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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 7 novembre 2018, n° 16-10209

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ada (SA), Eda (SA), Ada Services (SARL)

Défendeur :

Chris & Tif (SARL), Vinceneux (ès qual.), Denomme, Muller

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Ingold, Istria, Grappotte-Benetreau, Ben Soussen

T. com. Paris, du 22 mars 2016

22 mars 2016

Faits et procédure

La société Ada exerce une activité de location de véhicules automobiles utilitaires et de tourisme au travers d'un réseau de commerçants indépendant bénéficiaires d'un contrat de franchise. Son réseau de franchisés regroupe environ 400 agences exploitées en France.

La société Eda qui a pour activité commerciale la location de courte durée de véhicules automobiles et la société Ada Services, anciennement dénommée " Holiday Bikes ", font partie du groupe Ada. Le 11 décembre 2009, la société Ada a conclu un contrat de franchise avec la société Chris & Tif, immatriculée le 7 décembre 2009, gérée par M. Christopher Denomme, âgé de 24 ans, et Mme Thiphanie Muller, âgée de 20 ans, et spécialisée dans le secteur d'activité de la location de courte durée de voitures et de véhicules automobiles légers, en vue de l'exploitation en exclusivité sous l'enseigne Ada d'un fonds de commerce sur la commune d'Alès (30).

Fin 2011, M. Denomme et Mme Muller ont souhaité quitter Alès pour s'installer dans une autre région. La société Chris & Tif a alors donné un mandat de vente à la société Ada à l'effet de trouver un acquéreur pour son fonds de commerce de location de véhicule exploité à Alès. La société SAPN, filiale du groupe Ada aux droits de laquelle vient la société Ada par voie d'absorption, a racheté ce fonds, par acte du 20 février 2012, moyennant le prix de 100 000 euros.

Dans le même temps, la société Chris & Tif s'est déclarée intéressée pour exploiter deux fonds de commerce de location de véhicules sous enseigne Ada sur la commune de Toulouse (31), fonds que la société SAPN avait acquis de la société CDF Locations par actes du 3 juillet 2008 et donnés en location-gérance à la société Loc'citane, par actes du 27 janvier 2009, à effet au 4 février 2009, qui ont été résiliés, d'un commun accord, par actes du 17 février 2012.

Le 23 février 2012, la société Ada a attribué à la société Chris & Tif l'exploitation de la zone de Toulouse Est, par avenant au contrat de franchise du 11 décembre 2009, et la société SAPN a donné en location-gérance à la société Chris & Tif les deux fonds situés à Toulouse et à Labège.

Parallèlement, la société Eda a consenti à la société Chris & Tif des sous-locations de véhicules tant de tourisme qu'utilitaires pour l'année 2012 suivant un contrat-cadre et la société Holiday Bikes, devenue ultérieurement Ada Services, a mis à la disposition de la société Chris & Tif le logiciel Unipro, permettant la gestion informatique des locations et du parc de véhicules.

A partir du mois de mars 2013, la société Chris & Tif n'a plus été à jour de ses règlements à l'égard de la société Eda. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 5 mars 2013, les sociétés Ada et Eda l'ont mise en demeure d'avoir à s'acquitter de ses dettes. Ces mises en demeure sont restées infructueuses.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 6 avril 2013, les sociétés Ada et Eda ont notifié à la société Chris & Tif la résiliation du contrat de franchise et du contrat-cadre de location de véhicules pour impayés et par lettre recommandée avec accusé de réception du 6 avril 2013, la société SAPN a résilié les deux contrats de location-gérance.

La société Chris & Tif refusant de régler les sommes demandées, par exploit du 15 mars 2013, les sociétés Ada, Eda, Holiday Bike et SAPN l'ont assignée en paiement devant le tribunal de commerce de Paris.

Par exploit du 16 mars 2013, la société Chris & Tif a assigné les sociétés SAPN et Ada devant le tribunal de commerce de Paris, en annulation des conventions.

Par jugement du 16 mai 2013, le tribunal de commerce de Toulouse a prononcé la liquidation judiciaire de la société Chris & Tif et a désigné Me Liliane Vinceneux, mandataire judiciaire, en qualité de liquidateur. Les sociétés du groupe Ada ont déclaré leurs créances.

Par exploit du 6 juin 2013, les sociétés Ada, Eda, Holiday Bike et SAPN ont assigné Me Vinceneux, en qualité de liquidateur de la société Chris & Tif.

