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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 25 octobre 2018, n° 17-17548

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Delta Temp NV (Sté)

Défendeur :

Delta Temp France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mmes Soudry, Moreau

Avocats :

Mes Rousseau, Duval Stalla

T. com. Paris, du 7 sept. 2017

7 septembre 2017

Faits et procédure

La société Delta Temp NV est une firme belge spécialisée dans la location de systèmes de refroidissement, de climatisation et de chauffage dans l'industrie, le tertiaire et l'événementiel. Ses activités se situent principalement en Belgique, mais elle a des succursales et partenariats dans plusieurs pays en Europe.

La société Delta Temp France a été créée en mai 2005 avec pour seul associé Monsieur X, gérant. Elle a notamment pour objet la location, la vente de tout appareil, machines thermiques, aérauliques et hydrauliques. En août 2006, Monsieur Y, dirigeant de la société Delta Temp NV, a pris des parts dans la société, pour en devenir actionnaire à hauteur de 50 %.

La société Delta Temp NV a eu une collaboration avec la société Delta Temp France pendant plusieurs années, selon laquelle la première mettait à disposition des machines de réfrigération et du matériel annexe, comme des patinoires, que la société Delta Temp France sous-louait à ses propres clients. La mise à disposition était flexible selon les besoins des clients et selon la disponibilité.

La société Delta Temp NV soutient avoir déploré une augmentation d'irrégularités et de défauts d'entretien des machines du fait de la société Delta Temp France, reproches contestés par cette dernière, et a annoncé, le 2 décembre 2015, qu'elle allait reprendre ses machines, au fur et à mesure de leur disponibilité, pour les soumettre à un contrôle et à une remise aux normes.

Faute d'obtenir une coopération spontanée de la société Delta Temp France, la société Delta Temp NV, par courrier en date du 17 décembre 2015, l'a mise en demeure de collaborer à l'organisation du retour des matériels. N'obtenant pas satisfaction, la société Delta Temp NV a mis un terme à sa collaboration avec la société Delta Temp France à partir du 25 janvier 2016.

Par courrier en date du 1er avril 2016, la société Delta Temp NV, par l'intermédiaire de son conseil, a sollicité le règlement de la somme de 114 784,23 euros à titre d'indemnité pour rétention illicite des machines litigieuses durant le mois de mars 2016.

Par courrier daté du même jour, la société Delta Temp France, par l'intermédiaire de son propre conseil, a contesté cette demande de paiement en invoquant que la non-restitution des machines était imputable à la société Delta Temp NV.

En vue de récupérer ses machines, la société Delta Temp NV a saisi, par acte en date du 5 avril 2016, le président du Tribunal de commerce de Sens qui, par ordonnance de référé du 7 juillet 2016, a condamné la société Delta Temp France, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par machine, à restituer un peu plus de cent machines.

Sur appel de la société Delta Temp France, la Cour d'appel de Paris a confirmé l'ordonnance du 7 juillet 2016 en toutes ses dispositions et a condamné la société Delta Temp France au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Après signification du jugement du Tribunal de commerce de Sens le 3 août 2016, des retours de machine ont pu être observés, à partir de fin août 2016, mais ne couvrant pas l'intégralité des machines.

La société Delta Temp NV, se disant victime d'un important préjudice financier en raison du comportement fautif de la société Delta Temp France dans le cadre de cette restitution, a, à nouveau, saisi le Tribunal de commerce de Sens aux fins de condamnation de la société Delta Temp France au paiement de diverses sommes. Par jugement rendu le 11 juillet 2017, le Tribunal de commerce de Sens a condamné la société Delta Temp France à payer les sommes de 685 668,46 euros pour rétention illicite, 23 047,89 euros au titre des frais de récupération et d'enlèvement et de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile. Appel de ce jugement a été formé devant la Cour d'appel de Paris.

S'estimant, par ailleurs, victime d'une rupture brutale de la relation commerciale établie et d'actes de parasitisme par la société Delta Temp NV, la société Delta Temp France a, par acte du 9 novembre 2016, assigné la société Delta Temp NV devant le Tribunal de commerce de Paris. La société Delta Temp NV a opposé l'incompétence du tribunal saisi au profit du juge belge.

Par jugement rendu le 7 septembre 2017, le Tribunal de commerce de Paris :

- a dit l'exception d'incompétence soulevée recevable mais mal fondée ;

- s'est déclaré compétent ;

- a dit l'exception de nullité de l'assignation recevable, mais mal fondée et l'a rejetée ;

- a renvoyé l'affaire à audience collégiale du mercredi 4 octobre 2017 à 14 heures, pour conclusions au fond ;

- a réservé les autres demandes, y compris les dépens.

La société Delta Temp NV a interjeté appel de cette décision le 18 septembre 2017.

Par jugement rendu le 19 décembre 2017, le Tribunal de commerce de Sens a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Delta Temp France.

