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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 12 septembre 2018, n° 18/04914

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Pari Mutuel Urbain (GIE)

Défendeur :

Betclic Entreprises Limited (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mme Mouthon Vidilles, Mme Comte

Avocats :

Me Boccon Gibod, Me Choffel, Me Baechlin, Me Wilhelm

Aut. conc., du 25 févr. 2014

25 février 2014

Faits et procédure

La société Betclic Enterprises Limited (ci-après Betclic), société de droit maltais créée en 2010, est spécialisée dans le secteur des jeux et des paris en ligne. Elle exploite la marque Betclic via son site internet www.betclic.fr sur lequel elle propose des paris sportifs, des paris hippiques et une offre de poker.

Le groupement d'intérêt économique Pari Mutuel Urbain (le GIE PMU) réunit 60 sociétés de courses, en application du décret n° 97-456 du 5 mai 1997 relatif aux sociétés de courses de chevaux et au pari mutuel. A ce titre, il détient le droit exclusif d'organiser et de commercialiser des paris hippiques en dehors des hippodromes dans le cadre de son réseau physique constitué de plus de 12 000 points de vente.

Par ailleurs, depuis 2003, le GIE PMU exerce une activité de paris hippiques en ligne sur son site www.pmu.fr.

Cette activité de paris hippiques en ligne faisait également partie du droit exclusif conféré au PMU jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne (la loi du 12 mai 2010).

La loi du 12 mai 2010 a en effet permis à d'autres opérateurs que le PMU d'entrer sur le marché des paris hippiques en ligne, le GIE PMU continuant toutefois de disposer d'un monopole sur l'organisation des paris hippiques dans son réseau physique (paris hippiques " en dur ").

Depuis le lancement de son site www.pmu.fr en 2003, le PMU a toujours opéré une mutualisation des enjeux qu'il collecte en dur et en ligne au sein d'une masse unique, son offre commerciale étant identique sur ces différents vecteurs de vente (mêmes paris, mêmes règles de jeux, mêmes rapports et mêmes gains).

Quelques mois après l'entrée en vigueur de la loi de 2010, l'Autorité de la concurrence s'est saisie d'office sur les conditions d'exercice de la concurrence dans le secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne, aboutissant à l'adoption de l'avis n° 11-A-02 du 20 janvier 2011.

Le 10 décembre 2015, le PMU a séparé de façon effective sa masse unique d'enjeux entre ses activités en dur et en ligne sur le marché français des paris hippiques, conformément à son engagement devant l'Autorité de la concurrence, rendu obligatoire par cette dernière dans une décision du 25 février 2014 (n° 14-D-09) rendue après saisine de la société Betclic.

Par exploit du 16 juin 2015, la société Betclic a fait assigner le PMU devant le tribunal de grande instance de Paris au motif que la mutualisation, au sein d'un masse unique, des mises enregistrées sur le site pmu.fr (activité concurrentielle) avec celles enregistrées dans son réseau de points de vente physiques (activité sous monopole), conférerait au site pmu.fr un avantage concurrentiel avec lequel les opérateurs alternatifs de paris hippiques en ligne, dont la société Betclic, ne pourraient rivaliser, entraînant de ce fait une distorsion de la concurrence.

Ce faisant, la société Betclic a reproché au PMU d'avoir abusé de sa position dominante en violation de l'article L. 420-2 du Code de commerce, ce qui constituerait une faute civile au sens des articles 1240 et 1241 (1382 et 1382 anciens) du Code civil qui lui aurait causé un préjudice, que la société Betclic a estimé à la somme de 172,2 millions et dont elle a sollicité l'indemnisation devant le tribunal de grande instance de Paris.

Par jugement du 22 février 2018, le tribunal de grande instance de Paris a :

- dit que la mutualisation des masses d'enjeux enregistrées en ligne et sur ses points de vente physiques en dur par le GIE Pari Mutuel Urbain entre mai 2010 et décembre 2015, constituait une pratique anticoncurrentielle,

- en conséquence, dit que le GIE Pari Mutuel Urbain a abusé de sa position dominante en violation de l'article L. 420-2 du Code de commerce et de l'article 102 du TFUE, ce qui constitue une faute au sens de l'article 1240 du Code civil (anciennement article 1382), avant dire droit :

- ordonné une expertise,

- commis pour y procéder M. Laurent Benzoni, Tera Consultants, 39 rue d'Aboukir, 75002, Paris, France, Téléphone : +33 (0) 1 55 05 87 10 ; email : [email protected],

- lequel s'adjoindra si nécessaire tout sapiteur dans une spécialité distincte de la sienne,

- donné à l'expert la mission suivante :

* dire sur la base d'un scénario contrefactuel basé sur le marché des paris hippiques en ligne, afin d'évaluer la part de marché que la société Betclic aurait pu détenir entre le 3e trimestre 2010 et 2015 si le PMU avait séparé sa masse unique d'enjeux sur les paris hippiques dès l'ouverture du marché,

* comparer la part de marché en valeur qui aurait prévalu en l'absence de mutualisation des masses d'enjeux et à la part de marché en valeur observée, afin de déterminer la perte de marge sur coûts variables subie entre le 3e trimestre 2010 et 2015,

* qu'à l'issue de cet examen, en application du principe du contradictoire il informera les parties et leurs conseils de façon circonstanciée de ses conclusions et de leurs conséquences,

- dit que, pour exécuter la mission, l'expert sera saisi et procédera conformément aux dispositions des article 232 à 248 , 263 à 284-1 du Code de procédure civile,

- dit que l'expert devra :

* convoquer toues les parties figurant dans la procédure par lettre recommandée avec avis de réception et leurs avocats respectifs par lettre simple, procéder à leur audition contradictoire,

* se faire communiquer même par des tiers, tous documents et pièces utiles à la réalisation de sa mission, à charge pour l'expert de communiquer aux avocats des parties des pièces directement obtenues, afin qu'elles en aient contradictoirement connaissance,

* procéder, en tant que de besoin, à l'audition de tous les tiers concernés par le présent litige, à charge pour lui de reprendre les déclarations ainsi obtenues dans son rapport d'expertise,

* recueillir, le cas échéant, des informations orales, ou écrites, de toutes personnes susceptibles de l'éclairer

- enjoint aux parties de remettre à l'expert :

* le demandeur, immédiatement toutes pièces utiles à l'accomplissement de la mission,

* les défendeurs, aussitôt que possible et au plus tard 8 jours avant la première réunion, des documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations,

- dit qu'à défaut d'obtenir la remise des pièces qui lui sont nécessaires l'expert pourra être autorisé par le juge chargé du contrôle des expertises à déposer son rapport en l'état,

- dit que l'expert s'assurera, à chaque réunion d'expertise, de la communication aux parties des pièces qui lui sont remises, dans un délai permettant leur étude, conformément au principe de la contradiction,

