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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 8 novembre 2018, n° 17-07128

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Manchettes Résines Réhabilitation de Réseaux M3R (SA)

Défendeur :

Video Injection - Insituform (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mmes Schaller, Moreau

Avocats :

Mes Guizard, Bennahim, Buret, Merveille, Mudry

T. com. Evry, du 23 févr. 2017

23 février 2017

Faits et procédure :

Les 15 juin, 6 juillet et 6 septembre 2011, la société Manchettes Résines Réhabilitation de Réseaux (M3R), spécialisée dans la réhabilitation des réseaux d'assainissement, a passé commande à la société Vidéo Injection Insituform de gaines imprégnées de résine dite " époxy ", destinées à la réalisation de la réhabilitation du réseau d'assainissement de la commune de Bondy.

La société Vidéo Injection Insituform a livré les gaines les 1er août et 20 septembre 2011 et a émis plusieurs factures pour un montant total de 112 922,64 euros.

Parallèlement, et alors que les gaines était déjà installées, la société M3R, par télécopie envoyée le 13 avril 2012, a, d'une part, demandé à la société Vidéo Injection Insituform de lui transmettre la fiche technique de la résine d'imprégnation, et, d'autre part, fait part de problèmes inhérents à la livraison des marchandises et demandé un avoir à hauteur de 13 169,06 euros sur la dernière facture envoyée.

Par courrier adressé en date du 27 avril 2012 à la société M3R, la société Vidéo Injection Insituform a adressé la fiche technique demandée.

La société M3R a invoqué une non conformité de la résine, qualifiée " Epoxy Vinylester ", a, par courrier en date du 8 juin 2012 notifié à la société Vidéo Injection Insituform l'inexécution de son obligation de délivrance conforme , grief rejeté par la société Vidéo Injection Insituform qui a mis en demeure la société M3R de lui payer la somme de 110.530,64 euros, après déduction d'un avoir commercial pour retards de livraison.

Cette mise en demeure restant sans effet, la société Vidéo Injection Insituform a obtenu du président

du tribunal de commerce d'Évry, le 7 juin 2013, une ordonnance faisant injonction à la société M3R de lui payer en principal la somme de 110 530,64 euros. La société M3R a formé opposition à cette ordonnance, a conclu au rejet de la demande de paiement pour manquement à son obligation de délivrance conforme et s'est portée reconventionnellement demanderesse en dommages et intérêts au titre des frais de désinstallation et réinstallation de gaines conformes.

Par jugement en date du 27 novembre 2014, le tribunal de commerce d'Évry a désigné un expert judiciaire avec pour mission de se faire remettre un échantillon de la gaine, objet du litige entre les parties, de se faire communiquer tous les documents et pièces qu'il estimera nécessaire à l'accomplissement de sa mission, de faire procéder, en tant que de besoin, à tout effet de laboratoire en vue de définir la nature de la résine critiquée, dire s'il est avéré que la gaine livrée est à base de résine dite " vinylester " et si elle est ou non adaptée à l'usage prévu. L'expert a remis son rapport le 21 décembre 2015.

Par jugement rendu le 23 février 2017, le tribunal de commerce d'Évry a :

- dit recevable en la forme l'opposition, formée par la société M3R, à l'injonction de payer signifiée à son encontre le 9 juillet 2013 ;

- dit que le jugement se substitue à l'ordonnance entreprise ;

- dit recevable la demande formée en principal par la société Vidéo Injection Insituform ;

- dit que les gaines livrées par la société Vidéo Injection Insituform, bien que possédant les propriétés nécessaires à un bon lainage et étant en adéquation avec l'application prévue, ne correspondent pas aux caractéristiques de l'appel d'offres émis par le client final et impose en conséquence une réfaction sur le montant réclamé ;

- réfactionné le montant réclamé d'une somme forfaitaire équivalente à 10 % et condamné la société M3R à payer à la société Vidéo Injection Insituform la somme de 99 477,57 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 6 novembre 2012, date de la première mise en demeure ;

- débouté la société M3R de sa demande de condamnation de la société Vidéo Injection Insituform au paiement d'une somme de 273 305 euros à titre de dommages et intérêts et coût de la désinstallation et de la réinstallation de gaines conformes ;

- débouté la société M3R de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

- débouté les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires ;

- ordonné l'exécution provisoire du jugement nonobstant appel ;

- dit que chacune des parties conservera à sa charge les frais irrépétibles et les dépens qu'elle a exposés, qui comprendront pour moitié les frais d'expertise de Monsieur P., et ce compris les frais de greffe liquidés à la somme de 274,66 euros TTC.