Par jugement du 10 octobre 2014, le tribunal de commerce de Paris a joint les trois affaires sous le n° J2014000636.

Par jugement du 22 mars 2016, le tribunal de commerce de Paris a :

- dit que tous les contrats liant la société Chris & Tif aux entités du groupe Ada sont nuls,

- condamné les sociétés Ada et SAPN, aux droits de laquelle vient la société Ada, à payer à Me Vinceneux, ès qualités, la somme de 106 516 euros au titre des restitutions de loyers, de redevances et de frais de gestion,

- condamné la société Ada à payer à Me Vinceneux, ès qualités, la somme de 17 681 euros au titre de la perte de chance,

- condamné la société Ada à payer à Mme Muller la somme de 5 609,50 euros au titre du manque à gagner,

- condamné la société Ada à payer à M. Denomme la somme de 3 100 euros au titre du manque à gagner,

- condamné la société Ada à payer à Me Vinceneux, ès qualités, la somme de 2 152,80 euros, outre les intérêts de retard au taux légal à compter de 18 février 2013,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,

- condamné la société Ada, la société Eda, la société Ada Services et la société SAPN, aux droits de laquelle vient la société Ada, à payer à Me Vinceneux, ès qualités, la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- dit les parties mal fondées pour leurs demandes plus amples ou contraires au présent dispositif et les en a déboutées,

- condamné la société Ada, la société Eda, la société Ada Services et la société SAPN, aux droits de laquelle vient la société Ada, à payer les dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 215,04 euros dont 35,62 euros de TVA.

LA COUR

Vu la déclaration d'appel et les dernières conclusions déposées et notifiées le 6 septembre 2018 par lesquelles les sociétés Ada, Eda et Ada Services, appelantes, invitent la cour, au visa des articles 1104 (anciennement 1134), 2044 et 2052 du Code civil et 384 du Code de procédure civile, à :

- dire les sociétés Ada, Eda et Ada Services recevables et bien fondées en leur appel du jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 22 mars 2016,

- débouter la société Chris & Tif, prise en la personne de Maître Vinceneux, ès qualités, M. Denomme et Mme Muller de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

à titre principal :

- constater l'existence d'une transaction,

- dire et juger que les parties ne peuvent plus invoquer les termes du jugement du 22 mars 2016, à titre subsidiaire :

- dire que le contrat de franchise et les contrats de location-gérance sont valables, en conséquence :

- infirmer le jugement du 22 mars 2016,

- fixer la créance de la société Ada d'un montant de 5 710,24 euros TTC au titre des redevances de franchise impayées, outre les intérêts légaux à compter de la mise en demeure en date du 6 avril 2013, au passif de la société Chris & Tif,

- fixer la créance de la société Eda d'un montant de 61 209,12 euros TTC, au titre des loyers impayés, outre les intérêts légaux à compter de la mise en demeure en date du 5 mars 2013, au passif de la société Chris & Tif,

- fixer la créance de la société Ada Services d'un montant de 12 870,14 euros TTC, au titre des redevances Unipro impayées, outre les intérêts légaux à compter de la mise en demeure en date du avril 2013, au passif de la société Chris & Tif,

- fixer la créance de la société SAPN, aux droits de qui vient la société Ada, d'un montant de 28 003,25 euros TTC, au titre des factures restées impayées, au passif de la société Chris & Tif,

- ordonner la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil,

à titre infiniment subsidiaire et si la cour confirmait l'annulation des contrats de franchise et de location-gérance :

- condamner la société Chris & Tif, prise en la personne de Maître Vinceneux, ès qualités, à restituer à la société Ada la somme de 442 550 euros correspondant au chiffre d'affaires réalisé grâce à l'utilisation de la marque Ada,

- fixer cette créance au passif de la société Chris & Tif,

- ordonner la compensation avec les sommes éventuellement dues à Chris & Tif, prise en la personne de Maître Vinceneux, ès qualités,

en tout état de cause :

- condamner la société Chris & Tif, prise en la personne de Maître Vinceneux, ès qualités, M. Denomme et Mme Muller, à payer à chacune des sociétés Ada, Eda et Ada Services une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- les condamner aux entiers dépens ;

Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 10 septembre 2018 par lesquelles la société Chris & Tif, M. Christopher Denomme et Mme Tiphanie Muller, intimés, demandent à la cour, au visa des articles 1108, 1109, 1116, 1147, 1149, 1382, 1235, 1720 et 1721 du Code civil, L. 144-3, L. 144-10, L. 330-3, R. 330-1 et L. 622-7 du Code de commerce, de :

