB " (cotes 4647 à 4650), si le distributeur spécialisé s'engage à livrer les produits Stihl à la GSB, désignée comme le " tiers revendeur ", à contrôler la qualité du matériel commandé, à proposer les services après-vente que la GSB n'est pas en mesure de fournir et doit au surplus s'assurer que le tiers revendeur " assure les prestations de conseil, information, formation et démonstration prévues " par le contrat de partenariat, il n'est en revanche pas précisé que le tiers revendeur doive obligatoirement procéder à une " mise en main " lors d'un contact direct avec l'utilisateur final.
216. Par ailleurs, quand bien même la " mise en main " serait également exigée des GSB, il n'est nullement établi que cette obligation soit respectée et/ou contrôlée avec la même rigueur que pour les distributeurs spécialisés. Cette situation est d'ailleurs dénoncée par certains d'entre eux : " Je ne comprends pas cette politique de STIHL car les machines jugées dangereuses et interdites par le fournisseur à la vente sur Internet, sont vendues dans certains magasins, non montées, et sans aucun conseil d'un vendeur " (cote 2263). Au surplus, la carence des GSB en ce domaine a été confirmée par le représentant de Stihl lui-même, qui a concédé que le taux de non-conformité des enseignes de la grande distribution aux exigences de conseil et d'information était de 50 % avant 2016, et Stihl n'a pas été en mesure de démontrer son affirmation selon laquelle cette situation aurait changé à la suite de ses contrôles et de l'envoi de courriers de rappel à l'ordre aux GSB (cotes 3871, 3872, 3874, 3876 et 3878).
217. Cette différence entre les prestations imposées par Stihl aux GSB et aux distributeurs spécialisés affaiblit ainsi considérablement la thèse selon laquelle l'obligation de " mise en main " et l'interdiction subséquente de vente sur Internet seraient indispensables à la réalisation de l'objectif de sécurité.
Sur l'interdiction de vente en ligne des produits Stihl aux professionnels
218. L'obligation de " mise en main " lors d'un contact direct et l'interdiction de vendre sur Internet sont également imposées par Stihl lorsque le client est un professionnel. Il serait en effet impossible, selon elle, de distinguer les particuliers des professionnels, en l'absence, notamment, de registre officiel recensant les membres des professions utilisant des produits de motoculture.
219. Pourtant, cette distinction ne semble pas poser de problème particulier à ses concurrents. Ainsi, l'examen du contrat précité de Husqvarna révèle que le distributeur est exempté des obligations de conseil s'il peut prouver que " le client donné est un utilisateur qualifié et expérimenté des Produits concernés ". Ce seul exemple suffit à démontrer qu'il existe d'autres moyens que l'existence d'un registre officiel pour identifier les clients professionnels et les soustraire à l'exigence de " mise en main ".
220. En toute hypothèse, s'agissant de clients dont la profession consiste précisément à manier de manière habituelle les produits en cause, et qui ont été ou se sont formés à cette fin, il apparaît à tout le moins disproportionné, pour ne pas dire inutile, de leur imposer une prise de contact physique avec le revendeur pour l'achat de leur matériel.
221. En conclusion, si la nature de certains des produits concernés par l'interdiction peut justifier l'édiction de réglementations et d'obligations particulières, l'interdiction des ventes en ligne imposée par Stihl n'apparaît ni appropriée, ni proportionnée pour atteindre les objectifs de préservation de la qualité des produits et de sécurisation de leur bon usage.
222. L'interdiction ainsi posée constitue, par conséquent, une restriction de concurrence dont il convient de déterminer le degré de nocivité, afin d'en déterminer la nature.
(iii) La nocivité de la restriction de concurrence résultant de l'interdiction de vente sur Internet
223. À titre liminaire, il convient de rappeler que les juridictions européennes comme nationales considèrent que l'interdiction de vente sur Internet au sein d'un réseau de distribution sélective est susceptible de constituer une restriction de concurrence par objet, en ce qu'elle réduit la possibilité des distributeurs de vendre des produits aux clients situés hors de leur zone d'activité, limite le choix des acheteurs finaux désireux d'acheter sans se déplacer et restreint, par voie de conséquence, la concurrence dans le secteur considéré (voir en ce sens, notamment, arrêt de la Cour de justice de l'Union du 13 octobre 2011, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, C-439/09 ; décision de l'Autorité de la concurrence n° 12-D-23 du 12 décembre 2012 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Bang & Olufsen dans le secteur de la distribution sélective de matériels hi-fi et home cinéma, paragraphe 70, arrêt de la cour d'appel de Paris du 31 janvier 2013, société Pierre Fabre Dermo-cosmétique, n° 2008/23812, page 10).
224. C'est donc au regard de ces considérations et des critères permettant d'apprécier la nocivité du comportement incriminé, qu'il convient d'analyser la pratique faisant l'objet du premier grief.
La teneur et les objectifs de la pratique en cause
225. Ainsi qu'il a été exposé ci-avant, la pratique découlant des dispositions du contrat de distribution sélective de Stihl doit être assimilée à une interdiction de facto de la vente en ligne sur les sites Internet de ses distributeurs agréés, interdiction appliquée à tous les produits de 2006 à 2014, et aux seuls produits dits dangereux de 2014 à la date de la notification de griefs.
226. Il ressort des déclarations et courriers émanant de Stihl que l'objectif poursuivi par cette entreprise était de soumettre un ensemble de produits, théoriquement disponibles à la vente sur Internet, à des conditions de livraison strictement encadrées sur tout ou partie de la période considérée.
227. Stihl soutient, dans ses observations, que son action favoriserait le développement des ventes à distance et la concurrence intra-marque. Elle souligne, en outre, la différence entre sa politique de vente sur Internet et celle sanctionnée dans l'affaire Pierre Fabre précitée, qui ne permettait même pas aux clients de consulter les prix en ligne. Selon elle, la consultation de sites Internet de ses distributeurs permet au contraire de constater qu'il existe une transparence sur les prix des produits Stihl, laquelle se traduirait par des promotions sur certains sites, preuve d'une forte concurrence intra-marque.
228. Sur ces différents points, il convient tout d'abord de rappeler que du point de vue des distributeurs, la possibilité qu'un produit soit vendu en ligne perd tout intérêt s'ils subissent, par ailleurs, des contraintes par trop restrictives en contrepartie de cette faculté.
229. En l'espèce, l'obligation faite au distributeur de livrer lui-même le produit lui impose de mobiliser d'importants moyens humains, matériels et logistiques et ce d'autant plus que le lieu de livraison est éloigné de son point de vente physique. Dès lors, la zone de livraison envisageable du revendeur n'a pas vocation à excéder sa zone de chalandise physique. L'investissement dans de tels moyens paraît d'autant plus disproportionné que les produits concernés par l'interdiction de la livraison par un tiers constituent soit toute la gamme de produits de marque Stihl et Viking, soit les produits phares du fabricant, et que cet investissement doit nécessairement se faire en même temps que le lancement du site Internet du distributeur.
230. En conséquence, les distributeurs ont en l'espèce soit renoncé à proposer les produits Stihl sur Internet, soit supprimé la possibilité de réaliser une transaction en ligne, soit enfin adhéré à la plateforme SOP spécialement conçue par le fournisseur et nécessairement conforme, de ce fait, à sa politique commerciale.
231. S'agissant des consommateurs, l'intérêt d'Internet réside tout d'abord dans la possibilité de mettre en concurrence les distributeurs d'une même marque pour choisir celui présentant le meilleur prix. En outre, la vente sur Internet permet d'obtenir des produits non disponibles chez les distributeurs de la zone de chalandise physique auquel appartient le consommateur. Enfin, l'achat en ligne offre la possibilité de bénéficier d'une livraison à domicile ou en tout autre lieu.
