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Décisions

Cass. com., 24 octobre 2018, n° 17-16.011

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Nordis (SARL)

Défendeur :

Leader Price exploitation (SAS) , Franprix Holding (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Rapporteur :

Mme Poillot-Peruzzetto

Avocat général :

M. Richard de la Tour

Avocats :

SCP Potier de La Varde, Buk-Lament, Robillot, SCP Piwnica, Molinié

T. com. Paris, 1re ch. A, du 16 févr. 20…

16 février 2015

LA COUR : - Vu leur connexité, joint les pourvois n° 17-16.011 et 17-21.807 ; - Attendu, selon les arrêts attaqués (Paris, 2 février 2017, rectifié le 6 juillet 2017), que la société Normandie distribution Nordis (la société Nordis), qui a une activité d'édition, avait une relation commerciale établie avec la société Franprix Holding (la société Franprix) depuis 1972 ainsi qu'avec la société Leader Price Holding devenue la société Leader Price exploitation (la société Leader Price) depuis 1988 ; que reprochant à ces deux sociétés la rupture brutale de ces relations commerciales, la société Nordis les a assignées en indemnisation de ses préjudices, respectivement pour défaut de préavis et préavis insuffisant ;

Sur le moyen unique du pourvoi n° 17-16.011 : - Attendu que la société Nordis fait grief à l'arrêt de limiter à une certaine somme le montant de la condamnation de la société Leader Price au titre du préjudice résultant de la brutalité de la rupture et de rejeter ses demandes contre la société Franprix alors, selon le moyen : 1°) que la société Nordis, faisait valoir, dans ses conclusions d'appel, que la société European Creation, dont elle affirmait que les relations commerciales avec la société Franprix avaient débuté en 2001, soit avant la rupture des relations commerciales litigieuses, n'avait " jamais été associée directement ou indirectement aux relations commerciales ayant existé entre, d'une part, la société Nordis et la société Leader Price, et la société Nordis et la société Franprix, d'autre part " ; que dès lors, en affirmant, pour juger, d'une part, que le délai de préavis de douze mois octroyé par la société Franprix à la société Nordis était suffisant et d'autre part, que la société Leader Price aurait dû lui accorder un préavis de la même durée, que la société Nordis n'avait pas contesté avoir poursuivi son flux d'affaires avec Franprix grâce à la création de la société European Creation, et qu'en conséquence, la poursuite des relations de cette dernière avec la société Franprix et le potentiel de reconversion de la société Nordis mais également de la société European Creation au sein du groupe Casino, devaient être pris en considération dans l'appréciation de la durée du préavis octroyé par la société Franprix et de celui que la société Leader Price aurait dû octroyer, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du Code de procédure civile ; 2°) que la seule circonstance que l'auteur de la rupture de relations commerciales établies soit en relation d'affaires avec une autre société du groupe que la victime, fût-ce sa société mère, dotée des mêmes dirigeants, est sans incidence sur l'appréciation de la durée du préavis ; qu'en relevant, pour juger que la durée de douze mois du préavis octroyé par la société Franprix à la société Nordis était adaptée aux circonstances et à la durée de leurs relations commerciales (40 ans), que cette dernière n'avait pas contesté avoir pu poursuivre des relations d'affaires avec Franprix, voire l'augmenter grâce à la création d'une société holding ayant les mêmes dirigeants que la société Nordis, la société European Création, la cour d'appel qui s'est fondée à tort sur l'existence d'un flux d'affaires entre la société mère de la société Nordis et la société Franprix a violé l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce ; 3°) que la durée du préavis qui doit être appréciée en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la notification de la rupture ne peut également être établie en considération de flux d'affaires existant entre une société appartenant au même groupe que l'auteur de la rupture, fût-ce une société soeur, et une autre société du groupe de la victime de la rupture, fût-ce sa société mère ; qu'en relevant, pour juger que la société Leader Price aurait dû octroyer un préavis de douze mois à la société Nordis au titre de la rupture leur relation commerciale, que l'ancienneté de leur relation (près de 20 ans) devait être notamment pondérée par le potentiel de reconversion de la société Nordis mais également de sa holding, la société European Creation, au sein du groupe Casino, après avoir constaté que cette dernière était en relation d'affaires avec la société Franprix, la cour d'appel qui s'est ainsi fondée sur les flux d'affaires existant entre la société mère de la société Nordis et une société soeur de la société Leader Price a violé l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce ; 4°) que la durée du préavis qui doit être appréciée en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la notification de la rupture ne peut être établie en considération de circonstances postérieures à notification de ladite rupture ; qu'en énonçant, pour juger que la durée de douze mois du préavis octroyé par la société Franprix à la société Nordis était adaptée aux circonstances et à la durée de leurs relations commerciales (40 ans), non seulement que cette dernière n'avait pas contesté avoir pu poursuivre des relations