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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 14 novembre 2018, n° 16-11666

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sogefip (SAS)

Défendeur :

Siparex Proximité Innovation (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Pelit-Jumel, Goguel-Nyegaard, Ortolland, Mollon

T. com. Lyon, du 3 mai 2016

3 mai 2016

Faits et procédure

La Société de Gestion Financière et de Participation (la Sogefip), créée en 1986 et gérée par M. Faure, a pour objet le conseil aux entreprises.

La société Siparex Proximité Innovation (la société SPI), spécialisée dans la gestion de fonds d'investissement, a absorbé la société Sigefi Venture Gestion le 12 septembre 2012.

À compter de 2003, les sociétés Sogefip et Sigefi Venture Gestion ont entretenu des relations commerciales.

Le 6 novembre 2009, la société Sigefi Venture Gestion et la Sogefip ont conclu un nouveau contrat de prestation de services, aux termes duquel la société Sogefip avait pour mission de diriger et de développer le pôle Venture Capital du groupe Siparex, tout en stipulant à son article 3 une clause d'intuitu personae, rédigée dans les termes suivants : " le présent contrat est conclu intuitu personae ; il est strictement lié à la qualité de Monsieur Michel Faure, Président Directeur Général de Sogefip, ce dernier s'engageant à réaliser personnellement les missions décrites aux présentes ". Par ailleurs, le contrat prévoyait que M. Faure serait désigné président du directoire de la société Sigefi Venture Gestion.

Deux avenants traitant de la rémunération de la société Sogefip ont été signés en 2010 et 2012. Le 12 septembre 2012, la société Sigefi Venture Gestion ayant été absorbée par la société SPI, le contrat de prestation de services du 6 novembre 2009 a été transféré à cette dernière.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 13 mai 2014, la société SPI a notifié à la société Sogefip la résiliation à effet immédiat du contrat de prestation de services du 6 novembre 2009, suite à la révocation du mandat de directeur général de M. Faure par décision du conseil de surveillance de la société SPI du même jour.

Dans ces conditions, par exploit du 19 septembre 2014, la société Sogefip a assigné la société SPI devant le tribunal de commerce de Lyon, s'estimant victime d'une rupture brutale des relations commerciales établies.

Par jugement du 3 mai 2016, le tribunal de commerce de Lyon a, sous le régime de l'exécution provisoire :

- dit la demande de la Sogefip recevable, mais mal fondée,

- débouté la Sogefip de sa demande de dommages et intérêts au titre de la résiliation du contrat du 6 novembre 2009,

- rejeté la demande reconventionnelle de dommages et intérêts de la société Siparex Proximité Innovation,

- ordonné à la Sogefip de payer la somme de 10.000euros à la société Siparex Proximité Innovation au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- rejeté comme non fondés tous autres moyens, fins et conclusions contraires des parties,

- condamné la Sogefip aux dépens.

Parallèlement, par jugement du 30 septembre 2016,le tribunal de commerce de Paris a débouté M. Faure de l'intégralité de ses demandes tendant à obtenir indemnisation des conséquences de sa révocation dont il contestait les modalités. [Cette décision a été confirmée par la cour d'appel de Paris par arrêt du 29 mars 2018 (n° 16/20168)].

Par déclaration du 25 mai 2016, la Sogefip a interjeté appel à l'encontre du jugement du 3 mai 2016. La procédure devant la cour a été clôturée le 2 octobre 2018.

LA COUR

Vu l'appel et les dernières conclusions de la Sogefip, déposées et notifiées le 24 septembre 2018, par lesquelles il est demandé à la cour, au visa des articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et 1134, 1147, 1184 et 1347 anciens du Code civil, de :

- recevoir la Société de Gestion Financière et de Participation en ses demandes, fins et conclusions et les dire bien fondées,

- constater que par courrier du 13 mai 2014, la société Siparex Proximité Innovation a rompu à effet immédiat et sans préavis la relation commerciale établie qui la liait depuis 2002 à la Société de Gestion Financière et de Participation,

