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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 16 octobre 2018, n° 16-01024

RENNES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Weeride Europe (SAS)

Défendeur :

Compagnie des Pet Foods (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Calloch

Conseillers :

Mme Jeorger-Le Gac, Garet

CA Rennes n° 16-01024

16 octobre 2018

La SAS Compagnie des Pet Foods (CPF) et la SAS Weeride Europe commercialisent des produits pour animaux domestiques.

La première commercialise ses produits en étant distribuée dans de grandes enseignes de jardinerie et de bricolage, tandis que la seconde les commercialise sur internet.

La société CPF a assigné la société Weeride devant le Tribunal de commerce de Nantes afin de faire cesser ce qu'elle estime être des actes de concurrence déloyale de la part de cette dernière, qu'elle accuse de parasitisme en recopiant servilement certains de ses modèles de poulaillers et de clapiers pour les vendre sur internet moins cher que les siens après les avoir fait fabriqués en Chine, en se prévalant de surcroit d'une certification FSC qu'elle ne possèderait pas.

Elle a sollicité la cessation sous astreinte des agissements qu'elle décrivait comme répréhensibles et l'attribution de la somme de 500 000 euros de dommages et intérêts.

Par jugement du 1er février 2016, le Tribunal de commerce de Nantes a :

• reçu la demande de la société CPF et déclaré cette dernière partiellement bien fondée,

• ordonné à la société Weeride Europe de cesser la commercialisation des produits copiés, à savoir le poulailler Caumont, le poulailler Janzé, le poulailler Padoue, le poulailler Estuaires, le clapier Lynx et le clapier Angora, et ce, sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée à compter de la signification du jugement,

• dit qu'il se réservait la liquidation de l'astreinte,

• ordonné la publication du jugement dans deux journaux, au choix de la société Weeride Europe et à ses frais avancés,

• condamné la société Weeride Europe à payer à la société CPF la somme de 100 000 euros de dommages et intérêts pour concurrence déloyale,

• rejeté les prétentions de la société Weeride Europe,

• condamné la société Weeride Europe à payer à la société CPF la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

• ordonné l'exécution provisoire,

• condamné la société Weeride Europe aux dépens.

La société Weeride est appelante de ce jugement.

Par ordonnance du 27 avril 2017, le magistrat délégué par le Premier Président de cette cour a arrêté l'exécution provisoire du jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Weeride au paiement de la somme de 100 000 euros de dommages et intérêts et ordonné sa publication, mais l'a maintenue pour le solde.

Par conclusions du 21 décembre 2017, la société Weeride Europe a demandé que la cour :

• infirme le jugement déféré,

• déboute la société CPF de toutes ses demandes,

• la condamne à lui payer la somme de 15 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive, sans préjudice d'une amende civile,

• la condamne à lui payer la somme de 20 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

• la condamne aux dépens avec droit de recouvrement pour ceux dont il a été fait l'avance et dise qu'en cas d'exécution forcée, le droit proportionnel de l'article 10 du tarif des huissiers restera à sa charge.

A titre principal, la société Weeride conteste que les poulaillers et clapiers commercialisés par la société CPF aient des signes distinctifs et soutient que de nombreuses entreprises commercialisent des produits similaires en raison de la banalité du produit, de son manque d'originalité et de ses nécessités fonctionnelles.

Par conclusions du 15 juillet 2016, la société CPF a sollicité que la cour :

• confirme le jugement déféré en ce qu'il dit que les agissements de la société Weeride Europe sont constitutifs de parasitisme et lui ont causé un préjudice,

• l'infirme quant au quantum du préjudice et au montant de l'astreinte,

• condamne la société Weeride à lui payer la somme de 500 000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice économique et moral,

• ordonne à la société Weeride de cesser la commercialisation les produits copiés sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée et produit vendu,

• ordonne la publication de l'arrêt dans deux journaux aux frais avancés de la société Weeride,

• condamne cette dernière au paiement de la somme de 10 000 euros pour frais irrépétibles de première instance et de 10 000 euros pour frais irrépétibles d'appel,

• la condamne aux dépens,

• la déboute de ses demandes.

Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, la cour renvoie aux conclusions susvisées.

Motifs de la décision :

La SAS Compagnie des Pet Foods (société CPF) reproche à la société SAS Weeride Europe (société Weeride) des actes de concurrence déloyale constitués d'une part d'un parasitisme de ses produits, d'autre part de publicité trompeuse et mensongère.

