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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 24 octobre 2018, n° 16-11354

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Alembal (Sasu)

Défendeur :

Leipa Georg Leinfelder GmbH (Sté), Leipa France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Etevenard, Dechelette-Roy, Valcin

T. com. Lyon, du 26 nov. 2015

26 novembre 2015

Faits et procédure

La société Leipa Georg Leinfeld (dite par abréviation Leipa GmbH), société de droit allemand, a pour objet social la conception, fabrication et distribution de papier et de cartonnage ainsi que des produits issus de la transformation du papier et du carton, la fabrication et distribution de matériaux composites pour emballages souples imprimés et non imprimés et le traitement du papier et activités connexes ; sa filiale française la société Leipa France, immatriculée le 30 octobre 2002, distribuait en France les produits de la première.

A compter du 6 mai 1997, la société Leipa GmbH a confié, en qualité d'agent commercial, à la société Agence de Cartonneries Européennes (ACE) (qui a pour activité la commercialisation des cartons et complexes et plus généralement tous produits transformés à base de cartons) la vente de ses produits en France moyennant une commission à hauteur de 3 % des commandes reçues. Dans le même temps, la société Leipa GmbH a confié également à la même société, en qualité d'acheteur, la distribution de ses produits sur le territoire français.

Par acte du 22 décembre 2011, la société BBA Emballages, spécialiste du carton, a acquis 100 % des titres de la société ACE ; par acte du 20 septembre 2012, cette première société a cédé 100 % des parts de la société ACE à la société Alembal. Le 6 juillet 2012, la société ACE a donné en location-gérance son fonds de commerce de commercialisation de cartons et complexes et, plus généralement, de tous produits transformés à base de cartons, à cette dernière société. Le 28 décembre suivant, avec effet rétroactif au 1er avril 2012, la société ACE a été absorbée par la société Alembal elle-même filiale à 100 % de la société BBA Emballages, par suite du traité de fusion entre les deux premières sociétés du 22 octobre 2012. En avril 2012, la société Alembal a acquis le fonds de commerce de la société Cobalco, dont l'activité était "la représentation, commission, négoce, courtage, importation, exportation, transit, consignation de tous articles d'emballages et de conditionnement".

Suivant télécopie du 29 mai 2012, la société Leipa GmbH a résilié le contrat conclu entre l'Agence de Cartonneries Européennes et elle-même, ainsi que toutes relations contractuelles relatives à la vente et à la distribution de produits Leipa, sans préavis, pour faute grave.

Selon actes d'huissier des 28 mai et 13 juin 2013, la société Alembal a fait assigner les sociétés Leipa Georg Leinfelder et Leipa France pour solliciter l'indemnisation de la rupture du contrat d'agent commercial, la réparation tant de la rupture unilatérale, brutale des relations commerciales que d'actes de concurrence déloyale par voie de détournement de clientèle, devant le Tribunal de commerce de Lyon, lequel par jugement du 26 novembre 2015, a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

- pris acte que la société Leipa GmbH ne contestait plus la qualité à agir de la société Alembal pour le compte de la société ACE,

- estimé qu'il y avait eu lieu à rupture brutale et sans préavis du contrat d'agent commercial aux torts exclusifs de la société Leipa GmbH,

- dit abusive la rupture,

- condamné la société Leipa GmbH à payer à la société Alembal la somme de 56 100 euros au titre de l'indemnité de rupture de contrat,

- rejeté la demande de dommages et intérêts complémentaires pour indemnité de rupture ainsi que la demande de versement de commissions dues pendant la période de préavis non respecté,

- condamné in solidum les société Leipa GmbH et Leipa France à payer à la société Alembal la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale, outre la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que les dépens,

- rejeté toutes autres demandes. Suivant dernières écritures au fond signifiées le 31 août 2018, la Sasu Alembal, appelante, sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a condamné in solidum les sociétés Leipa GmbH et Leipa France à lui payer, pour le contrat d'agent commercial, une indemnité de fin de contrat de 56 100 euros et en ce qu'il a constaté que ces dernières se sont rendues coupables d'actes de concurrence déloyale à son encontre, mais l'infirmation pour le surplus, en estimant que la société Leipa GmbH a rompu brutalement les relations établies avec elle dans le cadre du contrat de distribution, qu'elle aurait du respecter un préavis d'au moins 14 mois, en réclamant la condamnation in solidum des sociétés Leipa GmbH et Leipa France à lui verser la somme de 200 005 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant de la rupture abusive, la somme de 1 766,68 euros HT au titre des commissions dues pendant la période de 3 mois de préavis non respecté et la somme de 7 012,50 euros HT pour les commissions dues postérieurement à la rupture du contrat d'agent commercial, outre la somme de 348 278 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale et celle de 25 000 euros en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile.