232. L'obligation pour le consommateur de retirer le produit dans le magasin du revendeur - sauf hypothèse, très théorique, d'une livraison à domicile par le revendeur ou l'un de ses employés - réduit quasiment à néant ces avantages. En effet, pouvoir comparer des prix et des produits disponibles en ligne n'a plus d'intérêt pour le consommateur dès lors qu'il est contraint d'aller au-delà de la zone au sein de laquelle il est normalement prêt à se déplacer pour effectuer un achat. Dans ces circonstances, il devient plus rationnel pour le consommateur d'acheter le produit dans un magasin proche du lieu où il se trouve que d'effectuer un achat en ligne.
233. Ce constat est corroboré par certains éléments au dossier qui montrent que les consommateurs ont tendance à renoncer à un achat dès lors qu'ils ne peuvent être livrés (cote 2263). En témoigne, notamment, la chute brutale de la vente sur Internet de tronçonneuses chez l'un des distributeurs les plus actifs sur Internet après l'application des consignes de Stihl (cote 1174 et paragraphe 73).
234. Dans ces conditions, si les prix sont effectivement libres et affichés sur Internet, leur comparaison est peu utile dès lors que les magasins sont situés sur des marchés géographiques différents et que l'utilisateur, qui doit retirer son produit en magasin, ne peut donc pas faire jouer la concurrence entre les différents points de vente, le coût de transport étant susceptible d'égaler, voire d'excéder, l'éventuelle différence de prix entre les points de vente (paragraphe 169 de la notification de griefs).
235. Par ailleurs, les déclarations des distributeurs attestent du fait que la vente sur Internet, permettant une livraison à distance, stimule la concurrence intra-marque et inter-marque et qu'au contraire l'interdiction de vente en ligne freine les baisses des prix, au détriment des utilisateurs (voir paragraphes 82 à 84 de la notification de griefs). De plus, la vente sur Internet engendrant une augmentation des ventes, le distributeur peut obtenir de meilleures conditions d'achat auprès de son fournisseur et les répercuter dans son prix de vente à l'utilisateur final, stimulant ainsi la concurrence intra-marque et inter-marque (cote 2046). Il n'est pas indifférent, à cet égard, de relever que les prix des machines Stihl vendues sur Internet étaient jusqu'à 10 % inférieurs (cote 1173) à ceux des machines vendues en magasin.
236. Plusieurs déclarations émanant de distributeurs témoignent au demeurant de ce que Stihl s'efforce de contrôler le prix des ventes en ligne.
237. Ainsi, le représentant de Nicolas Espaces verts a-t-il déclaré " j'ai rencontré des problèmes aussi avec STIHL. Mes prix de vente sur Internet étaient jugés trop bas par ce fournisseur " (cote 2262). De même, Motoculture Jean a indiqué " lorsque les prix indiqués sur le site sont inférieurs au prix fournisseur (STIHL, HUSQVARNA notamment), ils nous envoient un mail pour nous demander de les remonter et cela s'arrête là. Si je pouvais fixer moi-même mes prix de revente sur Internet, ils seraient inférieurs aux prix publics conseillés d'environ 10 % à 15 % en raison des économies que permet la distribution sur Internet (...) " (cotes 1716 et 1717). Dans le même sens, Dijon Motoculture relate que " Les fournisseurs font beaucoup pour brider la vente sur Internet. STIHL, par exemple, veut tout encadrer. Il impose les prix de vente Internet et encadre la vente avec sa plateforme STIHL ONLINE, qui renvoie vers les magasins pour livraison " (cote 623).
238. Un distributeur indique même avoir " connu une fermeture de compte au printemps 2015 " et a ajouté " Ils [les représentants de Sithl] nous reprochent parfois le non-respect de la charte graphique, parfois le fait de vendre des outils tranchants considérés comme dangereux tels que les tronçonneuses, élagueuses, débroussailleurs (...). En réalité, ils essaient de nous obliger à remonter nos prix de vente, jugés trop éloignés des prix publics conseillés. Cela nous a déjà été reproché verbalement par les représentants de la marque mais personne ne nous l'a encore écrit " (cote 870).
239. Ces déclarations sont corroborées par un courriel du directeur régional des ventes de Stihl qui rappelait à l'ordre l'un de ses distributeurs spécifiquement sur son niveau de prix, en ces termes : " je vous demande dès aujourd'hui de bien vouloir modifier l'ensemble des prix STIHL et VIKING sur votre site comme M. X... vous l'a demandé en appliquant les prix de nos hypothèses A B ou C. Nous vous laissons une semaine pour la mise en place. Si toutefois vous ne vous alignez pas, je serais chez vous le 16 décembre pour vous signifier l'arrêt total de toute collaboration grand compte entre nos sociétés " (cote 139).
Le contexte économique et juridique de la pratique en cause
240. La pratique incriminée concerne une part importante du marché, eu égard à la position de Stihl sur le marché général de la motoculture (18,6 %) et, plus particulièrement, sur les deux produits phares que sont les tronçonneuses et les débroussailleuses, où cette entreprise détient une part de marché respective de 57 % et 47,4 %.
241. Par ailleurs, si des distributeurs ont développé des sites Internet, les ventes à distance de produits Stihl depuis ces sites, qui sont souvent utilisés comme de simples vitrines commerciales, restent marginales. En effet, le respect de la politique commerciale de Stihl rend peu attractive l'ouverture d'un site Internet marchand pour les distributeurs, l'acheteur potentiel sur le site étant obligé de se rendre dans le point de vente physique. Or, l'intérêt du site marchand pour le distributeur réside dans la capacité à toucher une clientèle éloignée, qui ne se rendrait pas en magasin. De plus, les distributeurs ne sont pas des transporteurs professionnels et ne sont donc pas à même de réaliser des livraisons sur tout le territoire. Dès lors, la majorité des distributeurs des produits Stihl (70 % à 80 %) ne réalise pas de vente à distance en ligne et le développement de ce mode de commercialisation reste peu significatif.
242. S'agissant des consommateurs qui sont des acheteurs occasionnels des produits concernés, l'absence des revendeurs proposant des produits Stihl sur Internet nuit à leur identification et à leur comparaison et donc à la possibilité de faire jouer la concurrence entre les distributeurs, tant en termes de prix que de produits, notamment pour les produits les plus basiques comme les équipements de protection (gants, lunettes) ou les consommables tels que l'huile pour les moteurs, pour lesquels la concurrence en prix est la plus intense.
243. Au regard de l'ensemble de ces éléments, la pratique contestée limite incontestablement par sa teneur, ses objectifs et le contexte juridique et économique dans lequel elle s'insère, la concurrence par les prix, conduit à reconstituer les zones de chalandise physique, et réduit par conséquent la concurrence sur le marché considéré.
244. L'interdiction ainsi posée constitue partant, de par sa nocivité, une restriction de concurrence par objet au sens des articles 101, paragraphe 1, du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce. Il convient toutefois d'examiner si elle peut bénéficier d'une exemption au titre des articles 101, paragraphe 3, TFUE et L. 420-4 du Code de commerce.
(iv) L'octroi d'une exemption
Sur l'octroi d'une exemption par catégorie
245. L'article 4, sous c), du règlement n° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3, du TFUE à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées (JO L 102 du 23.4.2010, p. 1) a exclu du bénéfice de l'exemption par catégorie prévue par ce règlement les accords verticaux qui, directement ou indirectement, isolément ou cumulés avec d'autres facteurs sur lesquels les parties peuvent influer, ont pour objet de restreindre les ventes actives ou les ventes passives aux utilisateurs finals par les membres d'un système de distribution sélective qui agissent en tant que détaillants sur le marché, sans préjudice de la possibilité d'interdire à un membre du système d'exercer ses activités à partir d'un lieu d'établissement non autorisé.
