Cass. com., 14 novembre 2018, n° 16-25.692
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Mango France, Mango On Line, Punto Fa
Défendeur :
Speaking Image
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Riffault-Silk
Avocat général :
Mme Beaudonnet
Avocats :
SCP Célice, Soltner, Texidor, Périer, SCP Meier-Bourdeau, Lécuyer
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 septembre 2016), que la société Speaking Image, qui commercialise des articles de prêt-à-porter, est titulaire de la marque française semi-figurative " Finger in the Nose " déposée le 27 août 2004 sous le n° 3310180 pour désigner des produits en classes 14, 18, 25, notamment les vêtements et chaussures ; qu'ayant fait constater que les boutiques à l'enseigne " Mango " et leur site internet associé offraient à la vente certains vêtements qu'elle estimait porter atteinte à ses droits privatifs, la société Speaking Image a agi contre la société française Mango France et les sociétés espagnoles Mango On Line et Punto Fa (les sociétés Mango) en contrefaçon de droits d'auteur, de dessins et modèles et de marque, ainsi qu'en concurrence déloyale et parasitisme ;
Sur les moyens uniques de chacun des pourvois principaux, rédigés en termes identiques : - Attendu que les sociétés Mango font grief à l'arrêt de dire qu'elles ont commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Speaking Image alors, selon le moyen : 1°) que tout fabricant est en droit de commercialiser une collection de vêtements concurrente de celle commercialisée par un autre fabricant sur le même marché, sous réserve pour celui-ci de ne pas chercher à créer la confusion, dans l'esprit du public, sur l'origine des produits qu'il commercialise ; que la recherche d'une confusion ne peut procéder que de la reproduction d'éléments aptes à identifier un produit ou l'entreprise parasitée auprès du public ; que, pour juger que les sociétés Mango avaient cherché à faire croire aux consommateurs que sa nouvelle collection de vêtements pour enfants avait " une origine commune " à celle éditée par la société Speaking Image, la cour d'appel a reproché à la société Punto Fa d'avoir apposé sur certains de ses vêtements une étiquette qui utilisait, comme l'étiquette de la société Speaking Image, une " écriture jaune sur fond noir " ; qu'en statuant ainsi, tout en constatant au moment de statuer sur la prétendue contrefaçon de la marque " Finger in the Nose " qui était reproduite sur les étiquettes de la société Speaking Image, que les éléments graphiques de cette marque et ceux utilisés par l'étiquette " Mango Kids " étaient différents, que " les dénominations verbales [respectivement employées] étaient très différentes ", puisqu'il s'agissait de " Fingers in the Nose ", d'une part et de " Mango Kids ", d'autre part, que les termes anglais employés par la société Punto Fa étaient " parfaitement distincts " de ceux employés par la société Speaking Image, que ces dénominations verbales anglaises ne créaient " aucun risque de confusion " et, finalement, que les " faibles similitudes entre les signes en cause pris dans leur ensemble excluaient tout risque de confusion pour le consommateur d'attention moyenne ", ce dont il résultait qu'aucun risque de confusion entre l'étiquette utilisée par les sociétés Mango et celle utilisée par la société Speaking Image ne pouvait exister du seul fait de l'utilisation d'une écriture jaune surfond noir ou même de tout autre élément esthétique éventuellement commun, en l'état de l'emploi de deux signes parfaitement distincts, identifiants, et ne générant eux-mêmes aucun risque de confusion, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1382 du Code civil dans sa rédaction applicable à la cause ; 2°) qu'en statuant comme elle a fait, sans s'expliquer sur les conclusions par lesquelles les sociétés Mango démontraient qu'il n'y avait rien de plus banal que d'utiliser une écriture jaune sur fond noir et qu'elles n'avaient, par ses étiquettes, repris aucun élément susceptible d'identifier les produits Speaking Image sur le marché, la cour d'appel, qui constatait par ailleurs que les éléments esthétiques (ailes, termes alphabétiques et éléments stylistiques) employés par l'étiquette Mango Kids excluaient tout risque de confusion avec la marque de la société Speaking Image, a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 3°) que tout fabricant est en droit de commercialiser une collection de vêtements concurrente de celle commercialisée par un autre fabricant sur le même marché, sous réserve pour celui-ci de ne pas chercher à créer la confusion, dans l'esprit du public, sur l'origine des produits qu'il commercialise ; que la recherche d'une confusion ne peut procéder que de la reproduction d'éléments aptes à identifier un produit ou l'entreprise parasitée auprès du public, de sorte que le risque de confusion ne peut procéder de la seule commercialisation de produits identiques ou