à titre principal :

- confirmer le jugement rendu le 22 mars 2016 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a prononcé la nullité de tous les contrats conclus entre les sociétés du groupe Ada et la société Chris & Tif,

- confirmer le jugement rendu le 22 mars 2016 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a condamné la société Ada, Eda et Ada Services à verser la somme de 106 516 euros à Me Vinceneux, ès qualités, au titre des restitutions,

- débouter les sociétés Ada, Eda et Ada Services de l'ensemble de leurs demandes,

- condamner en conséquence les sociétés Ada, Eda et Ada Services, aux droits de qui vient la société Ada, à verser à Maître Vinceneux ès qualités une somme de 50 000 euros à titre de dommages intérêts,

- infirmer le jugement en ce qui concerne les sommes allouées à Mme Muller et à M. Denomme,

- condamner la société Ada à payer à Mme Muller et M. Denomme la somme de 1 779,24 euros au titre des frais engagés pour le déménagement,

- condamner la société Ada à payer à Mme Muller la somme de 35 450 euros au titre de son préjudice personnel,

- condamner la société Ada à payer à M. Denomme la somme de 39 650 euros au titre de son préjudice personnel,

à titre subsidiaire :

- prononcer la résiliation des contrats de franchise et de location-gérance aux torts exclusifs des sociétés Ada et SAPN, aux droits de qui vient la société Ada,

- débouter les sociétés Ada, Eda et Ada Services de l'ensemble de leurs demandes,

- condamner en conséquence les sociétés Ada et SAPN, aux droits de laquelle vient la société Ada, à verser à Maître Vinceneux, ès qualités, une somme de 156 516 euros,

- condamner la société Ada à payer à Mme Muller la somme de 35.450 euros au titre de la perte de chance,

- condamner la société Ada à payer à Mme Muller et M. Denomme la somme de 1 779,24 euros au titre des frais engagés pour le déménagement,

- condamner la société Ada à payer à M. Denomme la somme de 39 650 euros au titre de la perte de chance,

en tout état de cause :

- condamner la société Ada à restituer à Maître Vinceneux, ès qualités une somme de 5 000 euros, indûment prélevée au titre d'une commission d'intermédiation illicite, outre les intérêts de retard au taux légal à compter du 18 février 2013,

- condamner la société Ada à restituer à Maître Vinceneux, ès qualités une somme de 4 577,93 euros, outre les intérêts de retard au taux légal à compter de la mise en demeure, soit à compter du 18 février 2013, au titre d'une surfacturation de loyers,

- condamner la société Ada à restituer à Maître Vinceneux, ès qualités, une somme de 2 152,80 euros, outre les intérêts de retard au taux légal à compter de la mise en demeure, soit à compter du 18 février 2013, au titre d'une licence informatique n'ayant jamais été commandée ni livrée,

- débouter les sociétés Ada, Eda, Ada Services et SAPN, aux droits de laquelle vient la société Ada, de toutes leurs demandes,

- condamner les sociétés Ada, Eda, Ada Services et SAPN, aux droits de laquelle vient la société Ada, outre aux entiers frais et dépens, à verser à Me Vinceneux ès qualités une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Sur ce

Sur la portée du protocole d'accord sous conditions suspensives du 23 février 2016

Les sociétés Ada, Eda et Ada Services font valoir que pendant le délibéré ayant donné lieu au jugement du 22 mars 2016, les parties se sont rapprochées et ont conclu un accord par lequel les sociétés Ada et Eda, renonçant à leurs déclarations de créances, s'engageaient à verser à Mme Muller et M. Denomme une indemnité transactionnelle, globale et définitive d'un montant total de 30 000 euros, en contrepartie de quoi Mme Muller, M. Denomme et Maître Vinceneux renonçaient à se prévaloir du jugement du tribunal de commerce de Paris à intervenir s'il faisait droit à leurs demandes. Elles ajoutent que le conseil des intimés a confirmé l'existence de cet accord, par lettre officielle. Elles indiquent qu'en exécution de l'accord ainsi conclu, la société Ada a versé une somme de 30 000 euros à M. Denomme et Mme Muller et qu'au moment même de ce règlement, un protocole transactionnel a été établi, signé par les sociétés Ada, Eda et Ada Services, aux termes duquel, Maître Vinceneux, ès qualités, s'est engagée à présenter une requête afin d'autorisation à Mme le juge-commissaire dans les 15 jours de la date de ce protocole, soit donc au plus tard le 8 mars 2016, afin de permettre son homologation, mais que Maître Vinceneux, ès qualités, n'a pas respecté cet engagement, malgré l'envoi d'une mise en demeure le 15 avril 2016. Elles considèrent que les règles de la bonne foi contractuelle lui imposent de respecter son engagement. En réplique à Maître Vinceneux, qui relève que le protocole a été signé sous la condition suspensive de son homologation par le tribunal de commerce, elles soutiennent que cette condition suspensive est potestative puisque sa réalisation ne dépend que du bon vouloir de Maître Vinceneux qui seule peut décider de soumettre le protocole à Mme le juge-commissaire, de sorte que cette condition est nulle.