Selon dernières conclusions au fond signifiées le 7 septembre 2018, les sociétés Leipa GmbH et Leipa France, intimées formant appel incident, réclament:

- l'infirmation du jugement en ce qu'il a retenu une rupture brutale, sans préavis et abusive du contrat d'agent commercial aux torts exclusifs de la société Leipa GmbH, en ce qu'il a condamné cette dernière à payer à la société Alembal une somme de 56 100 euros à titre d'indemnité de rupture de contrat, en ce qu'il a condamné in solidum les sociétés Leipa GmbH et Leipa France à payer à la société Alembal la somme de 50 000 euros, au titre d'une concurrence déloyale,

- l'irrecevabilité et le rejet de la demande nouvelle en appel de condamnation in solidum de l'indemnité de rupture de contrat à l'encontre de la société Leipa France et de condamnation in solidum à l'encontre de la société Leipa France en paiement de dommages et intérêts au titre de la prétendue rupture abusive et brutale du contrat de distribution, le rejet des demandes de la société Alembal au titre de l'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial,

- la confirmation du jugement querellé en ce qu'il a rejeté la demande de la société Alembal en paiement de la somme de 1 766,68 euros au titre des commissions sur préavis, en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à dommages et intérêts complémentaires pour indemnité de rupture afférente au contrat de distribution et prétendue rupture abusive et brutale dudit contrat, en ce qu'il a rejeté les demandes de la société Alembal au titre de la concurrence déloyale,

- le rejet de la demande de la société Alembal en paiement de la somme de 7 012,50 euros représentant les commissions postérieures à la rupture,

- la condamnation de la société Alembal à payer à chacune d'entre elles la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par conclusions de procédure signifiées le 11 septembre 2018, la société Alembal demande le rejet des débats des conclusions et pièces régularisées par les intimées le 7 septembre 2018 et demande qu'il soit statué au vu des dernières conclusions et pièces des intimées en date du 20 juillet 2018.

Suivant conclusions de procédure du 10 septembre 2018, les sociétés Leipa GmbH et Leipa France souhaitent que soit écartée des débats la prétention de l'appelante visant au rejet des débats des conclusions et pièces régularisées par les intimées le 7 septembre 2018.

Motifs

Sur l'incident de procédure

La société Alembal sollicite, en vertu des articles 9, 14, 16 et 132 du Code de procédure civile, le rejet des débats des conclusions et pièces régularisées le 7 septembre 2018 par les sociétés Leipa GmbH et Leipa France, en soutenant que les parties disposaient du temps nécessaire pour se mettre en état puisqu'elles avaient été informées par un bulletin du greffe du 6 octobre 2017 du prononcé d'une ordonnance de clôture au 4 septembre 2018 et d'une audience de plaidoirie au 11 septembre 2018. Elle fait également valoir que les intimées n'ont pas conclu pendant 19 mois avant le 20 juillet 2018, qu'elle-même s'est efforcée de répondre le 31 août 2018, mais que les intimées ont conclu à nouveau le 7 septembre 2018 soit trois jours avant la date de clôture. Elle estime que les écritures du 7 septembre 2018 passant de 65 à 73 pages, étoffent de manière significative l'argumentation des sociétés Leipa, que sur les 8 nouvelles pièces communiquées par ces dernières, 7 pouvaient l'être au préalable, que tous les arguments soulevés dans les dernières conclusions pouvaient l'être dans les précédentes, de manière à lui permettre de disposer du temps nécessaire pour répondre. Elle considère qu'il ne lui est pas possible de répliquer car elle n'est pas en mesure d'obtenir en temps utile des informations de son client. Elle en déduit que le principe du contradictoire n'a pas été respecté, que les intimées ont sciemment attendu l'avant veille de la clôture pour invoquer des moyens, demandes et pièces nouvelles, qu'elle n'a pas disposé du temps nécessaire pour soumettre ces nouveaux éléments à son client, recevoir ses instructions, dresser un projet de conclusions en réplique, obtenir l'aval du client puis les signifier en l'espace d'un week end.

