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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 23 octobre 2018, n° 17-06389

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Fra-Ma-Pizz (SAS)

Défendeur :

Jeremy Pizz (EURL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Calloch

Conseillers :

Mme Jeorger-Le Gac, M. Garet

T. com. Rennes, prés., du 6 juill. 2017

6 juillet 2017

La SAS Fra-Ma-Pizz, venant aux droits de la société FP Nord, a pour activité celle de franchiseur de la société Pizza Sprint.

L'EURL Jimmy Pizz a pour activité la restauration de pizza sous l'enseigne Pizza Sprint comme franchisé.

Le 5 avril 2013, les sociétés Fra-Ma-Pizz (bailleur) et Jimmy Pizz (locataire) ont conclu deux contrats de location-gérance de deux fonds de commerce pour des commerces situés <adresses>.

Ces deux contrats étaient conclus pour une durée d'une année renouvelable par tacite reconduction avec une dénonciation possible moyennant un préavis de trois mois.

Le 7 avril 2013, les société Fra-Ma-Pizz et Jimmy Pizz ont conclu un contrat de franchise d'une durée de dix années.

Etait incluse dans les contrats de location-gérance une clause prévoyant l'indivisibilité des contrats de location-gérance et de franchise.

La société holding Food Court Finance, détenant le nom commercial de Pizza Sprint, a été rachetée par un concurrent, la société Domino's Pizza Entreprise Limited, et l'ensemble des franchisés a été averti qu'ils exerceraient désormais sous l'enseigne Domino's Pizza, qui détient déjà des commerces dans la zone de chalandise de la société Jimmy Pizz.

Par acte du 6 janvier 2016, la société Jeremy Pizz a assigné devant le Tribunal de commerce de Rennes les sociétés Fra-Ma-Pizz et FP Nord afin de voir :

- ordonner le maintien des deux contrats de location-gérance jusqu'à expiration du contrat de franchise, soit jusqu'au 7 avril 2023,

- subsidairement, ordonner la résolution des contrats aux torts exclusifs de la société Fra-Ma-Pizz avec paiement d'une somme de 2 000 000 d'euros à titre de dommages et intérêts.

Le 25 avril 2016, la société Fra-Ma-Pizz a notifié à la société Jeremy Pizz le non-renouvellement de ses contrats de location-gérance, à effet au 6 avril 2017.

Le 20 avril 2017, la société Fra-Ma-Pizz a assigné la société Jeremy Pizz devant le juge des référés afin de voir ordonner sous astreinte son expulsion des locaux dans lesquels les deux fonds de commerce sont exploités.

Par ordonnance du 6 juillet 2017, le juge des référés du tribunal de commerce de Rennes a :

- dit n'y avoir lieu à référés sur le litige en raisons de contestations sérieuses,

- invité les parties à mieux se pourvoir,

- débouté les parties de l'ensemble de leurs demandes,

- laissé les dépens à la charge de la société Fra-Ma-Pizz.

Appelante de cette ordonnance, la société Fra-Ma-Pizz, par conclusions du 6 février 2018, a demandé que la cour :

- infirme l'ordonnance déférée,

- déboute la société Jimmy Pizz de l'ensemble de ses demandes,

- constate la cessation des deux contrats de location-gérance conclus le 5 avril 2013 à compter du 6 avril 2017 à minuit,

- constate que le maintien dans les lieux de la société Jimmy Pizz est constitutif d'un trouble manifestement illicite,

- ordonne son expulsion des deux fonds de commerce sous astreinte,

- condamne la société Jeremy Pizz au paiement de la somme de 7 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par conclusions du 6 février 2018, l'Eurl Jeremy Pizz a sollicité que la cour :

- confirme l'ordonnance déférée,

- déboute la société Fra-Ma-Pizz de ses demandes,

- y ajoutant :

- constate la violation caractérisée par la société Fra-Ma-Pizz de ses obligations contractuelles, ayant notifié de façon anticipée la cessation du contrat de franchise,

- dise que la société Jeremy Pizz a subi un trouble manifestement illicite du fait de la rupture anticipée de ses contrats de location-gérance et de son contrat de franchise,

- condamne la société Fra-Ma-Pizz à lui payer la somme de 100 000 euros à titre de provision à valoir sur son préjudice,

- condamne la société Fra-Ma-Pizz au paiement de la somme de 7 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- la condamne aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement pour ceux dont il a été fait l'avance.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 7 février 2018.

