Cass. crim., 7 novembre 2018, n° 17-82.459
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Olivier
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soulard
Avocat général :
M. Gaillardot
Avocats :
SCP Waquet, Farge, Hazan, SCP Claire Leduc, Solange Vigand
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ; - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, du jugement qu'il confirme et des pièces de procédure, que M. a été employé, par contrat à durée indéterminée du 15 janvier 2002 comme chef de projet, puis ultérieurement directeur commercial, par la société MCE Technologies, fabricante de machines de mesures industrielles, à laquelle il a fait connaître verbalement qu'il démissionnait le 12 octobre 2012, ce qu'il a confirmé par lettre datée du lendemain ; qu'à la suite de son départ, son employeur a découvert le transfert, depuis son ordinateur portable vers une clef USB, de 190 fichiers informatiques comportant des informations stratégiques et confidentielles relatifs aux clients de la société, aux prospects et aux prix pratiqués ; que M. n'ayant pas déféré à l'injonction qu'elle lui a faite de lui restituer ces documents, ladite société l'a cité devant le tribunal correctionnel pour avoir, les 11 et 12 octobre 2012, au siège social de l'entreprise, soustrait frauduleusement ces données informatiques secrètes ; que déclaré coupable de ce délit, il a interjeté appel de cette décision de même que le ministère public ;
En cet état ; - Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 121-3 et 311-1 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ; "en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré M. Olivier coupable de vol ; "aux motifs que le prévenu a tout de suite reconnu devant les enquêteurs les faits reprochés de soustraction frauduleuse de ces 190 fichiers sa reconnaissance des faits ayant été répétée à plusieurs reprises il a été effectivement indiqué par le prévenu devant les enquêteurs de police qu'il avait bien dérobé les 190 fichiers dans le but de disposer d'un moyen de pression sur la SAS MCE Technologies pour obtenir le versement de commissions et de primes qui lui étaient dues, et de disposer alors d'éléments à la date de son départ sur les projets sur lesquels il était impliqué de près ou de loin ; que cependant, dans la même déclaration, le prévenu indiquait également que les sommes qui lui étaient dues lui avaient été intégralement versées en fait dès le 15 janvier 2013, soit à l'issue de l'expiration du délai de préavis, non réalisé en fait, et ce, à hauteur d'un montant de 6 800 euros, ce versement très rapide venant donc faire tomber l'argument résultant de l'existence du prétendu fait justificatif, et, ce, alors que le prévenu avait reçu, immédiatement après, la notification du rapport du laboratoire Kroll On Track, venant l'informer de la constatation des faits de vol, et, ce, dès le 17 janvier 2013 ; que par ailleurs, l'extension alléguée du prétendu fait justificatif jusqu'à la demande faite devant le conseil des prud'hommes, ne saurait sérieusement être retenue, dans la mesure où les demandes portaient sur un tout autre motif que les commissions ou les primes dues ; qu'enfin, et, surtout, il n'est guère compréhensible que cherchant à disposer d'éléments pour se faire payer des primes ou commissions au moment de sa démission, le prévenu ait dérobé les 190 fichiers, portant en fait sur une période retenue par le prévenu de trois ans, n'ayant donc strictement rien à voir avec le motif évoqué, au départ, en juin 2014, de recherches d'éléments pour le paiement de primes ou de commissions dues sur la seule période de la fin 2012 ; que dès lors, rien ne saurait venir justifier le vol intervenu, d'autant que comme l'a parfaitement souligné le tribunal correctionnel, il n'existait alors aucun litige entre le prévenu et la direction, qui avait envisagé alors de céder l'entreprise à son personnel encadrant, auquel le prévenu appartenait, ce qui est de nature à exclure ainsi toutes relations de tensions au sein de l'entreprise ; que les attestations produites de membres du personnel de la société Carl Zeiss, où travaille actuellement le prévenu, venant attester que celui-ci n'aurait jamais fait profiter la société des dossiers dérobés à la partie civile, et cherchant à établir qu'il n'y a donc pas eu de divulgation de données confidentielles émanant de la partie civile, ne sauraient être prises en compte, en raison de leur manque d'impartialité évidente, s'agissant de membres de la société concurrente de la partie