Livv
Décisions

CA Toulouse, 3e ch., 8 novembre 2018, n° 18-01493

TOULOUSE

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Nissan West Europe (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bacher

Conseillers :

MM. Beauclair, Blanque Jean

Avocats :

Mes Baysset, Paillier, Serreuille

TGI Toulouse, du 5 mars 2018

5 mars 2018

Exposé du litige

Vu l'appel interjeté le 23 mars 2018 par Monsieur X à l'encontre d'un jugement du tribunal de grande instance de Toulouse en date du 5 mars 2018.

Vu les conclusions de Monsieur X en date du 12 avril 2018.

Vu les conclusions de la SAS Nissan West Europe en date du 14 juin 2018.

Vu l'ordonnance de clôture du 3 septembre 2018 pour l'audience de plaidoiries fixée au 19 septembre 2018.

Monsieur X a acquis en février 2008 un véhicule Nissan Quashqai, qu'il déclare avoir régulièrement entretenu. Le 11 août 2014, alors que le véhicule qui affichait environ 151 515 km, circulait sur l'autoroute en direction de Bordeaux, un bruit très important de claquement a été entendu, et le véhicule s'est brusquement immobilisé. La voiture a été remorquée au garage Nissan de Villenave d'Ornon (33), qui a diagnostiqué qu'une bielle avait été coulée, nécessitant un échange standard du moteur.

Les démarches amiables de prises en charge de cette réparation par le constructeur se sont avérées vaines.

Par ordonnance en date du 29 janvier 2015, le juge des référés a ordonné une expertise judiciaire au contradictoire de la société CJC qui avait assuré l'entretien du véhicule et désigné Monsieur Y qui a déposé son rapport le 18 septembre 2015. Le juge des référés a dit n'y avoir lieu à référé à l'encontre de la SAS Nissan West Europe, importateur, estimant que l'action dirigée contre elle était prescrite.

L'expert conclut que :

- la destruction du moteur est la conséquence d'une usure prématurée des coussinets de bielle, anormale à ce kilométrage ;

- cette usure n'est pas due à une négligence d'entretien de la part de l'utilisateur ni des conditions d'utilisation de ce dernier ;

- il ne s'agit pas d'une usure normale et il existe un défaut d'origine inhérent au véhicule.

Par acte d'huissier en date du 4 janvier 2016, Monsieur X a assigné la société Nissan West Europe en paiement du coût des réparations et indemnisation des préjudices nés de l'existence d'un vice caché affectant le véhicule.

Par jugement en date du 5 mars 2018, le tribunal de grande instance de Toulouse a :

- déclaré la demande irrecevable car prescrite,

- condamné Monsieur X aux dépens et au paiement de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Tous les chefs du jugement sont expressément critiqués dans la déclaration d'appel qui reprend les demandes rejetées de Monsieur X.

Monsieur X demande à la cour de :

- à titre principal réformer le jugement dont appel en ce qu'il a déclaré son action irrecevable car prescrite

- dire recevable et non prescrite son action dirigée contre la Sté Nissan West Europe

- déclarer le rapport d'expertise judiciaire opposable à la Sté Nissan West Europe, et l'homologuer

- condamner la société Nissan West Europe à lui payer les sommes suivantes :

* 9 850 euros au titre de la réparation du véhicule ;

* 3 192 euros à parfaire au jour du jugement au titre du préjudice d'immobilisation du véhicule ;

* 132,61 euros au titre de la location Europcar du 21 au 22 août 2014 ;

* 912 euros au titre du transport du véhicule du Garage Pigeon Nissan 33 à Villenave d'Ornon au Garage CJC Véhicules Industriels 31 à Labege ;

* 172,80 euros au titre du transfert du véhicule au Garage Laudis Nissan dans le cadre de l'expertise judiciaire ;

* 993,17 euros, à parfaire au jour du jugement au titre des frais de gardiennage à compter du 28 avril 2015 par CJC Véhicules Industriels

* 4 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens en ceux compris les frais d'expertise ;

- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir (sic)

- à titre subsidiaire, réformer le jugement dont appel en ce qu'il a déclaré son action irrecevable car prescrite

- dire recevable et non prescrite son action dirigée contre la société Nissan West Europe

- avant de dire droit, ordonner une nouvelle expertise du véhicule litigieux qui sera confiée à l'expert Y

- prononcer le sursis à statuer dans l'attente du rapport d'expertise à intervenir

- au fond, déclarer le rapport d'expertise judiciaire opposable à la Sté Nissan West Europe, et l'homologuer

- condamner la Sté Nissan West Europe à lui payer les sommes suivantes :

* 9 850 euros au titre de la réparation du véhicule ;

* 3 192 euros à parfaire au jour du jugement au titre du préjudice d'immobilisation du véhicule ;

* 132,61 euros au titre de la location Europcar du 21 au 22 août 2014 ;

* 912 euros au titre du transport du véhicule du Garage Pigeon Nissan 33 à Villenave d'Ormon au Garage CJC Véhicules Industriels 31 à Labège ;

* 172,80 euros au titre du transfert du véhicule au Garage Laudis Nissan dans le cadre de l'expertise judiciaire ;

* 993,17 euros, à parfaire au jour du jugement au titre des frais de gardiennage à compter du 28 avril 2015 par CJC Véhicules Industriels

* 4 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens en ceux compris les frais d'expertise ;

- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir (sic)

Il fait valoir que :

- les véhicules Nissan Quashqai commercialisés entre novembre 2007 et janvier 2013 ont été affectés d'un défaut sériel affectant les bielles,

- le délai de prescription de l'action en garantie des vices cachés est enfermé dans un double délai, celui de deux ans et celui de la responsabilité contractuelle ou délictuelle de cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, soit en l'espèce le jour du dépôt du rapport d'expertise, ayant mis le vice à jour,

- les indemnisations de masse de ce désordre sériel valent reconnaissance de responsabilité de la part du constructeur, cette reconnaissance vaut interruption du délai de prescription au sens de l'article 2240,

- la société Nissan a été convoquée aux opérations d'expertise et en a reçu les dires et prérapport, le rapport d'expertise lui est opposable bien qu'elle n'ait pas voulu participer aux opérations d'expertise. Le rapport peut fonder une condamnation du constructeur étant complété de la documentation relative au sinistre sériel dont est affecté le véhicule, étant relevé que le défaut d'entretien du véhicule n'est pas établi,

- il justifie des préjudices dont il demande réparation.

