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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 17 octobre 2018, n° 18-02214

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Amrest Delco France (SAS)

Défendeur :

DLBP (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Roy-Zenati

Conseillers :

Mmes Dias Da Silva, Grall

T. com. Paris, du 16 nov. 2017

16 novembre 2017

La société Amrest Delco France exerce une activité d'acquisition et d'exploitation de fonds de commerce de restauration.

La société DLBP exploite une activité de commerce de vente à emporter et de restauration rapide sous l'enseigne Pizza Hut <adresse> après avoir conclu un contrat de franchise le 31 janvier 2012 avec la société Pizza Topco France qui commercialise le système de franchise de la marque Pizza Hut et un contrat de location-gérance le 1er février 2012 avec la société Pizza Delco France, propriétaire du fonds de commerce et titulaire du bail commercial du local.

La société Pizza Topco France est devenue la société Amrest Topco France et la société Pizza Delco France est devenue la société Amrest Delco France, les changements de dénomination n'ayant eu aucune incidence sur les contrats de franchise et de location-gérance antérieurement conclus.

Le 18 octobre 2017, la société Amrest Delco France a assigné en référé d'heure à heure la société DLBP aux fins de voir ordonner la restitution des clés des locaux <adresse> et son expulsion.

Par ordonnance du 16 novembre 2017, le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris a :

- Débouté la société Amrest Delco France de l'ensemble de ses demandes ;

- Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes reconventionnelles de la société DLBP ;

- Condamné la société Amrest Delco France à payer à la société DLBP la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

- Condamné la société Amrest Delco France aux dépens de l'instance.

Par déclaration du 22 janvier 2018, la société Amrest Delco France a interjeté appel de cette ordonnance.

Par ses conclusions transmises le 26 février 2018, elle demande à la cour de :

- La déclarer recevable et bien fondée en ses demandes ;

- Infirmer l'ordonnance de référé rendue en ce qu'elle l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes, et l'a condamnée à payer à la société DLBP la somme de 1.500 euros et aux dépens de l'instance ;

- Confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a débouté la société DLBP de ses demandes reconventionnelles à savoir sa condamnation au paiement de dommages-intérêts.

A titre principal :

- Constater l'existence d'un trouble manifestement illicite justifiant l'expulsion du locataire-gérant ;

A titre subsidiaire :

- Constater l'existence d'un dommage imminent justifiant l'expulsion du locataire-gérant;

En tout état de cause :

- Juger qu'il n'existe aucune contestation sérieuse relative à l'interprétation du contrat de location-gérance excluant la compétence du juge des référés ;

- Ordonner la restitution à l'appelante des clés des locaux <adresse> par la société DLBP et son expulsion, ainsi que celle de tous occupants de son chef des locaux, et ce sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision à venir et jusqu'au départ définitif, avec le concours de la force publique et d'un serrurier s'il y a lieu ;

- Ordonner le transport et le dépôt aux frais, risques et périls de la société DLBP, dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la décision à intervenir, des meubles et objets mobiliers lui appartenant, sur justificatif de sa part, garnissant les lieux loués dans tel garde-meubles de son choix ou dans tel autre lieu au choix et, à défaut, l'autoriser à procéder à ces diligences aux frais de la société DLBP ;

- Rejeter l'ensemble des demandes de la société DLBP, lesquelles sont infondées et injustifiées ;

- Condamner la société DLBP à payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle fait valoir :

- Que le premier juge n'a pas statué sur l'existence d'un trouble manifestement illicite lequel est caractérisé en l'espèce dès lors que les contrats de franchise et de location-gérance ont été formellement résiliés le 8 septembre 2017 au visa de leurs clauses résolutoires respectives ; que la société DLBP ne peut donc se prévaloir d'aucun droit ni titre lui permettant de rester en possession du local dans lequel elle exploitait son activité et son refus injustifié de restituer les clés du local constitue un trouble manifestement illicite pour la concluante,

- Que la cour doit ordonner la restitution des clés des locaux et prononcer l'expulsion de la société DLBP dès lors que l'existence d'un dommage imminent notamment sanitaire, de détérioration de l'image de l'enseigne et d'absence de contrôle des approvisionnements est constaté et doit être prévenu.

