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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 14 novembre 2018, n° 16-12500

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Rassurer, Assister, Sécuriser (SARL)

Défendeur :

Laminés Marchands Européens (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Regnier, Perret

T. com. Valenciennes, du 21 avr. 2015

21 avril 2015

Faits et procédure

Le 15 décembre 1999, la société Laminés Marchands Européens (ci-après la société LME) a confié la surveillance et le gardiennage de ses sites Aciérie et Laminoirs à la société Rassurer, Assister, Sécuriser (ci-après la société RAS), pour une durée d'un an à compter du 20 décembre 1999. Ce contrat a été renouvelé par tacite reconduction jusqu'au 22 novembre 2004, date de la conclusion d'un nouveau contrat, d'une durée d'un an, lequel modifié par avenant à effet au 1er juillet 2007, a été renouvelé tacitement jusqu'au 1er juillet 2013, date à laquelle il y a été mis fin par la société LME, suivant courrier du 21 mai 2013.

Par exploit du 26 août 2013, la société RAS a assigné la société LME devant le tribunal de commerce de Valenciennes en indemnisation pour rupture brutale des relations commerciales établies.

Par jugement en date du 20 octobre 2014, le tribunal de commerce de Valenciennes a prononcé le redressement judiciaire de la société RAS et a désigné Maître X en qualité de mandataire judiciaire, lequel est intervenu à l'instance opposant la société RAS à la société LME.

Par jugement du 21 avril 2015, le tribunal de commerce de Valenciennes a :

- donné acte à la société Rassurer, Assister, Sécuriser (RAS) de ce qu'elle a communiqué le registre d'entrée et de sortie du personnel et de sa volonté de ne pas communiquer les diplômes de son personnel,

- donné acte à la société Laminés Marchands Européens (LME) de ce que la société RAS n'a pas satisfait aux sommations de communiquer qui lui ont été signifiées le 15 octobre 2013 et 3 février 2014, à l'exception du registre des entrée/sortie du personnel,

- accueilli partiellement la société RAS en ses demandes,

- dit que la rupture du contrat par la société LME est abusive,

en conséquence,

- condamné la société LME à payer à la société RAS :

* la somme de dix-huit mille euros (18 000 euros) à titre de dommages et intérêts,

* la somme de mille deux cents euros (1 200 euros) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

* débouté la société LME de ses demandes reconventionnelles, fins et conclusions,

- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire,

- condamné la société LME aux entiers dépens de l'instance.

Par jugement du 12 octobre 2015, la société RAS a bénéficié d'un plan de continuation et par ordonnance du 11 janvier 2016, la clôture du plan de redressement a été prononcée.

Le 20 mai 2015, la société RAS a relevé appel du jugement du 21 avril 2015 devant la cour d'appel de Douai laquelle a soulevé d'office le moyen tiré de son défaut de pouvoir juridictionnel et a enjoint aux parties de conclure sur ce point.

Par arrêt du 21 avril 2016, la cour d'appel de Douai a :

- déclaré irrecevable l'appel interjeté le 20 mai 2015 par la société RAS,

- déclaré irrecevable l'appel incident formé par la société LME le 24 septembre 2015,

- condamné la société RAS à verser une somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la société RAS aux entiers dépens.

Le 6 juin 2016, la société RAS a interjeté appel du jugement du tribunal de commerce de Valenciennes du 21 avril 2015 devant la présente cour. La procédure devant la cour a été clôturée le 18 septembre 2018.

Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 29 juin 2017 par lesquelles la société RAS, appelante, invite la cour à :

à titre principal, au visa de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,

- infirmer la décision entreprise et statuant à nouveau sur le tout,

- juger que la société LME ne disposait pas d'un motif légitime pour mettre fin aux relations commerciales établies avec la société RAS, sans préavis suffisant ni indemnité,

- juger la société LME responsable du préjudice subi par la société RAS au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies entre ces deux sociétés et fixé la date de la rupture brutale des relations commerciales établies entre la société LME et la société RAS au 1er juillet 2013, la résiliation ayant été notifiée le 21 mai 2013,

- fixer la durée du préavis qu'aurait dû respecter la société LME à l'égard de la société RAS à 18 mois,

- condamner la société LME à verser à la société RAS la somme de 864 000 euros, au titre de la rupture des relations commerciales établies,

- condamner la société LME à verser à la société RAS la somme de 80 693 euros au titre du coût des licenciements lies à la rupture brutale,