246. Les lignes directrices relatives au règlement n° 330/2010 exposent que " Internet est un instrument puissant qui permet d'atteindre un plus grand nombre et une plus grande variété de clients que par les seules méthodes de vente plus traditionnelles, ce qui explique pourquoi certaines restrictions à son utilisation sont considérées comme une restriction des (re)ventes. En principe, tout distributeur doit être autorisé à utiliser Internet pour vendre ses produits. En règle générale, l'utilisation par un distributeur d'un site Internet pour vendre des produits est considérée comme une forme de vente passive, car c'est un moyen raisonnable de permettre aux consommateurs d'atteindre le distributeur " (point 52).
247. Par la suite, la Cour de justice de l'Union a jugé dans l'arrêt Pierre Fabre précité, qu'" une clause contractuelle, telle que celle en cause au principal, interdisant de facto Internet comme mode de commercialisation a, à tout le moins, pour objet de restreindre les ventes passives aux utilisateurs finals désireux d'acheter par Internet et localisés en dehors de la zone de chalandise physique du membre concerné du système de distribution sélective " de sorte qu'une telle clause doit être considérée comme une restriction caractérisée excluant le bénéfice de l'exemption catégorielle prévue par le règlement n° 330/2010, précité.
248. Le système de distribution sélective mis en œuvre par Stihl repose notamment sur l'impossibilité pour les revendeurs d'utiliser Internet pour satisfaire les demandes des acheteurs qui ne seraient pas situés dans leur zone de chalandise physique, ce qui s'apparente à une restriction caractérisée des ventes passives au sens de l'article 4, sous c) du règlement n° 330/2010 précité.
249. En conséquence, Stihl ne peut prétendre à l'application de l'exemption catégorielle prévue par le règlement, quelle que soit sa part de marché.
Sur l'octroi d'une exemption individuelle
250. Dans ses observations, Stihl soutient que la restriction de concurrence induite par l'interdiction des ventes à distance, à supposer - ce qu'elle conteste - qu'elle existe, doit, en toute hypothèse, être exemptée sur le fondement des articles 101, paragraphe 3, TFUE et L. 420-4 du Code de commerce.
251. L'article L. 420-4 du Code de commerce dispose que :
" ne sont pas soumises aux dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 les pratiques : (...) 2° Dont les auteurs peuvent justifier qu'elles ont pour effet d'assurer un progrès économique, y compris par la création ou le maintien d'emplois, et qu'elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. Ces pratiques qui peuvent consister à organiser, pour les produits agricoles ou d'origine agricole, sous une même marque ou enseigne, les volumes et la qualité de production ainsi que la politique commerciale, y compris en convenant d'un prix de cession commun ne doivent imposer des restrictions à la concurrence, que dans la mesure où elles sont indispensables pour atteindre cet objectif de progrès ".
252. L'article 101, paragraphe 3, TFUE prévoit quant à lui que :
" 3. Toutefois, les dispositions du paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables à tout accord ou catégorie d'accords entre entreprises, à toute décision ou catégorie de décisions d'associations d'entreprises et à toute pratique concertée ou catégorie de pratiques concertées qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans
a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs
b) donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence ".
253. Les conditions ainsi posées à l'octroi d'une exemption individuelle sont donc cumulatives et il convient, en l'espèce, d'en vérifier le respect.
254. S'agissant de l'existence de gains d'efficacité engendrés par l'interdiction de la vente à distance et le caractère indispensable de cette restriction, Stihl a indiqué que l'interdiction de la vente à distance serait justifiée par le fait que seule une mise en main lors d'un contact direct entre le distributeur et l'acheteur permettrait, compte tenu de la supériorité incontestable de la communication verbale en termes de compréhension, de s'assurer que ce dernier a reçu et assimilé tous les conseils personnalisés et adaptés et les informations requises pour pouvoir utiliser la machine sans mettre en péril sa sécurité.
255. Les lignes directrices concernant l'application de l'article 81 [devenu 101], paragraphe 3 (ci-après " les lignes directrices ") précisent que " les accords de distribution peuvent également entraîner des gains d'efficacité qualitatifs. Par exemple, les distributeurs spécialisés peuvent être en mesure de fournir des services mieux adaptés aux besoins des clients " (point 72). En cela, la délivrance d'un conseil lors de l'achat pourrait constituer un gain d'efficacité qualitatif au sens de l'article 101, paragraphe 3, du TFUE.
256. Néanmoins, ces mêmes lignes directrices précisent également que l'article 101, paragraphe 3, du TFUE " exige que les gains d'efficacité soient propres à l'accord en cause, autrement dit qu'il n'existe pas d'autre moyen économiquement réalisable et moins restrictif permettant de les réaliser " (point 75). Dans ce cadre, il convient de mettre en balance la restriction de concurrence avec le caractère indispensable de l'accord. Or, toujours selon les lignes directrices, " plus la solution est restrictive, plus le critère de la troisième condition est rigoureux. Il est fort peu probable que les restrictions interdites dans les règlements d'exemption par catégorie ou qualifiés de restrictions caractérisées dans les lignes directrices et communication de la Commission soient jugées indispensables " (point 79).
257. Au cas présent, le gain représenté par le conseil personnalisé semble limité, alors que la restriction de concurrence s'avère particulièrement importante.
258. En effet, le conseil personnalisé au moment de l'achat permet en principe de s'assurer que la machine que l'utilisateur souhaite acheter est adaptée à sa condition physique (poids, volume, niveau de vibration). Toutefois, les caractéristiques de la machine peuvent figurer en ligne, de sorte que l'utilisateur peut savoir si la machine risque d'être trop lourde ou trop encombrante. Si le conseil du revendeur peut être utile, il n'est pas absolument nécessaire.
259. De plus, les obligations contractuelles du revendeur sont, en fait, assez limitées, le contrat de 2006 stipulant que la mise en main comprenait le " montage complet du matériel, explications de fonctionnement et précautions à prendre pour un usage dans des conditions de sécurité optimales " et celui de 2015 " Le Partenaire Commercial Spécialisé explique au client l'utilisation correcte et sécurisée conformément aux règles applicables ainsi que l'entretien que nécessitent les produits et informe les clients sur l'utilisation des équipements de sécurité. Par principe, le Partenaire Commercial Spécialisé remet les produits STIHL et VIKING prêts à fonctionner directement au client et il lui présente également en pratique le produit si le client le souhaite " (cote 3060, soulignement ajouté).
260. Le revendeur peut, certes, effectuer une démonstration du fonctionnement de la machine et donner des consignes de sécurité et d'utilisation. Toutefois, ces consignes sont les mêmes que celles qui figurent dans la notice d'instructions qui accompagne nécessairement la machine. En conséquence, le seul avantage présenté par l'obligation posée par Stihl est l'assurance que l'acheteur entendra les consignes de sécurité.
261. En outre, rien n'établit que les accidents dont Stihl fait état interviennent lors d'une première utilisation de la machine ou parce que la machine en cause était inadaptée. Au contraire, il ne peut être exclu que des accidents interviennent alors même que les utilisateurs, notamment des professionnels, ont une machine adaptée qu'ils utilisent régulièrement.
262. De même, rien n'indique que les utilisateurs qui n'ont pas eu de contact direct avec le revendeur seraient plus sujets à des accidents que ceux qui ont eu un tel contact préalable.
263. Au surplus, ce contact paraît superflu, dans la mesure où, ainsi qu'il a été démontré, il n'est pas imposé par les concurrents de Stihl, dont il n'est pas argué que leurs acheteurs connaissent un taux d'accident supérieur à celui des acheteurs de produits Stihl. Par ailleurs, là encore, rien n'indique que les acheteurs des GSB, qui n'assurent pas de " mise en main ", aient connu un nombre d'accidents supérieur à ceux du réseau de revendeurs spécialisés.