Les sociétés Leipa GmbH et Leipa France objectent que l'ordonnance de clôture a été reportée du 4 au 11 septembre 2018 pour leur permettre de répondre aux conclusions de l'appelante du 31 août 2018, aux termes desquelles celle-ci modifie son argumentaire sur la chronologie des fautes et leur dénonciation, sur la preuve de l'activité de la société Alembal. Elles prétendent donc que leurs propres arguments ont été developpés en lien avec ceux présentés par l'appelante et étaient en conséquence légitimes pour leur défense comme la production de pièces nouvelles. Elles sollicitent d'écarter la demande de rejet de leurs écritures et pièces communiquées le 7 septembre 2018.

Il convient d'observer, d'une part, que la société Alembal ayant conclu en dernier lieu le 31 août 2018, l'ordonnance de clôture du 4 septembre 2018 a été reportée au 11 septembre 2018, de sorte que les écritures en réponse des intimées du 7 septembre 2018 ont été communiquées dans le délai imparti, d'autre part, qu'il apparaît de la lecture des conclusions du 31 août 2018 que la société appelante a modifié son argumentation sur plusieurs points relatifs à la concurrence entre les parties avant la rupture, la segmentation du marché, la chronologie des fautes et leur dénonciation, la preuve de l'activité de la société Alembal, le préavis et la poursuite des relations entre les parties, si bien que les écritures litigieuses des sociétés Leipa n'ont été qu'une réplique aux conclusions adverses sans moyen ou demande nouvelle, de sorte qu'il n'y a pas eu d'atteinte aux droits de la défense.

En conséquence, le principe du contradictoire ayant été respecté, la demande de rejet des conclusions du 7 septembre 2018 des sociétés Leipa formée par la société Alembal ne saurait prospérer.

Sur le contrat d'agent commercial

La société appelante Alembal, venant aux droits de la société ACE, reproche à la société Leipa GmbH d'avoir rompu le contrat d'agent commercial sans préavis et sans justifier d'une faute grave.

Elle conteste la situation de concurrence sur un même marché alléguée par les intimées, puisque selon elle les sociétés en cause dans le présent litige répondent à des besoins différents et s'adressent à des clientèles spécifiques ; à cet effet, elle explique que le marché de l'emballage industriel est scindé en deux : le marché de l'emballage d'expédition (servant à conditionner et expédier les produits) avec son marché spécifique de carton dit ondulé et le marché de l'emballage de routage (film plastique), et ce, par opposition au marché de l'emballage de présentation utilisé pour créer des emballages de présentation (boîtes à chaussures, boîtes de parfum, de chocolat ou calendrier, reliures de livres....) et réalisé en carton plat, dit gris ou compact. Elle fait valoir que les parties en cause interviennent sur des segments différents du marché de l'emballage évinçant toute situation de concurrence entre elles:

- la société Leipa et la société ACE interviennent toutes deux sur le marché de l'emballage du carton plat, la première au stade amont de la production, la seconde au stade aval de la commercialisation,

- la société BBA Emballages est généraliste de l'emballage industriel et plus spécialement des emballages d'expédition en carton ondulé,

- la société Alembal est spécialisée dans les films et emballages techniques pour routage en matière plastique,

- la société Cobalco est une aussi une société généraliste de l'emballage d'expédition.

Elle réclame en conséquence réparation du préjudice résultant de la perte pour l'avenir des revenus tirés de la vente des produits de la société Leipa, le paiement des commissions dues pendant la durée de préavis non exécuté et le paiement des commissions dues sur les commandes passées postérieurement à la cessation des relations.

Les sociétés Leipa répliquent que la société ACE n'a pas respecté son obligation essentielle d'information en participant à la constitution d'un groupe concurrent. Elles lui font également grief d'avoir manqué à son obligation de loyauté essentielle au mandat d'intérêt commun par application de l'article L. 134-4 du Code de commerce ; elles soutiennent enfin que la société ACE a commis une faute en ne demandant pas l'accord du mandant pour transférer le contrat d'agent commercial. Elles estiment en conséquence que ces fautes graves privent l'appelante de toute indemnité de préavis et de rupture.