- dit que l'expert devra :

* en concertation avec les parties, définir un calendrier prévisionnel de ses opérations à l'issue de la première réunion d'expertise ; l'actualiser ensuite dans le meilleur délai,

* en fixant aux parties un délai pour procéder aux interventions forcées,

* en les informant de la date à laquelle il prévoit de leur adresser son document de synthèse ou son projet de rapport,

* adresser dans le même temps le montant prévisible de sa rémunération qu'il actualisera s'il y a lieu, procédant parallèlement aux demandes de provision complémentaires,

* adresser aux parties un document de synthèse, sauf exception (par exemple : réunion de synthèse, communication d'un projet de rapport) dont il s'expliquera dans son rapport, et arrêter le calendrier de la phase conclusive de ses opérations :

. fixant, sauf circonstances particulières, la date ultime de dépôt des dernières observations des parties sur le document de synthèse, lesquelles disposeront d'un délai de 4 à 5 semaines à compter de la transmission du rapport,

. rappelant aux parties, au visa de l'article 276 alinéa 2 du Code de procédure civile, qu'il n'est pas tenu de prendre en compte les observations transmises au-delà du terme qu'il fixe,

- dit que l'expert répondra de manière précise et circonstanciée à ces dernières observations ou réclamations qui devront être annexées au rapport définitif dans lequel devront figurer impérativement :

* la liste exhaustive des pièces par lui consultées,

* le nom des personnes convoquées aux opérations d'expertise en précisant pour chacune d'elle la date d'envoi de la convocation la concernant et la forme de cette convocation,

* le nom des personnes présentes à chacune des réunions d'expertise,

* la date de chacune des réunions tenues,

* les déclarations des tiers entendus par lui, en mentionnant leur identité complète, leur qualité et leurs liens éventuels avec les parties,

* le cas échéant, l'identité du technicien dont il s'est adjoint le concours ainsi que le document qu'il aura établi des ses constatations et avis (lequel devra également être joint à la note de synthèse ou au projet de rapport),

- fixé à la somme de 10 000 euros, le montant de la provision à valoir sur les frais d'expertise qui devra être consignée par la société Betclic à la régie d'avances et de recettes du tribunal de grande instance de Paris (escalier D, entresol 1) au plus tard le 15 avril 2018,

- dit que faute de consignation dans ce délai impératif, la désignation de l'expert sera caduque et privée de tout effet,

- dit que l'expert déposera l'original du rapport définitif (un exemplaire) au greffe du tribunal de grande instance de Paris (5e chambre civile) et en adressera un exemplaire aux parties et à leur conseil avant le 15 juillet 2018 sauf prorogation expresse accordée par le juge chargé du contrôle des expertises,

- dit que le juge de la mise en état se réserve le contrôle des opérations d'expertise,

- dit qu'il en sera référé au magistrat ainsi chargé du contrôle des expertises en cas de difficultés de nature en particulier à compromettre le démarrage, l'avancement ou l'achèvement des opérations,

- renvoyé les parties à l'audience de mise en état du 6 septembre 2018 à 9h30 pour reprise de la procédure après le dépôt du rapport d'expertise, les conclusions de la demanderesse en ouverture de rapport d'expertise devant être signifiées le 4 septembre 2018,

- condamné le GIE Pari Mutuel Urbain à payer à la société Betclic Enterprises Limited la somme de 100 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté la société Betclic de sa demande de provision,

- réservé les dépens,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la décision conformément aux dispositions de l'article 515 du Code de procédure civile.

Par déclaration du 6 mars 2018, le GIE PMU a interjeté appel devant la cour d'appel de Paris à l'encontre de ce jugement.

Par déclaration de saisine du 27 mars 2018, la société Betclic a déposé une requête à jour fixe en application des dispositions de l'article 924 du Code de procédure civile, à laquelle il a été fait droit par une ordonnance du même jour.

La société Betclic a fait délivré au cabinet de Maître Boccon Gibod et au GIE PMU des assignations à jour fixe respectivement les 3 et 4 avril 2018.

La cour

Vu l'appel et les dernières conclusions du GIE PMU, appelant, déposées et notifiées le 23 mai 2018, par lesquelles il est demandé à la cour, au visa des articles 16 du Code de procédure civile, 102 du TFUE, L. 420-2 du Code de commerce, 1240 et 1241 du Code civil, de :

à titre principal,

- constater que les premiers juges ont :

* méconnu le principe de la contradiction, en se fondant d'office sur un moyen de droit, selon lequel l'article 64 de la Constitution ne permettrait pas à une juridiction judiciaire de prendre en considération les travaux préparatoires d'une loi ni un acte administratif, sans avoir préalablement permis aux parties de débattre d'un tel moyen,

* par suite illégalement refusé, sur la base de ce moyen invoqué d'office, d'examiner les éléments de preuve soumis par le PMU pour justifier l'absence de norme qui lui aurait commandé de séparer ses masses d'enjeux dès le mois de mai 2010 et donc l'absence de comportement fautif,

en conséquence,

- annuler le jugement entrepris en son entier,

- statuant sur le litige en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, dire que :

* ni l'avis n° 11-A-02 du 20 janvier 2011, ni la décision n° 14-D-04 du 25 février 2014 de l'Autorité de la concurrence n'ont qualifié l'existence d'un comportement fautif du PMU,

* la société Betclic Enterprises Limited ne rapporte pas la preuve de l'existence d'une faute susceptible d'engager la responsabilité du PMU,

* le maintien de la masse unique d'enjeux du PMU entre les mois de mai 2010 et décembre 2015 n'a causé aucun préjudice à la société Betclic Enterprises Limited,

* la société Betclic Enterprises Limited ne rapporte pas non plus la preuve d'un lien de causalité entre la faute qu'elle dénonce et le préjudice qu'elle allègue,

en conséquence,

- débouter la société Betclic Enterprises Limited, de l'ensemble de ses demandes et prétentions,

à titre subsidiaire,

- constater que les premiers juges ont commis plusieurs erreurs de droit :

* en jugeant que le simple constat de la détention d'un avantage compétitif par un opérateur dominant suffit à qualifier une pratique abusive et une faute civile,

* en jugeant que la pratique des autorités de concurrence en matière de diversification des activités des opérateurs historiques aurait commandé au PMU de séparer ses masses d'enjeux en dur et en ligne dès le mois de mai 2010, alors que les paris hippiques en ligne ne constituent pas une activité de diversification pour le PMU,

* en faisant une application erronée de la notion de responsabilité particulière qui pèse sur les opérateurs dominants,

* en faisant une application erronée de l'article 64 de la Constitution qui n'interdit pas au juge judiciaire d'examiner et de retenir des éléments de preuves constitués par des travaux parlementaires ou des actes administratifs, en conséquence,

- infirmer le jugement entrepris,

- statuant à nouveau, dire que :