Elles en concluent que les intimés ne peuvent se prévaloir du jugement du 22 mars 2016, dès lors qu'ils y ont renoncé.

Selon Maître Vinceneux, ès qualités, M. Denomme et Mme Muller, le protocole transactionnel versé par la partie adverse n'a pas été autorisé par le juge-commissaire nommé dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire de la société Chris & Tif. Par conséquent ce protocole n'a pas pu être homologué par le tribunal de commerce saisi de la procédure de liquidation de la société Chris & Tif. En application des dispositions d'ordre public énoncées à l'article L 622-7 II du Code de commerce, ce protocole ne peut pas être appliqué. Les sociétés Ada, Eda, et Ada Services sont donc tenues d'exécuter le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 22 mars 2016.

L'article 9 de la transaction datée du 23 février 2016 et signée des seules sociétés Ada, précise qu'elle est régularisée sous la condition suspensive de l'autorisation de Mme le juge-commissaire désignée dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société Chris & Tif et de son homologation par le tribunal de commerce de Toulouse, Maître Vinceneux, ès qualités, s'engageant à déposer une requête afin d'autorisation. Aucune requête afin d'autorisation n'a été déposée.

L'autorisation du juge-commissaire pour transiger est prescrite, à peine de nullité de l'acte, par l'article L. 622-7 II du Code de commerce qui est d'ordre public. Par suite, c'est vainement que les appelantes soutiennent que la condition suspensive de l'autorisation est potestative et donc nulle. Faute d'avoir été autorisée par Mme le juge-commissaire et a fortiori, homologuée par le tribunal de commerce, la transaction ne peut pas être appliquée. En conséquence le moyen tiré de l'impossibilité des intimés de se prévaloir du jugement entrepris du fait de cette transaction, sera rejeté.

Sur la validité des contrats de franchise, de location-gérance et des autres contrats souscrits auprès des sociétés du groupe Ada en la cause

Sur l'indivisibilité des contrats

Les sociétés Ada, Eda et Ada Services soutiennent que :

- le tribunal a, de façon surprenante, examiné les seules conditions de signature des contrats de location-gérance pour ensuite prononcer la nullité d'un tout autre contrat, le contrat de franchise,

- le tribunal ne pouvait pas se fonder sur le dol ou l'erreur qui aurait entouré la signature des contrats de location-gérance pour prononcer la nullité du contrat de franchise.

Maître Vinceneux, ès qualités, M. Denomme et Mme Muller répliquent que :

- le tribunal de commerce a longuement justifié l'indivisibilité des contrats de location-gérance et de franchise et en a déduit que la nullité d'un contrat entraînait la nullité de l'ensemble des contrats,

- les parties ont entendu lier les contrats selon l'article 10 des contrats de location-gérance.

L'article 10 du contrat de location-gérance précise que " le présent contrat de location-gérance est indivisible du contrat de franchise Ada signé par le locataire Gérant avec la société Ada ".

C'est donc par de justes motifs que les premiers juges ont retenu que les parties ayant entendu lier les contrats de franchise et de location-gérance, ceux-ci formaient un ensemble indivisible et interdépendant, ainsi que les contrats souscrits auprès des autres entités du Groupe Ada dans la cause (Eda, Ada Services et SAPN) qui ne l'auraient pas été si les contrats de location-gérance et de franchise n'avaient pas été conclus, et qui n'ont aucun sens indépendamment les uns des autres, de telle sorte que l'anéantissement de l'un des contrats emportait celle des autres.