- Qu'il n'existe aucune contestation sérieuse relative à l'interprétation des clauses du contrat de location-gérance.

- Que la cour doit ordonner la restitution du fonds de commerce et de ses éléments dans un bon état d'entretien et ce, conformément aux dispositions du contrat de location-gérance.

La société DLBP régulièrement assignée par exploit d'huissier daté du 21 mars 2018 n'a pas constitué avocat.

Motifs de la décision

Considérant qu'en application de l'article 873 du Code de procédure civile le président du tribunal de commerce peut "même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire" ;

Considérant que le dommage imminent s'entend du " dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer " et le trouble manifestement illicite résulte de " toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit " ;

Qu'il s'ensuit que pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté, à la date à laquelle la cour statue et avec l'évidence qui s'impose à la juridiction des référés, l'imminence d'un dommage, d'un préjudice ou la méconnaissance d'un droit, sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines ; que la constatation de l'imminence du dommage suffit à caractériser l'urgence afin d'en éviter les effets ;

Considérant qu'en l'espèce il ressort des pièces produites aux débats que la société DLBP exploite son activité en vertu d'une part d'un contrat de franchise conclu le 31 janvier 2012 avec la société Pizza Topco France, devenue Amrest Delco France, qui commercialise le système de franchise de la marque Pizza Hut et d'autre part d'un contrat de location-gérance consenti le 1er février 2012 par la société Pizza Delco France, propriétaire du fonds de commerce et titulaire du bail commercial du local <adresse> ;

Considérant que le contrat de location-gérance stipule à l'article 2.3 (e) et (f) : " le locataire-gérant a conclu concomitamment au présent contrat un contrat de franchise Pizza Hut, l'ensemble contractuel ainsi formé permettant l'exploitation du fonds de commerce objet des présentes " , et que le locataire-gérant déclare : "être informé que le contrat et le contrat de franchise Pizza Hut forme un ensemble contractuel indivisible et en avoir accepté toutes les conséquences, et notamment :

- que la fin du contrat de franchise quel qu'en soit le motif emportera la résiliation du présent contrat sans délai ni indemnisation d'aucune sorte, sous réserve des droits que le loueur pourra faire valoir, notamment au titre du préjudice qu'il a subi ;

- que la perte de la qualité de locataire-gérant entraînera la résiliation anticipée du contrat de franchise Pizza Hut dans les mêmes conditions" ;

que l'article 6 contenant la clause résolutoire indique qu'il "prendra fin de plein droit et avec effet immédiat à la date d'expiration du contrat de franchise pour quelque cause que ce soit (expiration du terme, résiliation, annulation ou autre) sans qu'il soit besoin d'une quelconque autre formalité notamment judiciaire" ; que l'article 9.1 relatif au respect du contrat de franchise indique qu'il forme un ensemble indivisible avec le contrat de franchise et que "l'engagement du locataire-gérant de respecter le contrat de franchise étant une condition déterminante de l'engagement du loueur, le locataire-gérant s'engage à exploiter le fonds de commerce dans le respect du contrat de franchise. Tout manquement au contrat de franchise sera réputé être un manquement grave au présent contrat pouvant justifier sa résiliation" ;

Considérant que le contrat de location-gérance conclu entre les parties contient par ailleurs à l'article 6 une clause résolutoire prévoyant notamment que 'le loueur pourra résilier le contrat par simple notification adressée au locataire-gérant par lettre recommandée avec accusé de réception : a) un mois après une sommation de payer ou d'exécuter adressée par courrier recommandé avec accusé de réception et restée infructueuse, en cas de non-paiement à son échéance d'une somme due à titre de redevance par le locataire-gérant ou à défaut d'exécution d'une clause quelconque du présent contrat par le locataire-gérant';