264. À l'inverse, la restriction de concurrence est particulièrement importante, dès lors qu'elle prive les consommateurs et les revendeurs de presque tous les avantages de la vente en ligne, ainsi qu'il a été rappelé ci-avant aux paragraphes 225 et suivants.
265. La condition relative aux gains d'efficacité engendrés par la restriction et à son caractère indispensable n'étant, pour l'ensemble de ces motifs, pas remplie, il n'est pas nécessaire, compte tenu du caractère cumulatif des conditions d'octroi d'une exemption individuelle, d'examiner si les autres le sont. Stihl ne peut donc, par conséquent, bénéficier d'une telle exemption.
c) Sur l'appréciation du caractère restrictif de concurrence de l'interdiction faite aux distributeurs de vendre sur les plateformes tierces (second grief)
266. Afin d'apprécier la licéité de l'interdiction faite aux distributeurs de vendre les produits Stihl et Viking sur les plateformes tierces telles que Amazon ou eBay, il convient d'examiner successivement si celle-ci a fait l'objet d'un accord de volontés entre Stihl et ses distributeurs (i) et si elle constitue une restriction de concurrence (ii).
(i) L'accord de volontés entre Stihl et ses distributeurs sur l'interdiction de vendre les produits Stihl et Viking sur les plateformes tierces
267. L'article 10.3 du contrat de distribution de Stihl en vigueur dès 2006 prévoyait l'obligation de " mise en main " de produits achetés en ligne. Ainsi qu'il l'a été démontré infra, cette prescription, qui interdisait de facto aux distributeurs de vendre à partir de leur site, a fait l'objet d'un accord de volontés. Elle a nécessairement pour conséquence, sans qu'il soit besoin de plus amples développements, d'interdire à ces mêmes distributeurs de vendre leurs produits sur les plateformes en ligne.
268. À partir de 2014, Stihl a intégré dans le contrat conclu avec ses distributeurs spécialisés une annexe 11 consacrée à Internet, dont l'article 3 prévoit certaines dispositions relatives à l'" Autorisation de l'URL et des boutiques en ligne, plateformes de vente, d'enchères et de place de marché en ligne ".
269. L'article 3.3 de cette annexe interdit explicitement la vente des produits Stihl et Viking sur les plateformes, dès lors qu'il impose aux distributeurs de " ne proposer, ni directement ni indirectement (par exemple au moyen de liens hypertextes) de produits Stihl et Viking à la vente via des URL (adresses web ou Internet) de plateformes d'enchères et de vente ou des places de marché en ligne, telles qu'eBay ou Amazon ".
270. Cet article a fait l'objet d'un accord de volontés entre Stihl, qui l'a introduit dans le contrat de distribution sélective, et ses distributeurs, qui ont dû approuver et parapher l'annexe 11 adjointe au dispositif contractuel en 2014 (voir paragraphes 66 et 167).
271. Ainsi, l'interdiction de vente des produits Stihl et Viking sur les places de marché a fait l'objet d'un accord de volontés entre Stihl et ses distributeurs de 2006 à 2017.
(ii) Le caractère restrictif de concurrence de l'interdiction de vente en ligne des produits Stihl et Viking sur les places de marché
L'arrêt Coty Germany GmbH et la question de la vente sur les plateformes tierces
272. Dans son arrêt précité du 6 décembre 2017, Coty Germany GmbH, la Cour de justice de l'Union s'est prononcée sur la licéité d'une interdiction de vente sur les plateformes opérant de façon visible, imposée par un fournisseur à ses distributeurs dans le secteur des produits de luxe. À cet égard, elle a, notamment, indiqué que cet examen impliquait de vérifier si l'interdiction était " proportionnée au regard de l'objectif poursuivi, c'est-à-dire si une telle interdiction est appropriée pour préserver l'image de luxe de ces produits et si elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif " (point 43) et s'est attachée à identifier les critères permettant une telle vérification.
273. S'agissant tout d'abord du caractère approprié d'une telle interdiction, elle a relevé en premier lieu que l'obligation faite aux distributeurs de ne vendre leurs produits que par le biais de leurs propres boutiques en ligne et l'interdiction de recourir de manière visible à des plateformes tierces étaient de nature à " garanti[r] d'emblée au fournisseur que, dans le cadre du commerce électronique de ces produits, ces derniers sont rattachés exclusivement aux distributeurs agréés " (point 44) et estimé qu'" un tel rattachement étant précisément l'un des buts recherchés lorsqu'il est fait recours à un tel système [de distribution sélective], il apparaît que l'interdiction en cause (...) comporte une limitation cohérente au regard des caractéristiques propres du système de distribution sélective " (point 45).
274. En deuxième lieu, elle a relevé que " l'interdiction en cause (...) permet au fournisseur de produits de luxe de contrôler que ses produits seront vendus en ligne dans un environnement qui correspond aux conditions qualitatives qu'il a convenues avec ses distributeurs agréés " (point 47) ; qu'" en effet, le non-respect par un distributeur des conditions de qualité fixées par le fournisseur permet à celui-ci de se retourner contre ce distributeur, sur le fondement du lien contractuel existant entre les deux parties " et, qu'a contrario " l'absence de relation contractuelle entre le fournisseur et les plateformes tierces fait toutefois obstacle à ce que celui-ci puisse, sur un tel fondement, exiger de ces plateformes le respect des conditions de qualité qu'il a imposées à ses distributeurs agréés " (point 48) ; que, dans ces conditions, une vente en ligne par des plateformes tierces " (...) comporte le risque d'une détérioration dans la présentation desdits produits sur Internet, qui est de nature à porter atteinte à leur image de luxe et, partant, à leur nature même " (point 49).
275. En troisième lieu, elle a précisé que " compte tenu du fait que ces plateformes constituent un canal de vente pour tout type de produit, le fait que les produits de luxe ne soient pas vendus par l'intermédiaire de telles plateformes, et que leur vente en ligne s'effectue uniquement dans les boutiques en ligne des distributeurs agréés contribue à cette image de luxe auprès des consommateurs et, de ce fait, au maintien de l'une des caractéristiques principales de ces produits recherchées par les consommateurs " (point 50).
276. Statuant dans un second temps sur le point de savoir si l'interdiction dépassait ce qui était nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi, elle a relevé d'une part que " la clause au principal n'interdit pas de manière absolue aux distributeurs agréés de vendre sur Internet les produits contractuels " (point 52), d'autre part que, de manière générale, comme le montre le rapport final de l'enquête sectorielle de la Commission du 10 mai 2017 sur le commerce électronique " (...) nonobstant l'importance croissante des plateformes tierces dans la commercialisation des produits des distributeurs, le canal de distribution le plus important est toutefois constitué par les boutiques en ligne propres aux distributeurs " (point 54), enfin " qu'eu égard à l'absence de relation contractuelle entre le fournisseur et les plateformes tierces lui permettant d'exiger de ces plateformes le respect des conditions de qualité qu'il a imposées à ses distributeurs agréés ", l'autorisation de recourir à de telles plateformes sous la condition que celles-ci répondent à des exigences de qualités prédéfinies " ne saurait être considérée comme étant aussi efficace que l'interdiction " (point 56).
277. Eu égard à l'ensemble de ces considérations, la Cour a jugé que " l'article 101, paragraphe 1 TFUE doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à une clause contractuelle, telle que celle en cause au principal, qui interdit aux distributeurs agréés d'un système de distribution sélective de produits de luxe visant, à titre principal, à préserver l'image de luxe de ces produits de recourir de manière visible à des plateformes tierces pour la vente sur Internet des produits contractuels, dès lors que cette clause vise à préserver l'image de luxe desdits produits, qu'elle est fixée d'une manière uniforme et appliquée d'une façon non discriminatoire, et qu'elle est proportionnée au regard de l'objectif poursuivi " (point 58).
