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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 6 novembre 2018, n° 16-01871

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Masselon (ès qual. Mape RGA Sté)

Défendeur :

Siif (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Calloch

Conseillers :

Mme Jeorger Le Gac, M. Garet

Avocats :

Mes Masselon, Chaudet, Chappel

T. com. Grenoble, du 24 juin 2014

24 juin 2014

Faits et procédure

La société Siif (ci après dénommée Siif), dont le siège social est situé à Caudan (Morbihan), est une entreprise d'ingénierie en fonderie industrielle.

A l'époque des faits, la société Mape RGA (ci après dénommée Mape RGA), installée à Meylan (Isère), fabriquait des machines outils pour le travail des métaux, plus spécialement pour leur polissage.

Suivant courrier électronique du 8 mars 2013, Siif a demandé à Mape RGA de lui faire une offre de prix pour la commande de deux polisseuses destinées à être intégrées dans une cellule conçue par Siif en faveur de l'une de ses clientes, la société Rhodanienne'; à l'appui de sa demande, Siif a joint plusieurs photographies représentant les "'pièces à brosser'".

Après quelques échanges entre les deux professionnels, Siif a accepté la proposition commerciale de Mape RGA en date du 3 avril 2013, consistant en la fourniture, moyennant un prix de 23.298,08 € TTC, de deux machines standard modifiées par Mape RGA pour tenir compte de leur vocation à être intégrées dans la cellule conçue par Siif.

Le 18 juillet 2013, les deux machines ont été livrées et la facture adressée à à l'acheteur pour un solde restant dû de 19.458,08 € après déduction d'un acompte de 3 840 € versé par Siif à la commande.

Le 25 juillet 2013, Siif a signé avec Mape RGA un procès verbal de réception des machines sans réserves.

Alors que les deux polisseuses avaient été incorporées dans la cellule conçue pour la société Rhodanienne, Siif et sa cliente ont déploré l'action insuffisante de brossage par les polisseuses.

Sollicitée pour y remédier, Mape RGA a dépêché sur place un technicien qui, après examen des machines, a préconisé le remplacement des moteurs initialement fournis par des moteurs plus puissants.

Finalement et par lettre recommandée du 25 octobre 2013, Siif, considérant que les polisseuses "'ne pouvaient pas faire le travail auxquelles elles avaient été affectées'", a dénoncé le contrat, demandant à Mape RGA de reprendre ses machines et de lui restituer l'acompte de 3.840 €.

Récusant toute responsabilité et tout dysfonctionnement de ses polisseuses, Mape RGA, par lettre recommandée du 29 octobre 2013, a refusé l'annulation de la vente et exigé au contraire que Siif règle le solde du prix.

Après échec d'une tentative de règlement amiable du différend, Maître Dominique Masselon, désigné entre temps en qualité de liquidateur judiciaire de Mape RGA, a fait assigner Siip devant le tribunal de commerce de Lorient aux fins d'obtenir la condamnation de celle ci au paiement de la somme de 19.458,08 € pour solde de la facture du 18 juillet 2013.

Se prévalant elle même d'une créance envers Mape RGA, Siif l'a déclarée au passif de la liquidation pour une somme provisoire de 25 114 €.

Par jugement du 10 février 2016, le tribunal de commerce de Lorient, considérant que Mape RGA avait manqué à son obligation de délivrance conforme, a débouté le liquidateur judiciaire de l'ensemble de ses demandes et, reconventionnellement, l'a condamné ès qualités à rembourser à Siif l'acompte de 3.840 € ainsi qu'à lui payer une somme de 15 000 € à titre de dommages intérêts outre 3 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, le tribunal ayant enfin fixé l'ensemble de ces créances au passif de la liquidation de Mape RGA.

Suivant déclaration du 4 mars 2016, Maître Masselon ès qualités a interjeté appel de ce jugement.

Moyens et prétentions des parties

Aux termes de ses dernières conclusions auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de ses demandes et argumentations, l'appelant fait essentiellement valoir :

- que l'offre de Mape RGA a été élaborée au vu des exigences de Siip, laquelle a elle même défini les caractéristiques des deux polisseuses qu'elle souhaitait acquérir;

- que de ce fait et alors que Mape RGA était tiers à la relation contractuelle entre Siip et la société Rhodanienne, le résultat attendu par cette cliente du brossage des pièces n'a pas été discuté entre Siip et Mape RGA, seules l'ayant été les caractéristiques techniques des deux machines commandées;

- qu'ainsi, Mape RGA a livré deux machines strictement conformes au bon de commande approuvé par Siip qui, au surplus, les acceptées sans réserve en signant le bon de réception;

- que c'est donc à tort que le tribunal a pu considérer que Mape RGA avait manqué à son obligation de délivrance conforme, ladite société, qui a dépêché sur place un technicien pour examiner la machine, n'ayant d'ailleurs jamais reconnu l'impropriété des machines à leur destination, celui ci ayant seulement tenté de trouver une solution pour satisfaire Siif et sa cliente;