La société Leipa GmbH soutient, en premier lieu, qu'en ne présentant pas son éventuel successeur, de surcroît concurrent, à son approbation, la société ACE (absorbée par la société Alembal) a commis une faute grave, exonératoire de toute indemnité réparatrice ou de préavis, ce que conteste cette dernière.

Conformément à l'article L. 134-13 3° du Code de commerce, l'agent commercial ne peut céder à un tiers les droits et obligations qu'il détient en vertu du contrat d'agence qu'avec l'accord du mandant.

Aussi, en cédant le 22 décembre 2011, 100 % de ses titres à la société BBA Emballages, puis le 20 septembre 2012 à la société Alembal, la société ACE n'a pas cédé ses droits et obligations résultant du contrat d'agent commercial, puisque au moment de la rupture du 29 mai 2012 la société ACE avait toujours la qualité d'agent commercial et était encore titulaire du contrat d'agence commerciale.

La mise en location-gérance de la société ACE, puis sa fusion avec la société Alembal et enfin sa radiation du registre du commerce sont postérieures à la rupture du contrat d'agence commerciale.

Dés lors, en l'absence de transmission du contrat d'agence commerciale le premier moyen soulevé par l'appelante est inopérant.

La société Leipa GmbH reproche, en deuxième lieu, à la société Alembal une violation de son obligation essentielle d'information, niée par cette dernière.

Aux termes de l'article L. 134-4 du Code de commerce : "Les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties. Les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information".

Or il ressort de la lettre du 5 mars 2012 (pièce 3 des intimées) adressée par la société ACE à la société Leipa GmbH que cette dernière n'a été informée du rachat à 100 % des titres de la première le 21 décembre 2011 par une société BBA Emballages décrite dans ce courrier comme la " spécialiste nationale dans les fournitures et matériaux d'emballage ", que trois mois plus tard. Au demeurant, celle-ci dans une correspondance du 6 mars 2012 envoyée à la société Leipa Gbmh (pièce 5 des intimées) reconnaît les insuffisances de cette présentation de changement de direction, le retard dans l'information donnée, et, s'excuse de son manque de considération envers elle.

L'appelante ne peut aujourd'hui sérieusement soutenir que ce changement ne nécessitait pas d'information, comme n'emportant pas la cession du contrat d'agent commercial, dès lors qu'il impliquait une prise de contrôle de la société ACE par une autre société, un changement d'actionnariat, et en conséquence de nouvelles prises de décisions ainsi qu'un changement de direction. La violation par la société ACE (absorbée par la société Alembal) du devoir général d'information, susceptible d'entacher la confiance entre les parties, est donc avérée, d'autant plus que le représentant de la société BBA Emballages, M. Rollin, s'est déclaré, par lettre du 6 mars 2012, trop occupé pour une rencontre et a informé la société Leipa Gbmh que M. Deslandes, responsable d'ACE, ne pouvait communiquer ni en langue allemande ni en langue anglaise ; M. Rollin a également déclaré vouloir développer la société ACE, alors qu'aux termes du contrat de fusion entre la société ACE et la société Alembal du 22 octobre 2012, il est précisé que la société Alembal aura la jouissance des biens de la société ACE à compter rétroactivement du 1er avril 2012, ce qui démontre la réorganisation matérielle des activités dès la prise de contrôle de la société ACE par la société Emballages. Le président de la société Alembal, qui n'a acquis les titres composant le capital social de la société ACE que "pour permettre au groupe un renforcement de son développement commercial dans la région Ile-de-France" (traité de fusion, page 2) est un autre membre de la famille Rollin.

En troisième lieu, la société Leipa GmbH fait grief à l'appelante d'avoir manqué à son obligation de loyauté essentielle au mandat d'intérêt commun.

Il convient d'abord d'observer, que la dichotomie entre les activités des sociétés en cause revendiquée par l'appelante (emballage de présentation et emballage d'expédition) ne fait l'objet d'aucune démonstration et ne ressort que des seules allégations de cette dernière. De même, sa description des divers champs d'activité des parties sur des segments divers n'est établie par aucune pièce. Enfin l'allégation selon laquelle chaque société aurait des concurrents différents n'est pas davantage justifiée. La société appelante se contente donc de procéder par voie d'affirmation.