* ni l'avis n° 11-A-02 du 20 janvier 2011, ni la décision n° 14-D-04 du 25 février 2014 de l'Autorité de la concurrence n'ont qualifié l'existence d'un comportement fautif du PMU,

* la société Betclic Enterprises Limited ne rapporte pas la preuve de l'existence d'une faute susceptible d'engager la responsabilité du PMU,

* le maintien de la masse unique d'enjeux du PMU entre les mois de mai 2010 et décembre 2015 n'a causé aucun préjudice à la société Betclic Enterprises Limited,

* la société Betclic Enterprises Limited ne rapporte pas non plus la preuve d'un lien de causalité avec la faute qu'elle dénonce et le préjudice qu'elle allègue; en conséquence,

- débouter la société Betclic Enterprises Limited, de l'ensemble de ses demandes et prétentions, à titre infiniment subsidiaire si, par extraordinaire, la cour devait retenir l'existence d'une faute dans le chef du PMU, il lui est demandé de :

- constater l'erreur de droit commise par les premiers juges lorsqu'ils considèrent qu'un préjudice causé à la société Betclic Enterprises Ltd s'inférerait nécessairement de la qualification d'une pratique abusive du PMU,

- constater, en toute hypothèse, que l'évaluation par la société Betclic de sa revendication indemnitaire à hauteur de 172,2 millions d'euros est invalide et infondée,

en conséquence,

- débouter la société Betclic Enterprises Limited, de l'ensemble de ses demandes et prétentions, en tout état de cause,

- condamner, la société Betclic Enterprises Limited au paiement d'une somme de 300 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile au profit du PMU,

- condamner, la société Betclic Enterprises Limited aux entiers dépens ;

Vu les dernières conclusions de la société Betclic, intimée, déposées et notifiées le 25 mai 2018, par lesquelles il est demandé à la cour, au visa des articles 102 du TFUE, L. 420-2 du Code de commerce, 1382 et 1383 anciens du Code civil, de :

- débouter le GIE Pari Mutuel Urbain de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 22 février 2018 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la société Betclic Enterprises Limited de sa demande de dommages et intérêts provisionnels dans l'attente de la décision à intervenir sur la liquidation du préjudice,

et statuant à nouveau,

- condamner le GIE Pari Mutuel Urbain à payer à titre de dommages et intérêts provisionnels à la société Betclic Enterprises Limited la somme de 20 millions d'euros, dans l'attente de la décision à intervenir sur la liquidation du préjudice résultant pour la société Betclic Enterprises Limited de l'abus de position dominante du GIE Pari Mutuel Urbain,

- évoquer devant elle la mesure d'expertise judiciaire ordonnée par le tribunal de grande instance de Paris,

- condamner le GIE Pari Mutuel Urbain à verser à la société Betclic Enterprises Limited la somme de 100 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

Sur ce

Sur la demande d'annulation du jugement déféré

Sollicitant l'annulation du jugement entrepris dans son entier, le GIE PMU fait valoir que les premiers juges ont méconnu le principe de la contradiction et violé l'article 16 du Code de procédure civile, en se fondant d'office sur un moyen de droit, selon lequel l'article 64 de la Constitution ne permettrait pas à une juridiction judiciaire de prendre en considération les travaux préparatoires d'une loi ni un acte administratif, sans avoir préalablement permis aux parties de débattre d'un tel moyen et soutient que le tribunal de grande instance de Paris a dès lors illégalement refusé sur la base de ce moyen invoqué d'office, d'examiner les éléments de preuve soumis par le PMU pour justifier l'absence de norme qui lui aurait commandé de séparer ses masses d'enjeux dès le mois de mai 2010.

En vertu de l'effet dévolutif de l'appel, le GIE conclut qu'il incombe ainsi à la cour non seulement de statuer elle-même sur l'ensemble du litige, mais de le faire entièrement, sans référence ni emprunt aucun au jugement entrepris.

Sollicitant le débouté de la demande formée par le PMU en annulation du jugement entrepris, la société Betclic réplique que les dispositions de l'alinéa 3 de l'article 16 du Code de procédure civile, invoquées par le PMU, ne sont nullement applicables, dès lors qu'elles interdisent seulement au juge de soulever d'office un moyen de droit sans inviter les parties à en discuter au préalable et fait valoir qu'en l'espèce l'article 64 de la Constitution n'a été opposé au PMU qu'en tant que fondement juridique surabondant.

En invoquant l'article 64 de la Constitution, le tribunal n'a fait que rappeler le principe général selon lequel son appréciation des faits et leur qualification en droit de la concurrence n'étaient pas liées ou limitées par les travaux parlementaires ayant abouti à l'adoption de la loi de 2010 ou par la décision de l'Autorité acceptant des engagements du GIE PMU. De plus, aucune conséquence juridique n'est tirée de cet article soulevé d'office, puisqu'il résulte de la motivation des premiers juges qu'ils ont examiné tous les éléments versés aux débats par le GIE PMU, y compris les travaux parlementaires et la décision de l'Autorité.

Dès lors, aucune violation du principe du contradictoire ne peut lui être imputée et la demande d'annulation du jugement entrepris sera rejetée.

Sur l'abus de position dominante du PMU constitutif d'une faute civile

La cour relève que les délimitations matérielle et géographique des marchés pertinents, ainsi que la position dominante du GIE PMU tant sur le marché des paris hippiques en dur que sur celui des paris hippiques en ligne ne sont pas contestées et que, comme le rappelle le tribunal de grande instance, il est établi que, depuis la création du site Pmu.fr en 2003 et jusqu'au 10 décembre 2015, le PMU a mutualisé, pour chaque pari et pour chaque course, les mises enregistrées en ligne sur Pmu.fr avec celles enregistrées au titre de son monopole " en dur " dans une masse unique, son offre commerciale étant identique sur ces deux vecteurs de vente (mêmes paris, mêmes règles de jeux, mêmes rapports et mêmes gains). Le lien de causalité entre le monopole du PMU sur les paris hippiques dans les points de vente physiques (en dur) et l'abus allégué n'est pas davantage contesté.

De même, l'application du droit européen de la concurrence ne fait l'objet d'aucun débat.

Les parties s'opposent en revanche sur la caractérisation de la pratique en cause.

La société Betclic prétend que le GIE PMU, en continuant à mutualiser dans une même masse les mises enregistrées au titre de ses activités ouvertes à la concurrence et de ses activités protégées par monopole après l'entrée en vigueur de la loi du 12 mai 2010 qui avait précisément pour objet d'ouvrir le secteur des jeux d'argent en ligne à la concurrence, " a voulu profiter de sa situation de monopole sur les jeux en dur pour entraver la concurrence en ligne et ainsi procéder au verrouillage du marché des paris hippiques en ligne au moment crucial de son ouverture ". Elle en conclut que " l'ensemble de ces pratiques constitue, du fait du monopole du PMU sur le marché des points de ventes physiques, des pratiques anticoncurrentielles, en parfaite violation de l'article L. 420-2 du Code de commerce et de l'article 102 du TFUE ".