- que Mape RGA n'a pas non plus manqué à son obligation de conseil, alors d'une part que le résultat attendu du brossage ne faisait pas partie du champ contractuel, alors d'autre part que, tout comme Mape RGA, Siip est un acteur professionnel spécialisé dans la fourniture d'équipements de fonderie industrielle, par là même censé connaître le type d'appareils de polissage à intégrer dans ses propres modules; que dès lors, elle ne saurait se plaindre d'un manque d'information et de conseil de la part de Mape RGA;

- que c'est encore à tort que le tribunal, après avoir indûment ordonné la résolution du contrat, a en outre condamné Mape RGA à payer à Siif une somme de 15 000 € à titre de dommages intérêts, sans même dire en quoi consistait le préjudice allégué par celle ci.

Mape RGA demande en conséquence à la cour d'infirmer le jugement déféré, de constater qu'il n'y a pas lieu à résolution du contrat, de débouter Siip de l'ensemble de ses demandes, et de la condamner au règlement de la somme de 19.458,08 € TTC pour solde de la facture demeurée impayée, outre intérêts au taux majoré en application de l'article L 441-6 du Code de commerce et ce, à compter de la mise en demeure du 29 octobre 2013; Mape RGA demande enfin que Siip soit condamnée au paiement d'une somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Au contraire, aux termes de ses dernières conclusions auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de ses demandes et argumentations, Siif demande à la cour de confirmer le jugement déféré, l'intimée faisant observer :

- que Mape RGA a manqué à son obligation de conformité en lui fournissant des machines totalement inadaptées à la cellule que Siif destinait à sa propre cliente, la société Rhodanienne;

- qu'en effet, l'obligation de délivrance consiste non seulement à livrer ce qui a été convenu, mais aussi une chose qui corresponde en tous points aux attentes de l'acquéreur;

- que tel n'a pas été le cas des deux polisseuses fournies par Mape RGA, lesquelles se sont révélées incompatibles avec les exigences de brossage normalement attendues de telles machines;

- que Mape RGA connaissait parfaitement ces exigences puisqu'ayant reçu toutes informations utiles quant aux spécificités de la cellule conçue par Siif à destination de sa cliente;

- que la signature par Siif d'un procès verbal de réception sans réserves n'est pas de nature à exonérer Mape RGA de sa responsabilité, s'agissant d'une simple pré réception des machines qui, à cette époque, n'avaient pas encore été intégrées à la cellule conçue par Siif, alors par ailleurs que la réception sans réserve de la chose vendue ne couvre que les défauts apparents de conformité;

- que Mape RGA a également manqué à son obligation d'information et de conseil, alors en effet que, bien qu'ayant été informée de la destination finale des polisseuses, elle n'a pas su proposer à Siif un matériel apte à atteindre le but recherché par celle ci, soit un brossage suffisant des pièces dont elle lui avait pourtant communiqué toutes les caractéristiques, Mape RGA ne pouvant s'en prendre qu'à elle même de ne pas avoir correctement apprécié la technicité des tâches que son matériel avait vocation à accomplir;

- que c'est précisément à raison de l'expertise particulière de Mape RGA en matière de machines à polir, que Siif a eu recours à ses services, ce qu'elle n'aurait évidemment pas fait si elle avait été alertée des risques d'impropriété à leur destination des machines que Mape RGA se proposait de lui fournir.

Siif demande en conséquence à la cour de confirmer le jugement déféré et, en conséquence et par application d'une part des articles 1604 et suivants du Code civil, d'autre part de l'article 1147 du

Code civil, d'ordonner la résolution du contrat, de condamner Mape RGA à lui restituer l'acompte de 3.840€, de condamner Mape RGA à lui verser une indemnité de 15 000 € à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice, outre 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Subsidiairement et pour le cas où la cour ne s'estimerait pas suffisamment informée sur les causes techniques du litige, Siif lui suggère d'ordonner une expertise des machines, toutefois aux frais avancés de Mape RGA.

Motifs de la décision

Il résulte des articles 1604 et suivants du Code civil que le vendeur est tenu de délivrer à l'acheteur une chose conforme à celle convenue entre les parties.

Cette obligation consiste à livrer une chose non seulement conforme aux caractéristiques expressément convenues entre les parties, mais également qui corresponde aux objectifs recherchés par l'acheteur, pour peu seulement qu'il les ait clairement énoncés au vendeur.

Or, il est constant en l'espèce :

- que Siif a commandé à Mape RGA, entreprise spécialisée dans la fabrication de machines à polir, deux polisseuses destinées à être intégrées dans une cellule conçue par Siif pour sa propre cliente;

- que Mape RGA a été clairement informée par Siif de la destination desdites machines ainsi que des contraintes techniques afférentes à leur intégration dans la cellule, ainsi qu'en témoignent en effet les photographies des 'pièces à brosser' transmises par Siif à Mape RGA à l'appui de sa demande de devis.

