Cass. com., 14 novembre 2018, n° 17-19.851
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Val Trappeur (SARL), Indian River (SAS), Martin
Défendeur :
Buffalo Grill (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Le Bras
Avocat général :
Mme Beaudonnet
Avocats :
SCP Alain Bénabent, SCP Gatineau, Fattaccini
LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par les sociétés Val Trappeur, Indian River et M. Martin que sur le pourvoi incident éventuel relevé par la société Buffalo Grill ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 7 février 2001, la société Indian River, représentée par son président-directeur général M. Martin, a conclu avec la société Buffalo Grill un contrat de franchise, d'une durée de 114 mois, pour exploiter un restaurant sous l'enseigne Buffalo Grill à Dechy (59) ; que la société Val Trappeur, dont le capital est détenu par la société Holding Val Trappeur et ayant pour gérant et actionnaire majoritaire M. Martin, a, en octobre 2008, ouvert un restaurant à l'enseigne Indian Trappeur à la Sentinelle (59), exploité sous la direction de M. Martin ; que par lettre recommandée du 23 mars 2009, la société Buffalo Grill a résilié pour faute grave le contrat de franchise conclu avec la société Indian River ; que contestant cette rupture anticipée, la société Indian River a assigné la société Buffalo Grill en paiement de dommages-intérêts ; que cette dernière a appelé en intervention forcée la société Val Trappeur et M. Martin, en leur reprochant des actes de concurrence déloyale ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal : - Attendu que la société Val Trappeur, la société Indian River et M. Martin font grief à l'arrêt de dire que la rupture du contrat de franchise est intervenue aux torts exclusifs de la société Indian River, de condamner cette dernière à payer à la société Buffalo Grill une somme de 40 000 euros à titre d'indemnité contractuelle de rupture de contrat et de rejeter sa demande de réparation alors, selon le moyen : 1°) qu'une personne morale ne répond des actes de ses organes que si ceux-ci ont été commis en son nom et pour son compte ; que comme l'a constaté la cour d'appel, l'ouverture, par M. Martin, d'un restaurant à l'enseigne " Indian trapper " a été faite pour le compte de la société Val Trappeur, et non pour celui de la société Indian River ; qu'en jugeant pourtant que l'ouverture de ce restaurant, sans l'accord de la société Buffalo Grill, constituerait une faute contractuelle de la société Indian River, la cour d'appel a méconnu l'article 1147 du Code civil dans sa rédaction applicable en la cause, ensemble l'article L. 210-6 du Code de commerce ; 2°) que le juge ne peut altérer le sens clair et précis d'un contrat en y ajoutant une obligation qui n'a pas été librement acceptée par les parties ; qu'ainsi que l'a constaté la cour d'appel, le contrat de franchise conclu entre les sociétés Indian River et Buffalo Grill le 7 février 2001 ne contenait aucune obligation de non-concurrence à la charge du franchisé ; qu'en particulier, les articles 14 et 18.3 de ce contrat, relatifs respectivement au transfert du fonds de commerce du franchisé et aux droits et obligations du franchisé après la rupture du contrat, n'interdisaient nullement au franchisé d'exercer une activité concurrente pendant l'exécution du contrat de franchise ; qu'en jugeant cependant qu'il résulterait de ces stipulations que le franchisé était dans l'impossibilité, pendant l'application du contrat, de créer, fût-ce via une société tierce, un restaurant entrant en concurrence avec ceux du réseau franchisé, et en déduisant que l'ouverture d'un tel restaurant par M. Martin, sans l'accord de la société Buffalo Grill, caractériserait une faute contractuelle de la société Indian River, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de ces stipulations, en y ajoutant une obligation qu'elles ne prévoyaient pas, en violation de l'interdiction faite aux juges de dénaturer les documents de la cause ; 3°) que l'appréciation de la bonne ou mauvaise foi d'une partie n'autorise pas le juge à porter atteinte à la substance ou à l'étendue des droits et obligations légalement convenus entre elles ; que dès lors, en retenant que l'obligation, pour le dirigeant de la société Indian River, d'obtenir l'accord de la société Buffalo Grill pour procéder à l'ouverture d'un restaurant entrant en concurrence avec ceux du réseau franchisé, s'inférerait de l'obligation d'exécuter le contrat de franchise de bonne foi, la cour d'appel a méconnu la loi des parties et a ainsi violé l'article 1134 du Code civil, dans sa rédaction applicable en la cause ;