- condamner la société LME à verser à la société RAS la somme de 100 000 euros en réparation du préjudice d'image et de désorganisation interne du fait de l'ouverture d'une procédure collective à la suite de la rupture brutale,

- rejeter les arguments de la société LME, la débouter de ses demandes reconventionnelles,

- condamner la société LME à verser à la société RAS la somme de 15 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société LME aux entiers dépens ; à titre subsidiaire,

- annuler le jugement rendu par le tribunal de commerce de Valenciennes le 21 avril 2015 pour cause d'excès de pouvoir,

à titre infiniment subsidiaire,

- déclarer irrecevable l'appel interjeté par la société RAS et renvoyer les parties à se pourvoir autrement ;

Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 10 septembre 2018 par lesquelles la société LME, intimée, demande à la cour, au visa des articles 1134 et suivants, 1147, 1315 et 1376 du Code civil, 2-2 de l'avenant du 28 janvier 2011 à l'accord du 5 mars 2002 et L. 442-6 III et D. 442-3 du Code de commerce, de :

In limine litis

- dire la déclaration d'appel formée par la société RAS le 6 juin 2016 irrecevable,

à titre subsidiaire, sur le fond,

- dire que la société RAS est mal fondée en toutes ses demandes, fins et conclusions telles que formées contre la société LME en l'en débouter intégralement,

- réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Valenciennes du 21 avril 2015 en ce qu'il a jugé que la rupture du contrat par la société LME était abusive,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société LME de ses demandes reconventionnelles formées à l'encontre de la société RAS,

- constater que la société RAS n'a pas satisfait aux sommations de communiquer qui lui ont été signifiées les 15 octobre 2013 et 3 février 2014,

- dire en conséquence que les factures émises par la société RAS à propos des rondes litigieuses telles que visées dans cette sommation de communiquer sont injustifiées et qu'il appartient de ce fait à la société RAS d'en rembourser l'intégralité du prix à la société LME,

- condamner en conséquence la société RAS à rembourser à la société LME la somme de 132 201,04 euros au titre des prestations facturées indûment par la société RAS,

- dire que la société RAS n'a pas respecté ses obligations contractuelles à l'égard de la société LME et qu'elle a engagé sa responsabilité de ce fait à l'égard de la société LME,

- condamner en conséquence la société RAS à payer à la société LME une somme forfaitaire de 50 000 euros en réparation de ses différents chefs de préjudice résultant de la mauvaise exécution des obligations contractuelles de la société RAS,

à titre très subsidiaire

- dire que la société RAS ne rapporte la preuve ni du principe, ni du quantum des préjudices qu'elle allègue au soutien de ses demandes de dommages et intérêts à l'encontre de la société LME,

- débouter en conséquence la société RAS sur ce fondement,

à titre infiniment subsidiaire dans l'hypothèse improbable où la cour considérerait que la rupture contractuelle par la société LME serait abusive et que la société RAS justifierait d'un préjudice,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a limité à 18 000 euros le montant des dommages et intérêts alloués à la société RAS à ce titre,

- condamner la société RAS au paiement d'une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

Sur ce

Sur l'exception d'irrecevabilité de l'appel soulevée par la société LME

La société LME soutient que la procédure est viciée depuis le début, le tribunal de commerce de Valenciennes ayant été saisi par la société RAS alors qu'en application des dispositions de l'article L. 442-6 III du Code de commerce et D. 442-3 du même Code, il n'était pas "compétent" pour connaître de cette affaire et que ce vice initial ne saurait être régularisé par le dépôt d'une nouvelle déclaration d'appel devant la cour d'appel de Paris.

Par arrêt du 21 avril 2015, la cour d'appel de Douai a déclaré irrecevables tant l'appel interjeté par la société RAS que l'appel incident de la société LME au motif que le recours contre le jugement du tribunal de commerce de Valenciennes aurait dû être porté devant la cour d'appel de Paris, seule investie du pouvoir de statuer en appel. Cette décision, qui a appliqué une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui, avant revirement, attribuait à la cour d'appel de Paris le pouvoir exclusif de statuer sur les recours formés contre toutes les décisions rendues en application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, y compris lorsque la juridiction de première instance était dépourvue du pouvoir de statuer, est devenue définitive.

Par suite, la société RAS a interjeté appel de la décision devant la cour d'appel de Paris le 6 juin 2016.