civile, incapables de venir dire en toute objectivité si leur société a pu ou non profiter des éléments provenant des concurrents ; que les attestations produites sur la non utilisation des données du concurrent ainsi récupérées par un des membres de leur société ne vont pas du tout dans le sens d'une bonne foi du prévenu en ce sens" et " qu'il est constant que la soustraction par téléchargement de données protégées, à l'insu ou contre le gré de leur propriétaire, constitue un acte de soustraction frauduleuse de la chose d'autrui (Cass. Crim., 20 mai 2015, n 14, Bull n 119) ; qu'en l'espèce le prévenu a reconnu, lors de son audition, puis lors de l'audience, avoir téléchargé dans les conditions qui ont été rappelées, les 190 fichiers litigieux, qu'à ce titre, dès lors que les données en question étaient la propriété de son employeur auxquelles il n'avait accès que dans le cadre de son travail il a bien commis un acte d'appropriation frauduleuse ; qu'il est admis que la soustraction par un salarié de documents appartenant à son employeur, auxquels il a le libre accès dans le cadre de ses fonctions, n'est pas punissable si les documents concernés étaient strictement nécessaires à l'exercice des droits de la défense du salarié dans un litige l'opposant à son employeur (Cass. Crim., 11 mai 2004, Bull. n 113) ; qu'en l'espèce, le prévenu a affirmé, jusqu'à la barre du tribunal qu'il avait agi ainsi car il craignait que certaines commissions ne lui soient pas versées par son employeur ; qu'il est constant et admis par le prévenu que les commissions ont bien été régulièrement payées et qu'il a commis l'acte qui lui est reproché un jour avant de faire parvenir sa démission à son employeur ; que cet acte n'était étayé par aucun élément objectif concret laissant penser que l'employeur ne le remplirait pas de ses droits; qu'aucun litige n'opposait donc encore les deux parties; que si un litige prud'homal a par la suite éclaté, il ne portait pas sur les commissions dont le prévenu redoutait le non-paiement, ce qui montre bien le caractère parfaitement infondé de ses craintes ; qu'il se déduit de ce qui précède que le prévenu a agi par crainte d'un hypothétique litige, lequel n'a jamais eu lieu, sur la question des commissions dont il parle ; qu'à ce titre il ne peut prétendre que la soustraction frauduleuse à laquelle il reconnaît s'être livré la veille de sa démission concernait des documents strictement nécessaires à l'exercice de droits de sa défense dans le cadre d'un litige l'opposant à son employeur ; qu'il convient de déclarer le prévenu coupable de vol au préjudice de la société MCE Technologies et d'entrer en voie de condamnation ; 1) alors qu'en retenant que M. avait " tout de suite reconnu devant les enquêteurs les faits reprochés de soustraction frauduleuse de ces 190 fichiers " et les avoir " dérobés " cependant que celui-ci avait uniquement déclaré avoir importé les fichiers sur une clé USB aux seules fins d'obtenir des éléments à la date de départ de la société concernant les projets sur lesquels il était impliqué de près ou de loin dans le but d'obtenir le versement des commissions et primes lui étant dues, ce qui ne valait pas reconnaissance d'une soustraction frauduleuse, la cour a dénaturé ses déclarations ; 2) alors que l'appropriation, par le salarié, de documents appartenant à son employeur pour les strictes nécessités de sa défense dans un litige l'opposant à ce dernier ou en prévision duquel il s'agirait de se prémunir, constitue un fait justificatif exclusif de la responsabilité pénale, que dans ses écritures, M. faisait valoir qu'il était en litige avec son employeur depuis qu'il avait refusé de reprendre l'entreprise en janvier 2012 et que M. , alors représentant légal de MCE Technologie, après l'annonce de sa démission, avait menacé de ruiner sa réputation de salarié dans le métier très spécifique de la métrologie industrielle et de ne pas payer primes de CODI et commissions; qu'il évoquait, à titre de preuve de l'ancienneté du conflit, la copie de sa messagerie effectuée par son employeur, à son insu, sur une clé USB, dès le 8 février 2012, et rappelait que M. s'était présenté à l'audience de plaidoirie sous la fausse qualité de représentant légal de la société MCE Technologie, alors qu'il ne l'était plus, ce qui témoignait de sa rancœur personnelle à son égard; que le jugement entrepris avait en effet, à la suite d'une note en délibéré de la défense dénonçant ce fait comme révélateur de l'acharnement personnel de M. contre M. , écarté des débats les