Pour leur part, les intimées invoquent trois autres présentations du marché de l'emballage:

- marché du carton plat ou du carton ondulé

- par familles de produits :

* caisse d'emballage, type carton de déménagement

* papier, type magazine

* Kraft, type enveloppe

* conditionnements industriels, type protection,

* emballages plastiques,

* emballages complexes.

- trois types d'emballage visés à l'article R. 543-43 du Code de l'environnement selon lequel l'emballage est constitué uniquement de:

1) l'emballage de vente ou emballage primaire, c'est-à-dire l'emballage conçu de manière à constituer au point de vente, un article destiné à l'utilisateur final ou au consommateur,

2) l'emballage groupé ou emballage secondaire, c'est-à-dire l'emballage conçu de manière à constituer au point de vente, un groupe d'un certain nombre d'articles qu'il soit vendu à l'utilisateur final ou au consommateur ou qu'il serve seulement à garnir les présentoirs aux points de vente,

3) l'emballage de transport ou emballage tertiaire, c'est-à-dire l'emballage conçu de manière à faciliter la manutention et le transport d'un certain nombre d'articles ou d'emballages groupés en vue d'éviter leur manipulation physique et les dommages liés au transport.

Si l'on se rapporte à la première présentation des intimées (marché du carton plat ou du carton ondulé), laquelle se rapproche de celle proposée par l'appelante, il résulte des extraits du site internet (pièces 36 et 37 des intimées) que la société Leipa GmbH évolue sur le marché du carton ondulé au moins depuis 2001 pour le testliner blanc, dont il n'est pas contesté, qu'il est le constituant principal du carton ondulé et des intercalaires, et ce, contrairement à ce que soutient l'appelante, ce marché constituant d'ailleurs, selon la documentation du ministère de l'Economie et de l'Emploi (pièce 38 des intimées), le principal segment de l'emballage en papier carton.

Par ailleurs, l'appelante reconnaît dans ses écritures que les sociétés Emballages et Cobalco (dont l'activité est celle de négoce, courtage, importation, exportation, transit, consignation de tous articles d'emballage et de conditionnement et toutes opérations accessoires selon la pièce 10 des intimées et qui a été acquise en avril 2012 par la société Alembal) sont aussi sur le marché du carton ondulé, de sorte que ces trois sociétés susmentionnées (Leipa GmbH, Emballages et Colbalco) sont bien en situation de concurrence sur ledit marché.

La seconde présentation par famille de produits peut être appréhendée de manière globale par les informations données au registre du commerce et des sociétés, les statuts ou sur le site internet, faute pour l'appelante de verser aux débats d'autres pièces de nature à démontrer sa thèse sur le marché de l'emballage (de présentation et d'expédition). Ainsi, l'objet de la société BBA Emballages (pièce 39 des intimées) est la fabrication et la vente de tout matériel industriel et d'articles destinés à l'emballage, le stockage et la manutention tandis que celui de la société Leipa GmbH (pièce 33 des intimées) est la conception, fabrication et distribution de papier et de cartonnage ainsi que de produits issus de la transformation du papier et du carton, fabrication et distribution de matériaux composites pour emballages souples, traitement du papier et activités connexes, de sorte que leurs activités offrent de grandes similitudes. De plus, la société Leipa GmbH vend à la fois des caisses d'emballage, des conditionnements industriels, du kraft et du papier évoluant en conséquence à la fois sur les marchés de l'emballage d'expédition et de présentation décrits par l'appelante. Enfin, les premiers produits proposés sur le site internet de la société BBA Emballages sont des matériels de cartonnage et d'emballage et pas seulement des plaques de palettisation ou plaques intercalaires en carton ondulé, comme le soutient l'appelante.

Il doit être déduit de ces divers éléments une situation au moins partielle de concurrence entre la société Leipa Gbmh et la société ACE, absorbée par la société Alembal. En conséquence, la société ACE a commis une faute grave en dissimulant à la société Leipa Gbmh, qui aurait été en droit de s'y opposer, qu'une société concurrente a pris son contrôle juridique et décisionnel. Contrairement à ce que prétend la société appelante, il importe peu que la société Leipa GmbH n'ait fait mention dans sa lettre de résiliation que d'une faute grave, sans en expliciter sa nature, dès lors que le manquement à l'obligation de loyauté, essentielle au mandat d'intérêt commun, a été commis par la société ACE antérieurement à la rupture.