Le GIE PMU conteste s'être rendu responsable d'un abus de position dominante :

- la jurisprudence sur l'ouverture des monopoles qui lui est opposée n'est pas pertinente ;

- la pratique qui lui est reprochée n'est qu'une abstention, non constitutive d'une faute civile en l'absence de démonstration d'un manquement à une norme établie, ni le législateur, ni l'Autorité n'ayant défini le comportement adapté du PMU ;

- la sanctionner pour avoir maintenu une pratique non définie par la loi, aux contours flous, dont aucune autorité n'a pu caractériser le caractère anticoncurrentiel, serait contraire aux principes de confiance légitime et de sécurité juridique ;

- la simple détention d'un avantage comparatif ne saurait démontrer un abus, que la décision d'engagement de l'Autorité ne démontre pas.

Aux termes de l'article 102 du TFUE : " Est incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci (...) ".

L'article L. 420-2 du Code de commerce prévoit de même : " Est prohibée, dans les conditions prévues à l'article L. 420-1, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci ".

La pratique du PMU sera examinée à l'aune des deux textes, cumulativement appliqués, compte tenu de la circonstance, non discutée en l'espèce, que l'éventuel abus de position dominante du PMU affecte le territoire français, qui constitue une partie substantielle de l'Union européenne.

Il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour de justice que la notion d'" exploitation abusive " est une notion objective visant les comportements d'une entreprise en position dominante de nature à influencer la structure d'un marché où, à la suite précisément de la présence de l'entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou des services sur la base de prestations des opérateurs économiques, au maintien d'une concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence.

La pratique décisionnelle a notamment souligné qu'il est licite, pour une entreprise qui dispose d'une position dominante sur un marché en vertu d'un monopole légal, d'entrer sur un ou des marchés relevant de secteurs concurrentiels, à condition que cette entreprise n'abuse pas de sa position dominante pour restreindre ou tenter de restreindre l'accès au marché de ses concurrents en recourant à des moyens autres que la concurrence par les mérites.

L'Autorité de la concurrence a considéré de façon constante qu'était susceptible de constituer un abus, le fait, pour une entreprise disposant d'un monopole légal, c'est-à-dire d'un monopole dont l'acquisition n'a supposé aucune dépense et est insusceptible d'être contesté, d'utiliser tout ou partie de l'excédent de ressources que lui procure son activité sous monopole pour subventionner une offre présentée sur un marché concurrentiel lorsque la subvention est utilisée pour pratiquer des prix prédateurs ou lorsqu'elle a conditionné une pratique commerciale qui, sans être prédatrice, a entraîné une perturbation durable du marché qui n'aurait pas eu lieu sans elle.

Sur l'applicabilité de la pratique décisionnelle en matière de diversification des activités d'un opérateur historique

Le GIE PMU soutient que la pratique décisionnelle de l'Autorité, s'agissant des diversifications d'activités d'opérateurs historiques et de la responsabilité particulière qui leur incombe dans ce cadre, ne trouve pas à s'appliquer en l'espèce.

Le GIE PMU conclut dès lors à l'infirmation du jugement entrepris sur ce point.

En réplique, la société Betclic soutient que pèse sur un opérateur historique l'obligation de séparer son activité sous monopole et son activité ouverte à la concurrence tant dans l'hypothèse d'une diversification d'activité de l'opérateur en monopole que dans celle d'une ouverture à la concurrence, car dans ces deux cas les risques sont les mêmes.

L'intimée fait en effet valoir que dès lors que les préoccupations de concurrence résultent de la coexistence d'activités sous monopole légal et d'activités concurrentielles, la jurisprudence relative à l'obligation de séparation étanche des activités ' développée en matière de diversification de l'activité d'un opérateur historique ' est évidemment transposable à l'hypothèse d'une ouverture de l'activité à la concurrence, et au cas du PMU en particulier.

La pratique décisionnelle a notamment souligné qu'il est licite, pour une entreprise qui dispose d'une position dominante sur un marché en vertu d'un monopole légal, d'entrer sur un ou des marchés relevant de secteurs concurrentiels, à condition que cette entreprise n'abuse pas de sa position dominante pour restreindre ou tenter de restreindre l'accès au marché de ses concurrents en recourant à des moyens autres que la concurrence par les mérites. Dans de telles situations, une séparation entre les activités liées au monopole (ou à l'ancien monopole) et les activités de diversification "sur le plan juridique, comptable, financier, comme sur celui des moyens matériels ou commerciaux" est recommandée pour éviter toute distorsion de concurrence à l'occasion de la diversification des activités d'un titulaire ou ancien titulaire d'un monopole légal.

Au cas d'espèce, la pratique en cause concerne non pas une diversification, mais la poursuite, par le PMU disposant d'une position dominante sur le marché des jeux hippiques dans les points de vente en dur en vertu d'un ancien monopole légal, d'une pratique commerciale sur le marché connexe des jeux hippiques en ligne, dans le cadre d'une ouverture de ce marché à la concurrence. La problématique est donc différente de celle envisagée par la pratique décisionnelle en cas de diversification. Le problème posé est alors celui de l'utilisation, par le PMU, d'une position dominante acquise à l'occasion d'un ancien monopole légal, de différents moyens ou pratiques de nature à freiner l'ouverture du marché à la concurrence ou le bon fonctionnement concurrentiel du marché. Le PMU doit veiller à éviter toute exploitation abusive de moyens qui ne sont pas reproductibles par les nouveaux entrants sur le marché ouvert à la concurrence à un coût raisonnable et selon des délais acceptables, eu égard à sa responsabilité particulière sur ce marché, et à éviter que les avantages concurrentiels liés au statut d'ancien monopole, et qui ne procèdent donc pas d'une concurrence par les mérites, soient utilisés d'une manière qui pourrait obérer le fonctionnement concurrentiel du marché.

C'est au regard de ces principes que doit être examiné le caractère éventuellement abusif de la pratique de mutualisation des masses du PMU (2). Au préalable, il convient d'examiner les moyens du GIE PMU, selon lesquels une pratique d'abstention ne saurait engager sa responsabilité civile, et sa sanction violerait les principes de sécurité juridique et de confiance légitime (1).

Sur les justifications apportées par le GIE PMU à la continuation de sa pratique de mutualisation des masses

Le GIE PMU fait valoir qu'aucune norme ne lui commandait de séparer sa masse d'enjeux dès le mois de mai 2010, qu'il s'agisse notamment à cet égard des travaux parlementaires de la loi du 12 mai 2010, ou encore de l'avis n° 11-A-02 de l'Autorité.