L'application à l'instance de la règle issue du revirement de jurisprudence limitant le pouvoir juridictionnel de la cour d'appel de Paris à l'examen des seuls recours formés contre les décisions rendues par les juridictions du premier degré spécialement désignées, qui conduirait à retenir l'irrecevabilité de l'appel formé par la société RAS devant la présente cour d'appel puisqu'il est dirigé contre un jugement rendu par une juridiction qui n'a pas été investie du pouvoir de statuer sur le litige en cause, doit être écartée en ce qu'elle aboutirait à priver l'appelant d'un procès équitable au sens de l'article 6 paragraphe 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

En conséquence, l'exception d'irrecevabilité de l'appel sera rejetée.

Sur l'annulation du jugement du tribunal de commerce de Valenciennes et ses conséquences

La société RAS demande à titre subsidiaire de déclarer nul le jugement du tribunal de commerce de Valenciennes du 21 avril 2015 pour cause d'excès de pouvoir.

En statuant sur une demande d'indemnisation formée au titre d'une rupture brutale d'une relation commerciale établie, le tribunal de commerce de Valenciennes qui ne figure pas sur la liste des tribunaux spécialement désignés à l'annexe 4-2-1 de l'article D. 442-3 du Code de commerce auquel renvoie le dernier alinéa de l'article L. 446-2, III, pour en connaître, a manifestement excédé ses pouvoirs de sorte que le jugement entrepris sera annulé en toutes ses dispositions.

Aux termes de l'article 562 du Code de procédure civile, la dévolution s'opère pour le tout lorsque l'appel n'est pas limité à certains chefs ou lorsqu'il tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

Il ressort clairement de ces dispositions que lorsque la cour annule le jugement, par l'effet dévolutif de l'appel, elle est investie du devoir de statuer à nouveau en fait et en droit sur la chose jugée par la décision rendue en première instance, sans pouvoir renvoyer l'examen de l'affaire aux premiers juges.

En conséquence, les parties ayant conclu au fond, il y a lieu d'examiner l'entier litige. Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Les parties s'accordent à reconnaître avoir entretenu des relations commerciales établies depuis 13 ans et 6 mois lorsqu'elles ont été rompues par la société LME suivant courrier du 21 mai 2013, à effet au 1er juillet 2013, soit avec un préavis de 41 jours, au motif que la société RAS n'avait pas été en mesure d'assurer ni une présence dissuasive et préventive ni un contrôle des entrées et sorties du Personnel efficace au sein de l'établissement.

La société LME soutient que la société RAS a commis des fautes graves et répétées dans l'exécution de ses obligations contractuelles justifiant la résiliation unilatérale de la relation commerciale, ce que dément la société RAS. La société LME ajoute qu'elle a, malgré tout, respecté un délai de prévenance suffisant pour permettre à la société RAS de se préparer à la rupture en relevant que depuis le 1er juillet 2012, elle l'avait informée qu'elle envisageait de changer de prestataire, et qu'en outre, elle lui a accordé un préavis d'un mois et demi alors qu'au regard de la gravité des faits reprochés, conformément aux dispositions du contrat, la résiliation unilatérale pouvait intervenir sans préavis.

A titre liminaire, il y a lieu de rappeler les principes suivants :

- le respect des dispositions contractuelles prévues entre les parties pour résilier le contrat les unissant, ne saurait exonérer l'auteur de la rupture de sa responsabilité au regard de l'article L. 442-6, I, 5°, si cette rupture apparaît brutale, et l'absence d'un délai contractuel de préavis ne dispense pas la juridiction d'examiner la nécessité d'un préavis compte tenu de la durée de la relation commerciale et d'autres circonstances existant au moment de la rupture,

- si l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce prévoit in fine une faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations contractuelles, dès lors que ce dernier alinéa instaure une dérogation à l'exigence d'un préavis prévu au premier alinéa, son application nécessite que l'inexécution des obligations contractuelles qu'il vise, présente un caractère de gravité suffisant pour justifier une rupture immédiate,

- le caractère prévisible de la rupture d'une relation commerciale établie ne prive pas celle-ci de son caractère brutal si elle ne résulte pas d'un acte du partenaire manifestant son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale et faisant courir un délai de préavis,

- enfin, la brutalité de la rupture d'une relation commerciale établie s'apprécie à la date de la notification de cette rupture de sorte qu'il n'y a pas lieu de tenir compte, à cet égard, de faits révélés postérieurement à la rupture.