- constater que la société Siparex Proximité Innovation ne justifie d'aucun comportement fautif de la Société de Gestion Financière et de Participation propre à justifier une telle rupture brutale des relations,

en conséquence,

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la société Siparex Proximité Innovation de ses demandes pour procédure abusive,

et entrant en voie de réformation,

- dire que la société Siparex Proximité Innovation a rompu brutalement et sans motif valable les relations commerciales établies existant entre les parties,

- condamner en conséquence la société Siparex Proximité Innovation à verser à la Société de Gestion Financière et de Participation une somme de 480 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'elle lui a fait subir,

- débouter la société Siparex Proximité Innovation de l'intégralité de ses demandes,

- condamner la société Siparex Proximité Innovation à verser à la Société de Gestion Financière et de Participation une somme de 20 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Siparex Proximité Innovation à prendre en charge les entiers dépens de premières d'instance et d'appel, dont distraction au profit de Maître Belgin Pelit-Jumel, avocat au barreau de Paris, en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions de la société SPI, intimée, déposées et notifiées le 25 septembre 2018, par lesquelles il est demandé à la cour, au visa des articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, 1134, 1184, 1382 anciens, 1794 du Code civil, et 32-1 du Code de procédure civile, de :

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Lyon du 3 mai 2016 en ce qu'il a débouté purement et simplement la société Sogefip de sa demande indemnitaire pour rupture brutale des relations commerciales sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et en ce qu'il a condamné la société Sogefip au paiement d'une indemnité de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de procédure,

- réformer, en revanche, le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Siparex Proximité Innovation de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, par conséquent,

- réformer de ce chef le jugement de première instance et condamner en conséquence la société Sogefip à payer à la société Siparex Proximité Innovation une somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- condamner la société Sogefip aux entiers dépens d'appel en sus de ceux de première instance dont distraction au profit de Maître Elise Ortolland, avocat sur son affirmation de droit en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, à titre infiniment subsidiaire, si par impossible la cour devait considérer qu'un préavis aurait du être respecté,

- dire que la demande d'indemnisation de la société Sogefip est exorbitante et dénuée de tout fondement et, l'en débouter, et, à défaut à titre encore plus subsidiaire, en réduire drastiquement le montant à la lumière notamment des faits et de la jurisprudence applicable en la matière,

y ajoutant, et en tout état de cause,

- condamner la société Sogefip au paiement d'une indemnité au profit de la société Siparex Proximité Innovation d'une somme de 20 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, en sus de la condamnation de première instance ;

Sur ce

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Aux termes de l'article L 442-6, I, 5° du Code de commerce : " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...) de rompre unilatéralement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ".

La rupture des relations commerciales établies peut intervenir à effet immédiat à la condition qu'elle soit justifiée par des fautes suffisamment graves imputées au partenaire commercial.

L'article 9 du Code de procédure civile dispose qu'" il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ".

En l'espèce, le caractère établi de la relation, son ancienneté ainsi que l'auteur de la rupture ne font l'objet d'aucune contestation. En revanche est contestée la gravité des manquements imputés à la Sogefip, justifiant la rupture sans préavis par la société SPI.

Sollicitant la confirmation du jugement entrepris sur ce point, la société SPI fait valoir que la gravité des manquements commis par M. Faure aux " Règles de bonne conduite du groupe Siparex ", rappelés dans la lettre de résiliation du 13 mai 2014, justifiait la résiliation sans préavis du contrat de prestation de services.

A ce titre, la société SPI reproche notamment à M. Faure :

- des propos violents et déplacés tenus auprès de M. Boisson de Chazournes à propos d'un autre collaborateur du groupe Siparex,

- le ton méprisant utilisé dans les échanges avec M. Rambaud, président de la société SPI et du groupe Siparex, et :

- l'attitude inadmissible adoptée lors de la réunion du conseil de surveillance du 16 avril 2014.