Sur la nullité du contrat de franchise pour vices du consentement et l'anéantissement subséquent des contrats attachés

Pour solliciter l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a dit que le contrat de franchise était nul pour vices du consentement du fait de l'absence de remise d'un document d'information pré-contractuelle et du silence des demanderesses sur des informations essentielles, les sociétés Ada, Eda et Ada Services soutiennent que la société Chris & Tif n'a été trompée en aucune manière et n'a pu commettre aucune erreur sur la substance dès lors que :

- le contrat de franchise signé par la société Chris & Tif le 11 décembre 2009 a été précédé de la remise d'un document d'information pré-contractuelle dans le délai de 20 jours tel que prévu par l'article L. 330-3 du Code de commerce,

- le franchisé présentait un caractère averti après avoir exploité une agence de location de véhicules sous enseigne Ada à Alès pendant deux années,

- la société Chris & Tif a décidé de vendre ce fonds pour aller s'installer à Toulouse et Labège et continuer à exploiter une agence de location sous enseigne Ada,

- Mme Muller et M. Denomme ont, au cours de ces deux années passées au sein du réseau de franchise Ada, régulièrement suivi les formations proposées par le franchiseur et ont assisté aux conventions annuelles et régionales organisées par la société Ada au cours desquelles il leur a été régulièrement présenté l'évolution du réseau et l'évolution du marché de la location de voitures,

- ce n'est que postérieurement, à la signature des contrats de location-gérance (en février 2012), que la société Loc'citane a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 10 janvier 2013 de sorte qu'il n'y a aucun lien de causalité entre les conditions d'exécution du contrat de franchise Ada et cette liquidation judiciaire,

- concernant l'étude du marché local, l'article L. 330-1 du Code de commerce ne met pas à la charge du franchiseur l'obligation de remettre au candidat à la franchise un tel document et il appartient au candidat franchisé de procéder lui-même à une analyse d'implantation précise,

- en qualité d'entrepreneurs indépendants et avertis, puisqu'il est ici rappelé que M. Denomme a été agent de comptoir chez Europcar avant de devenir franchisé Ada, les candidats à la franchise auraient dû, à tout le moins, mener cette étude,

- concernant le prévisionnel, les comptes de résultat prévisionnel du futur franchisé fournis par le franchiseur n'ont pas de valeur d'engagement contractuel,

- en tout état de cause, la société Chris & Tif était assistée d'un Expert comptable et a fait d'ailleurs établir par son comptable, la société Progex, un prévisionnel qu'ils ont eux-mêmes jugé " cohérent ",

- de plus, les nombreuses discussions qui ont eu lieu entre la société Chris & Tif et le Groupe Ada pour la reprise des deux agences de Toulouse en location-gérance ont permis à la première de prendre connaissance du marché local et de se décider en toute connaissance de cause.

Maître Vinceneux, ès qualités, M. Denomme et Mme Muller répliquent que le contrat de franchise est nul dès lors que le consentement de la société Chris & Tif n'a été donné que sur la base d'une erreur. Ils soutiennent plus particulièrement que :

- aucun document d'information pré-contractuelle n'a été remis à la société Chris & Tif, que ce soit avant la signature du premier contrat concernant le fonds d'Alès ou lors de la signature de l'avenant prévoyant l'exploitation des fonds de Toulouse et Labège,

- l'avenant qui a été signé le 23 février 2012 et avait pour objet de modifier la zone territoriale concédée à la société Chris & Tif, n'a été accompagné d'aucune information liée à cette zone, aucune information sur les spécificités des fonds donnés en gérance ou sur l'état du marché local et ses perspectives de développement, alors que l'obligation d'information pré-contractuelle prévue aux articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce s'applique également en cas de renouvellement d'un contrat, de tacite reconduction ou de la conclusion d'un nouveau contrat,

- si l'obligation d'information pèse sur le franchiseur même en cas de tacite reconduction, c'est-à-dire même si les modalités contractuelles restent rigoureusement identiques, a fortiori, le franchiseur est tenu d'une obligation pré-contractuelle d'information quand un avenant vient modifier les dispositions contractuelles,

- le groupe Ada n'a pas averti la société Chris & Tif des graves difficultés rencontrées par les précédents exploitants de ces agences qui ont fait l'objet d'une liquidation judiciaire,

- la société Ada a acquis ces fonds à la barre, lors de la liquidation de la société CDF locations en 2009, non pas pour en assurer elle-même l'exploitation mais pour la confier en location-gérance à des franchisés,

- le franchiseur aurait du transmettre au franchisé une description de l'état local du marché, comprenant notamment une listes des principaux concurrents et ces informations sont essentielles pour que le candidat à la franchise puisse s'engager en connaissance de cause,

- la société Ada aurait donc dû informer le candidat à la franchise de la présence à Labège de deux concurrents dans un rayon de 200 mètres et à Toulouse, de nombreuses agences concurrentes (Avis, Europcar, Sixt et Hertz) situées à 7 minutes à pieds.