propos tenus à l'audience par M. en cette fausse qualité; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur ces éléments de nature à exclure toute intention frauduleuse, la cour n'a pas légalement justifié sa décision sa décision ; 3) alors qu'en se fondant, pour estimer M. non fondé à se prévaloir du fait justificatif tiré des droits de la défense, sur le fait que dans son audition devant les services de police le 2 juin 2014, " le prévenu indiquait également que les sommes qui lui étaient dues lui avaient été intégralement versées en fait dès le 15 janvier 2013, soit à l'issue de l'expiration du délai de préavis, non réalisé en fait, et ce, à hauteur d'un montant de 6 800 euros " sans s'expliquer sur les conclusions et pièces de justice versées aux débats faisant apparaître que la prime dite " CODI " ne lui avait effectivement pas été versée pour l'année 2012, que M. avait saisi le Conseil de prud'homme dès le mois d'avril 2013 à cette fin et que la juridiction prud'homale avait fait droit à cette demande en première instance et en appel, la cour n'a pas mieux justifié sa décision ; 4) alors que pour apprécier la légitimité de l'appropriation, par le salarié, de documents appartenant à son employeur pour les strictes nécessités de sa défense dans un litige l'opposant à ce dernier ou en prévision duquel il s'agirait de se prémunir, les juges du fond doivent se placer au jour des actes d'appropriation reprochés et prendre en compte les éléments dont le salarié pouvait alors avoir connaissance ; qu'en se fondant de manière déterminante, pour écarter ce fait justificatif, sur le paiement du solde de tout compte intervenu " dès le 15 janvier 2013 " ou la notification du rapport du laboratoire Kroll on track intervenue " dès le 17 janvier 2013 ", circonstances postérieures de plus de 3 mois aux faits reprochés datés du 12 octobre 2012, l'arrêt a statué par des motifs inopérants; 5) alors que M. a communiqué aux débats les attestations de 6 membres du personnel de la société Carl Zeiss, conformes aux exigences de l'article 202 du Code de procédure civile, et reprises dans ses conclusions, attestant toutes, en des termes propres à chacun, de ce que celui-ci n'avait jamais communiqué ou montré d'informations confidentielles provenant de son ancien employeur ; que la cour ne pouvait affirmer qu'elles " ne sauraient être prise en compte en raison de leur manque d'impartialité évidente, s'agissant de membres de la société concurrente de la partie civile, incapables de venir dire en toute objectivité si leur société a pu ou non profiter des éléments provenant des concurrents " et qu'elles " ne vont pas du tout dans le sens d'une bonne foi du prévenu", sans caractériser aucun acte de concurrence déloyale de la part de la société Carl Zeiss ou de son personnel susceptible de justifier le constat d'un manque d'impartialité dans un litige leur étant en l'état parfaitement étranger, ni aucun acte de divulgation au préjudice de la partie civile ; que la condamnation pénale de M. n'est pas légalement justifiée" ;
Attendu que pour confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré M. coupable de vol, l'arrêt énonce notamment, par motifs propres et adoptés, que la matérialité de l'acte d'appropriation de fichiers informatiques qui lui est reproché n'est pas contestée, que ces pièces portent sur une période particulièrement longue de trois années d'exercice, soit de 2009 à octobre 2012, l'intéressé ayant pourtant déclaré qu'en les copiant, il avait seulement souhaité se pré constituer des preuves en vue de démontrer, si besoin, le cas échéant, dans le cadre d'un procès ultérieur, qu'il demeurait créancier vis à vis de son employeur du versement de primes et de commissions rapportées à la seule fin d'année 2012 ; que les juges ajoutent que le lien entre les fichiers copiés et un différend susceptible d'advenir quant à ces compléments de rémunération n'est pas démontré ;
Attendu qu'en statuant ainsi, par ces seuls motifs dont il se déduit que les juges ont estimé, dans l'exercice de leur pouvoir d'appréciation, que les 190 fichiers de la société dont le prévenu avait eu connaissance à l'occasion de ses fonctions et qu'il a appréhendés et reproduits sans l'autorisation de son employeur, n'apparaissaient pas strictement nécessaires à l'exercice des droits de sa défense dans le litige invoqué susceptible de l'opposer à ce dernier postérieurement à sa démission, la cour d'appel a répondu, sans insuffisance ni contradiction, à tous les chefs péremptoires de conclusions, a caractérisé, à défaut d'établissement du fait justificatif allégué, tant l'élément matériel que l'élément intentionnel du vol dont elle a déclaré le prévenu coupable et justifié sa décision ; D'où il suit que le moyen, inopérant en sa cinquième branche en ce qu'elle critique l'absence de caractérisation d'acte de concurrence déloyale , élément étranger au délit de vol, ne saurait être accueilli ;