La politique de Stihl en matière de vente sur les plateformes tierces
278. À titre liminaire, il importe de préciser que l'analyse opérée par la Cour de justice dans l'arrêt Coty susvisé pour la commercialisation en ligne de produits de luxe paraît susceptible d'être étendue à d'autres types de produits. En effet, si la Cour a pris soin de rappeler que son raisonnement s'inscrivait dans le prolongement des principes dégagés par sa jurisprudence antérieure, et notamment l'arrêt Pierre Fabre précité, qui renvoie lui-même à l'arrêt Metro précité, aux termes de laquelle un système de distribution sélective ou une clause particulière d'un tel système peuvent être licites dès lors qu'ils sont nécessaires à la préservation de la qualité et au bon usage des produits concernés, elle n'a pas apporté davantage de précisions sur la nature desdits produits et n'en a donc pas circonscrit le champ d'application, renvoyant cette appréciation au cas par cas.
279. Partant, il convient, en l'espèce d'analyser, dans la lignée des principes dégagés ci-avant, si l'interdiction posée par Stihl est appropriée et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire au regard des caractéristiques des produits en cause.
280. S'agissant des produits dits dangereux, il n'apparaît pas illégitime, en premier lieu, d'autoriser Stihl, qui a mis en place un réseau de distribution lui permettant de sélectionner des distributeurs aptes à garantir un bon fonctionnement de ces machines, ainsi qu'à transmettre les informations et conseils utiles à leur utilisation dans des conditions optimales de sécurité, de s'assurer que la commercialisation en ligne a bien été réalisée par l'un d'entre eux.
281. De même, pour les produits non dangereux, l'interdiction du recours à une place de marché tierce permet de garantir que les produits en cause sont uniquement vendus par des distributeurs agréés, et donc de s'assurer de leur provenance ainsi que de l'absence de contrefaçon ou de malfaçons.
282. Dans ces conditions, l'interdiction de vente sur les plateformes contribue à préserver la sécurité du consommateur et à garantir l'image de marque et la qualité des produits concernés.
283. En second lieu, il convient de rappeler que le propre de la distribution sélective est de permettre au fournisseur de contrôler l'environnement dans lequel ses produits sont distribués. S'agissant de produits dits dangereux, Stihl doit pouvoir s'assurer, dans les limites exposées supra (voir notamment paragraphes 186 et suivants) que ses distributeurs s'acquittent des obligations d'information et de conseil nécessaires à la préservation de la qualité des produits et à leur bon usage. Ainsi, la mise en place de certains services répondant à ces exigences, tels que notamment la présentation sur le site du revendeur de vidéos de démonstration ou l'accès rapide et direct à des conseils d'achat et d'utilisation par le biais d'un service d'assistance téléphonique (ou " hotline ") opérée par des professionnels compétents, doit pouvoir être étroitement contrôlée par le fournisseur. De la même manière, Stihl, qui a émis des obligations qualitatives de présentation de ses produits non dangereux pour les sites Internet de ses distributeurs doit pouvoir contrôler leur mise en œuvre et en assurer le respect.
284. Or, la commercialisation par le biais des plateformes pourrait rendre inefficaces, voire empêcher ces contrôles. En effet, si le fournisseur ignore que son distributeur commercialise ses produits sur une plateforme, il est nécessairement dans l'incapacité de contrôler les conditions de vente que cette dernière pratique. Par ailleurs, quand bien même le fournisseur aurait connaissance du fait qu'un de ses distributeurs passe par une plateforme pour commercialiser ses produits, il serait dans l'incapacité d'exiger qu'elle respecte les obligations imposées aux distributeurs agréés membres du réseau. En effet, comme l'a souligné la Cour de justice, le fournisseur, n'étant contractuellement lié qu'au distributeur, ne peut exiger des plateformes, tierces au contrat de distribution sélective, d'en respecter les dispositions.
285. Ainsi, l'interdiction de la commercialisation des produits par le biais des plateformes constitue, dans les circonstances de l'espèce, une exigence légitime imposée par Stihl à ses distributeurs pour respecter les exigences propres à son réseau de distribution.
286. Cette exigence n'est, de surcroît pas disproportionnée.
287. En effet, il ressort de diverses sources telles que notamment les résultats de l'enquête sectorielle sur le commerce électronique menée par la Commission, au titre de l'article 17 du règlement n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE], que plus de 90 % des détaillants ayant participé à l'enquête utilisent leur propre point de vente en ligne pour vendre en ligne. 31 % de ces détaillants vendent au moyen de leurs points de vente en ligne ainsi que sur des places de marché, tandis qu'à peine 4 % des détaillants vendent en ligne uniquement sur des places de marché. Ainsi, à ce stade de l'évolution du commerce électronique, la vente par le biais des plateformes n'est pas le principal canal de vente en ligne, la majeure partie des transactions étant réalisées à partir des sites des distributeurs.
288. Ce constat s'impose en l'espèce, quel que soit le type de produits concernés, dangereux ou non. En effet, il ne ressort pas, bien au contraire, des éléments au dossier que les places de marchés soient un canal de commercialisation privilégié pour les produits de motoculture ou leurs accessoires. Il n'est notamment pas démontré que les revendeurs Husqvarna ou Honda réalisent, à ce jour, une part importante ou croissante de leurs ventes sur des plateformes tierces pour leurs différents produits.
289. Au regard de ce qui précède, il n'y a, par conséquent, pas lieu à poursuivre la procédure, s'agissant de l'interdiction de vente des produits Stihl et Viking sur les plateformes tierces.
E. SUR L'IMPUTABILITÉ DES PRATIQUES
290. Il résulte d'une jurisprudence constante que les articles L. 420-1 du Code de commerce et 101 TFUE visent les infractions commises par les entreprises.
291. La notion d'entreprise doit être comprise comme désignant une unité économique, même si, du point de vue juridique, celle-ci est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales. C'est cette entité économique qui doit, lorsqu'elle enfreint les règles de concurrence, répondre de cette infraction, conformément au principe de responsabilité personnelle (voir notamment les arrêts de la Cour de justice du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C-97/08, points 55 et 56, et du 20 janvier 2011, General Quimica/Commission, C-90/09, point 36 ; voir également l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 29 mars 2012, Lacroix Signalisation e.a., 2011/01228, pages 18 et 20).
292. Ainsi, au sein d'un groupe de sociétés, le comportement d'une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu'ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché mais applique pour l'essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques (voir les arrêts Akzo Nobel e.a./Commission, précité, point 58, General Quimica/Commission, point 37, et Lacroix Signalisation e.a., précité, pp. 18 et 19).
293. Dans le cas particulier où une société mère détient, directement ou indirectement par le biais d'une société interposée, la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale auteur d'un comportement infractionnel, il existe une présomption selon laquelle cette société mère exerce une influence déterminante sur le comportement de sa filiale. Dans cette hypothèse, il suffit pour l'autorité de concurrence de rapporter la preuve de cette détention capitalistique pour imputer le comportement de la filiale auteur des pratiques à la société mère. Il est possible à la société mère de renverser cette présomption en apportant des éléments de preuve susceptibles de démontrer que sa filiale détermine de façon autonome sa ligne d'action sur le marché. Si la présomption n'est pas renversée, l'autorité de concurrence sera en mesure de tenir la société mère pour solidairement responsable pour le paiement de la sanction infligée à sa filiale (voir les arrêts Akzo Nobel e.a./Commission, précité, points 60 et 61, General Quimica/Commission, points 39 et 40, et Lacroix Signalisation e.a., précité, p. 19-20).