Vu l'appel interjeté le 3 avril 2017 par la société Manchettes Résines Réhabilitation de Réseaux (M3R) à l'encontre de cette décision ;

Prétentions des parties :

La société Manchettes Résines Réhabilitation de Réseaux (M3R), par dernières conclusions

signifiées le 27 octobre 2017, demande à la cour de :

- la déclarer recevable et bien fondée en son appel et en ses écritures ;

- réformer le jugement entrepris ;

- débouter la société Vidéo Injection de sa demande en paiement ainsi que de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner la société Vidéo Injection au paiement d'une somme de 273 305 euros à titre de dommages et intérêts correspondant au coût de la désinstallation et de la réinstallation de gaines conformes ;

- à tout le moins, condamner la société Vidéo Injection au paiement d'une somme de 100 000 euros au titre de la perte de chance ;

- assortir la condamnation du paiement des intérêts légaux avec capitalisation ;

- condamner la société Vidéo Injection à payer à la société M3R les sommes de :

-10 000 euros pour procédure abusive ;

-5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- la condamner enfin aux entiers dépens qui comprendront les frais d'expertise avancés par la société M3R et pourront être recouvrés par Maître Guizard, avocats aux offres de droit.

Elle fait valoir que le jugement doit être réformé en ce qu'il a réfactionné le montant d'une somme forfaitaire et que les demandes de la société Vidéo Injection Insituform doivent être rejetées, cette dernière n'ayant pas respecté son obligation de délivrance conforme , obligation de résultat essentielle du vendeur, puisque la gaine livrée était imprégnée de résine " vinylester " alors que le marché confié exigeait une résine dite " Epoxy ", la circonstance de la possible application d'une résine vinylester au marché confié ne suffisant pas à la qualifier de " conforme ", le critère étant la volonté de l'acheteur.

La société M3R ajoute :

- d'une part, que les résines Atlac Premium 600 et Atlac Premium 600 E sont, contrairement à ce qu'affirme la partie intimée, identiques ;

- d'autre part, que la nature éventuellement hybride de la résine ne suffit pas à qualifier la marchandise livrée de " conforme ", aucune résine hybride n'ayant été commandée par la société M3R;

- enfin, que l'expert a confirmé, sans que cela ne soit contestable ni contesté, la nature vinylester de la résine livrée.

Elle expose également que l'argument de la société Vidéo Injection Insituform tiré de la tardiveté de l'action par la société M3R ne peut être reçu, la non conformité n'étant pas aisée à détecter, puisque, d'une part, les devis émis par la société Vidéo Injection Insituform spécifiaient la nature des résine comme étant " époxy "; et puisque, d'autre part, la livraison des gaines s'est faite selon les modalités applicables aux résines " époxy ", la circonstance de l'éventuelle sous traitance à la société Polygaine de l'imprégnation de la résine ne suffisant pas à exonérer la société Vidéo Injection Insituform de son obligation de délivrance conforme .

Enfin, la société M3R fait valoir qu'elle est fondée à demander la somme de 273.305 euros HT au titre du préjudice subi puisque, outre la mauvaise foi de la société Vidéo Injection Insituform qui connaissait la vraie nature des résines qu'elle a vendues à la société M3R, la nature non conforme des gaines a entraîné un défaut de livraison des travaux finaux de la part de la société M3R envers sa propre clientèle.

La société Vidéo Injection Insituform, appelante à titre incident, par dernières conclusions signifiées le 29 août 2017, demande à la cour, au visa notamment des articles 1604 et 1134 (ancien) du Code civil, de :

- infirmer dans toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau,

A titre principal,

- juger que la société Vidéo Injection Insituform a respecté son obligation de délivrance conforme à l'égard de la société M3R;

- condamner la société M3R à payer à la société Vidéo Injection Insituform le montant de sa créance soit 110.530,64 euros en principal, avec intérêts au taux légal à compter du 19 mars 2012 ;

A titre subsidiaire,

- constater que la société M3R a accepté sans réserve la marchandise installée depuis plus de six ans ;

- constater que la société M3R ne rapporte pas la preuve d'un préjudice lié à la qualité des gaines livrées et installées ;

- condamner la société M3R à payer à la société Vidéo Injection Insituform le montant de sa créance, soit 110.530,64 euros en principal, avec intérêts au taux légal à compter du 19 mars 2012 ;

En tout état de cause,

- débouter la société M3R de sa demande de dommages et intérêts d'un montant de 273.305 euros ;

- débouter la société M3R de sa demande de condamnation de la société Vidéo Injection Insituform à la somme de 100 000 euros au titre de la perte de chance ;

- débouter la société M3R de sa demande de paiement des sommes de 10 000 euros pour procédure abusive et de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société M3R à payer à la société Vidéo Injection Insituform la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société M3R aux entiers dépens et frais de l'instance.

Elle fait valoir qu'elle a exécuté son obligation de délivrance conforme , dès lors :

- d'une part, que les différents bons de livraisons font apparaître la qualité d'epoxy ;

- d'autre part, que, même si la résine s'est avérée être de type vinylester, elle n'en reste pas moins conforme à l'usage pour lequel elle était prévue, les gaines étant installées depuis 2011 et le rapport

de l'expertise, basé sur la documentation de la société DSM, ne suffisant pas, sans analyse en laboratoire, à prouver le contraire.