Le parasitisme :

La société CPF indique dans ses conclusions bénéficier "depuis de nombreuses années" d'un référencement "national" auprès de plusieurs centaines de magasins, enseignes et chaînes pour une gamme élargie de produits parmi lesquels des poulaillers vendus depuis 2008 sous les noms de "Cottage" et "Maison des Poules", depuis 2011 sous les noms de "Large Square" et "Utah" et de clapiers dont le clapier "Cage Cottage Animal" vendu depuis 2005 et le clapier "Village" vendu depuis 2006.

Elle reproche à la société Weeride d'en faire fabriquer des copies serviles pour les vendre directement aux particuliers via son site internet, se plaçant ainsi dans son sillage pour bénéficier du nouvel engouement des particuliers pour les petits poulaillers décorés en forme de maison, en profitant des investissements qu'elle-même a réalisés depuis 2005 pour dessiner et diffuser ses modèles.

Elle soutient ainsi que le poulailler " Caumont " est la copie servile de son poulailler "Cottage", que le poulailler "Janze" est la copie servile de son poulailler "Large Square", que le poulailler "Padoue" est la copie servile de son poulailler "Utah", que le poulailler "Estaire" est la copie servile de son poulailler "Maison des poules", que le clapier "Angora" est la copie servile de son clapier "Cage Cottage Animals" et que le clapier " Lynx " est la copie servile de son clapier "Village".

Quoique la société Weeride tente de démontrer par plusieurs constats d'huissiers qu'il existe des différences significatives entre ses modèles et ceux de la compagnie CPF, celles-ci ne sont à l'évidence pas suffisantes pour distinguer à vue d'oeil les produits les uns des autres, ceux-ci apparaissant parfaitement similaires lorsque le client en regarde les photos, notamment sur un site internet.

Par ailleurs aucune contrainte technique, non plus que la mode des poulaillers et clapiers en forme de maisonnette ne permet d'expliquer que les clapiers "Village" de la société CPF et "Lynx" de la société Weeride soient tous les deux entourés d'une clôture à la découpe exactement semblable et imitant les barrières campagnardes en bois et que les clapiers "Cage Cottage Animals" et "Angora" (Weeride) retrouvent cette même clôture cette fois-ci à l'intérieur de leur grillage, alors même qu'ils représentent tous deux des maisons de style Amérique Côte Est en bardage bois coloré.

Pour autant, l'action en parasitisme de la société CPF se heurte à deux obstacles.

D'une part, elle ne démontre pas ses allégations selon lesquelles elle serait depuis 2005 un des premiers fabricants du marché de poulailler et de clapiers à usage familial et surtout n'apporte pas la démonstration qu'elle ait commercialisé avant la société Weeride les poulaillers et clapiers dont elle s'attribue la paternité.

D'autre part, la société Weeride a démontré que des poulaillers et clapiers similaires sont vendus par de très nombreux distributeurs ou fabricants dont la société CPF ne prétend pas qu'ils aient des liens avec elle.

Ainsi, un modèle similaire au poulailler "Cottage" de la société CPF est vendu sous la dénomination "Avibel" chez la société Ducatillon, sous la dénomination "Paulette" chez la société Animojardin, sous la dénomination "le pavillon d'Hilary" chez la société Poulaillerdesign.

Il en est de même du poulailler "Large Square" de la société CPF, dénommé Avipark chez Ducatillon ou Chicken Duplex, ou Chick chez Animojardin ou Bel Air et Grand Air chez Vivelevage, Chick'en Home chez Poulaillerdesign, Helskinki et Oslo chez La Ferme de Beaumont.

De la même façon, un huissier de justice, en allant sur le site d'Amazon, rubrique Poulaillers, et en cliquant sur divers liens a trouvé une page pleine de photos de poulaillers et clapiers reprenant les thèmes des maisons américaines en bardage (y compris la petite clôture en bois à l'intérieur du grillage) qui sont la spécificité des clapiers "Cage Cottage Animal" et "Village".

Si la société CPF allègue dans ses conclusions que ces constatations s'expliquent par le fait qu'elle serait le grossiste fournisseur de nombreux revendeurs, elle n'en fournit pas la moindre preuve.

Par ailleurs, le terme même de "Cottage", qui signifie comme chacun le sait une petite maison à la campagne est employé à de nombreuses reprises par différents concurrents pour dénommer l'un de leurs modèles, tandis qu'un fabricant anglais de poulaillers familiaux a même pour dénomination "Forsham Cottage Arks".