Après que l'affaire ait été fixée à l'audience du 15 mars 2018 pour être plaidée devant un conseiller rapporteur, elle a été renvoyée à la demande de l'EURL Jeremy Pizz, qui souhaitait que les plaidoiries se déroulent devant la formation collégiale, à l'audience du 11 septembre 2018.

Le 5 septembre 2018, la société Jeremy Pizz a déposé de nouvelles conclusions au fond contenant une demande de révocation de l'ordonnance de clôture ainsi que seize nouvelles pièces numérotées 25 à 40, en invoquant des faits nouveaux s'étant déroulés durant l'été 2018 dont la gravité justifierait qu'elle puisse en faire état, tout en modifiant ses prétentions.

Par conclusions du 10 septembre 2018, la société Fra-Ma-Pizz s'est opposée à la demande de révocation de l'ordonnance de clôture, et a conclu à titre principal à l'irrecevabilité des nouvelles conclusions et nouvelles pièces et subsidiairement au renvoi de l'affaire afin que le principe du contradictoire puisse être respecté et qu'elle puisse conclure au fond en défense.

Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, la cour renvoie aux conclusions susvisées.

Motifs de la décision :

Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture :

Le litige dont est saisi la cour est l'appel d'une ordonnance de référés, qui a constaté que la demande de la société Framapizz visant à voir ordonner l'expulsion sous astreinte de la société Jeremy Pizz des fonds donnés en location-gérance, et la demande reconventionnelle de cette dernière de voir constater la violation caractérisée par la première des obligations résultant de son contrat de franchise, se heurtaient à une contestation sérieuse tenant à la nécessaire interprétation des liens existant entre les contrats de location-gérance et le contrat de franchise, laquelle relèverait exclusivement du juge du fond.

La société Jeremy Pizz demande que l'ordonnance de clôture soit révoquée afin que puisse être versé aux débats le jugement rendu par le tribunal de commerce de Rennes le 12 juillet dernier, qui analyse précisément cette relation.

Toutefois, ce jugement n'est pas assorti de l'exécution provisoire, est frappé d'appel, et n'a aucun effet sur l'étendue des pouvoirs conférés à la juridiction des référés ; son existence ne constitue donc pas une cause grave justifiant la révocation de l'ordonnance de clôture.

Le second motif de révocation est l'obligation dans laquelle se serait trouvée la société Jeremy Pizz de cesser l'exploitation des deux fonds donnés en location-gérance en urgence, avec remise des clefs le 31 août dernier au bailleur, au motif qu'un incident survenu dans l'un d'eux l'aurait conduite à être avisée de ce que dans les deux établissements l'évacuation des fumées des fours à gaz contrevenaient aux normes de sécurité et présentaient un risque immédiat pour la sécurité des biens et des personnes. Elle estime donc pouvoir démontrer sans contestation possible que le bailleur a gravement manqué à son obligation de délivrance, lui causant un trouble manifestement illicite s'ajoutant à celui de la résiliation anticipée des contrats de franchise, et pouvoir à ce titre solliciter l'allocation d'une provision.

Toutefois, les faits survenus sont certes postérieurs à l'ordonnance de clôture mais sans lien avec le litige initial, ce qui ne permet pas à la société Jeremy Pizz de se prévaloir à son bénéfice des dispositions de l'article 564 du Code de procédure civile permettant de former en appel des demandes nouvelles en cas de survenance ou de révélation d'un fait.

Dès lors, ces faits ne constituent pas une cause grave justifiant la révocation de l'ordonnance précitée.

Par conséquent, il n'y a pas lieu à révocation de ladite ordonnance et tant les conclusions du 5 septembre 2018 et que les pièces numérotées 25 à 40 sont déclarées irrecevables.

Sur l'ordonnance déférée :

En vertu des dispositions de l'article 873 du Code de procédure civile le juge des référés peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures qui s'imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Les contrats liant les parties sont deux contrats de franchise et deux contrats de location-gérance.