En application des dispositions des articles 1108 et 1109 anciens du Code civil, le consentement de la partie qui s'oblige est une condition essentielle de la validité d'une convention et il n'y a pas de consentement valable si ce consentement n'a été donné que par erreur ou surpris par dol. L'article 1110 ancien du même Code dispose que l'erreur n'est une cause de nullité que si elle porte sur la substance même de la chose qui en est l'objet et l'article 1116 ancien précise que le dol est une cause de nullité lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté, qu'il ne se présume pas et qu'il doit être prouvé.

Par ailleurs, l'article L. 330-3 du Code commerce dispose que " toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause ". Ce document d'information pré-contractuelle, " dont le contenu est fixé par décret, précise notamment, l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivités ". Cette information constitue une obligation déterminante et essentielle du franchiseur et l'article R. 330-1 l'oblige notamment à " une présentation de l'état général et local du marché des produits ou services devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché ", afin de permettre au futur franchisé de s'engager en connaissance de cause.

Il est constant que la méconnaissance, par un franchiseur, de son obligation pré-contractuelle d'information n'entraîne la nullité du contrat de franchise que s'il est démontré que celle-ci est constitutive d'un dol, d'une réticence dolosive ou d'une erreur, de nature à vicier le consentement du franchisé.

Maître Vinceneux, ès qualités, reproche l'absence de fourniture d'un document d'information pré-contractuelle lors de la conclusion de l'avenant et notamment l'absence d'information sur les spécificités des fonds et l'état du marché local de sorte que le franchisé n'ayant pas pu apprécier les potentialités réelles de la zone ni les perspectives de rentabilité, son consentement a été vicié.

La société Ada soutient, sans en justifier alors même que les intimés le contestent, avoir remis un document d'information pré-contractuelle lors de la signature du contrat de franchise le 11 décembre 2009. Elle reconnaît l'absence de fourniture d'un tel document antérieurement à la conclusion de l'avenant souscrit pour l'exploitation des deux fonds de commerce à Toulouse et Labège, qu'elle estime toutefois sans conséquence compte tenu du caractère averti de M. Denomme, qui avait été agent de comptoir chez Europcar puis avait exercé en franchise sous enseigne Ada pendant deux ans et qui, de surcroît, était assisté de son expert-comptable.

Mais l'obligation d'information pré-contractuelle pèse sur le franchiseur même en cas de renouvellement d'un contrat, que ce soit par tacite reconduction ou par avenant, peu important à cet égard que le franchisé ait assisté auparavant à des cours de formation dispensés par le franchiseur dans le cadre de son obligation d'assistance et/ou qu'il ait été assisté d'un expert-comptable lors de la signature de l'avenant, et ce, d'autant que les fonds exploités à Toulouse et Labège (31) se trouvaient dans une zone géographique très éloignée de celle d'Alès (30) de sorte que, notamment, les informations sur l'état du marché local dans cette dernière ville et les perspectives de développement, à les supposer communiquées lors de la conclusion du contrat du 11 décembre 2009, ne sont pas transposables et ne pouvaient manifestement pas lui permettre de s'engager en connaissance de cause.

M. Denomme, âgé de 26 ans en février 2012, qui ne pouvait être qualifié d'averti compte tenu de sa faible expérience dans le domaine de la franchise, et Mme Muller, âgée alors de 22 ans, n'ont donc été destinataires d'aucune information sur l'état du marché local et les perspectives de développement de ce marché.

Comme ils le font valoir, à juste titre, Mme Muller et M. Denomme n'ont notamment pas eu connaissance de la liste de leurs principaux concurrents implantés à proximité. Or, les pièces n° 6.1 et 6.2 qu'ils produisent et qui ne sont pas sérieusement contestées en défense, attestent de la présence de deux concurrents dans un rayon de 200 mètres à Labège et de celle de nombreuses agences concurrentes situées à 7 minutes à pied à Toulouse.

