CA Montpellier, 2e ch., 23 octobre 2018, n° 16-03237
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Sapao (SAS)
Défendeur :
Brasserie Milles (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Prouzat
Conseillers :
MM. Guiraud, Combes
Avocats :
Mes Jaulin Bartolini, Salvignol, Dahan
Faits et Procédure - Moyens et Prétentions des parties :
La société Brasserie Milles, en contrepartie d'un approvisionnement exclusif, a mis à la disposition de la SAS Sapao, pour les besoins de l'exploitation de son fonds de commerce, des enseignes pour un montant de 4 922,74 euros selon convention du 2 août 2002, une installation de tirage pression pour un montant de 5 374,11 euros selon convention en date du 5 octobre 2007 et du mobilier pour une valeur d'un montant de 11 184,96 euros selon convention du 7 novembre 2007 comportant une clause d'amortissement.
Le 5 avril 2013, la société Brasserie Milles a mis en demeure la SAS Sapao de lui payer la somme de 9 719,35 euros au titre de factures impayées.
Par courrier du 10 avril 2013, la gérante de la société Sapao a indiqué qu'elle conditionnait le règlement de ses arriérés de factures à la remise annuelle 2012 sur les commandes passées.
Par courrier du 9 août 2013, la société société Brasserie Milles a rappelé les termes de la convention de mise à disposition inhérente au mobilier, qui prévoit un amortissement du matériel et a établi le décompte des sommes restant à amortir en rappelant le montant des factures impayées et que le règlement d'une remise commerciale au titre de l'année 2012 était subordonné au paiement préalable des factures pour l'année considérée.
Par courrier recommandé du 25 août 2013, la société Sapao a sollicité le double des statistiques de ventes de 2007 à 2012 pour effectuer un contrôle.
Par courrier du 17 septembre 2013, la société Sapao a adressé un chèque d'un montant de 5 633,22 euros réglant une partie de l'arriéré et indiqué solliciter que soit récupérée la pompe à bière dans un délai de 15 jours qu'elle entendait restituer.
Par courrier du 26 septembre 2013, auquel il n'a pas été répondu, la société Brasserie Milles a rappelé que le règlement intervenu ne soldait pas l'intégralité de l'arriéré des fournitures, sollicité le règlement de la partie non amortie du mobilier et rappelé les termes de la convention de mise à disposition du matériel de tirage à bière, laissant au brasseur le choix de récupérer le matériel ou d'en facturer la valeur à neuf.
Ce courrier a été signifié par huissier le 14 octobre suivant et par courrier recommandé avec avis de réception du 24 février 2015 et signifié par huissier le 22 juin suivant la société Brasserie Milles a sollicité auprès de la société Sapao la restitution de son matériel.
Par acte d'huissier en date du 14 octobre 2013, la société Brasserie Milles a assigné la société Sapao par devant le Tribunal de commerce de Perpignan aux fins d'obtenir sa condamnation à lui payer les sommes de 6 337,46 au titre des factures impayées, en ce compris la clause pénale, 4 922,74 TTC au titre des enseignes mises à disposition, 5 374,11 au titre du tirage pression mis à disposition, 13 377,22 au titre du matériel de terrasse et 1 500 sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens.
Par jugement en date du 12 avril 2016, le Tribunal de commerce de Perpignan a condamné la société Sapao à payer à la société Brasserie Milles les sommes de 5 281,22 TTC au titre des factures impayées, 4 922,74 TTC au titre des enseignes mises à disposition, 5 374,11 TTC au titre du tirage pression mis à disposition, 13 377,22 TTC au titre du matériel de terrasse et 500 sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens.
Selon déclaration reçue au greffe de cette cour le 22 avril 2016, la société Sapao a interjeté appel de ce jugement.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 22 mars 2018, la société Sapao demande à la cour de :
Vu les articles 1134 et suivants du Code civil,
Vu les articles 1271 et suivants du Code civil,
Vu les articles 1289 et suivants du Code civil,
Vu la jurisprudence,
Vu les pièces,
- Infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Perpignan en date du 12 avril 2016 ;
Statuant à nouveau ;
Y venir la société Brasserie Milles s'entendre débouter de l'ensemble de ses demandes à l'endroit de la société Sapao ;
La condamner aux entiers dépens ainsi qu'à 5000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 9 août 2018, la société Sapao demande à la cour de :
Rejetant toutes conclusions contraires comme injustes et infondées,
Vu les dispositions de l'article 1134 du Code civil,
- Confirmer en son entier le jugement déféré.
Condamner 1'appelante à payer 2 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens avec application de l'article 699 du Code précité
Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 30 août 2018.