Se prévalant des principes de sécurité juridique et de confiance légitime, l'appelant estime dès lors que l'abus et la faute que lui reproche la société Betclic pour ne pas avoir séparé ses masses d'enjeux de paris hippiques en dur et en ligne dès la libéralisation de ce secteur, ne sont pas fondés au sens des articles 1240 et 1241 du Code civil puisque aucune inaction fautive ne peut être caractérisée en l'espèce. Sollicitant l'infirmation du jugement entrepris, le GIE PMU conclut au débouté de l'ensemble des demandes formées par la société Betclic.

En réplique, la société Betclic fait valoir que le GIE PMU, en tant qu'opérateur historique, aurait dû spontanément corriger son comportement au regard du contexte de l'ouverture à la concurrence, dont il n'ignorait nullement les implications, et que le PMU ne saurait dès lors échapper à sa responsabilité en arguant du fait que ni la loi de 2010 ni l'Autorité de la concurrence, dans son avis de 2011, ne lui ordonnaient expressément de séparer ses masses d'enjeux. L'intimée estime en effet que l'appelant, en situation de quasi-monopole, avait, au lendemain de la loi du 12 mai 2010, une obligation particulière, et même renforcée, compte tenu du maintien d'un quasi-monopole, de modifier son comportement pour ne pas entraver le développement des opérateurs alternatifs sur le marché des paris hippiques en ligne. Sollicitant la confirmation du jugement, l'intimée conclut dès lors que, nonobstant les engagements souscrits par le PMU devant l'Autorité, ce dernier engage nécessairement sa responsabilité civile délictuelle à l'égard de la société Betclic qui a subi un préjudice du fait de la pratique de la mutualisation des masses qu'il a mise en œuvre.

Sur les principes de sécurité juridique et de confiance légitime

Il convient de vérifier si, comme le soutient le GIE PMU, il pouvait trouver dans la position du législateur, puis de l'Autorité de la concurrence, une excuse légitime à sa pratique d'abstention.

Le GIE soutient en effet que la pratique n'a jamais été sanctionnée par une autorité de concurrence, n'est pas suffisamment définie en droit, et a été rendue possible par le législateur et l'Autorité.

Les deux principes, qui s'inscrivent parmi les principes fondamentaux du droit de l'Union, doivent recevoir application à l'occasion d'un litige concernant la mise en oeuvre de ce droit.

Selon une jurisprudence constante, les principes de sécurité juridique et de protection des particuliers exigent que, dans les domaines couverts par le droit de l'Union, les règles du droit des États membres soient formulées de manière non équivoque qui permette aux personnes concernées de connaître leurs droits et obligations d'une manière claire et précise et aux juridictions nationales d'en assurer le respect. Ce principe a pour corollaire le principe de légalité des délits et des peines, qui exige que la loi définisse clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l'aide de l'interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale.

S'il est exact que les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du Code de commerce n'énumèrent pas tous les cas d'abus de position dominante, ces articles ont été interprétés par les juridictions, et notamment leur application aux titulaires de droits exclusifs, de sorte que ces opérateurs économiques ne peuvent prétendre être tenus dans l'ignorance des comportements sanctionnés en droit de la concurrence, rappelés plus haut.

La confiance légitime qui s'attache aux décisions administratives est, quant à elle, encadrée par trois conditions : 1. " les assurances fournies par l'administration doivent être précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables "; 2. " ces assurances doivent être de nature à faire naître une attente légitime dans l'esprit de celui auquel elles s'adressent "; 3. " les assurances données doivent être conformes aux normes applicable ". La possibilité de s'en prévaloir est ouverte à tout opérateur économique dans le chef duquel une institution a fait naître des espérances fondées, mais nul ne peut invoquer une violation de ce principe en l'absence d'assurances précises que lui aurait fournies l'administration, la notion d'"assurances" présupposant un acte positif de l'administration et non une simple abstention résultant d'une absence d'opposition expresse. En revanche, une pratique administrative antérieure de la Commission portée à la connaissance du public peut, en l'absence d'indications en sens contraire, faire naître une confiance légitime dans l'application des mêmes règles, notamment lorsque des communications de l'institution communautaire concernée ne se distinguent pas des précédentes. Le principe de protection de la confiance légitime ne peut pas être invoqué par une personne qui s'est rendue coupable d'une violation manifeste de la réglementation en vigueur. Dès lors, une entreprise qui adopte délibérément un comportement anticoncurrentiel n'est pas fondée à invoquer une violation de ce principe au motif que la Commission ne lui aurait pas clairement indiqué que son comportement constituait une infraction.

La pratique de couplage du GIE PMU entre les enjeux en dur et les enjeux en ligne, qui existait sous l'empire de l'ancien monopole, a été maintenue par le GIE à compter de l'entrée en vigueur de la loi de 2010. La loi d'ouverture à la concurrence des jeux en ligne a maintenu les droits exclusifs au profit du PMU sur les paris hippiques dans les points de ventes physiques, mais a ouvert son monopole sur les paris hippiques en ligne. Nonobstant le maintien de ces droits exclusifs sur les paris en dur, le législateur n'a pas légiféré sur les problèmes de concurrence posés par la coexistence des deux activités au sein du PMU. Il résulte des extraits des rapports des Commissions des finances de l'Assemblée Nationale et du Sénat, versés aux débats par le PMU (pièces 10 et 11) que le sujet a été évoqué, mais écarté en ces termes par la Commission de l'Assemblée nationale : " Le rapporteur souligne l'avantage compétitif dont disposera l'activité de paris en ligne du PMU par rapport aux offres proposées par les nouveaux entrants puisque celui-ci sera en mesure d'agréger ses masses de paris en dur et en ligne, proposant ainsi aux parieurs des taux de redistribution plus élevés sur les paris simples en ligne grâce à un taux plus faible sur le Quinté en dur, par exemple. Néanmoins les informations recueillies auprès des services du ministre du budget laissent à penser que les risques d'atteinte à la libre concurrence sont limités. (...). Les obligations de comptabilité séparée imposée par la loi permettront d'assurer que le monopole ne subventionne pas l'activité concurrentielle du PMU ". Selon la Commission du Sénat, " S'agissant de l'absence de mutualisation des masses engagées auprès des différents opérateurs, il semble qu'elle ne constitue pas une infraction aux règles de la concurrence ", celui-ci s'en remettant à l'innovation de l'offre des nouveaux opérateurs.

Mais aucune confiance légitime ne peut résulter de ces affirmations, émanant d'autorités non spécialisées en matière de concurrence, ne comportant aucune assurance précise, ni aucun acte positif d'autorisation, mais plutôt une absence d'opposition expresse.

L'Autorité de régulation des jeux en ligne a ensuite agréé le site Pmu.fr sans davantage formuler de réserves, mais sans que soit rapporté un quelconque examen de ce point.