Il en ressort en l'espèce, que :

- faute de justifier avoir averti en juillet 2012 la société RAS de son intention de rompre le contrat et de changer de prestataire, et même si dans ses commandes d'achat elle a alors indiqué "contrat de transition", ce qui ferait selon elle clairement apparaître que la relation commerciale se terminait progressivement, la société LME ne saurait invoquer utilement le caractère prévisible de la rupture qui exclurait son caractère brutal,

- de même, c'est vainement qu'elle fait valoir, pour échapper à sa responsabilité, avoir informé lors d'une réunion du 25 avril 2013 un représentant de la société RAS de la fin de la relation contractuelle, faute d'avoir notifié un préavis écrit,

- par ailleurs, l'existence alléguée de malversations destinées à facturer des prestations inexistantes qui auraient été découvertes postérieurement à la rupture et qui, selon la société LME, la justifieraient encore un peu plus, est sans incidence sur l'appréciation de la brutalité de la rupture.

Sur les manquements reprochés

La société LME a résilié le contrat, et par suite, les relations commerciales établies, par courrier du 23 mai 2013, en invoquant divers manquements. Elle y faisait état de l'augmentation très importante du nombre de vols de métaux et d'outillages et d'infractions (dégradations de biens, bris de vitre...) constatés au cours des années 2011 et 2012, représentant un coût économique conséquent, et de la survenance de divers événements (endormissement d'un salarié RAS, absence de vérification de l'identité du nouveau Responsable sécurité LME...).

Or, la société LME ne rapporte la preuve d'aucun manquement de la société RAS dans l'exécution du contrat. En effet, il résulte de l'instruction du dossier les éléments suivants :

- en mai 2011, la société LME a mandaté la société AR Consultants afin d'effectuer un audit sur la sûreté des sites Aciérie et Laminoirs,

- il ressort de l'audit que "l'ensemble du personnel de la société RAS possède des qualifications adéquates... les salariés de LME détachés à la sûreté ne présentent aucune qualification",

- l'audit a conclu que les prestations assurées par la société RAS sont de qualité et que "le personnel connaît parfaitement le site, maîtrise les différentes missions qui lui sont confiées, et font preuve de compétence, de professionnalisme et d'engagement envers LME",

- l'audit a mis en avant deux problématiques, soit la présence de salariés de la société LME détachés à la sécurité au sein des équipes RAS, salariés n'ayant ni la formation, ni les compétences requises, et aussi la nature des nombreuses missions confiées à la société RAS qui ne sont pas relatives à la sûreté,

- durant les 13 années de relations, la société LME n'a, à aucun moment, formulé de reproches sur le professionnalisme et la prestation de la société RAS, et dans sa commande d'achat du 1er juillet 2012, la société LME a même augmenté sa prestation,

- le procès-verbal du comité d'entreprise de la société LME du 24 avril 2013 mentionne que dans la même philosophie de réduction des coûts, après différentes consultations, la Direction a décidé de signer un contrat avec une autre société de gardiennage,

- la société LME reproche dans son courrier de rupture du 21 mai 2013 différentes fautes que la société RAS aurait commises et notamment des vols successifs de Ferro-vanadium, sans toutefois établir un quelconque manquement de la société RAS, lequel ne peut se déduire de la seule survenance de vols ou dégradations, la société RAS n'étant tenue que d'une obligation de moyens et non de résultat,

- la société LME ne justifie pas avoir adressé, au moment des faits qu'elle dénonce, un courrier mettant en cause la société RAS,

- la société LME ne rapporte pas la preuve de l'existence des autres faits dont elle fait état dans le courrier de résiliation, se contentant de les invoquer sans même donner de dates précises pour certains,

- deux de ces faits, qui seraient survenus début mai et le 13 mai 2013, auraient eu lieu après la décision de la société LME de changer de prestataire (23 avril 2013),

- les attestations (pièces intimée n° 6 à 11) censées établir la réalité des manquements ne sont aucunement circonstanciées et surtout, elles ne présentent qu'une faible valeur probatoire, leurs auteurs étant soit des employés de la société LME, soit d'anciens employés de la société RAS dont on ignore les conditions dans lesquelles ils ont quitté la société.

Par suite, la société LME n'est pas fondée à invoquer le dernier alinéa de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce pour s'exonérer de sa responsabilité. Il y a donc lieu de rechercher si elle a octroyé un délai de préavis suffisant.