Les deux contrats de franchise ont été conclus entre la société Fra-Ma-Pizz, franchiseur, et la société Jeremy Pizz, franchisé ; ils sont datés du 7 avril 2013, et conclus l'un pour le point de vente <adresse> et l'autre pour le point de vente <adresse> ; selon l'article 3 alinéa 1 de chaque contrat, ils sont valables uniquement pour le magasin ou point de vente spécifié respectivement à chaque contrat ; ces contrats sont conclus chacun pour une durée de dix années, avec renouvellement par tacite reconduction pour une même durée, sauf dénonciation douze mois avant le terme par courrier recommandé.

Les deux contrats de location-gérance de fonds de commerce, ont été conclus à effet au 7 avril 2013 entre la société FP-Nord bailleur, et la société Jeremy Pizz locataire, avec intervention à l'acte de la société Fra-Ma-Pizz et de M. Jeremy G. (gérant de la société Jeremy Pizz) ; ces contrats concernent pour l'un le fonds <adresse>, pour l'autre celui <adresse>, et rappellent qu'ils ont été créés par la société Fra-Ma-Pizz et exploités par la société FP Nord suite à un apport partiel d'actif de la société Fra-Ma-Pizz.

Ces contrats prévoient dans leur article 2 que :

"Le présent contrat fait partie d'un ensemble de contrats conclus entre les mêmes parties ayant pour objet l'exploitation du fonds de commerce ci-après désigné sous l'enseigne et selon les normes Pizza Sprint.

Cet ensemble comprend : le contrat de franchise (...) et le présent contrat de location-gérance.

Les parties reconnaissent le caractère indivisible des deux contrats ci-dessus énumérés.

En outre, il est expressément convenu entre elles qu'en cas de difficulté d'interprétation ou d'exécution lié à une contradiction actuelle ou future entre le contrat de franchise et le présent contrat, il sera fait référence au contrat de franchise."

Dans leur article 4 les deux contrats de location-gérance prévoient qu'ils sont conclus pour une durée d'une année à compter du 7 avril 2013, avec renouvellement par tacite reconduction sauf dénonciation par lettre recommandée trois mois avant le terme.

Se prévalant des dispositions de l'article 4 précité, la société FP Nord, par courriers recommandés du 25 avril 2016, a dit refuser le renouvellement des deux contrats de location-gérance à la date du 7 avril 2017 et conclut devant la cour que le maintien dans les fonds de la société Jeremy Pizz constitue un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser.

Toutefois, les dispositions de l'article 2 des contrats de location-gérance qui prévoient contractuellement l'indivisibilité de ceux-ci avec les contrats de franchise, ainsi que la contradiction existant entre les clauses fixant le terme de chaque contrat à des durées différentes, ne permettent pas de qualifier de "manifestement illicite" le maintien dans les lieux de la société Jeremy Pizz, qui bénéficie de deux contrats de franchise d'une durée de dix années dont l'exécution dépend de l'existence même des contrats de location bail.

Il en résulte que la société Fra-Ma-Pizz doit être déboutée de ses prétentions en ce qu'elles sont fondées sur l'existence d'un trouble manifestement illicite.

Elles se heurtent au surplus à l'existence d'une contestation sérieuse tenant à la validité même de la résiliation des contrats de location-gérance, qui nécessitent une interprétation des conséquences à attacher aux dispositions de l'article 2 desdits contrats au regard de celles des contrats de franchise, lesquelles excèdent manifestement la compétence du juge des référés.

Cette nécessaire interprétation ne permet pas plus à la juridiction des référés d'examiner les prétentions reconventionnelles de la société Jeremy Pizz visant à voir constater la violation caractérisée par la société Fra-Ma-Pizz de ses obligations contractuelles et à se voir accorder une provision.

L'ordonnance déférée est par conséquent confirmée dans toutes ses dispositions.

La société Fra-Ma-Pizz, qui succombe, supportera la charge des dépens d'appel et paiera à l'EURL Jeremy Pizz la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Dit n'y avoir lieu à révocation de l'ordonnance de clôture. Déclare irrecevables les conclusions au fond du 5 septembre 2018 ainsi que les pièces numéro 25 à 40 de l'intimée. Confirme l'ordonnance déférée. Condamne l'appelante aux dépens d'appel. Condamne l'appelante au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile à l'intimée.