L'Autorité de la concurrence a soulevé ces questions dans son avis 11-A-02 du 20 janvier 2011, recommandant au PMU, afin de " prévenir les risques de distorsions de concurrence " :

- " de constituer des bases de données séparées concernant la clientèle du réseau physique et la clientèle du réseau en ligne du PMU, ainsi que la séparation commerciale des structures de l'opérateur afin de prévenir tout risque d'exploitation de la base de clientèle relative à l'activité en monopole aux fins de prospecter des clients pour l'activité concurrentielle du PMU ",

- " l'utilisation par le PMU d'enseignes et de marques distinctes pour son activité en monopole et son activité en concurrence ",

- la mise en place de " mécanisme d'abondement des gains entre courses ", seul à même, selon l'Autorité, de résoudre l' " avantage concurrentiel " constitué par la mutualisation des deux masses d'enjeux, permettant au PMU de proposer des rapports élevés sur les paris complexes et, notamment le Quinté plus : ce mécanisme permettrait aux opérateurs alternatifs de proposer un pari susceptible de concurrencer efficacement le pari Quinté plus proposé par le PMU ; la solution de séparation des masses est écartée comme inefficace.

Sur ce dernier point, et alors que la question a été étudiée en détail, puisqu'elle a fait l'objet d'une note spéciale de l'Autorité annexée à l'avis, et que le PMU a produit une note du cabinet Mapp sur ce sujet (§ 210), l'Autorité ne qualifie à aucun moment cette pratique commerciale de mutualisation des enjeux de possible abus de position dominante du PMU, ou plus largement, de pratique anticoncurrentielle. Mais il est clair que les préconisations de l'Autorité en la matière, s'agissant de l'ouverture à la concurrence d'un secteur de l'économie, répondent à des préoccupations tendant à faciliter l'entrée de concurrents sur le marché nouvellement ouvert. Ces préoccupations sont donc plus larges que la seule recherche et la seule sanction de pratiques anticoncurrentielles. Si la société Betclic ne peut en déduire qu' " un tel avis ne laissait guère de doute quant au caractère anticoncurrentiel des pratiques du PMU ", il n'en résulte inversement aucune confiance légitime du PMU dans la licéité de celles-ci. Aucune assurance ne lui est donnée par l'Autorité sur la licéité de la pratique. Le fait que l'Autorité de la concurrence, après avoir longuement étudié la question de la masse unique d'enjeux du PMU, n'ait émis aucune recommandation visant à sa séparation, n'empêche pas que l'Autorité avait identifié la " préoccupation de concurrence " et envisagé un autre remède que la dissociation des masses, l'abondement des gains entre courses. La difficulté à trouver un remède à la pratique litigieuse, plusieurs engagements ayant ensuite été envisagés, ne saurait exonérer celle-ci, ni lui ôter le caractère prévisible de son illicéité.

Dans sa décision 14-D-04 du 25 février 2014, l'Autorité, saisie d'une plainte de la société Betclic, concernant plusieurs pratiques, dont deux avaient fait l'objet de modifications par le PMU avant l'évaluation préliminaire (utilisation de la marque PMU, décorrélation de la carte PMU, séparation fonctionnelle des équipes commerciales et marketing), a retenu des préoccupations de concurrence concernant la seule pratique de mutualisation, et a conclu en ces termes (§ 116) : " En conclusion, l'évaluation préliminaire a considéré que la pratique de mutualisation par le PMU de ses masses d'enjeux enregistrées en ligne et " en dur " suscite des préoccupations de concurrence en ce que le PMU utilise les ressources de son monopole légal sur les paris hippiques " en dur ", dont ne disposent pas ses concurrents sur le marché des paris hippiques en ligne, afin de renforcer l'attractivité de son offre sur un marché ouvert à la concurrence. Cette inégalité des armes en faveur de Pmu.fr est susceptible de fausser la concurrence sur le marché des paris hippiques en ligne et d'être qualifiée, au terme d'une procédure contradictoire, d'abus de position dominante en application des articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ".

Selon l'Autorité, les avantages concurrentiels sont les suivants : " la pratique de mutualisation des masses d'enjeux permet aux PMU de proposer en ligne, sur Pmu.fr, le seul pari complexe à cinq chevaux dans l'ordre d'arrivée, assorti de très gros gains (rapport ordre et " Tirelire "), de garantir la stabilité des cotes quel que soit le montant des mises et d'élargir sa gamme de paris sans remettre en cause la qualité des paris existants " (§ 101).

S'agissant des effets possibles de cette pratique, l'Autorité explique que " La pratique de mutualisation des masses d'enjeux est susceptible d'avoir, sur le fonctionnement concurrentiel du marché des paris hippiques en ligne, un effet de captation de la demande, un effet d'entrave pour les nouveaux entrants doublé d'un effet d'éviction des opérateurs alternatifs déjà présents " (§102).

L'Autorité a accepté les engagements de séparation des masses proposés par le PMU, outre les engagements déjà entrés en vigueur, et a clos sa saisine. Il y a lieu de souligner que, comme l'a remarqué le PMU, si l'Autorité a évolué dans sa position depuis 2011, ainsi bien sur la caractérisation de la préoccupation de concurrence que sur les remèdes à y apporter, ce qui démontre bien que l'analyse de la pratique ne revêt aucun caractère d'évidence, comme d'ailleurs la plupart des cas d'abus de position dominante, le PMU ne saurait en inférer une imprévisibilité de la loi, comme vu plus haut, en présence d'une jurisprudence sévère pour les monopoles publics intervenant sur des marchés nouvellement ouverts à la concurrence, tenus à une particulière vigilance quant à l'utilisation des ressources du monopole sur ces marchés.

De même, la bonne foi du PMU qui a engagé des discussions avec l'Autorité dès la saisine de Betclic et a fait plusieurs propositions d'engagements, successivement refusées, ne peut exonérer le comportement du PMU, mais en atténuer la gravité.

Enfin, le PMU ne saurait tirer une exonération de son comportement du délai accordé en septembre 2015 par l'Autorité pour se mettre en conformité avec ses engagements, de la date de la décision d'engagements, le 25 février 2014, à décembre 2015, report toléré par l'Autorité. En effet, ce délai ne saurait exonérer la pratique, qui a perduré, et le GIE PMU ne démontre pas que les difficultés de mise en œuvre de la pratique de séparation des masses aient revêtu le caractère de la force majeure irrésistible.

Il résulte de ces constatations que le moyen doit être rejeté au niveau de la caractérisation de la pratique, tous ces éléments d'incertitudes et de tergiversations ne pouvant être pris en compte qu'au stade de la sanction administrative, que, précisément, l'Autorité a voulu éviter en recourant à la procédure d'engagements.

La responsabilité du GIE PMU est donc susceptible d'être encourue, nonobstant la procédure législative et administrative décrite supra.