Considérant que par courrier daté du 7 août 2017 signifié par huissier le lendemain, la société Amrest Delco France a mis en demeure la société DLBP de lui régler les redevances échues et impayées à hauteur de la somme de 126 608,49 euros lui précisant qu'à défaut de règlement de cette somme au plus tard le 2 septembre 2017 elle mettrait en œuvre la procédure de résiliation telle que prévue à l'article 6.1(a) du contrat de location-gérance ; que par courrier du même jour également signifié par huissier la société Amrest Topco France, franchiseur, a mis en demeure la société DLBP de lui régler les redevances de franchise pour un montant de 82 232,74 euros avant le 2 septembre 2017, le courrier visant la clause résolutoire de plein droit du contrat de franchise en cas de non-paiement des redevances ;

Considérant que la société appelante justifie du non-paiement par la société DLBP des redevances échues tant au titre du contrat de location-gérance que de franchise dans le délai fixé par les lettres de mise en demeure ; qu'elle verse par ailleurs aux débats la lettre de résiliation du contrat de location-gérance adressée à la société DLBP datée du 8 septembre 2017 notifiée le 18 septembre suivant par huissier ; que le franchiseur a lui aussi notifié la résiliation du contrat de franchise par courrier adressé le même jour ;

Qu'il s'ensuit que le contrat de location-gérance a manifestement été régulièrement résilié en raison du non-paiement par la société DLBP tant de ses redevances de location-gérance que de celles relatives au contrat de franchise avec lequel il formait un ensemble contractuel indivisible comme indiqué expressément dans les contrats ; que la société DLBP n'a pas utilement contesté les lettres de mise en demeure visant les clauses résolutoires de chacun de ces contrats se contentant d'adresser après notification de la résiliation de ces derniers un mail à Mme X chargée de développement franchise pour contester le contenu desdits courriers sans fournir le moindre élément à l'appui de sa contestation et sans remettre en cause sa dette au titre tant des redevances de location-gérance que de franchise ;

Considérant que par suite de la résiliation du contrat de location-gérance, la société DLBP qui se maintient dans les lieux sans droit ni titre cause un trouble manifestement illicite à la société appelante qu'il convient de faire cesser en ordonnant son expulsion et la remise des clés selon les modalités fixées au dispositif de la présente décision ; que l'ordonnance doit être infirmée en toutes ses dispositions ;

Considérant que la société DLBP qui succombe doit supporter les dépens de première instance et d'appel, ces derniers étant distraits conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, et versera à la société Amrest Delco France une indemnité de procédure de 2 000 euros en application des dispositions prévues par l'article 700 du Code de procédure civile;

Par ces motifs : LA COUR Infirme l'ordonnance en toutes ses dispositions ; Statuant à nouveau ; Ordonne à défaut de restitution volontaire des lieux dans les 8 jours de la signification de l'arrêt, l'expulsion de la société DLBP des locaux <adresse> ainsi que celle de tous occupants de son chef des locaux et passé ce délai sous astreinte de 50 euros par jour de retard jusqu'au départ définitif, avec le concours de la force publique et d'un serrurier s'il y a lieu ; Ordonne à défaut de restitution des locaux et des clés du local dans le délai fixé, le transport et le dépôt aux frais, risques et périls de la société DLBP, des meubles et objets mobiliers lui appartenant, sur justificatif de sa part, garnissant les lieux loués dans tel garde-meubles de son choix ou dans tel autre lieu au choix et, à défaut, l'autorise à procéder à ces diligences aux frais de la société DLBP ; Condamne la société DLBP à payer à la société Amrest Delco France la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société DLBP aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers pouvant être recouvrés selon les modalités prévues par l'article 699 du Code de procédure civile.