Sur le préavis suffisant

Selon la société RAS, le préavis de 41 jours (entre la rupture de la relation commerciale le 21 mai 2013 et sa prise d'effet le 1er juillet 2013) était insuffisant pour mettre fin à une relation commerciale établie d'une durée de 13 ans et 6 mois dès lors que le personnel de la société RAS était affecté en totalité à l'exécution du marché. Le préavis accordé lui a simplement permis, comme l'exige la Convention collective applicable dans le secteur, d'interroger l'entreprise entrante sur la reprise du personnel et il lui a été répondu, 3 jours avant la fin des relations contractuelles, que le personnel ne serait pas repris. Les flux d'affaires entre les sociétés étant importants, le préavis que la société LME aurait dû lui accorder aurait dû être d'au moins 18 mois afin de faire reprendre ses salaries, ou, à défaut, de postuler pour de nouveaux marchés afin d'éviter de licencier les salariés.

La société LME ne fait valoir aucune observation à cet égard, considérant que l'absence de préavis est justifiée par la gravité des manquements reprochés.

Il ressort de l'article L 442-6, I, 5° du Code de commerce que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou d'un préavis suffisant au regard des relations commerciales antérieures. Le délai de préavis suffisant, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, c'est-à-dire pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une autre solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, la part de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé et la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause.

En l'espèce, il n'est pas discuté qu'au moment de la rupture, il n'existait aucune relation d'exclusivité réciproque de sorte que la société RAS était libre de fournir ses prestations à tous partenaires de son choix, concomitamment aux commandes de la société LME. Par ailleurs, la société RAS soutient, sans être sérieusement contredite, qu'elle réalisait une très grande partie de son chiffre d'affaires avec la société LME (80 %).

Dans ces conditions, eu égard à l'ancienneté des relations commerciales de 13 ans et 6 mois, à la nature de l'activité et à ses contraintes, au volume d'affaires, à la part prépondérante du client LME dans le chiffre d'affaires de la société RAS, mais en l'absence d'accord d'exclusivité entre les parties et à défaut de la justification d'une dépendance imposée par l'intimée, le délai de préavis suffisant pour permettre à la société RAS de prendre toutes dispositions utiles pour se réorganiser, doit être évalué à 6 mois.

Sur le préjudice

"En conséquence de l'absence de préavis", sur le seul fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, la société RAS sollicite une indemnisation pour la perte de marge brute pendant 18 mois (864 000 euros), le coût des licenciements économiques qu'elle a dû entreprendre à la suite de la rupture (80 693 euros), et une atteinte à son image du fait de l'ouverture d'une procédure collective et une désorganisation interne qu'impliquait le suivi correcte de cette procédure (100 000 euros).

Mais étant rappelé que seuls sont indemnisables, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, les préjudices résultant de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même, il n'est pas démontré en l'espère que tels sont les cas des préjudices résultant pour la société RAS des coûts de licenciement de son personnel et des préjudices d'image et de désorganisation interne de sorte que les demandes formées de ces chefs seront rejetées.

La société RAS demande l'indemnisation de la perte de marge brute pendant le délai de préavis qui aurait dû lui être octroyé. Elle soutient qu'en matière de prestations de services, la marge brute est égale au chiffre d'affaires et indique qu'elle réalisait avec la société LME un chiffre d'affaires mensuel moyen de 48 000 euros HT. Bien qu'affirmant qu'il y a lieu de déduire les 41 jours de préavis qui lui ont été accordés, elle évalue à 864 000 euros (48 000 x 18 mois) la perte de marge brute résultant de l'absence de préavis.

La société LME réplique que :

- la société RAS ne produit aucun élément comptable permettant de démontrer factuellement et indiscutablement le principe et le montant de son préjudice,

- si elle ne produit pas ces éléments comptables, c'est certainement parce que sa comptabilité fait au contraire apparaître que son résultat net a augmenté de 256 % au 31/12/2013 par rapport à l'année précédente,

- la société RAS omet (volontairement) de préciser que son personnel devait être repris par la société de sécurité qui lui a succédé et qui a repris le marché (RS2P ou Veccia Sécurité),

- il appartenait le cas échéant à la société RS2P de reprendre le personnel de la société RAS, mais aucunement à la société LME de supporter le coût des éventuels licenciements de ce même personnel,

- cette obligation est expressément prévue par l'article 2-2 de l'avenant du 28 janvier 2011 à l'accord du 5 mars 2002,

- la société RAS ne s'y est d'ailleurs pas trompée puisqu'elle a déclaré au passif de la société RS2P (depuis lors en liquidation judiciaire) une somme totale de 183 880,95 euros à ce titre,

- à titre surabondant, il sera relevé que la société RAS ne vise aucun fondement textuel au soutien de ses demandes, ce qui rend d'autant plus impossible l'appréciation du bien fondé de ses demandes,

- à titre infiniment subsidiaire, elle sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a limité le montant de ces dommages et intérêts à la somme de 18 000 euros.