Motifs de la décision
Selon le premier alinéa de l'article 1134 du Code civil, dans sa version applicable aux faits de l'espèce et aujourd'hui codifié à l'article 1104, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Invoquant les anciennes dispositions de l'article 1271 du Code précité, la société Sapao soutient que la signature du contrat de mise à disposition de la terrasse signé le 7 novembre 2007 a pour conséquence de substituer les contrats précédents par novation par changement de l'obligation de sorte que la société intimée ne saurait prospérer en ses demandes d'application des contrats en date du 2 août 2002 et du 5 octobre 2007. Elle invoque également la nullité de cette convention pour défaut de cause au motif que celle-ci, qui est contraire aux dispositions de l'article L. 330-1 du Code de commerce qui limite à dix ans la durée prévue aux contrats d'approvisionnement exclusif, pour absence de contrepartie véritable dès lors que le revendeur, souhaitant mettre un terme au contrat à durée indéterminée, n'aurait pas le droit d'amortir le matériel mis à disposition.
La société Brasserie Milles soutient que la signature du contrat du 7 novembre 2007 n'a pu entraîner de novation, lequel n'est pas soumis aux dispositions de l'article L. 330-1 du Code de commerce qui limite à dix ans la durée prévue aux contrats d'approvisionnement exclusif s'agissant d'un contrat à durée indéterminée, puisqu'il s'agit d'un nouveau contrat relatif à la mise à disposition de matériel de terrasse de sorte qu'elle est en droit d'invoquer les autres contrats en cours.
La novation s'opère notamment par changement de l'obligation lorsque le débiteur contracte envers son créancier une nouvelle dette qui est substituée à l'ancienne, laquelle est éteinte de ce fait. Elle ne se présume pas.
En l'espèce, il n'est pas discuté que depuis 1992 il a été mis à la disposition de la société appelante du mobilier de terrasse ainsi que d'autres matériels et que cette mise à disposition a nécessité qu'à chaque opération une convention ait été signée entre les parties. Le remplacement du matériel intervenu en novembre 2007 implique que les contrats afférents aux précédentes mises à disposition des mobiliers de terrasses ont été résiliés de sorte qu'il ne peut être retenu qu'il y a eu novation sur ces contrats. Il ne ressort nullement non plus des termes du contrat du 7 novembre 2007 que les parties aient eu l'intention de nover en mettant à néant les contrats en date du 2 août 2002 et du 5 octobre 2007.
L'appelante ne saurait non plus invoquer les dispositions de l'article L. 330-1 du Code de commerce qui limite à dix ans la durée prévue aux contrats d'approvisionnement exclusif dans la mesure où le contrat a été stipulé à durée indéterminée et qu'ainsi celui-ci pouvait être résilié à tout moment par l'une ou l'autre des parties. Peu importe d'ailleurs que la relation contractuelle soit d'une durée totale supérieure à dix ans si les parties ont décidé de maintenir leur relation d'affaire, la seule limite posée par le texte précité étant qu'un engagement exclusif ne soit pas stipulé pour une période supérieure à dix ans.
Il ne saurait être sérieusement soutenu par l'appelante que la convention litigieuse serait nulle pour absence de cause, celle-ci étant que le brasseur met à la disposition du matériel de terrasse neuf à la disposition du revendeur en échange de quoi ce dernier sera tenu de s'approvisionner auprès du fournisseur pour diverses boissons. L'approvisionnement exclusif, contrepartie de la mise à disposition du matériel de terrasse, évite ainsi au revendeur d'investir dans du mobilier de terrasse pouvant s'avérer relativement cher.
Dès lors, il convient d'examiner les conditions dans lesquelles la rupture des trois contrats est intervenue ainsi que les conséquences qui en découlent.
S'agissant de l'imputabilité de la rupture, il convient de relever qu'aucun courrier des parties antérieur à l'assignation ne prononce la rupture des relations contractuelles, les correspondances de l'intimée ayant trait au paiement du solde des factures, à la prime d'aide commerciale et à la restitution des matériels mis à disposition.
La société Brasserie Milles soutient que la rupture des relations contractuelles est imputable à la société Sapao au motif qu'en 2013 elle a cessé tout approvisionnement, ce que conteste cette dernière qui indique qu'elle a continué à s'approvisionner auprès de son fournisseur en 2012.
Le journal des factures produit par la société Brasserie Milles fait apparaître que de 2008 à 2013 les commandes passées par la société Sapao s'établissent comme suit:
- 2008 : 27 546,62 euros
- 2009 : 25 420,31 euros
- 2010 : 21 424,76 euros
- 2011 : 28 818,73 euros
- 2012 : 27 311,48 euros
- 2013 : 1 246,45 euros du 1er janvier au 7 juin 2013
S'il ne peut être reproché un défaut dans l'exécution de l'approvisionnement exclusif en 2012, eu égard aux pièces comptables précitées, il ne peut qu'être relevé que les commandes ont fortement chuté en 2013 et que ce n'est qu'au mois d'avril 2013 que la société Brasserie Milles a sollicité le paiement du solde de ses dernières factures et rappelé les divers contrats de mise à disposition.
L'appelante ne produit aucune pièce pour justifier qu'elle aurait passé plus de commandes en 2013 et ne démontre nullement que l'aide commerciale consentie par le brasseur chaque année venait se compenser avec les factures non encore réglées.