En outre, les gérants de la société Chris & Tif n'ont reçu aucune information sur les raisons pour lesquelles les précédents exploitants successifs sous enseigne Ada, les sociétés CDF Locations (liquidation judiciaire le 3 février 2009) et Loc'citane (résiliation du contrat de location-gérance en février 2012), ont dû cesser leur activité. M. Denomme et la société Chris & Tif n'ont donc pas pu apprécier justement les perspectives de rentabilité des deux exploitations alors que ces données constituent la substance même du contrat de franchise pour lequel l'espérance de gains est déterminante. Ces omissions fondamentales du franchiseur en violation de ses obligations légales d'information pré-contractuelle, que celui-ci ne pouvait ignorer, sont constitutives d'un dol ayant vicié le consentement de M. Denomme et de la société Chris & Tif qui ont commis une erreur sur la réalité de la franchise et plus particulièrement sur la rentabilité des deux agences, erreur déterminante de leur engagement dès lors que dûment informés de la cessation d'activité des précédents exploitants et de la présence de nombreux concurrents, ils n'auraient pas contracté ou contracté à d'autres conditions.

Par suite, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat de franchise et l'anéantissement des contrats de location-gérance et des contrats subséquents du fait de leur indivisibilité, sans qu'il soit nécessaire d'examiner le moyen surabondant soulevé par les intimés tiré de la nullité des contrats de location-gérance du fait l'absence d'autorisation judiciaire.

Sur les demandes en paiement

Sur les demandes en paiement de Maître Vinceneux, ès qualités de liquidateur de la société Chris & Tif

L'ensemble des contrats étant anéanti, leur effacement rétroactif a pour effet de remettre les parties dans l'état initial où elles se trouvaient. Par suite, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a condamné les sociétés Ada, Eda et Ada Services à verser la somme de 106 516 euros, non contestée dans son quantum, à Me Vinceneux, ès qualités, au titre de la restitution des redevances et frais de gestion versés en vertu du contrat de franchise et des redevances et loyers payés en vertu du contrat de location-gérance.

Comme le rappellent à juste titre les intimés, le droit de demander la nullité n'exclut pas l'exercice d'une action en responsabilité pour manquement à une obligation pré-contractuelle d'information, le préjudice résultant d'un tel manquement étant constitué par la perte de la chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses. Me Vinceneux, ès qualités, sollicite la somme de 50 000 euros au titre du préjudice subi du fait de la perte de chance de ne pas conclure un contrat prétendument rentable.

C'est par une exacte appréciation des faits de la cause, aucun élément de nature à la remettre en cause n'étant produit en appel, que le tribunal, prenant en compte notamment une espérance d'un gain, pour les deux agences, deux fois supérieur à la moyenne des résultats dégagés par l'exploitation du fonds de commerce d'Alès, et les pertes d'exploitation et l'absence de résultat des deux agences, a évalué à la somme de 17 661 euros le préjudice subi du fait de cette perte de chance. Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef et Maître Vinceneux, ès qualités, déboutée du surplus de sa demande.

Maître Vinceneux, ès qualités, sollicite en outre la condamnation de la société Ada à lui restituer :

- une somme de 5 000 euros qui aurait été indûment prélevée au titre d'une commission d'intermédiation illicite,

- une somme de 4 577,93 euros au titre d'une surfacturation de loyers,

- une somme de 2 152,80 euros au titre d'une licence informatique n'ayant jamais été commandée ni livrée.

Mais c'est par de justes motifs, que la cour adopte, que les premiers juges ont débouté Maître Vinceneux des deux premières demandes et ordonné la restitution de la troisième. En effet, d'une part, aucune irrégularité de forme ou de fond n'affecte le mandat, qui est donc valide, de sorte que la commission était due. D'autre part, que compte tenu de l'annulation du contrat, les loyers versés comprenant une surfacturation de 4 577,93 euros doivent être restitués par la société Ada de telle sorte que la demande en restitution a d'ores et déjà été satisfaite. Enfin, du fait de l'annulation, la somme de 2 152,80 euros doit être restituée.

Sur les demandes en paiement de M. Denomme et Mme Muller

Les frais de déménagement

Mme Muller et M. Denomme demandent la prise en charge des frais de déménagement qui s'élèvent à 1 779,24 euros et qu'ils auraient été contraints d'engager, à la suite de la cessation d'activité de la société Chris & Tif, pour retourner vivre en Lorraine chez les parents de Mme Muller, étant dépourvus de revenus stables leur permettant de louer un logement.