Mais sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 132-1, 132-20 alinéa 2, 485, 512 et 593 du Code de procédure pénale ; "en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a condamné M. Olivier au paiement d'une amende de 5 000 euros ; "aux motifs que les peines initialement prononcées d'emprisonnement assorti d'un sursis simple et d'amende à hauteur de 5 000 euros seront entièrement confirmées, comme étant parfaitement adaptées à la gravité des faits, résultant du vol de données confidentielles et stratégiques sur les clients, les prospects et les listes des prix pratiqués par MCE Technologies, et couvrant, en outre, une période particulièrement longue de trois ans, allant de 2009 à octobre 2012, au moment même où le prévenu passait à la concurrence , et à la personnalité du prévenu, alors cadre au sein de l'entreprise, venant de donner sa démission et ayant réussi à se faire dispenser de l'exécution du délai de préavis pour pouvoir se faire embaucher dès le mois suivant par la concurrence" et " que le prévenu présente un casier judiciaire vierge et qu'il est parfaitement inséré dans la société ; qu'il convient toutefois de relever qu'il a commis une infraction grave compte tenu de la nature sensible des données soustraites et du fait qu'il en disposait au titre du lien de confiance l'unissant à son employeur; qu'à ce titre il convient de prononcer une peine d'avertissement afin d'éviter au mieux le risque d'une récidive : que le prévenu sera en conséquence condamné à une peine de quatre mois d'emprisonnement intégralement assorti d'un sursis simple et d'une peine de 5 000 euros d'amende ; "alors qu'en matière correctionnelle, le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges ; que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en ne s'expliquant pas sur le montant des ressources et des charges du prévenu qu'elle devait prendre en considération pour fonder sa décision, la cour d'appel ne l'a pas justifiée" ;
Vu l'article 132-20, alinéa 2, du Code pénal, ensemble l'article 132-1 du même Code et les articles 485, 512 et 593 du Code de procédure pénale ; - Attendu qu'en matière correctionnelle, le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que pour confirmer le jugement en ce qu'il a condamné le prévenu à 5 000 euros d'amende, l'arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, que cette sanction est adaptée à la gravité des faits s'agissant du vol de données confidentielles et stratégiques portant sur trois années d'activité sociale de son employeur et commis au préjudice de ce dernier auquel un lien de confiance l'unissait ; que les juges ajoutent que, cadre employé par une autre société, il est socialement inséré et n'a jamais été condamné ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans s'expliquer sur les ressources et les charges du prévenu, ni sur sa situation personnelle, alors qu'elle devait les prendre en considération pour fonder sa décision, la cour d'appel ne l'a pas justifiée ; D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; qu'elle sera limitée aux peines dès lors que la déclaration de culpabilité n'encourt pas la censure ;
Attendu que les dispositions de ce texte sont applicables en cas de rejet du pourvoi, qu'il soit total ou partiel ; que la déclaration de culpabilité de M. étant devenue définitive, par suite du rejet de son premier moyen de cassation, il y a lieu de faire partiellement droit à la demande de la Société Mce Technologies, partie civile ;
Par ces motifs : Casse et Annule l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Chambéry, en date du 8 février 2017, mais en ses seules dispositions relatives aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ; Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée, Renvoie la cause et les parties devant Cour d'appel de Lyon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ; Fixe à 2 500 euros la somme que M. devra payer à la société MCE Technologies au titre de l'article 618-1 du Code de procédure pénale ; Ordonne l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la Cour d'appel de Chambéry et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.