A bon droit, les intimées font valoir que cette faute grave, empêchant la poursuite d'intérêts communs, prive en application de l'article 134-13 1° du Code de commerce l'appelante de toute indemnité de rupture et de préavis.

Dans ces conditions, la décision des premiers juges sera infirmée sur la rupture brutale et abusive du contrat d'agent commercial aux torts exclusifs de la société Leipa GmbH et la condamnation de cette dernière à verser à la société Alembal une indemnité de rupture de contrat mais sera confirmée sur le rejet des demandes formées par la société Alembal relatives à des dommages et intérêts complémentaire pour indemnité de rupture et à des commissions dues pendant la période de préavis non respecté.

Sur le contrat de distribution

La société Alembal revendique l'existence d'un contrat de distribution signé avec la société Leipa GmbH le 6 mai 1997 et sa qualité de distributeur exclusif pour la gamme de carton gris (achat/revente de produits de cette dernière) sur le territoire français. Elle reproche à cette dernière d'avoir abusivement et brutalement rompu ledit contrat en violation des dispositions de l'article L. 442-6-1-5° du Code de commerce et sollicite réparation de son préjudice.

La société Leipa Gbmh rétorque que les conditions de l'article susmentionné ne sont pas réunies, en ce que le caractère établi de la relation commerciale n'est pas démontré, que la durée et l'intensité de la relation ne sont pas justifiées, que la rupture n'a pas été brutale et la faute commise par la société Alembal est, en tout état de cause, exclusive d'un préavis et d'indemnités.

Aux termes de l'article L. 442-6-I, 5e du Code de commerce :

"Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait par tout producteur, commerçant industriel ou personne immatriculée au registre des métiers (...) de rompre brutalement, même partiellement une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce par des accords interprofessionnels.

Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure".

Au cas particulier aucune des parties ne verse aux débats un contrat écrit de distribution. Néanmoins, il ressort de l'ensemble des pièces produites (n° 28 à 31, 39 à 42 de l'appelante relatives à des factures et attestations du commissaire aux comptes, puis pièces 34 et 35 de l'appelante) la preuve de relations commerciales suivies, régulières et d'une certaine intensité entre les parties en cause au moins depuis 2002, dès lors que la seule télécopie datant du 6 mai 1997 ne vise que le contrat d'agence commerciale de la société ACE et le courrier du 14 décembre 1998 n'émane pas de la société Leipa mais d'une société Siegwald. En l'absence de communication de toute pièce comptable contraire communiquée par la société Leipa GmbH, la valeur probante de l'attestation de la société Sogeco, professionnel de la comptabilité, ne saurait être sérieusement remise en cause par les intimées.

L'appelante, sur laquelle repose la charge de la preuve de la clause d'exclusivité qu'elle revendique, démontre par ses pièces 6, 7 et 17 avoir bénéficié d'une telle clause dans le cadre du contrat de distribution limitée seulement aux produits " carton gris " ; en effet, dans les courriels du 12 juillet 2012, la société Leipa France annonce aux clients la " reprise de la commercialité du Carton Gris par le groupe papetier Leipa et son bureau français, la vente de ce produit étant auparavant sous la responsabilité de notre partenaire ACE ".

Mais pour sa défense la société Leipa GmbH fait valoir à juste titre que la société ACE dispose d'autres contrats d'approvisionnement, de sorte qu'elle n'apparaît pas comme un distributeur exclusif au moins pour les produits autres que le carton gris, ainsi qu'il ressort de la convention de cession de parts au profit de la société BBA Emballages du 22 décembre 2011. Par ailleurs, il est établi que la société Leipa GmbH a continué à livrer des produits de la gamme carton gris à la société Alembal (pièces n° 9, 23, 24, 25, 26 et 31 des intimées portant sur des factures de juillet à décembre 2012, de janvier à mai 2013, de juin à novembre 2013, janvier à mars 2014, janvier 2014 à juin 2016 et pièce n° 19 de l'appelante relative aux commandes réalisées par la société Alembal) au moins jusqu'en juin 2016, de sorte que la rupture des relations d'affaires le 29 mai 2012 à l'initiative de la société Leipa GmbH ne peut être qualifiée de brutale, étant observé que la société Alembal ne justifie par aucune pièce qu'elle ne pouvait trouver d'autres fournisseurs, alors qu'elle-même précise dans ses conclusions que la société Leipa a en France les concurrents suivants : Oudin, Chouanard, Hermet, Kaysesberg et Smurfit. En outre, il convient de relever que le volume des commandes de la société Alembal s'est élevé entre 2012 et 2016 à la somme conséquente et globale de 438 024,08 euros, sans que l'appelante n'établisse que d'autres de ses commandes n'auraient pas été honorées.