En ayant quasiment cessé ses approvisionnements en 2013, la société Sapao a failli dans ses obligations contractuelles de sorte que la rupture de la relation contractuelle lui est imputable.
S'agissant des sommes réclamées au titre de la rupture des contrats, la société Sapao soutient qu'aucune somme n'est due au brasseur en application de l'article 1247 du Code civil et que ce dernier ayant opté pour la restitution, tel que cela ressort de sa sommation de restituer du 22 juin 2015, il ne peut en solliciter la valeur. Elle précise également qu'elle ne saurait être tenue du paiement du solde des factures au motif que sur la somme de 9 719,35 euros, elle a réglé 5 633,72 euros en compensation avec la prime d'aide au marché d'un montant de 4 710,86 euros.
Au titre du solde des factures, les premiers juges ont fait droit à la demande de la société Brasserie Milles à hauteur de 5 281,22 euros TTC sans donner d'explication et le créancier indique dans ses écritures que l'arriéré de facture s'établit à hauteur de 6 337,46 euros en tenant compte de la clause pénale sans solliciter la réformation du jugement dont appel.
Il résulte de la lecture du relevé de compte de l'intimée, constituant sa pièce numéro 12, que le solde des factures dues s'établit à hauteur de 5 281,22 euros hors clause pénale dont les premiers juges n'ont pas fait application.
Il ressort du courrier du 13 septembre 2013 de l'intimée que le solde des factures s'établissait à cette date à hauteur de 4 710,86 euros étant rappelé qu'aucune commande n'a été passée après juin 2013. Dès lors, il convient de prendre en compte ce montant.
En outre, dans son courrier du 9 août 2013 la société Brasserie Milles a confirmé à l'appelante que la prime d'aide au marché pour l'année 2012 lui revenant s'établissait au montant précité tout en indiquant que celle-ci était subordonnée au paiement des fournitures s'y rapportant à savoir qu'elle devait régler cette somme qui devait lui être reversée en retour.
Dès lors, il existait bien deux créances réciproques justifiant qu'il soit fait application des règles de la compensation légale conformément aux anciennes dispositions de l'article 1290 du Code civil applicables au cas d'espèce.
Après compensation, il n'est due aucune somme à la société Brasseries M. et en conséquence le jugement dont appel doit être réformé en ce qu'il a condamné la société Sapao au paiement de la somme de 5 281,22 euros.
Au titre des restitutions, selon les trois conventions il est prévu que dans le cas où le revendeur cesserait de s'approvisionner chez le fournisseur ce dernier pourra récupérer le matériel mis à disposition soit facturer le matériel à sa valeur d'origine.
La clause laissant au brasseur le choix de solliciter, lorsque le débitant décide de cesser de s'approvisionner auprès de lui, soit la restitution du matériel donné en dépôt soit son paiement en valeur d'origine, ne saurait être considérée comme illégale dans la mesure où elle apporte un avantage au débitant de boisson de pouvoir user d'un matériel qui lui est prêté sans qu'il ait à faire d'investissement et que le brasseur ne peut amortir.
L'appelante ne saurait invoquer que le brasseur a opté pour la restitution des matériels mis à sa disposition. En effet, si par courrier recommandé avec avis de réception en date du 24 février 2015, dont elle a accusé réception le 28 février suivant, la société Brasserie Milles a mis en demeure l'appelante de lui restituer son matériel, laquelle a été réitérée par commandement de restituer en date du 22 juin 2015, force est de constater qu'il n'a été donné aucune suite à ses demandes de sorte que cette dernière est de surcroît fondée, nonobstant l'option dont elle dispose, à demander le prix des biens qui ont été mis à disposition.
Enfin, il ne saurait être déduit le montant de la TVA que le brasseur a nécessairement déboursée lors de l'acquisition des biens mis à disposition, étant observé que la société Sapao sera en mesure d'en déduire son montant comptablement La cour relève par ailleurs que l'appelante ne discute pas du caractère amortissable des mobiliers de terrasse.
En conséquence, le jugement dont appel sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Sapao à payer à la société Brasserie Milles les sommes de 4 922,74 TTC au titre des enseignes mises à disposition, 5 374,11 TTC au titre du tirage pression mis à disposition et 13 377,22 TTC au titre du matériel de terrasse.
Succombant pour partie sur son appel, la société Sapao doit être condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à la société Brasserie Milles la somme de 1 500 euros au titre des frais non taxables que celle-ci a dû exposer, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, Réforme le jugement du tribunal de commerce de Perpignan en date du 12 avril 2016, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Sapao à payer à la société Brasserie Milles la somme de 5 281,22 TTC au titre des factures impayées, Statuant à nouveau de ces chefs, Déboute la société Brasserie Milles de sa demande au titre des factures impayées, Confirme le jugement entrepris dans le surplus de ses dispositions. Condamne la société Sapao à payer aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société Brasserie Milles la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.