La société Nissan West Europe demande à la cour, le dispositif de ses écritures reprenant ses moyens, de :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau,

- considérer qu'elle est importateur en France de certains véhicules neufs et pièces détachées de ladite marque,

- considérer qu'elle n'est pas constructeur de véhicules, ni réparateur de véhicules,

- considérer qu'elle a importé le véhicule litigieux en France puis l'a vendu à la société Reagroup Toulouse, sise à Ramonville Saint Agne, le 22 janvier 2008 suivant facture n° FRINO42660 du même jour,

- considérer que l'action de Monsieur X est prescrite, en ce qu'elle est dirigée à son encontre, faute d'avoir été intentée dans le délai prévu par l'article L. 110-4 du Code de commerce, tel qu'applicable aux faits de l'espèce, à la lumière de la loi sur la prescription du 17 juin 2008,

- considérer que le délai, aujourd'hui de 2 ans, de l'action en garantie légale des vices cachés ne peut être invoqué qu'à l'intérieur du délai de prescription de droit commun, relevant de l'article L. 110-4 du Code précité,

- en conséquence, déclarer irrecevable l'action de Monsieur X dirigée à son encontre,

- prononcer sa mise hors de cause,

- débouter Monsieur X de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre,

- à titre subsidiaire,

- considérer que le seul élément technique versé aux débats par Monsieur X est le rapport d'expertise judiciaire établi par Monsieur Y,

- considérer que le rapport d'expertise judiciaire établi par Monsieur Y ne lui est pas opposable : elle n'était pas partie aux opérations d'expertise judiciaire,

- considérer que le rapport établi par Monsieur Y ne rapporte pas la preuve incontestable de l'existence d'un défaut caché, précis et déterminé, sur le véhicule litigieux,

- considérer que les forums Internet et les articles de presse, dépourvus de valeur probante, ne sauraient pallier les insuffisances du rapport d'expertise judiciaire établi par Monsieur Y et ne rapportent nullement la preuve incontestable d'un défaut sur le véhicule litigieux,

- considérer que de multiples causes, autres qu'un défaut, sont susceptibles d'expliquer la - prétendue - usure des coussinets de bielle,

- en conséquence, débouter Monsieur X de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre,

- à titre infiniment subsidiaire,

- considérer que les demandes de Monsieur X ne sont pas justifiées dans leur principe ni dans leur montant et/ou ne présentent pas de lien de causalité direct et immédiat avec le désordre,

- considérer que la cour de céans dispose de l'ensemble des éléments pour statuer,

- considérer que l'instauration d'une nouvelle mesure d'expertise ne présenterait aucun intérêt technique,

- en conséquence, débouter Monsieur X de sa nouvelle demande d'expertise judiciaire,

- débouter Monsieur X de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre,

- en toute hypothèse, considérer qu'elle a été contrainte d'engager des frais irrépétibles qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge, et condamner Monsieur X à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile

- le condamner, en outre, en tous les dépens.

Motifs de la décision.

1- Sur la prescription

L'action de Monsieur X est fondée sur les dispositions de l'article 1641 du Code civil, il invoque la garantie des vices cachés dont est tenu le vendeur.

Monsieur X dirige son action à l'encontre de l'importateur lequel a vendu le véhicule à la société Reagroupe Toulouse. La carte grise du véhicule mentionne que Monsieur X en est le propriétaire depuis le 8 février 2008.

Monsieur X inscrit son action dans la chaîne des contrats de vente. Il exerce donc l'action de son vendeur à l'encontre de l'importateur.

Les prescriptions applicables en matière de vente et de vices cachés sont celles régies par les dispositions spéciales des articles L. 110-4 du Code de commerce et 1648 du Code civil et non celles régies par les dispositions générales des articles 2224 et suivants du Code civil.

Aux termes de l'article L. 110-4 du Code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.

Aux termes de l'article 1648 du Code civil, l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.

Le point de départ du délai de la prescription extinctive prévu à l'article L. 110-4 du Code de commerce, modifié par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, court à compter de la vente initiale, intervenue le 22 janvier 2008, de sorte que l'action fondée sur la garantie des vices cachés, engagée le 19 novembre 2014 date de l'assignation en référé à l'encontre de Nissan West Europe, était manifestement irrecevable, l'action récursoire contre le fabricant ne pouvant offrir à l'acquéreur final plus de droits que ceux détenus par le vendeur intermédiaire.

Le premier juge a justement ajouté que la mise en place par le constructeur de "grilles de prise en charge... à laquelle il participe depuis juin 2013 dans la limite de 5 ans ou de 150 000 Km au premier terme échu" n'établit pas une volonté non équivoque du constructeur, et partant de l'importateur, de ne pas se prévaloir de la prescription.

Le jugement est confirmé en toutes ses dispositions.

Monsieur X succombe, il supportera la charge des dépens d'appel augmentée d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et y ajoutant, Condamne Monsieur X à payer à la SAS Nissan West Europe la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne Monsieur X aux entiers dépens d'appel.