La société Vidéo Injection Insituform expose, à titre subsidiaire, que la société M3R n'est pas fondée à se prévaloir d'un défaut de conformité, dans la mesure où :

- ce reproche est présenté plus d'un an après la livraison et l'installation des gaines litigieuses, la société M3R, en tant que professionnelle, n'ayant pas demandé la documentation de nature à lui permettre d'accepter la marchandise sans réserve ; et puisque, d'autre part, la société M3R ne rapporte pas la preuve d'un préjudice qui découlerait de la qualité de " vinylester " des gaines livrées.

Enfin, la société Vidéo Injection Insituform fait valoir, d'une part, que la société M3R n'est pas fondée à réclamer le paiement d'une indemnisation, puisqu'elle ne rapporte pas la preuve d'un préjudice découlant de la prétendue inexécution contractuelle, l'absence de réception du marché par la commune de Bondy n'étant pas démontrée; et d'autre part qu'elle est fondée à demander la condamnation de la société M3R au titre d'une procédure abusive, la société Vidéo Injection Insituform n'ayant jamais été payée à l'issue de l'exécution de son obligation, à savoir la livraison des gaines.

Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.

Motifs :

Sur la demande principale de la société Vidéo Injection Insituform

Considérant qu'en application de l'article 1604 du Code civil, le vendeur est tenu à une obligation de délivrer une chose conforme aux spécifications convenues ;

Considérant que le marché public de travaux conclu entre le maître d'ouvrage la Communauté d'agglomération Est Ensemble et la société M3R au titre du lot n°2 'chemisage continu des canalisations principales' prescrit la fourniture de gaines en fibre polyester imprégnée de résine époxy (pièce M3R n°2) ; que la société M3R a passé commande à la société Vidéo Injection Insituform de gaines imprégnées de résine époxydiques (pièces M3R n° 3, 4 et 5) ;

Que l'expert judiciaire a conclu que " la gaine livrée a été imprégnée par une résine vinylester sans styrene. ", " les fiches techniques de DSM indiquent clairement que la résine employée (Atlac P 600) est une résine vinylester. Ce n'est pas une vinylester classique en ce sens qu'elle n'utilise pas le styrene pour la réticulation. Elle ne dégage donc pas l'odeur désagréable du styrene. Mais ceci ne change pas la nature chimique de la résine qui est " vinylester ", " le client final n'a pas commandé une résine vinylester mais une résine époxy ";

Que la société DSM, fabricante de la résine, interrogée par M3R sur la nature de la résine Atlac premium 600 E, a indiqué que la résine employée était une résine vinylester (pièce M3R n° 10 - courriel du 9 juin 2012) ; que DSM a confirmé, dans sa fiche commerciale du 24 mai 2013 (pièce n°20), que " l'atlac Prenium 600 E est une résine base Epoxy " qui n'est " pas une résine Epoxy classique ", " pour être plus précis, l'atlac Prenium 300 E n'est pas une résine 100 % Epoxy ";

Qu'il s'en déduit que, la commande portant sur une résine époxy, et non vinylester, ni " équivalente époxy ", le vendeur, en livrant une résine " vinylester ", n'a pas satisfait à son obligation de délivrance ;

Considérant qu'il n'est nullement établi que la société M3R aurait été informée, avant qu'elle ne

mette en demeure Vidéo Injection Insituform de lui adresser la fiche technique des gaines époxy, de la non conformité de la marchandise livrée ; que Vidéo Injection Insituform ne peut, dans ces conditions, reprocher à M3R d'avoir agi contre son cocontractant avec retard ; qu'il ne peut, de même, être tiré aucune conséquence de l'absence de réserve de M3R lors de la réception, aucun élément n'établissant que la non conformité, tenant à la nature d'un revêtement, était détectable lors de la livraison ;

Considérant qu'en conséquence, la cour déboutera la Vidéo Injection Insituform de ses demandes et infirmera en ce sens le jugement entrepris ;

Sur les demandes reconventionnelles de la société M3R

Considérant qu'ainsi que l'a retenu le jugement entrepris dont la cour adopte les motifs, la société M3R ne rapporte la preuve ni d'une absence de réception des travaux réalisés, ni d'une quelconque demande du maître d'ouvrage de procéder au remplacement des gaines litigieuses ; que la décision déférée sera en conséquence confirmée en ce qu'elle a débouté la société M3R de sa demande de dommages et intérêts au titre du coût de désinstallation et réinstallation de gaines conformes ;

Qu'elle le sera également de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, le fait pour de s'être méprise sur ses droits étant insuffisant à établir la mauvaise foi du vendeur ;

Considérant que l'équité commande de condamner la société Vidéo Injection Insituform à payer à la société M3R la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a débouté la société Manchettes Résines Réhabilitation de Réseaux (M3R) de ses demandes de dommages et intérêts au titre du coût de désinstallation et réinstallation de gaines conformes et pour procédure abusive ; Statuant à nouveau ; Dit que la société Vidéo Injection Insituform a manqué à son obligation de délivrance conforme ; La Déboute de ses demandes ; Condamne la société Vidéo Injection Insituform à payer à la société Manchettes Résines Réhabilitation de Réseaux (M3R) la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; La Condamne aux dépens, qui comprendront les frais de l'expertise judiciaire, lesquels seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.