Il est constant que le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture.

En l'espèce, il y a lieu de retenir le chiffre d'affaires annuel moyen réalisé au cours des trois années précédant la rupture, soit 583 576 euros (570 478 en 2010 + 532 098 en 2011 + 648 153 en 2012). La société RAS indique sans être contredite que l'activité générée par la société LME s'établit à 80 % de son chiffre d'affaires total, soit 466 861 euros (583 576 x 80 %). Ainsi, sera pris en compte un chiffre d'affaires moyen mensuel de 38 905 euros (466 861/12). Le chiffre d'affaires perdu pendant les 6 mois du préavis, qui aurait dû être octroyé, s'élève donc à 233 430 euros (38 905 x 6) diminué de celui réalisé pendant les 41 jours de préavis accordé (53 170), soit la somme de 180 260 euros à laquelle il y a lieu d'appliquer un taux de marge qui, compte tenu de la nature de l'activité (le gardiennage et la sécurité qui nécessitent l'emploi d'un personnel en nombre) et en l'absence de production d'éléments comptables, sera évalué à 15 %. Dès lors, le manque à gagner de la société RAS s'établit à la somme de 27 039 euros (180 260 x 15 %) au paiement de laquelle la société LME sera condamnée. La société RAS sera déboutée du surplus de sa demande.

Sur les demandes reconventionnelles

Sur la demande de restitution de sommes indûment payées

La société LME sollicite, à titre reconventionnel, la condamnation de la société RAS à lui restituer une somme totale de 132 201,04 euros correspondant à des prestations qui apparaissent comme fictives, ou au titre d'erreurs volontaires de facturation commises par la société RAS ou de double facturation de certaines prestations. Elle précise avoir découvert par un courrier anonyme du 25 juillet 2013 que la société RAS aurait surfacturé les prestations d'un agent de sécurité, M. Y, lequel n'aurait jamais été présent sur le site, et elle rappelle qu'elle a alors enjoint à la société RAS d'avoir à lui communiquer les certificats d'habilitation de l'ensemble de ses agents ayant travaillé sur le site mais que celle-ci a refusé de déférer à sa sommation de communiquer du 3 février 2014 (après celle du 15 octobre 2013), démontrant ainsi que les rondes litigieuses telles que visées dans cette sommation de communiquer ont été indûment facturées à la société LME et donc indûment payées par cette dernière.

Or, il ne ressort d'aucun élément produit que des rondes aient été indûment facturées. En effet, d'une part le courrier anonyme du 25 juillet 2013 ne respecte pas les dispositions de l'article 202 du Code de procédure civile, et d'autre part, la seule attestation de M. Z indiquant n'avoir jamais vu M. Y faire une ronde, doit être considérée avec circonspection son auteur étant un employé de la société LME et est insuffisante à établir l'existence de la surfacturation alléguée. Par suite, il ne saurait être tiré aucune conséquence du refus par la société RAS de déférer aux sommations de communiquer les certificats d'habilitation et le cahier des rapports et ce d'autant que le contrat était alors résilié.

Sur la demande en paiement d'une somme forfaitaire de 50 000 euros pour manquements contractuels

Il a été vu ci-dessus que les manquements contractuels reprochés à la société RAS qui auraient conduit aux vols et dégradations constatés entre 2011 et 2013 sur le site de la société LME, ne sont pas établis. Par suite, la société LME sera déboutée de sa demande d'indemnisation formée à ce titre.

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile

La société LME, qui succombe essentiellement, supportera la charge des dépens de première instance et d'appel et devra verser à la société RAS la somme totale de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, sa propre demande formée à ce titre étant rejetée.

Par ces motifs : LA COUR, Rejette l'exception d'irrecevabilité de l'appel ; Annule le jugement du tribunal de commerce de Valenciennes du 21 avril 2015 ; vu l'article 562 du Code de procédure civile, statuant à nouveau : Condamne la société Laminés Marchands Européens à verser à la société Rassurer, Assister, Sécuriser la somme de 27 039 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies ; Déboute la société Rassurer, Assister, Sécuriser du surplus de ses demandes en dommages et intérêts ; Déboute la société Laminés Marchands Européens de ses demandes reconventionnelles ; Condamne la société Laminés Marchands Européens aux dépens de première instance et d'appel ; Condamne la société Laminés Marchands Européens à verser à la société Rassurer Assister Sécuriser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.