Sur les règles de mise en jeu de la responsabilité civile

Le GIE expose qu'aucun comportement positif ne peut lui être imputé, s'étant rendu responsable d'une simple abstention, qui ne constituerait une faute civile qu'en cas de violation d'une norme établie, ce qui ne serait pas le cas en l'espèce, le législateur, le régulateur sectoriel et l'Autorité de la concurrence n'ayant jamais qualifié la pratique litigieuse d'anticoncurrentielle et le législateur n'ayant rien prévu comme obligation positive du PMU, malgré le caractère très minutieux de la réglementation du secteur.

Il expose que le régime de responsabilité institué par l'article 1241 du Code civil (ancien article 1383) considère qu'une inaction, négligence ou omission ne devient fautive que s'il est démontré l'existence d'une obligation d'agir pour celui dont la responsabilité est recherchée et qu'il ne pouvait pas ignorer et verse aux débats la consultation du professeur Xavier Lagarde. Il est de principe en la matière que " l'abstention, même non dictée par l'intention de nuire, engage la responsabilité de son auteur lorsque le fait omis devait être accompli soit en vertu d'une obligation légale, réglementaire ou conventionnelle, soit aussi, dans l'ordre professionnel (...) ".

Mais il convient de rejeter cette argumentation, dès lors, en premier lieu, que si la faute anticoncurrentielle est établie, et il a déjà été admis qu'une faute d'abstention peut constituer un abus de position dominante, la faute civile l'est également, en raison de l'unité des deux fautes, déjà reconnue par plusieurs jugements.

En second lieu, il ne peut être allégué que la pratique reprochée au PMU, " ne pas avoir pris l'initiative de séparer ses masses d'enjeux en dur et en ligne dès l'entrée en vigueur de la loi du 12 mai 2010 ", soit une faute d'abstention, l'opérateur devant chaque année établir son offre de jeux, définir leurs caractéristiques et réaliser leur publicité à destination des joueurs, de sorte que la pratique s'analyse plutôt comme une pratique de commission renouvelée chaque année. Mais surtout, et pour les mêmes raisons que celles étudiées à propos de la sécurité juridique et de la confiance légitime, la circonstance que la pratique incriminée ne soit prohibée explicitement ni par la loi de 2010, ni par l'Autorité statuant par voie consultative, ni ne figure dans l'énumération des articles 102 du TFUE ou L. 420-2 du Code de commerce définissant les abus de position dominante, n'en rend pas pour autant la répression imprévisible, de sorte que sa commission constitue la violation d'une obligation légale.

Sur la faute anticoncurrentielle du PMU

Sur les conséquences de la décision d'engagements

L'adoption d'une décision d'acceptation d'engagements ni ne certifie la conformité au droit de la concurrence des pratiques faisant l'objet de préoccupations, ni n'atteste de leur caractère infractionnel au dit droit, l'Autorité de la concurrence ne s'étant livrée qu'à une simple évaluation préliminaire de la situation concurrentielle qui n'a pas pour objet de prouver la réalité et l'imputabilité d'infractions au droit de la concurrence mais d'identifier des "préoccupations de concurrence" susceptibles de constituer une pratique prohibée.

Des préoccupations de concurrence n'établissant pas l'existence de pratiques anticoncurrentielles, il appartient à la société Betclic, qui se prétend victime de telles pratiques et entend obtenir réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi, de démontrer que les trois conditions de la responsabilité civile de droit commun sont remplies, à savoir une faute qui serait constituée, selon elle, par une infraction aux règles du droit de la concurrence et un préjudice en lien direct de causalité.

La cour rappelle que si la décision d'engagements ne peut en général servir de seul fondement à la caractérisation d'un abus de position dominante, cette décision constituant dans la plupart des cas un simple commencement de preuve, il ne peut être exclu qu'elle y trouve des éléments suffisants en soi à fonder la responsabilité de l'opérateur.

En l'espèce, la société Betclic ne s'est pas contentée de reprendre la motivation de la décision d'engagements de l'Autorité, mais l'a assortie de plusieurs études établies par le cabinet Microeconomics à sa demande, ainsi que des données statistiques du marché, notamment sur l'évolution du marché après décembre 2015.

Le PMU ne peut inférer du choix procédural de l'Autorité de recourir à la procédure d'engagement et du délai de près de deux ans que l'Autorité a accepté pour la mise en œuvre de cet engagement, l'absence de risque d'éviction, car ce choix procédural résulte de la volonté de privilégier le rétablissement de la concurrence par des mesures comportementales ou structurelles à la volonté de sanctionner. La circonstance que cette procédure soit généralement réservée aux pratiques les moins graves ne saurait davantage rendre sans objet une éventuelle qualification au fond des pratiques, la gravité étant seulement un facteur d'appréciation des sanctions.

Il n'y a donc pas lieu d'écarter les demandes du GIE PMU tendant à écarter a priori les demandes de Betclic pour insuffisance de preuves.

Sur la détention par le GIE PMU d'un avantage compétitif prohibé par les articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE

Le GIE PMU fait valoir que la détention d'un avantage compétitif par une entreprise dominante, caractérisé en l'espèce par le maintien d'une masse unique d'enjeux collectés en dur et en ligne sur les paris hippiques entre les mois de mai 2010 et décembre 2015, ne permet pas, à elle seule, de qualifier d'abusive cette pratique au sens des articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE.

L'appelant soutient en effet qu'une telle qualification doit être exclue, dès lors que les concurrents de l'entreprise en cause ont, seuls, ou ensemble, la capacité d'affronter cet avantage, ce qui est le cas en l'espèce puisque des opérateurs alternatifs ont pu se développer sur le segment des paris hippiques en ligne sur la période litigieuse, nonobstant les avantages conférés au site pmu.fr du fait de l'agrégation des enjeux collectés en ligne avec ceux collectés en dur par le PMU. Il ajoute, en citant l'arrêt Oscar Bronner (CJCE, 26 novembre 1998, C-7/97, § 38 à 47), que c'est uniquement dans des " circonstances exceptionnelles " qu'une pratique abusive peut être caractérisée à raison du seul constat de la détention d'un avantage compétitif d'un opérateur dominant et, d'autre part, qu'une telle caractérisation doit être exclue dès lors que les concurrents de l'entreprise en cause ont, seuls, ou ensemble, la capacité d'affronter cet avantage.

Le GIE PMU conclut dès lors à l'infirmation du jugement entrepris sur ce point.

En réplique, sollicitant la confirmation du jugement entrepris, la société Betclic fait valoir qu'en maintenant la mutualisation de ses masses d'enjeux en dur et en ligne, en dépit de l'ouverture partielle du secteur à la concurrence, le PMU a abusé de sa position dominante sur le marché des paris hippiques en ligne dans la mesure où une telle pratique a permis à l'appelant :

- de tirer de son monopole une ressource indue et non réplicable,

- de proposer des paris complexes du type Quinté+ ,

- d'assurer une stabilité des cotes attirant les plus gros parieurs et les joueurs les mieux informés au détriment de la société Betclic,

- de proposer une gamme de paris et de rangs de gains inégalables, et ainsi,

- d'évincer la société Betclic et les opérateurs alternatifs du marché en conservant son quasi-monopole sur le marché.