Enfin, à défaut d'avoir jugé utile de verser son propre catalogue aux débats, la société CPF ne justifie pas ses allégations selon lesquelles la société Weeride aurait copié "toute sa gamme", tandis que l'appropriation systématique de ses présentoirs n'est pas plus justifiée.

Il en résulte que la société CPF échoue dans sa démonstration d'avoir initié la fabrication de poulaillers et clapiers en forme de maisonnette de type "cottage" ou "Côte Est des Etats-Unis", puis d'avoir été servilement copiée sans bourse délier par la société Weeride, qui apparaît comme un simple concurrent sur un marché actuellement en pleine croissance sur lequel interviennent de nombreux acteurs.

En conséquence, le jugement doit être infirmé en ce qu'il a interdit à la société Weeride la commercialisation de certains de ses produits au motif qu'ils étaient la copie de ceux de la société CPF.

Sur la publicité trompeuse et mensongère :

La société CPF, qui justifie bénéficier pour ses produits d'une certification FSC, reproche à la société Weeride de se prévaloir d'une certification FSC qu'elle ne possède pas et d'indiquer qu'elle fabrique ses poulaillers en France alors que tel ne serait pas le cas.

Elle invoque les dispositions de l'article L. 121-1 du Code de la consommation réprimant les pratiques commerciales trompeuses.

Selon ces dernières, une pratique commerciale est trompeuse si la fausse allégation porte sur une caractéristique essentielle du bien ou une qualité considérée comme substantielle.

L'examen du catalogue diffusé par la société Weeride sous l'enseigne "Chemin des Poulaillers.com" démontre que celui-ci commence par le paragraphe suivant : "Notre métier est de proposer à nos clients une gamme de produits économiques, écologiques, tout en étant qualitatif avec un design soigné. Dans une optique responsable nous sommes attachés à l'origine des matériaux utilisés ainsi qu'à la conception simple et respectueuse de l'environnement. A cet égard, nous développons des produits labellisés FSC (un arbre coupé est un arbre planté)".

Suivent ensuite les fiches de présentation de chaque produit, tous en bois, dont aucun ne porte d'étiquette FSC, ce dont il se déduit au regard de la mention susvisée que toute la gamme est présentée comme certifiée FSC.

Or, il est constant que la société Weeride ne justifie pas de cette certification, le certificat versé aux débats ne mentionnant pas quel est son bénéficiaire (la mention ayant été obturée sur la pièce versée aux débats).

D'autre part, le site internet Chemin des Poulaillers.com fait état pour certains des produits vendus d'une fabrication "100 % française" que la société Weeride est incapable de justifier et qui est contredite par sa pièce numéro 2, présentée comme le catalogue de son fournisseur, qui est chinois, ainsi que par les déclarations faites par son fondateur dans des articles de journaux, selon lesquelles il se fournirait en Chine.

Selon la société CPF, ces éléments trompeurs sont de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur, en lui laissant croire que les poulaillers et clapiers de la société Weeride, quoique peu coûteux, sont d'aussi bonne qualité que les biens proposés par ses concurrents.

Toutefois, en l'absence de toute pièce permettant de connaître les prix pratiqués par la société CFP afin de pouvoir les comparer à ceux pratiqués par la société Weeride, l'intimée échoue dans sa démonstration d'une possible altération substantielle du comportement économique du consommateur.

Les pratiques commerciales trompeuses de la société Weeride ne sont donc pas établies.

Il résulte de l'ensemble des motifs qui précèdent que la société CFP doit être déboutée de l'intégralité de ses prétentions et le jugement déféré infirmé.

Sur la demande reconventionnelle de la société Weeride :

La société Weeride sollicite l'allocation d'une somme de 15 000 euros pour procédure abusive.

Les constatations effectuées par la cour quant à l'existence de fausses allégations sur son catalogue commercial dénient toutefois tout caractère abusif à la procédure introduite par la société CPF et la demande est rejetée.

Sur les frais irrépétibles et les dépens :

La société CPF, qui succombe, supportera la charge des dépens de première instance et d'appel.

Il est équitable que chacune des parties conserve à sa charge ses propres frais irrépétibles.

Aucun motif ne justifie qu'il soit fait droit à la demande relative au droit proportionnel de l'huissier poursuivant.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Weeride Europe de ses demandes. L'infirme pour le surplus. Statuant à nouveau : Déboute la société Compagnie des Pet Foods de l'ensemble de ses demandes. Condamne la société Compagnie des Pet Foods aux dépens de première instance et d'appel. Rejette les demandes formées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile. Rejette la demande relative aux dispositions de l'article 10 du tarif des huissiers.