simplement similaires à des produits banals, qui s'inscrivent simplement dans une mode ou qui sont proposés par de nombreux autres opérateurs sur le marché ; que pour reprocher aux sociétés Mango d'avoir cherché à faire croire au consommateur que ses collections et celles commercialisées par la société Speaking Image avaient " une origine commune ", la cour d'appel a relevé que si les vêtements issus de la collection Mango Kids n'étaient pas contrefaisants et qu'ils employaient des éléments stylistiques et fonctionnels propres, les sociétés Mango avaient, d'une part, commercialisé une gamme de vêtements qui reprenait un certain nombre de pièces que la société Speaking Image commercialisait chaque année sous des déclinaisons différentes (bottines indiennes, boots, parka, doudoune tricolore, et t-shirts aux motifs rock & roll ou marin) et, d'autre part, que ces produits utilisaient " des thèmes " (la mer, le rock & roll ou la nature pour les t-shirts) et " des caractéristiques " (doudoune tricolore ou style indien par exemple) se retrouvant chez les produits de la société Speaking Image ; qu'en statuant ainsi, après avoir constaté que les produits commercialisés par la société Speaking Image étaient pour certains " banals ", que d'autres ne faisaient qu'appliquer une " tendance de la mode ", que d'autres produits encore n'étaient pas différents de " ceux commercialisés par d'autres opérateurs ", que d'autres ne présentaient " aucune originalité ", ou qu'ils ne justifiaient d'aucune " caractéristique permettant de se différencier de créations antérieures ", ou enfin qu'ils " se bornaient à reprendre des " éléments devenus tendance depuis plusieurs années ", ce dont il résultait qu'au-delà de l'utilisation d'une étiquette qui ne générait elle-même aucun risque de confusion, l'utilisation de certains thèmes ou caractéristiques banales se retrouvant sur les vêtements de la société Speaking Image ne suffisait pas davantage à créer un risque de confusion avec les produits commercialisés par cette dernière et celle-là seule, les consommateurs pouvant opérer un rattachement avec les tendances de la mode ou des produits commercialisés par les autres fabricants de vêtements pour enfants selon les tendances du moment que chacun appliquaient, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé l'article 1382 du Code civil dans sa rédaction applicable à la cause ; 4°) qu'en leur adressant un tel reproche sans répondre aux conclusions par lesquelles celles-ci démontraient que les vêtements " Mango Kids " présentaient des caractéristiques tout à fait similaires (t-shirts au thème rock & roll ou marin, bottines à motif indien, doudounetricolore...), si ce n'est identiques, à celles de vêtements vendus par d'autres fabricants pour la simple raison qu'elles n'avaient fait que reprendre les tendances de la mode, et qu'il était dès lors impossible de considérer que les consommateurs opéraient inévitablement un rapprochement entre leur collection et celle de la société Speaking Image à la vue des deux collections en litige, de même qu'ils ne le pouvaient le faire à la vue de l'étiquette Mango Kids qui ne générait elle-même aucun risque de confusion, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 5°) que pour retenir que les vêtements litigieux commercialisés par la société Speaking Image produisaient " un effet de gamme " et reprocher aux sociétés Mango d'avoir commis un acte de concurrence déloyale en commercialisant ces mêmes vêtements, la cour d'appel s'est contentée de relever que la société Speaking Image avait commercialisé, sur des années différentes, une doudoune, des t-shirts mobilisant certains thèmes banals, une paire de bottines aux motifs indiens, des boots, et une parka, lesquels étaient reconduits sur plusieurs années dans des coloris différents ; qu'en statuant comme elle l'a fait, en se fondant sur des éléments commercialisés par tout fabricant, mis en vente sur plusieurs années, qui n'avaient aucun élément commun, et ce sans même constater qu'ils auraient été commercialisés ensemble sous la forme d'une collection propre et identifiée, la cour d'appel s'est déterminée par des motifs impropres à justifier l'existence d'un " effet de gamme " et en tout cas d'un élément identifiant sur le marché et a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil dans sa rédaction applicable au litige ; 6°) qu'en jugeant que les sociétés Mango s'étaient livrées à des actes de concurrence déloyale par recherche d'une confusion avec la société Speaking Image en commercialisant des vêtements d'un même type, en utilisant une étiquette Mango Kids employant une écriture jaune sur fond noir, alors que cette étiquette avait une esthétique propre et identifiante, et en commercialisant des vêtements présentant certaines caractéristiques similaires à celles des vêtements de la société Speaking Image eux-mêmes qualifiés de " banals ", la cour d'appel qui, s'est