Mais ces frais de déménagement sont sans lien de causalité directe avec le manquement à l'obligation d'information du franchiseur. Par suite, M. Denomme et Mme Muller seront déboutés des demandes en paiement formées à ce titre.

Les manques à gagner

Mme Muller et M. Denomme font valoir que la reprise des agences de Toulouse et Labège s'est traduite par une perte de salaires pour eux. Ils ajoutent avoir perçu un salaire dérisoire compte tenu du travail qu'ils ont fourni et qu'ils ont subi une période de chômage après l'exploitation du fonds. Ils sollicitent respectivement la somme de 25 450 euros et celle de 29 650 euros au titre du manque à gagner.

Le préjudice subi du fait du manquement de la société Ada à son obligation d'information pré-contractuelle est constitué par la perte de chance de ne pas subir un manque à gagner et non par les pertes subies. Par suite, Mme Muller et M. Denomme ne peuvent solliciter l'intégralité du manque à gagner qu'ils auraient subi pendant l'exploitation des fonds en 2012 puis en 2013/2014, lorsqu'ils étaient inscrits à Pôle Emploi. Au vu des éléments du dossier, il y a lieu d'allouer à Mme Muller la somme totale de 5 000 euros et à M. Denomme celle de 3 000 euros et de condamner la société Ada au paiement de ces sommes.

Le préjudice moral

Mme Muller et M. Denomme ne justifient d'aucun préjudice moral. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il les a déboutés de la demande d'indemnisation formée à ce titre.

Sur les demandes en fixation de créances des sociétés appelantes

Les contrats ayant été annulés, les sommes dues en exécution de ces contrats (redevances, loyers..) ne sont pas dues. Les sociétés appelantes seront donc déboutées de leurs demandes en paiement formées à ce titre.

La restitution du chiffre d'affaires

La société Ada demande la restitution du chiffre d'affaires que la société Chris & Tif a réalisé en utilisant la marque Ada, soit pour la période du 20 février 2012 au 17 avril 2013, la somme de 442 550 euros. Elle explique que la restitution en nature étant impossible, elle doit pouvoir s'effectuer par équivalent et que grâce au contrat de franchise, la société Chris & Tif a bénéficié de la mise à disposition d'un savoir-faire, de la marque Ada, d'une assistance en amont et durant toute l'exécution du contrat, de formations et d'aide pour la gestion de l'agence Ada, de la publicité réalisée par Ada et que ces prestations ont permis au franchisé d'exploiter son fonds de commerce et de réaliser un chiffre d'affaire.

Maître Vinceneux, ès qualités, M. Denomme et Mme Muller répondent que transférer le chiffre d'affaires réalisé par la société Chris & Tif au franchiseur ne remet pas les parties dans l'état antérieur à la conclusion du contrat et qu'un tel transfert consisterait à enrichir sans aucun fondement le franchiseur. Ils ajoutent que les appelantes ne peuvent pas formuler de demandes au-delà des sommes déclarées au passif.

Mais la société Ada n'ayant procédé à une déclaration de créance qu'à hauteur de 5 710,24 euros au seul titre des redevances de la franchise, sa demande en restitution de la somme de 442 550 euros, non déclarée, est irrecevable.

Par suite, la société Ada sera déboutée de sa demande en paiement formée à ce titre.

Sur les dépens et les demandes formées au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a condamné les sociétés Ada, Eda, Ada Services et Ada venant aux droits de la société SAPN aux dépens et à verser à Maître Vinceneux ès qualités, la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Les sociétés Ada, Eda, Ada Services et SAPN, qui succombent essentiellement en appel, en supporteront les dépens et devront verser à Maître Vinceneux ès qualités, la somme supplémentaire de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs LA COUR, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné la société Ada à verser à Mme Muller la somme de 5.609,50 euros et à M. Denomme la somme de 3.100 euros au titre du manque à gagner ; L'infirme sur ces points ; statuant à nouveau, Condamne la société Ada à verser à Mme Muller la somme de 5 000 euros et à M. Denomme celle de 3 000 euros au titre de la perte de chance de ne pas subir un manque à gagner ; Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ; et y ajoutant, Condamne les sociétés Ada, Eda, Ada Services et Ada venant aux droits de la société SAPN aux dépens de l'appel ; Condamne les sociétés Ada, Eda, Ada Services et Ada venant aux droits de la société SAPN à verser à Maître Vinceneux, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Chris & Tif, la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.