La société Alembal invoque encore un argument selon lequel la société Leipa GmbH aurait augmenté unilatéralement les conditions tarifaires proposées à la société ACE, alors que ces modifications n'étaient pas appliquées aux autres clients, et ce, dans le seul but d'évincer du marché la société ACE, ce qui selon elle, constitue une rupture brutale des relations commerciales établies.

Toutefois, il ne ressort pas des factures versées aux débats par les intimées (pièces 27, 28, 29) que la société Leipa GmbH ait modifié ses tarifs de manière substantielle et arbitraire ; les deux exemples choisis par l'appelante pour sa démonstration ne sont pas probants, dès lors que la société Leipa explique le tarif plus intéressant proposé à la société Cenpac par le volume de la commande 5 fois plus élevé que celui de la société Alembal. Pour la société Jurembal elle soutient lui avoir proposé au 12 septembre 2012 un prix d'achat de 45 à 57 euros / 100 kg, ainsi qu'il résulte de la pièce 17 de l'appelante et à la société Alembal un prix de 44 à 45 euros / 100gr. Ce grief de modification tarifaire ne saurait donc être analysé comme valant rupture de la relation commerciale.

Enfin, il importe de relever que la faute commise par la société ACE tenant au non-respect de l'obligation de loyauté, en raison de la dissimulation de son rachat par la société BBA Emballages et de la situation de concurrence ainsi créée, analysée ci-dessus, prive la société Alembal de son droit à préavis au sens de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce et de toute indemnité. La décision des premiers juges sera en conséquence infirmée en ce qu'ils ont retenu pour le contrat de distribution une rupture brutale et abusive des relations commerciales établies, mais sera confirmée en ce qu'ils ont rejeté la demande de dommages et intérêts pour indemnité de rupture. La demande nouvelle de 200 005 euros HT formée par la société Alembal en réparation du préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies dans le cadre du contrat de distribution ne peut en conséquence qu'être rejetée.

Sur les actes de concurrence déloyale

La société Alembal reproche aux sociétés Leipa d'avoir commis des actes de concurrence déloyale caractérisés par le détournement de la clientèle de la société ACE, d'une part, en adressant des mails aux clients de cette dernière, d'autre part, en vendant les produits de la société ACE à des tarifs ne lui permettant pas de s'aligner sur les prix proposés par la société Leipa France ; elle réclame en conséquence l'indemnisation de son entier préjudice à ce titre.

Pour leur part, les sociétés Leipa contestent avoir commis des actes de concurrence déloyale.

Il est de principe qu'en application de la liberté du commerce et de la libre concurrence, la clientèle n'est susceptible d'aucun droit privatif ; son démarchage ne constitue donc pas en soi un acte de concurrence déloyale s'il ne s'accompagne pas de manœuvres déloyales.

En l'espèce la société Alembal apporte la preuve que deux courriels ont été adressés le 12 juillet 2012 aux sociétés Derville et Boucaud. Leur analyse montre que ces correspondances sont de nature informative, ne contiennent aucun propos dénigrant de cette dernière dès lors que les clients sont informés d'une " reprise de la commercialité du carton gris par le groupe papetier Leipa et son bureau français, la vente de ce produit était auparavant sous la responsabilité de notre partenaire. Leipa souhaite être plus proche des préoccupations de sa clientèle (..) nous avons le plaisir de vous compter parmi notre clientèle et restons à votre disposition pour toute demande particulière ou passation de commande ". Ces courriels n'entretiennent donc aucune confusion entre les sociétés Leipa et ACE/Alembal et n'ont aucun caractère comminatoire. Par ailleurs l'appelante reconnaît que la société Leipa GmbH, qui procédait à des livraisons soit à la société ACE soit directement aux clients, avait une libre connaissance des coordonnées de ceux-ci. Enfin, l'affirmation de la société ACE/Alembal, selon laquelle elle était privée de la possibilité de prendre contact avec ses clients pour leur proposer une solution de substitution n'est corroborée par aucun élément de preuve, eu égard à l'existence de concurrents en France de la société Leipa.