fondée, pour retenir l'existence d'une confusion, sur des éléments qui ne pouvaient suffire à exercer une fonction d'identification des produits litigieux ou de la société Speaking Image sur le marché, et qui s'est prononcée par des motifs impropres à justifier la recherche d'un risque de confusion, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil dans sa rédaction applicable au litige, ensemble le principe de la liberté d'entreprendre ; 7 °) qu'en retenant l'existence d'un risque de confusion, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le fait que Mango avait apposé de façon parfaitement ostensible sur l'ensemble des vêtements critiqués le sigle notoire " Mango " et que les produits avaient été distribués dans les seules enseignes Mango qui ne vendaient que des produits Mango, n'était pas de nature à écarter tout risque de confusion avec sa concurrente Speaking Image, la cour d'appel, qui constatait en outre que les sociétés Mango commercialisaient des vêtements pour enfants qui avaient leur style propre et qui ne copiaient pas ceux de Speaking Image, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil dans sa rédaction applicable au litige ; 8°) que, sauf à offrir une meilleure protection au titre de la concurrence déloyale que celle prévue par la Code de propriété intellectuelle, le juge ne peut sanctionner, sur le terrain de la concurrence déloyale, une vente licite au regard de ce Code en se fondant sur des faits identiques ou similaires à ceux qu'il a considérés comme inaptes à justifier une sanction sur le terrain des droits privatifs ; qu'il lui appartient dans ce cas de constater l'existence de faits distincts de ceux déjà invoqués mais rejetés dans le cadre de l'action en contrefaçon des droits de propriété intellectuelle dont le demandeur a été reconnu titulaire ; qu'après avoir écarté toute contrefaçon des vêtements commercialisés par la société Speaking Image et de la marque " Finger in the Nose " dont cette société était la détentrice, la cour d'appel a accueilli l'action en concurrence déloyale engagée par cette société au motif, tout d'abord, que les sociétés Mango avaient commercialisé une même " gamme " de vêtements que Speaking Image, ensuite, qu'elles avaient commercialisé des vêtements similaires reprenant certains thèmes et caractéristiques se retrouvant sur les vêtements Speaking Image - cette circonstance ayant été jugée insusceptible de justifier une sanction pour contrefaçon - et que les sociétés Mango avaient repris certaines caractéristiques de l'étiquette Speaking Image dont la marque qui y avait été apposée n'avait pas été contrefaite ; qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé l'existence de faits distincts de ceux qui étaient déjà invoqués au titre de l'action en contrefaçon et qu'elle a estimés insusceptibles de caractériser des actes de contrefaçon des droits privatifs détenus par la société Speaking Image, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil dans sa version applicable au litige ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'action en concurrence déloyale, qui est ouverte à celui qui ne peut se prévaloir d'aucun droit privatif, peut se fonder sur des faits matériellement identiques à ceux allégués au soutien d'une action en contrefaçon rejetée, dès lors qu'il est justifié d'un comportement fautif ;
Attendu, en deuxième lieu, que l'arrêt retient que pour créer une seule et première collection, les sociétés Mango ont repris la même gamme de vêtements que ceux commercialisés chaque saison, depuis dix ans, par la société Speaking Image, soit une parka, une doudoune, deux paires de bottines et cinq tee-shirts, et ont choisi des vêtements qui, sous des coloris différents, avaient été commercialisés au cours de plusieurs saisons par la société Speaking Image avec un succès commercial répété ; qu'il relève encore qu'elles se sont inspirées des neuf vêtements de la société Speaking Image en s'appropriant des éléments esthétiques caractéristiques et qu'elles ont apposé sur certains d'entre eux une étiquette reprenant l'écriture jaune sur fond noir utilisée par la société Speaking Image ; que la cour d'appel a pu ainsi, lors même qu'elle avait écarté la contrefaçon de chaque modèle pris en lui-même, retenir l'existence, au titre d'une collection, d'un effet de gamme résultant de l'association de produits précis, peu important leur banalité, et en déduire que la répétition de leur reprise était fautive ;
Et attendu, enfin, que sous le couvert de griefs non fondés de manque de base légale, le moyen ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine par laquelle la cour d'appel a retenu l'existence d'un risque de confusion créé par les sociétés Mango ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur les moyens uniques de chacun des pourvois incidents :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Par ces motifs : rejette les pourvois principaux et incidents.