d'affaires avec Franprix, voire l'augmenter grâce à la création de sa holding, la société European Création, et que, de surcroît, cette dernière était encore en relations d'affaires avec Franprix au jour où elle statuait, la cour d'appel qui s'est ainsi fondée à tort sur des circonstances postérieures à la notification de la rupture a violé l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce ; 5°) qu'en énonçant encore, pour juger que la société Leader Price aurait dû octroyer un préavis de douze mois à la société Nordis au titre de la rupture de leur relation commerciale, que l'ancienneté de leur relation (près de 20 ans) devait être notamment pondérée par le potentiel de reconversion de la société Nordis mais également de sa holding, la société European Creation, au sein du groupe Casino, après avoir constaté que la société Nordis avait poursuivi ses relations d'affaires avec la société Franprix grâce à la création de la société European Création et que ces deux dernières étaient encore en relations d'affaires, la cour d'appel qui s'est ainsi fondée sur des circonstances postérieures à la notification de la rupture a violé l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce ; 6°) que lorsqu'en cas de rupture d'une relation commerciale établie, le préavis est insuffisant, le préjudice en résultant pour la victime est évalué en fonction de la durée du préavis qu'aurait dû respecter le cocontractant au regard de la durée de la relation ayant existé entre les parties et en considération de la marge perdue par la victime durant ledit préavis qui n'a pas été exécuté ; qu'en appliquant, pour déterminer le préjudice subi par la société Nordis résultant de la brutalité de la rupture de sa relation commerciale avec la société Leader Price, le taux de marge brute de 30,17 % appliqué par Nordis à l'égard de la société Franprix, après avoir pourtant justement rappelé que le préjudice devait être évalué en considération de la marge brute escomptée durant la période de préavis qu'aurait dû respecter le cocontractant, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations violant ainsi l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce ; 7°) que la société Nordis produisait aux débats les extraits de ses grands livres pour les exercices de 2003 à 2009, concernant sa relation avec Leader Price, ses bilans et comptes de résultats pour les exercices de 2004 à 2009, les soldes intermédiaires de gestion pour la période du 1er avril 2006 au 31 octobre 2007, et du 1er novembre 2008 au 31 octobre 2009 dont il résultait que son taux de marge brute globale avec la société Leader Price était de 43,13 % pour l'exercice clos le 31 octobre 2007 (19 mois), de 43,93 % pour l'exercice clos le 31 mars 2006 (12 mois) et de 43,90 % pour l'exercice clos le 31 mars 2005 (12 mois) et l'attestation de son expert-comptable attestant de la régularité et de la sincérité des documents comptables précités et de la conformité des taux de marge brute ; qu'en se bornant à énoncer, pour appliquer le taux de marge brute globale de 30,17 % appliqué par Nordis à l'égard de Franprix, que rien ne justifie qu'il soit fixé à 43 % à l'égard de Leader Price, sans analyser aucun des éléments comptables précis et sincères produits aux débats, au besoin même pour les écarter, la cour d'appel qui n'a pas motivé sa décision, a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, que la durée du préavis suffisant s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances, notamment de l'état de dépendance économique du partenaire évincé, au moment de la notification de la rupture ; qu'après avoir relevé que la poursuite d'un courant d'affaires entre la société Nordis ou sa holding, la société European Creation, et la société Franprix était sans incidence sur la caractérisation d'une rupture brutale de la relation commerciale ayant existé entre les sociétés Nordis et Leader Price, les sociétés Leader Price et Franprix étant juridiquement distinctes et les flux d'affaires toujours séparés, l'arrêt retient que l'appréciation de la durée du préavis doit prendre en considération la création de la société holding European Creation ayant les mêmes dirigeants que la société Nordis, au regard notamment de la possibilité pour cette dernière de se reconvertir facilement et de s'ouvrir vers un marché facile d'accès, pour des produits identiques, au sein d'un même groupe ; qu'il retient encore, s'agissant de la relation commerciale entre la société Nordis et la société Leader Price, qu'il doit être tenu compte des possibilités de reconversion de la société Nordis et de sa faible dépendance économique ; qu'il retient ensuite, s'agissant de la relation commerciale entre la société Franprix et la société Nordis, que cette dernière n'ignorait pas que celle-ci était devenue précaire à partir de 2007 ; qu'il relève que la durée de préavis de douze mois dont a bénéficié la société Nordis, à partir de la notification de l'appel d'offres lancé par la société Franprix, est supérieure à celle prévue par les usages professionnels applicables dans le secteur de l'imprimerie et retient qu'elle est adaptée aux circonstances particulières et à la durée de la relation commerciale ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations et, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les quatrième et cinquième branches, c'est sans méconnaître les termes du litige ni confondre la société Nordis et sa société mère, que la cour d'appel a statué comme elle a fait ;