294. Ainsi que l'a rappelé la cour d'appel de Paris dans son arrêt Lacroix Signalisation e.a., précité, ces règles d'imputabilité, qui découlent de la notion d'entreprise visée aux articles 101 et 102 TFUE, relèvent des règles matérielles du droit européen de la concurrence. L'interprétation des juridictions européennes s'impose donc aux autorités nationales de concurrence lorsqu'elles appliquent le droit européen ainsi qu'aux juridictions qui les contrôlent (voir également, en ce sens, l'arrêt de la Cour de justice du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a., C-8/08, points 49 et 50).
295. En l'espèce, la société Andreas Stihl France SARL est devenue Andreas Stihl SAS au 1er février 2012. Depuis le 13 octobre 2013, cette dernière est détenue à 100 % par la société Stihl International GmbH. Avant cette date, la possession d'une part minoritaire de 0,03 % du capital social de Andreas Stihl SAS par Monsieur Hans-Peter Stihl n'a pas modifié le contrôle exercé sur Andreas Stihl SAS par Stihl International GmbH, celle-ci détenant le reste de son capital.
296. De son côté, Stihl International GmbH est contrôlée à 100 % par Andreas Stihl AG & Co. KG, qui fabrique les produits Stihl et Viking. L'ensemble de ces sociétés est contrôlé à 100 % par la société Stihl Holding AG & Co. KG.
297. Au vu des principes rappelés ci-dessus, il convient d'imputer les pratiques en cause à la société qui en est l'auteure, Andreas Stihl SAS, ainsi qu'à la société mère ultime du groupe par laquelle elle est contrôlée à 100 % et qui est, dès lors, présumée exercer sur elle une influence déterminante, soit la société Stihl Holding AG & Co. KG, ce point n'ayant, du reste, pas fait l'objet d'observations spécifiques de la part des entreprises mises en cause.
F. SUR LES SANCTIONS
1. LA SANCTION PÉCUNIAIRE
298. Le troisième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce prévoit que " les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation individuelle de l'organisme ou de l'entreprise sanctionnée ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le [titre VI du livre IV du Code de commerce]. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ".
299. Lorsqu'elle détermine les sanctions pécuniaires qu'elle impose en vertu du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, l'Autorité applique les modalités décrites dans son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (ci-après, " le communiqué sanctions ") sauf à ce qu'elle explique, dans la motivation de sa décision, " les circonstances particulières ou les raisons d'intérêt général la conduisant à s'en écarter dans un cas donné " (point 7 du communiqué sanctions).
300. En l'occurrence, l'Autorité considère, pour les motifs exposés ci-après, que la méthode décrite dans le communiqué sanctions n'est pas adaptée.
301. En effet, l'interdiction de vente sur Internet imposée par Stihl à ses distributeurs sanctionnée en l'espèce a été mise en œuvre de 2006 à 2017. Or, comme l'a relevé la cour d'appel de Paris dans son arrêt Bang & Olufsen du 13 mai 2014, " le droit et la jurisprudence applicables en la matière n'étaient pas clairement fixés avant l'arrêt de la cour de justice [de l'Union] du 13 octobre 2011 ", l'arrêt visé en l'espèce étant celui rendu dans l'affaire Pierre Fabre Dermo-cosmétique, qui, comme rappelé supra (voir paragraphes 141 à 143) a apporté d'importantes précisions sur la compatibilité des interdictions de vente sur Internet avec l'article 101, paragraphe 1 TFUE et la notion de restriction par objet. Jusqu'à cet arrêt, il subsistait ainsi une incertitude juridique sur la qualification des pratiques visant à interdire les ventes sur Internet, incertitude qui doit être prise en considération dans le calcul de la sanction et justifie, dans les circonstances particulières de l'espèce, de déroger à l'application du communiqué sanctions.
302. Il en est de même s'agissant des produits dits dangereux vendus par Stihl, dès lors qu'il apparaît que cette entreprise pouvait, à juste titre, continuer à s'interroger, après 2011, sur l'applicabilité des principes dégagés dans l'arrêt Pierre Fabre, les produits concernés par cet arrêt ne revêtant pas ce caractère de dangerosité.
a) Sur la gravité de la pratique
303. Lorsqu'elle apprécie la gravité d'une infraction, l'Autorité tient notamment compte de la nature de l'infraction et de la qualité des personnes susceptibles d'être affectées.
304. S'agissant de la nature de l'infraction, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence et une pratique décisionnelle constantes, les ententes verticales impliquant des entreprises actives à des stades différents de la chaîne de production sont généralement considérées avec moins de sévérité que les ententes horizontales entre concurrents.
305. Ce constat n'exclut pas, toutefois, que ce type de pratiques puisse être analysé comme présentant un certain degré de gravité. Ainsi, dans sa décision Pierre Fabre n° 08-D-25 du 29 octobre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de produits cosmétiques et d'hygiène corporelle vendus sur conseils pharmaceutiques, l'Autorité a indiqué que " les pratiques d'entente ayant pour objet et pour effet de faire obstacle à la concurrence et de limiter ou contrôler des débouchés font partie des pratiques que le Conseil juge préjudiciables au bon fonctionnement du marché ". Plus précisément, " sans revêtir le degré de gravité d'une entente horizontale, elle est grave par nature car elle a pour conséquence de fermer une voie de commercialisation au détriment des consommateurs et des distributeurs " (paragraphes 88 et 89).
306. De même, la décision n° 12-D-23 du 12 décembre 2012 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Bang & Olufsen dans le secteur de la distribution sélective de matériels hi-fi et home cinéma a précisé que " de telles pratiques anticoncurrentielles sont considérées, de manière constante, en droit de l'Union comme en droit interne, comme revêtant un caractère certain de gravité, en ce qu'elles tendent non seulement à limiter la concurrence intra-marque sur le marché français mais aussi à cloisonner les marchés et à priver les consommateurs d'un canal de distribution (voir, en ce sens, arrêt de la cour d'appel de Paris du 4 mars 2008, José Alvarez e.a., n° 2007/00370, p. 11 ; voir aussi arrêt de la Cour de justice du 21 septembre 2006, JCB/Commission, C-167/04, Rec. p. I-08935, point 216) ".
307. De plus, il convient de tenir compte, en l'espèce, du fait que la pratique en cause a affecté non seulement les distributeurs empêchés de vendre sur Internet mais également les consommateurs individuels, dont la possibilité de faire pleinement jouer la concurrence entre les distributeurs et de bénéficier du meilleur prix s'est trouvée limitée.
308. Il doit toutefois être relevé que dans son arrêt précité du 13 mars 2014 la cour d'appel, statuant sur la décision Bang & Olufsen susvisée, a relativisé la gravité de la pratique concernée, au vu de l'incertitude juridique qui a prévalu en la matière jusqu'à l'arrêt rendu par la Cour de justice dans l'affaire Pierre Fabre. Cette considération, comme rappelé supra, s'applique également au cas particulier et doit, partant, être prise en compte, dans le sens d'une atténuation, dans l'appréciation de la gravité de la pratique incriminée en l'espèce.
b) Sur le dommage causé à l'économie
309. Afin d'apprécier le dommage à l'économie, il convient d'évoquer successivement l'ampleur de l'infraction en cause, les caractéristiques économiques des activités concernées et les conséquences conjoncturelles des pratiques.
310. Concernant l'ampleur de la pratique sanctionnée en l'espèce, il convient de relever qu'elle a concerné l'ensemble du territoire national ainsi que l'intégralité des distributeurs des produits Stihl et Viking appartenant au réseau de Stihl. Il s'agit d'un marché de taille significative, la seule vente de détail du matériel de motoculture destiné à la tonte, au tronçonnage, à l'élagage et au débroussaillage représentant un chiffre d'affaires de 955 millions d'euros en 2015, dont près de 167 millions pour les seuls produits Stihl et Viking.