Sollicitant l'infirmation du jugement entrepris, la Sogefip réplique que la société SPI a rompu sans motif valable la relation commerciale puisque M. Faure n'a nullement contrevenu aux règles de bonne conduite. Elle soutient en effet qu'aucun des manquements allégués par la société SPI n'est caractérisé en l'espèce et conteste à ce titre toute valeur probante à la pièce n° 31 adverse (" Procès-verbal de la réunion du Conseil de Surveillance du 16 avril 2014 "), arguant du fait que la pièce litigieuse a été établie non contradictoirement et a été de surcroît versée par la société SPI le 24 septembre 2018, soit à la veille de la clôture initialement prévue au 25 septembre.

Dans ces conditions, la Sogefip conclut que la rupture de la relation par la société SPI à effet immédiat n'est nullement justifiée par un quelconque comportement fautif de la société Sogefip, prise en la personne de M. Faure.

La société Siparex Proximité Innovation démontre l'existence de fautes de comportement de M. Faure, qui rendaient impossible la poursuite d'une relation de collaboration impliquant des relations quotidiennes de confiance avec lui, étant rappelé que le contrat de prestation de services litigieux prévoyait expressément en son article 3 " intuitu personae " que : " le présent contrat est conclu intuitu personae ; il est strictement lié à la qualité de Monsieur Michel Faure, président-directeur général de Sogefip, ce dernier s'engageant à réaliser personnellement les missions décrites aux présentes (...) ".

En effet, il résulte des pièces versées aux débats que :

- Monsieur Faure a été révoqué de ses mandats de membre du directoire et de directeur général de la société Siparex, pour des motifs tenant au défaut d'exécution loyale de ses obligations à l'égard de cette société, rendant impossible l'exécution de la mission confiée à la société Sogefip de direction et de développement du pôle Venture Capital du groupe Siparex (articles 1 et 2.2 du contrat),

- il a tenu des propos déplacés auprès de Monsieur Rodarie, coprésident du directoire de la société Siparex, ainsi qu'auprès de Monsieur Boisson de Chazournes à propos d'un autre collaborateur du groupe Siparex,

- il a manifesté son opposition fondamentale au projet de réorganisation de la société Siparex, émanant de son président Monsieur Rambaud, en adoptant une attitude et un comportement affectant l'intérêt social de la société Siparex. En effet, lors de la réunion du conseil de surveillance du 16 avril 2014, il a mis en cause le projet de Monsieur Rambaud, en présence du président du directoire de la société La Française, partenaire commercial de premier plan du groupe Siparex, remettant à cette occasion, sans en avoir préalablement informé Monsieur Rambaud, un document écrit destiné à faire acter son opposition au projet d'évolution de la gouvernance de la société Siparex.

Ces manquements répétés aux règles de bonne conduite du groupe Siparex par M. Faure, qui s'identifiait à sa société Sogefip, constituent une défaillance dans une obligation essentielle du contrat de prestation de services de nature à compromettre son exécution, et une faute d'une gravité suffisante pour justifier la rupture des relations commerciales établies, sans préavis.

Il y a donc lieu de rejeter les demandes formées par la société Sogefip pour rupture brutale des relations commerciales établies.

Le jugement déféré doit dès lors être confirmé sur ce point.

Sur l'appel incident de la société SPI au titre de sa demande reconventionnelle

Sollicitant l'infirmation du jugement entrepris sur ce point, la société SPI sollicite la condamnation de la société Sogefip à lui payer la somme de 50 000 euros à titre de procédure abusive.

La Sogefip réplique que la demande formée de ce chef par la société SPI n'est pas sérieuse et en sollicite le débouté.

Le droit d'ester en justice étant un droit fondamental, ce n'est que dans des conditions exceptionnelles qu'il peut dégénérer en abus de droit. Ces circonstances ne sont pas réunies ici, en l'absence de démonstration que l'action était manifestement infondée et intentée dans l'intention de nuire.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur les dépens et frais irrépétibles

La société Sogefip succombant au principal sera condamnée aux dépens de l'instance d'appel ainsi qu'à payer à la société Siparex la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs LA COUR, Confirme le jugement entrepris, Condamne la société Sogefip aux dépens de l'instance d'appel, qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ; Condamne la société Sogefip à payer à la société Siparex la somme de 15'000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.