Prétentions des parties :

La société Delta Temp NV, par conclusions signifiées le 15 décembre 2017 demande à la cour, au visa des articles 80 du Code de procédure civile, 4 et 7 du règlement n° 1215/2012 du Parlement européen et du conseil du 12 décembre 2012, in limine litis, de :

- dire bien appelé et mal jugé le jugement entrepris ;

- se déclarer incompétent au profit du juge belge ;

- condamner la société Delta Temp France à payer à la société Delta Temp NV la somme de 7 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens.

La société Delta Temp NV fait valoir que, faute de clause écrite, la juridiction compétente pour traiter du litige est la juridiction belge puisque, l'action intentée étant de nature contractuelle, la juridiction compétente est celle du lieu où les services ont été fournis, en l'espèce, le lieu où les marchandises mises à disposition par la société Delta Temp NV étaient prises en charge, c'est-à-dire en Belgique, la société Delta Temp France ne rapportant pas la preuve qu'elle réceptionnait les machines en France et les pièces rapportées par la société Delta Temp NV - parmi lesquelles un listing de facturations réglées par la société Delta Temp France - étant valides et suffisamment probantes.

La société Delta Temp France, intimée, et Maître Z ès-qualités de mandataire judiciaire de la société Delta Temp France, intervenant forcé, par dernières conclusions signifiées le 2 mai 2018, demandent à la cour, au visa des articles 11, 855, 861-2 et 693 et 700 du Code de procédure civile, L. 442-6-I-5° du Code de commerce, des règlements n° 1393/2007 du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 et n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, et du décret n° 2009-1384 du 11 novembre 2009, de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

- dire que le juge français est bien compétent conformément au règlement n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 ;

En conséquence,

- rejeter l'exception d'incompétence du juge français soulevée par la société Delta Temp NV ;

- renvoyer l'affaire au fond devant le Tribunal de commerce de Paris ;

En tout état de cause,

- condamner la société Delta Temp NV à payer à la société Delta Temp France la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle fait valoir que le juge compétent est le juge français puisqu'au regard de la nature contractuelle de l'action intentée, la juridiction compétente étant celle du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande, les services de la société Delta Temp NV étaient fournis en France, lieu de réception quasi-systématique des machines sous-traitées, les pièces présentées par la société Delta Temp NV jetant le doute sur leur validité et ne suffisant pas à démontrer le contraire.

Elle ajoute que, si la nature délictuelle de l'action devait être retenue par la cour, le juge français est, de toutes les façons, compétent puisque la juridiction compétente en matière délictuelle est celle du lieu où le fait dommageable, en l'espèce, le fait dommageable résultant de la rupture brutale de la relation commerciale établie, s'est produit, c'est-à-dire en l'espèce, à l'endroit du siège social de la société Delta Temp France.

Elle précise en outre que la compétence de Tribunal de commerce de Paris est consacrée par l'annexe 4-2-1 du Code de commerce en tant que juridiction spécialisée en matière de contentieux de la rupture brutale des relations commerciales établies.

Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.

Motifs :

Considérant que l'article 7 du règlement 1215/2012 Bruxelles I bis relatif à la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale dispose :

Une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre :

1 ) a) en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande ;

b) aux fins de l'application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est :

- pour la vente de marchandises, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées ;

- pour la fourniture de services, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ;

c ) le point a) s'applique si le point b) ne s'applique pas ;

2) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire.' ;

Considérant qu'une action indemnitaire fondée sur une rupture brutale des relations commerciales établies relève de la matière contractuelle au sens du règlement 1215/2012 ; que, conformément à l'article 7 1) b) du règlement 1215/2012, le demandeur est autorisé à attraire une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre devant la juridiction du lieu d'exécution de l'obligation, soit, en matière de vente ou de mise à disposition de biens, celle du lieu de livraison de la marchandise ;

Considérant que la relation contractuelle a pour objet la mise à la disposition de la société Delta Temp France de matériels par la société Delta Temp NV ; qu'en application de l'article 7 1) b) du règlement 1215/2012 Bruxelles I bis, il convient, pour déterminer la juridiction compétente, de prendre en compte le lieu de livraison des marchandises à leur destinataire, et non de celui de leur prise en charge par un transporteur ; qu'en l'espèce, il résulte de la procédure que les marchandises étaient, pour plus des trois quarts, livrées en France (ainsi, au Havre - pièce Delta Temp NV n° 56-1 à Beauchamps (Val d'Oise) - pièce Delta Temp NV n° 57-2), l'appelante ne contestant pas le chiffre de 78 % de livraisons sur le territoire français (pièce Delta Temp France n° 32) ; qu'il est, à cet égard, indifférent que le destinataire ait commandé les prestations de transport et ait supporté les frais d'acheminement ; que c'est en conséquence à raison que les premiers juges ont retenu que le Tribunal de commerce de Paris était compétent ; que le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions ;

Considérant que l'équité commande de condamner la société Delta Temp NV à payer à la société Delta Temp France la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ;

Par ces motifs LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris ; Condamne la société Delta Temp NV à payer à la société Delta Temp France la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; Condamne la société Delta Temp NV aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.