CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 25 octobre 2018, n° 16-08509
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
CDI (Sasu)
Défendeur :
Environnement Solutions Partenaires (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
Mmes Schaller, Moreau
Avocats :
Mes Bernabé, Monet, Domain
Faits et procédure
Le 31 janvier 2005, la société CDI Recyclage (CDI), qui a une activité de récupération, de transport, traitement, recyclage, conditionnement et négoce de vieux papiers et de matériaux, et la société Expert en Solution Papier (Esop), spécialisée dans le commerce de gros interentreprises de déchets, ont conclu un accord d'exclusivité réciproque, pour une durée de trois ans renouvelable, à compter du 1er février 2005, par lequel CDI s'engageait à acheter des déchets de vieux papiers et cartons aux fournisseurs de la société Esop.
Le 6 mars 2006, a été signé par les sociétés Esop et CDI un avenant établissant la liste des fournisseurs "entrant dans périmètre du contrat du 31 janvier 2005" et acceptés par les parties, par lequel la société CDI s'engageait à payer directement ces fournisseurs et à régler à la société Esop une somme de 20 euros HT par tonne selon un relevé mensuel.
Par ailleurs, dans le cadre de leurs relations, la société Esop prenait en location des équipements appartenant à la société Interseroh-CDI destinés à la collecte et récupération des déchets.
Par acte en date du 26 octobre 2010, la société Esop a assigné la société CDI devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de condamnation de CDI au paiement de factures impayées, de redevances pour la période postérieure à juillet 2010 et de dommages et intérêts d'une part, pour rupture fautive du contrat, d'autre part, pour rupture brutale de la relation.
Par jugement rendu le 28 juin 2012, le Tribunal de commerce de Paris a :
- condamné la société CDI à verser à la société Esop les sommes de
- 9 215,15 euros au titre de factures impayées ;
- 74 016,51 euros à titre de dommages et intérêts (soit 38 016,51 euros au titre du manque à gagner d'Esop sur sept mois et 36 000 euros au titre de la rupture du contrat) ;
- 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- ordonné l'exécution provisoire ;
- débouté les parties pour leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;
- condamné la société CDI aux dépens en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Par arrêt rendu le 4 juin 2014, la Cour d'appel de Paris a :
- dit n'y avoir lieu à jonction ;
- infirmé le jugement entrepris sur le quantum des dommages-intérêts ;
- condamné la société CDI à payer à la société Esop la somme de 96 000 euros (soit 66 000 euros en réparation du préjudice occasionné par la violation, par CDI, de la clause de non-concurrence, et 30 000 euros au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie) ;
- confirmé le jugement pour le surplus ;
Y additant,
- débouté la société CDI de ses demandes de paiement à l'encontre de la société Esop ;
- condamné la société CDI à verser à la société Esop la somme de 10 000 euros au titre de l'indemnité pour frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens.
Sur pourvoi principal de la société CDI et pourvoi incident de la société Esop, la Cour de cassation, par arrêt rendu le 16 février 2016, a cassé et annulé, mais en seulement en ce qu'il a condamné la société CDI à payer la somme de 96 000 euros à la société Esop et en ce qu'il a statué sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile, l'arrêt rendu le 4 juin 2014 par la Cour d'appel de Paris et a renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée, en retenant qu'en statuant ainsi, alors qu'en condamnant tout à la fois la société CDI à payer à la société Esop les commissions jusqu'au terme prévisible du contrat résilié sept mois avant son échéance et des dommages-intérêts correspondant à un préavis de six mois en réparation de la rupture brutale de leurs relations commerciales, la cour d'appel, qui a indemnisé deux fois le même dommage, a méconnu l'article 1382 ancien du Code civil et le principe de la réparation intégrale du préjudice.
Par déclaration de saisine en date du 12 avril 2016, la société CDI a saisi la cour de renvoi.
Prétentions des parties :
La société CDI, par dernières conclusions signifiées le 4 juillet 2018, demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société CDI à payer une somme de 74 016,51 euros à titre de dommages et intérêts ;
Statuant à nouveau,
- débouter la société Esop de l'intégralité de ses demandes à l'encontre de la société CDI quels qu'en soient les fondements ;
- condamner la société Esop à payer à la société CDI une somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
Elle fait valoir que les demandes en paiement de dommages-intérêts formulées désormais au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies et du non-respect de la clause de non-concurrence par la société Esop sont irrecevables puisque, d'une part, aucune pièce ne vient étayer l'existence d'un préjudice qui découlerait de la prétendue brutalité de la rupture et puisque d'autre part, le fondement juridique du non-respect de la clause de non-concurrence, qui vient remplacer l'ancien fondement, à savoir la rupture fautive du contrat, est manifestement nouveau en cause d'appel au sens de l'article 564 du Code de procédure civile et constitue, au surplus, une double indemnisation d'un même dommage.