Dans ces conditions la société Alembal, qui a la charge de la preuve, ne démontre pas l'existence de manœuvres déloyales commises par les sociétés Leipa dans l'envoi de ces deux uniques courriels.

L'appelante fait également grief aux sociétés Leipa d'avoir proposé aux clients de la société ACE des prix plus avantageux que les tarifs proposés à cette dernière, afin de les détourner à son profit et d'évincer du marché son ancien partenaire ; pour le démontrer, elle évoque le cas de trois clients (Cenpac, Jurembal et Cartonage du Chateau).

Selon l'article L. 410-2 du Code de commerce les prix des biens, produits et services sont librement déterminés par le jeu de la concurrence. Toutefois les pratiques tarifaires discriminatoires peuvent être sanctionnées dans le cadre de l'article L. 420-2 du Code de commerce (abus de position dominante, prix anormalement bas désorganisant le marché, exploitation abusive d'un état de dépendance économique...).

En l'espèce il apparaît des pièces versées aux débats, que la société Leipa a procédé à deux augmentations des prix le 13 mars 2012, le prix étant passé de 43 euros / 100 kg à 47 euros / 100 kg et le 26 octobre 2012, le prix a été porté à 51 euros / 100 kg. Il n'est pas contesté que la première augmentation est due à celle de l'augmentation du coût de la matière première et la seconde à un manque de rentabilité.

Outre que l'article L. 442-6, II, d du Code de commerce interdit de demander comme l'a fait la société Alembal, un alignement sur des conditions plus privilégiées accordées par un fournisseur à un client, la société Leipa GmbH démontre que le prix inférieur fixé par elle à la société Cenpac était lié au volume de marchandises commandées (2 tonnes pour le client de la société Alembal (DVV Logistic) contre 15,3 tonnes pour le client Cenpac), de sorte qu'aucun abus ne peut être reproché à la société Leipa GmbH. Pour le client Jurembal, le fournisseur justifie qu'à la date du 12 septembre 2012, il a proposé à celui-ci un prix de 45 euros / 100 kg pour des cartons gris de formats normaux et 57 euros / 100 kg pour des cartons gris de petits formats, alors qu'à la même période les prix proposés à la société ACE étaient de 44 à 45 euros / 100 kg, puisque la hausse n'interviendra que le 26 octobre 2012. Pour le client Cartonnage du Chateau, la société Leipa reconnaît que le prix de 47 euros / 100 kg est le résultat d'une négociation ; toutefois cette remise n'est pas constitutive d'une pratique illicite, au regard de la position de la société Leipa GmbH, dont aucune des parties n'allègue une position dominante sur le marché de l'emballage.

Dès lors, la pratique d'un prix inférieur ne constituant pas en soi un acte de concurrence déloyale dès lors qu'il n'est pas démontré que ce prix est dérisoire ou excède les usages du commerce soumis au principe de l'économie libérale, l'appelante n'établit pas que la société Leipa GmbH ait commis des actes déloyaux, ou une faute résultant d'une atteinte à la libre concurrence.

En conséquence la décision des premiers juges sera infirmée en ce qu'elle a condamné in solidum les sociétés Leipa à payer à la société Alembal la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale.

Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Rejette la demande de la société Alembal visant à écarter des débats les conclusions et pièces communiquées le 7 septembre 2018 par les sociétés Leipa ; Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 26 novembre 2015 par le Tribunal de commerce de Lyon, hormis pour les dispositions relatives à la qualité à agir de la société Alembal, au rejet des dommages et intérêts complémentaires pour indemnités de rupture, au rejet du versement de commissions dues pendant la période de préavis non respecté ; Statuant à nouveau des chefs infirmés, Dit la rupture du contrat d'agent commercial de la société ACE/Alembal par la société Leipa GmbH non brutale et non abusive ; En conséquence, Rejette les demandes d'indemnité formées à ce titre par la société Alembal ; Dit la rupture du contrat de distribution de la société ACE/Alembal par la société Leipa GmbH non brutale et non abusive et rejette en conséquence toute demande d'indemnité à ce titre ; Déboute la société Alembal de sa demande au titre de la concurrence déloyale et de ses demandes indemnitaires à ce titre ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Alembal aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.