311. Compte tenu de la notoriété et de la part de marché élevée de la marque Stihl pour certains produits (pour mémoire, 57 % pour les tronçonneuses et 47 % pour les débroussailleuses), la réduction de la concurrence intra-marque entre les distributeurs résultant des pratiques a pu avoir un impact sur les consommateurs finaux, dont le choix a pu être restreint dans certaines zones. Cet impact doit toutefois être relativisé, eu égard à la relative densité du maillage territorial du réseau de distribution Stihl, qui comprend plus de 1 200 revendeurs.
312. S'agissant des caractéristiques économiques du secteur en cause, il convient de souligner qu'il existe près de 50 marques dans le secteur. Certaines comme Stihl, Husqvarna, Honda et John Deere, pour les tondeuses à gazon, ont toutefois une présence particulièrement forte sur le marché. En outre, dans ce secteur, il est rare qu'un fournisseur se limite à un seul type de produits. La grande majorité d'entre eux propose donc plusieurs gammes, éventuellement sous différentes marques, comme le fait Stihl avec sa marque Viking et un fournisseur qui ne proposerait qu'un seul type de produit serait susceptible d'être moins attractif vis-à-vis des distributeurs qu'un fournisseur multi-produits. Si ces caractéristiques limitent quelque peu les entrées de concurrents sur le marché, elles n'en interdisent pas pour autant l'accès. Ainsi, si la nécessité de développer une marque est une réalité, elle n'a pas pour autant empêché l'entrée de fournisseurs, notamment chinois, sur le marché. De même, les points de vente étant pour la plupart multimarques, les concurrents ne sont pas dépourvus d'accès aux réseaux de distribution. Enfin, indépendamment de ces possibilités d'entrée, Stihl est d'ores et déjà concurrencée par des opérateurs disposant de marques également connues, comme indiqué ci-dessus.
313. Sur les conséquences conjoncturelles de l'infraction, il convient de relever que la pratique mise en œuvre par Stihl a limité la distribution de ses produits par un nouveau canal de distribution et a restreint la concurrence intra-marque entre ses distributeurs, particulièrement dans les zones de chalandise où leur nombre est réduit.
314. En outre, cette pratique a pu être préjudiciable aux distributeurs les plus efficaces, lesquels auraient été capables de répondre à une demande plus importante et à des prix moins élevés. En effet, du fait des restrictions imposées à la vente à distance, ces distributeurs n'ont pu répondre qu'à la demande de leur zone de chalandise physique et n'ont donc pas pu se développer et proposer de meilleures conditions commerciales à leurs clients.
315. En revanche, l'effet de la pratique sanctionnée sur la concurrence inter-marque paraît limité, dans la mesure où le secteur concerné comporte près de 50 marques et a encore récemment accueilli de nouveaux acteurs.
316. En toute hypothèse, le marché n'a été affecté que de façon limitée, compte tenu du niveau modeste, à ce jour, des ventes en ligne propre à ce secteur.
317. Compte tenu de ce qui précède, il convient de considérer que la pratique a causé un dommage certain mais limité à l'économie.
c) Sur l'individualisation de la sanction
318. En l'espèce aucune circonstance aggravante ou atténuante ne peut être retenue pour la détermination de la sanction.
d) Sur le montant de la sanction
319. La base de calcul du plafond légal est au cas d'espèce le chiffre d'affaires hors taxes mondial consolidé le plus élevé connu réalisé par Stihl Holding AG & Co. KG pendant la période de 2005 à 2017, lequel inclut le chiffre d'affaires d'Andreas Stihl SAS. Au vu des chiffres communiqués par l'entreprise, le montant maximal de la sanction ne peut dépasser 10 % du chiffre d'affaires de 3 791 800 000 euros réalisé par Stihl Holding AG & Co. KG en 2017, soit 379 180 000 euros.
320. Eu égard à l'ensemble des éléments exposés ci-avant, il y a lieu d'infliger à la société Andreas Stihl SAS, en tant qu'auteure de l'infraction, solidairement avec la société Stihl Holding AG & Co. KG, en qualité de société mère, une sanction pécuniaire de 7 000 000 d'euros.
2. L'INJONCTION
321. Afin de s'assurer de la mise en conformité réelle et rapide des contrats en cause, il y a lieu de faire application des dispositions du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce et d'enjoindre à la société Andreas Stihl SAS de procéder, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, à la modification de ses contrats de distribution sélective existants, ainsi que de leurs annexes, afin de stipuler, en termes clairs, que les distributeurs agréés membres de son réseau de distribution sélective ont la possibilité de procéder à la vente en ligne de tous les produits Stihl et Viking, sans exiger de ceux-ci une " mise en main " auprès de l'acheteur, qui impliquerait un retrait du produit au magasin du distributeur auprès duquel il a été acquis, ou la livraison par ce distributeur en personne ou l'un de ses employés au domicile de l'acheteur. Andreas Stihl SAS adressera, sous pli recommandé, au bureau de la procédure de l'Autorité de la concurrence, un exemplaire de ces contrats dans un délai de quatre mois à compter de la notification de la présente décision.
322. Ces modifications sont sans préjudice de la possibilité qu'à la société Andreas Stihl SAS d'encadrer cette activité de vente en ligne, dans le strict respect des exigences résultant de la jurisprudence et des indications figurant dans les lignes directrices de la Commission européenne à ce sujet.
323. Il y a également lieu d'enjoindre à Stihl d'avertir l'ensemble de ses distributeurs de ces changements par l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception à laquelle sera joint le résumé figurant au paragraphe 325, précédé du titre : " Décision de l'Autorité de la concurrence concernant la société Stihl ".
3. L'OBLIGATION DE PUBLICATION
324. Aux termes du cinquième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, l'Autorité peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'elle précise. Les frais sont supportés par la personne intéressée.
325. En l'espèce, il y a lieu, compte tenu des faits constatés par la présente décision et de l'infraction relevée, d'ordonner à Stihl de faire publier, à ses frais dans les éditions papier et sur les sites Internet des journaux " Les Echos ", " Matériel et Paysage " et " Rustica ", le résumé de la présente décision figurant ci-après :
Aux termes de la décision ci-après, l'Autorité sanctionne les sociétés Andreas Stihl SAS et Stihl Holding AG & Co KG pour avoir mis en œuvre dans le cadre de leur réseau de distribution sélective de matériel de motoculture une entente illicite, contraire aux articles L. 420-1 du Code de commerce et au paragraphe premier de l'article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, consistant à interdire de facto la vente des produits Stihl et Viking à partir des sites des distributeurs.
L'instruction menée dans la présente affaire a conduit à la notification de deux griefs aux sociétés précitées, l'un portant sur l'interdiction de vente des produits Stihl et Viking à partir des sites Internet des distributeurs, l'autre concernant l'interdiction de vente de ces mêmes produits sur les plateformes en ligne tierces.
L'Autorité n'a pas remis en cause le principe du recours à la distribution sélective pour des produits qui, comme ceux concernés en l'espèce - tronçonneuses, débroussailleuses, élagueuses, sécateurs à batterie - revêtent un certain degré de dangerosité et requièrent, de ce fait, la mise en place de services d'assistance et de conseil afin d'en préserver la qualité, d'en assurer le bon usage et de garantir la sécurité des utilisateurs.