La société Esop, par dernières conclusions signifiées le 4 juillet 2018, demande à la cour, au visa des articles 1134, 1147 et 1184 anciens du Code civil, de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce et des articles 564 et 565 du Code de procédure civile, de :
- juger la société Esop recevable et bien fondée en ses demandes ;
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a évalué le préjudice de la société Esop à la somme de 74 016,51 euros ;
Statuant à nouveau,
- condamner la société CDI à payer à la société Esop la somme de 65 171,16 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale de leurs relations commerciales ;
- condamner la société CDI à payer à la société Esop la somme de 65 171,16 euros à titre de dommages-intérêt pour violation de la clause de non-concurrence relevant de l'article 10 du contrat du 31 janvier 2005 ;
En tout état de cause,
- condamner la société CDI à verser à la société Esop la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Outre la demande de confirmation au titre des factures impayées, elle fait valoir qu'elle est fondée à réclamer, par deux fois et de façon distincte, le paiement de dommages-intérêts à hauteur de 65 171,16 euros :
- d'une part, au titre de la brutalité de la rupture de sa relation commerciale qu'elle juge établie, puisque la relation a perduré pendant plusieurs années et que le délai de préavis n'a pas été respecté ;
- d'autre part, au titre du non-respect par la société CDI de la clause de non-concurrence contenue à l'article 10 du contrat prévoyant une interdiction de s'intéresser à tout fournisseur entretenant des relations commerciales avec l'autre partie, la société CDI ayant conclu directement de nouveaux contrats avec les clients de la société Esop ; elle ajoute que la demande formulée à ce titre n'est pas une demande nouvelle au sens de l'article 564 du Code de procédure civile puisque cette prétention a déjà été débattue devant les juges de première instance et qu'elles tendent, de toutes les façons, aux mêmes fins que celles soumises aux premiers juges.
Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.
Motifs :
Considérant que, par suite de l'arrêt de cassation partielle, la cour de renvoi n'est saisie que de la question de la réparation du préjudice occasionné à la société Esop par la rupture du contrat du 31 janvier 2005 et par la violation, par CDI, de la clause de non-concurrence ;
Considérant que sont définitives les dispositions de l'arrêt rendu le 4 juin 2014 par la cour de ce siège confirmant le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 28 juin 2012 qui a condamné la société CDI à verser à la société Esop les sommes de :
- 9 215,15 euros au titre de factures impayées ;
- 38 016,51 euros correspondant au gain dont Esop a été privée jusqu'au terme prévisible du contrat à durée déterminée ;
Sur la rupture brutale de la relation commerciale établie
Considérant que la société Esop a obtenu, sur un fondement contractuel, réparation, à hauteur de 38 016,51 euros, du préjudice occasionné par la rupture abusive du contrat ; qu'en raison de la règle du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle, ce fondement contractuel interdit à la société Esop de se prévaloir des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce sur la rupture brutale d'une relation commerciale susceptible d'engager la responsabilité délictuelle de son auteur ; que la société Esop sera en conséquence déclarée irrecevable en sa demande fondée sur la rupture brutale d'une relation commerciale ; que le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a condamné la société CDI Recyclage à verser à la société Esop à titre de dommages et intérêts la somme de 36 000 euros au titre de la rupture du contrat (montant inclus dans la condamnation prononcée à hauteur de 74 016,51 euros) ;
Sur le préjudice résultant de la violation, par CDI, de la clause de non-concurrence
Considérant que la société Esop sollicite la condamnation de la société CDI au paiement de la somme de 65 171,16 euros en réparation de la violation de la clause de non-concurrence relevant de l'article 10 du contrat du 31 janvier 2005 ;
Considérant que l'article 564 du Code de procédure civile dispose que : " Les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait " ;
Considérant que la société Esop a demandé, devant le tribunal de commerce, la condamnation de la société CDI au paiement de factures impayées, de redevances dont elle a été privée et de dommages et intérêts pour rupture fautive du contrat et pour rupture brutale du contrat ; qu'aucune demande au titre d'une violation de la clause de non-concurrence n'a été formulée en première instance ; que la demande d'indemnisation formée par la société Esop en application de la clause de non-concurrence, distincte des demandes formées au titre de la rupture du contrat, ne tend pas aux mêmes fins que celles soumises aux premiers juges ; qu'il s'agit d'une prétention nouvelle au sens de l'article 564 précité et comme telle irrecevable en cause d'appel ;
Considérant que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ;
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Statuant dans la limite de la cassation partielle, Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société CDI Recyclage à verser à la société Esop la somme de 36 000 euros au titre de la rupture du contrat à titre de dommages et intérêts (montant inclus dans la condamnation prononcée à hauteur de 74 016,51 euros) ; Statuant à nouveau sur ce point ; Dit que la condamnation de la société CDI Recyclage à verser à la société Esop la somme de 38 016,51 euros à titre de dommages et intérêts est définitive ; Dit irrecevable la société Esop en ses demandes fondées d'une part, sur la rupture brutale d'une relation commerciale, d'autre part, sur la violation de la clause de non-concurrence ; Confirme le jugement entrepris pour le surplus ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; Condamne la société CDI Recyclage aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.