Dès lors, Mape RGA ne saurait utilement soutenir que l'efficacité du brossage ne faisait pas partie du champ contractuel, alors d'une part qu'elle a reçu de Siif toutes informations propres à lui permettre d'adapter son offre aux exigences de sa cliente, d'autre part que Siif s'est adressée à Mape RGA à raison de l'expertise particulière de cette dernière dans le domaine des polisseuses.

Par ailleurs, et quand bien même les machines vendues par Mape RGA ne seraient pas atteintes de défauts au sens de ceux qui pourraient justifier la mise en œuvre de la garantie prévue aux articles 1641 et suivants du Code civil, en revanche le fait que le vendeur ait lui même proposé de remplacer les moteurs initialement fournis par des moteurs plus puissants, suffit à démontrer que l'action de brossage produite par les deux machines était insuffisante, ce dont il résulte que lesdites machines n'étaient pas adaptées à l'usage auquel elles étaient contractuellement destinées.

Enfin, aucune conséquence ne saurait être tirée de l'absence de réserves stipulées par l'acheteur à réception des machines, dès lors en effet :

- que la réception sans réserve de la chose vendue ne couvre que les défauts apparents de conformité;

- que le procès verbal de réception a été signé par Siif le 25 juillet 2013, soit à un moment où celle ci n'avait pas encore intégré les machines dans la cellule conçue par elle, leur efficacité n'ayant donc pas pu encore être vérifiée;

- qu'en revanche, elle s'est manifestée au plus tard au mois de septembre 2013 pour se plaindre de l'insuffisance des polisseuses, puisque, dès le 19 septembre 2013, Mape RGA lui a transmis une offre commerciale tendant au changement des moteurs.

Il est donc établi que Siif a réagi dès qu'elle a pu s'apercevoir de la non conformité des machines.

En conséquence, c'est à bon droit que les premiers juges ont ordonné la résolution du contrat, qu'ils ont débouté Maître Masselon ès qualités de sa demande tendant au règlement du solde de la facture et qu'ils ont reconventionnellement fixé au passif de la liquidation de Mape RGA et au profit de Siif une créance de 3 840 € correspondant au montant de l'acompte versé par celle ci.

C'est encore à bon droit que les premiers juges, faisant application des dispositions de l'article 1147 du Code civil, ont retenu à l'encontre de Mape RGA un manquement à son obligation d'information et de conseil envers sa cliente, dès lors en effet :

- qu'en s'adressant à une spécialiste des polisseuses, Siif était en droit d'attendre de Mape RGA des conseils avisés sur le type de machines adaptées à l'usage qu'elle s'apprêtait à en faire;

- que si Siif est certes une entreprise d'ingénierie en fonderie industrielle, pour autant elle n'exerce pas la même activité que Mape RGA, raison pour laquelle elle a eu recours à cette entreprise d'une spécialité autre que la sienne;

- qu'ainsi, il n'est pas démontré que Siif ait été, du fait de ses propres compétences, en mesure d'apprécier l'adaptation des machines proposées par Mape RGA au service qu'elle en attendait.

Il s'en déduit que Mape RGA a manqué à son obligation d'information et de conseil envers sa cliente et qu'elle doit dès lors répondre du préjudice qu'elle lui a causé du fait de ce manquement.

Cependant et contrairement à l'appréciation excessive des premiers juges, la cour fixera à la somme de 3 000 € le montant des dommages intérêts devant être alloués à Siip, cette indemnisation ayant pour seul objet de réparer le préjudice issu des troubles et tracas subis par la société du fait de la non conformité des machines commandées par elle, Siip ne pouvant pas prétendre en revanche à de quelconques dommages intérêts en rapport avec le coût des nouvelles machines qu'elle a dû acquérir en remplacement de celles fournies par Mape RGA.

Cette somme sera également fixée au passif de la liquidation de Mape RGA.

Par suite, Maître Masselon ès qualités sera déboutée de l'ensemble de ses demandes et, partie perdante à l'instance, tenu de supporter les entiers dépens de l'instance.

Il convient enfin d'allouer à Siif une somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et de fixer également cette créance au passif de la liquidation.

Par ces motifs, LA COUR : Infirmant partiellement le jugement déféré et statuant à nouveau : - juge que la société Mape RGA a manqué à son obligation de délivrance conforme ainsi qu'à son obligation d'information et de conseil envers la société Siif; - ordonne en conséquence la résolution du contrat conclu entre les parties le 3 avril 2013; - fixe au passif de la liquidation de la société Mape RGA et en faveur de la société Siif : * une créance de 3 840 € en remboursement de l'acompte versé par la société Siif lors de la commande; * une créance de 3 000 € à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice subi par la société Siif; * une créance de 3 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile; - ordonne que les deux machines litigieuses soient mises à la disposition de Maître Masselon ès qualités ; - déboute les parties du surplus de leurs demandes; - condamne Maître Masselon ès qualités aux entiers dépens de l'instance.