Et attendu, en second lieu, que c'est souverainement que la cour d'appel a retenu qu'un taux de marge brute de 30,17 % devait être appliqué à la moyenne du chiffre d'affaires des trois dernières années ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et sur le moyen unique du pourvoi n° 17-21.807 : - Attendu que la société Nordis fait grief à l'arrêt du 6 juillet 2017 de rectifier l'arrêt rendu le 2 février 2017 quant au montant de la condamnation prononcée contre la société Leader Price alors, selon le moyen : 1°) que la cassation d'un arrêt entraîne par voie de conséquence l'annulation de toute décision qui en est la suite, l'application ou l'exécution ou qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire ; que la cassation à intervenir de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 2 février 2017 frappé du pourvoi 17-16.011 entraînera l'annulation par voie de conséquence de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 6 juillet 2017 qui le rectifie et partant, s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire, en application de l'article 625 du Code de procédure civile ; 2°) que si les erreurs ou omissions matérielles affectant une décision peuvent être réparées par le juge qui l'a rendue, celui-ci ne peut modifier les droits et obligations reconnus aux parties par cette décision ; qu'en affirmant, pour ordonner la rectification de l'arrêt du 2 février 2017, par lequel la cour d'appel avait condamné la société Leader Price à payer à la société Nordis la somme de 885 036,95 euros au titre du préjudice subi du fait de la rupture brutale de leurs relations commerciales, et ramener, sous couvert d'erreur matérielle, la condamnation prononcée à hauteur de 759 616,84 euros, que le préjudice de la société Nordis devait être calculé par application du taux de marge brute sur la moyenne arithmétique des chiffres d'affaires des trois derniers exercices précédant la rupture (en prenant en considération le chiffre d'affaires de chaque exercice divisé par le nombre de mois civils qui le compose) et non sur la moyenne comptable des trois derniers chiffres d'affaires (soit la moyenne du chiffre d'affaires de chaque exercice, indépendamment du nombre de mois civils qui le compose), la cour d'appel qui a ainsi modifié les droits et obligations des parties et violé l'article 462 du Code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, que le rejet du moyen du pourvoi n° 17-16.011 rend le moyen, pris en sa première branche, sans portée ;

Et attendu, d'autre part, qu'ayant relevé que les motifs de l'arrêt du 2 février 2017 précisaient que l'indemnité due à la société Nordis devait être calculée en appliquant " le taux de marge brute à la moyenne du chiffre d'affaires annuel des trois dernières années " et constaté que les chiffres d'affaires pris en compte dans la décision couvraient une période de quarante-trois mois et non de trente-six mois ainsi que retenu, par erreur, par cet arrêt, c'est sans modifier les droits et obligations des parties ni la méthode de détermination du préjudice qui avait été retenue, que la cour d'appel, qui s'est bornée à rectifier l'erreur purement matérielle affectant le montant du chiffre d'affaires annuel moyen à prendre en compte, a statué comme elle a fait ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs : rejette les pourvois.