Mais attendu qu'après avoir constaté que le contrat de franchise stipulait qu'il était conclu intuitu personae, en considération de la personne de M. Martin, dirigeant de la société franchisée, expressément qualifié de " partenaire ", l'arrêt relève que la société Buffalo Grill s'était en outre réservée la possibilité de refuser le transfert du contrat à une personne exploitant déjà un réseau de restaurants concurrents, une telle circonstance étant constitutive d'une incompatibilité grave, et que, si l'article 18.3 permettait au franchisé de continuer à exercer une activité de restauration, cette possibilité n'était prévue qu'à l'expiration du contrat ; qu'il en déduit l'impossibilité pour les partenaires du franchiseur, pendant l'application de ce contrat, de créer, fût-ce via une société tierce, un restaurant entrant en concurrence avec ceux du réseau franchisé ; qu'en l'état de ces motifs, déduits de son appréciation souveraine de la commune intention des parties, exclusive de dénaturation, la cour d'appel, qui a fait ressortir l'existence d'une situation incompatible avec l'exécution loyale du contrat par la société franchisée, a pu, sans porter atteinte à la substance ou à l'étendue des droits et obligations des parties, retenir que la résiliation du contrat pour faute grave était justifiée ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen du pourvoi incident, pris en sa seconde branche : - Attendu que la société Buffalo Grill fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en paiement de dommages-intérêts dirigées contre M. Martin alors, selon le moyen, que le juge ne peut méconnaître les termes du litige tels qu'ils sont définis par les conclusions des parties ; qu'en l'espèce, la société Buffalo Grill sollicitait la condamnation personnelle de M. Martin en raison tant d'un trouble concurrentiel que de la déstabilisation du réseau Buffalo Grill ; qu'elle faisait valoir à cette fin que le comportement de M. Martin, dont la personnalité avait été déterminante pour le franchiseur dans la conclusion du contrat de franchise, avait causé, tant la captation par la société Val Trappeur des éléments du concept Buffalo Grill, que le discrédit ostensible du chef de réseau à l'égard des autres franchisés qu'elle qualifiait d'acte grave de déstabilisation ; qu'en écartant cependant la responsabilité personnelle de M. Martin, en énonçant que celle-ci ne pouvait être retenue au titre de la concurrence déloyale et que si la société Buffalo Grill soutenait que M. Martin avait conduit la société Indian River à commettre un manquement grave à l'encontre du franchiseur, la demande présentée au titre de l'indemnité contractuelle de rupture du contrat n'était présentée qu'à l'encontre de la société Indian River, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile ;
Mais attendu que, la cour d'appel ayant retenu que la société Buffalo Grill ne démontrait pas la réalité du préjudice de déstabilisation du réseau qu'elle invoquait, le rejet de la demande de dommages-intérêts formée à ce titre, tant contre la société Indian River que contre le dirigeant de celle-ci, se trouve justifié par ces seuls motifs ; que le moyen, qui critique des motifs surabondants, est inopérant :
Mais sur le premier moyen de ce pourvoi : - Vu l'article 16 du Code de procédure civile ; - Attendu que pour limiter la condamnation de la société Indian River, au titre de la clause pénale, à la somme de 40 000 euros, l'arrêt rappelle que le juge peut modérer le montant de l'indemnité contractuelle lorsque son montant paraît manifestement excessif au regard du préjudice effectivement subi par le créancier et qu'en l'occurrence, l'écoulement du temps, entre le moment où la société Buffalo Grill a interrogé la société Indian River sur " l'ouverture d'un concurrent " et l'envoi de la lettre de résiliation, révèle qu'elle a accepté de poursuivre durant un certain temps l'application du contrat de franchise avec cette société en connaissance des agissements de celle-ci ;
Qu'en statuant ainsi, en réduisant d'office le montant de la clause pénale au regard d'une disproportion qui n'était pas invoquée par la franchisée, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ce point, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le second moyen du même pourvoi, pris en sa première branche : - Vu les articles L. 227-8 et L. 225-251 du Code de commerce, ensemble l'article 1382, devenu 1240, du Code civil ; - Attendu que pour rejeter les demandes de dommages-intérêts formées par la société Buffalo Grill contre M. Martin à titre personnel, en sa qualité de dirigeant de la société Val Trappeur, l'arrêt retient que la demande présentée au titre de la concurrence déloyale sera retenue contre cette société, pour la reprise des caractéristiques du toit, cette société étant en concurrence avec les restaurants membres du réseau de la société Buffalo Grill, mais qu'il ne saurait être reproché à M. Martin, son gérant, une faute personnelle détachable, dès lors que la reprise du toit correspond à l'utilisation d'une signalétique extérieure accessible à tous et que cette reprise ne caractérise pas la transmission d'un savoir-faire secret et substantiel dont M. Martin aurait eu connaissance de par ses fonctions de gérant de la société Indian River ;
Qu'en se déterminant ainsi, par des motifs inopérants et sans rechercher si les actes reprochés à M. Martin ne caractérisaient pas une faute intentionnelle d'une particulière gravité, incompatible avec l'exercice normal de ses fonctions sociales, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Par ces motifs : Sur le pourvoi principal : Le rejette ; Sur le pourvoi incident : casse et annule, mais seulement en ce qu'il condamne la société Indian River à payer à la société Buffalo Grill la somme de 40 000 euros à titre d'indemnité contractuelle de rupture de contrat et en ce qu'il rejette la demande de condamnation personnelle formée par la société Buffalo Grill contre M. Martin au titre des actes de concurrence déloyale retenus contre la société Val Trappeur, l'arrêt rendu le 15 février 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt, et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.