Elle a, en revanche, estimé qu'en exigeant une " mise en main " entre l'acheteur en ligne et le distributeur à l'origine de la vente impliquant un retrait du produit dans le magasin du revendeur ou une livraison par ce dernier en personne au domicile de l'acheteur, Stihl avait de facto interdit la vente de ses produits à partir des sites Internet de ses distributeurs. Elle a considéré que cette interdiction, ni exigée par la réglementation relative à la commercialisation des produits concernés, ni appliquée par les concurrents de Stihl ou par nombre de grandes surfaces de bricolage, allait au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver la santé du consommateur et constituait, de ce fait, une restriction de concurrence. Elle a, en outre, rappelé qu'une restriction qui, comme celle concernée en l'espèce, réduisait la possibilité des distributeurs de vendre des produits hors de leur zone de chalandise physique et limitait le choix des clients désireux d'acheter sans se déplacer, revêtait un degré particulier de nocivité pour la concurrence et constituait, par conséquent, une restriction anticoncurrentielle par objet.
Enfin, l'Autorité a considéré que cette interdiction d'une part ne pouvait bénéficier du règlement d'exemption par catégorie applicable aux restrictions verticales, dans la mesure où elle s'apparentait à une restriction caractérisée des ventes passives, d'autre part ne remplissait pas les conditions requises pour l'octroi d'une exemption individuelle.
S'agissant par ailleurs de l'interdiction de vente sur les plateformes en ligne tierces, l'Autorité a estimé qu'il n'y avait pas lieu à donner suite au grief notifié à ce titre. Elle a, en effet, considéré que cette pratique permet à Sihl, qui n'a aucun lien contractuel avec ces plateformes, de s'assurer, de manière à la fois appropriée et proportionnée, que ses produits sont vendus dans des conditions qui préservent son image de marque et garantissent la sécurité du consommateur.
En conséquence, seule la première des deux pratiques visées par les griefs notifiés a été sanctionnée.
Une amende de 7 000 000 euros a été infligée à Stihl.
En outre, il a été enjoint à Stihl de modifier, dans un délai de 3 mois à compter de la notification de la décision, ses contrats de distribution sélective, afin de stipuler, en termes clairs, que les distributeurs agréés membres de son réseau de distribution sélective avaient la possibilité de procéder à la vente en ligne de tous les produits Stihl et Viking, sans exiger de ceux-ci une " mise en main " auprès de l'acheteur, laquelle impliquerait un retrait du produit au magasin du distributeur, auprès duquel il a été acquis, ou la livraison par ce distributeur en personne ou l'un de ses employés au domicile de l'acheteur. Il a en outre été enjoint à Stihl de transmettre à l'ensemble de ses points de vente, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, une lettre recommandée avec accusé de réception leur annonçant les modifications ainsi apportées à leurs contrats de distribution sélective.
DÉCISION
Article 1er : Il est établi que les sociétés Andreas Stihl SAS et Stihl Holding AG & Co. KG ont enfreint les dispositions des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce en restreignant les ventes à distance sur Internet depuis les sites Internet de leurs distributeurs agréés dans le cadre du réseau de distribution sélective entre le 2 mars 2006 et le 4 septembre 2017.
Article 2 : Les conditions d'une interdiction au titre de l'article 101 du TFUE ne sont pas réunies s'agissant du grief n° 2 notifié aux sociétés Andreas Stihl SAS et Stihl Holding AG & Co. KG sur la période du 2 mars 2006 et le 4 septembre 2017. Conformément à l'article 3, paragraphe 2, du règlement (CE) n°1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002, les pratiques en cause dans la présente affaire ne peuvent pas non plus être interdites sur le fondement de l'article L. 420-1 du Code de commerce. Il n'y a donc pas lieu, en application de l'article 5 du règlement n° 1/2003, à poursuivre la procédure, que ce soit au titre du droit de l'Union ou du droit interne.
Article 3 : Pour l'infraction visée à l'article 1er, une sanction pécuniaire de 7 000 000 d'euros est infligée aux sociétés Andreas Stihl SAS, en tant qu'auteure, solidairement avec Stihl Holding AG & Co. KG, en sa qualité de société mère.
Article 4 : Il est enjoint à la société Andreas Stihl SAS de procéder, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, à la modification de ses contrats de distribution sélective existants, afin de stipuler, en termes clairs, que les distributeurs agréés membres de son réseau de distribution sélective ont la possibilité de procéder à la vente en ligne de tous les produits Stihl et Viking, sans exiger de ceux-ci une " mise en main " auprès de l'acheteur, qui impliquerait un retrait du produit au magasin du distributeur, auprès duquel il a été acquis, ou la livraison par ce distributeur en personne ou l'un de ses employés au domicile de l'acheteur. La société Andreas Stihl SAS adressera, sous pli recommandé, au bureau de la procédure de l'Autorité de la concurrence, un exemplaire de ces contrats ou de cette circulaire dans un délai de quatre mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 5 : Il est enjoint à la société Andreas Stihl SAS de transmettre à l'ensemble de ses points de vente, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, une lettre recommandée avec accusé de réception leur annonçant les modifications apportées à leurs contrats de distribution sélective, décrites à l'article 4, en y joignant le résumé de la décision figurant au paragraphe 325 de la décision. La société Andreas Stihl SAS adressera, sous pli recommandé, au bureau de la procédure de l'Autorité de la concurrence, un exemplaire de cette lettre dans un délai de quatre mois à compter de la notification de la présente décision
Article 6 : Les personnes morales visées à l'article 1er feront publier à leurs frais le texte figurant au paragraphe 325 de la présente décision dans les journaux " Les Echos ", " Matériel et Paysage " et " Rustica " en respectant la mise en forme suivante. Cette publication interviendra dans un encadré en caractères noirs sur fond blanc de hauteur au moins égale à trois millimètres sous le titre suivant, en caractère gras de même taille : " Décision de l'Autorité de la concurrence n° 18-D-23 du 24 octobre 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de matériel de motoculture ". Elle pourra être suivie de la mention selon laquelle la décision a fait l'objet de recours devant la cour d'appel de Paris si de tels recours sont exercés. Les personnes morales concernées adresseront, sous pli recommandé, au bureau de la procédure, copie de cette publication, dès sa parution et au plus tard le 24 décembre 2018.
Article 7 : Les personnes morales visées à l'article 1er feront publier à leurs frais le texte figurant au paragraphe 325 de la présente décision, au sein d'une page accessible au public à partir d'une annonce en première page des sites Internet des journaux " Les Echos ", " Matériels et Paysage " et " Rustica ". L'annonce de première page indiquera " Par décision du 24 octobre 2018 l'Autorité de la concurrence a sanctionné la société Stihl et le Groupe auquel elle appartient pour avoir mis en œuvre des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de la distribution de matériel de motoculture " en caractère gras et dans une police d'écriture de taille 14. Cette annonce devra demeurer visible durant huit jours consécutifs. La publication à laquelle renverra l'annonce de première page interviendra dans un encadré sous-titré " Décision de l'Autorité de la concurrence n° 18-D-23 du 24 octobre 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de matériel de motoculture " en caractère gras et dans une police d'écriture de taille 14 et ce pour une durée de huit jours consécutifs. Elle pourra être suivie de la mention selon laquelle la décision a fait l'objet d'un recours devant la cour d'appel de Paris si un tel recours est exercé. La société sanctionnée adressera, sous pli recommandé, au bureau de la procédure, copie de ces publications, dès leur parution et au plus tard le 24 décembre 2018.
Délibéré sur le rapport oral de M. Jérôme d'Huart rapporteur et l'intervention de Mme Juliette Thery-Schultz, rapporteure générale adjointe, par Mme Fabienne Siredey-Garnier, vice-présidente, présidente de séance, et Mme Chantal Chomel et Mme Reine-Claude Mader, membres.
NOTES :
1 Ce résumé a un caractère strictement indicatif. Seuls font foi les motifs de la décision numérotés ci-après.