A cet égard, l'intimée fait valoir, contrairement à ce qu'affirme le PMU, que ce n'est pas le prétendu manque d'investissements de la société Betclic qui serait à l'origine de ses difficultés sur le marché des paris hippiques en ligne.

L'utilisation par un monopole public d'un avantage concurrentiel procuré par son monopole ne saurait être automatiquement qualifiée d'abus de position dominante. De même, ainsi que la souligne le PMU dans ses écritures (page 32), la responsabilité particulière pesant sur un opérateur dominant ne dispense pas, pour établir le caractère abusif de son comportement, de faire la démonstration du caractère anticoncurrentiel dudit comportement.

Enfin, la jurisprudence Oscar Bronner, citée par l'appelant, est relative au cas particulier d'accès à une infrastructure essentielle, qui ne concerne pas la présente pratique, les enjeux récoltés pour les paris hippiques dans les points de vente du PMU n'étant pas qualifiés d'infrastructure essentielle, bien que leur ouverture aux concurrents aient été un moment envisagée. En conséquence, il n'y pas lieu de retenir la notion de " circonstance exceptionnelle " pour caractériser le présent abus. En revanche, la circonstance relevée dans cet arrêt selon laquelle les concurrents ont seuls ou ensemble la capacité d'affronter l'avantage du monopole sera prise en considération, comme il sera vu infra.

Pour déterminer si les pratiques fondées sur l'utilisation de moyens tirés de l'ancien monopole peuvent être regardées comme constitutives d'un abus de position dominante, il convient de raisonner en fonction, notamment, des circonstances de l'ouverture à la concurrence des activités ayant précédemment bénéficié d'un monopole légal et des caractéristiques de fonctionnement du marché.

C'est ainsi que l'Autorité de la concurrence a considéré de façon constante qu'était susceptible de constituer un abus, le fait, pour une entreprise disposant d'un monopole légal, c'est-à-dire d'un monopole dont l'acquisition n'a supposé aucune dépense et est insusceptible d'être contesté, d'utiliser tout ou partie de l'excédent de ressources que lui procure son activité sous monopole pour subventionner une offre présentée sur un marché concurrentiel lorsque la subvention est utilisée pour pratiquer des prix prédateurs ou lorsqu'elle a conditionné une pratique commerciale, qui sans être prédatrice, a entraîné une perturbation durable du marché qui n'aurait pas eu lieu sans elle.

L'appréciation de l'abus vise à déterminer si le comportement de l'entreprise en position dominante a pour résultat l'éviction effective ou probable des concurrents, à plus ou moins long terme, au détriment du jeu de la concurrence et, de ce fait, des intérêts des consommateurs.

Dans la mesure où la structure concurrentielle du marché est déjà affaiblie par la présence de l'entreprise dominante, toute restriction supplémentaire de cette structure concurrentielle est susceptible de constituer une exploitation abusive de position dominante. Il en découle que la fixation d'un seuil de sensibilité (de minimis) en vue de déterminer une exploitation abusive d'une position dominante ne se justifie pas. En effet, cette pratique anticoncurrentielle est, de par sa nature même, susceptible de provoquer des restrictions de concurrence non négligeables, voire d'éliminer la concurrence sur le marché sur lequel opère l'entreprise concernée.

Il résulte des considérations qui précèdent que l'article 102 du TFUE doit être interprété en ce sens que, pour relever du champ d'application de cet article, l'effet anticoncurrentiel d'une pratique d'abus opéré par une entreprise en position dominante, tel que celle en cause au principal, doit être probable, sans qu'il soit nécessaire de démontrer qu'il revêt un caractère grave ou notable.

Or, il résulte des constatations opérées par l'Autorité de la concurrence dans sa décision d'acceptation d'engagements, mais également des études établies par le cabinet Microeconomics à la demande de la société Betclic, des données statistiques du marché ainsi que des pièces citées dans le corps du jugement entrepris (données du test de marché, étude réalisée auprès de 5000 parieurs), que la pratique du PMU de mutualisation des masses d'enjeux en dur et en ligne a eu pour objet et pour effet de pénaliser les opérateurs alternatifs du marché et d'empêcher l'entrée de nouveaux opérateurs.

Au regard des pièces versées aux débats par la société Betclic, les arguments présentés par le GIE PMU et par le cabinet Mapp seront examinés au fur et à mesure des développements de cet arrêt. Trois effets anticoncurrentiels ont été identifiés par l'Autorité dans sa décision de 2014. Le premier effet consiste dans la captation de l'intégralité de la demande, le deuxième dans la création de barrières à l'entrée et le troisième dans l'éviction des opérateurs alternatifs.

La captation de la demande

Grâce à la mutualisation des masses d'enjeux, le PMU dispose d'une offre dont l'attractivité ne peut être répliquée par les opérateurs alternatifs.

- Il est le seul opérateur à pouvoir proposer aux parieurs un pari complexe de type Quinté+, véritable produit d'appel de sa gamme de jeux, fortement valorisé par sa communication publicitaire, offrant un rapport dans l'ordre d'un montant très élevé, une tire-lire quotidienne d'un million d'euros, une super tire-lire de deux millions d'euros, ainsi que des rapports de consolation substantiels (§ 92 de la décision). Les opérateurs concurrents ne peuvent ni proposer un rapport dans l'ordre élevé ni des rapports de consolation, compte tenu de la faiblesse de leur masse d'enjeux. Ceci explique que la part de marché des opérateurs alternatifs est beaucoup plus faible sur ces paris, que sur les paris simples ou couplés, ceux où la masse d'enjeux est la plus faible. Grâce à ce produit-phare, le PMU est en mesure " de capter la totalité des mises des parieurs attirés par le montant du gain plus que par la probabilité de le remporter, c'est-à-dire généralement les parieurs occasionnels et les nouveaux parieurs " (§ 103 de la décision). L'attirance des nouveaux joueurs pour les " jackpots " plutôt que pour l'espérance mathématique de gains a été théorisée en économie sous le nom d' " achat de rêve ". Le PMU adopte une stratégie de super cagnotte qui joue sur ce créneau (tire-lire exceptionnelle tous les 13 du mois) (pièce 18 de Betclic). Produit emblématique, le Quinté+ fidélise ces parieurs, qui misent ensuite généralement sur les autres paris de la gamme proposée par le PMU. Ces paris sont aussi ceux qui rapportent le plus à l'opérateur (rapport Microeconomix du 27 mai 2015, page 7, annexe 8 de Betclic).

- " Parce que la pratique de mutualisation décuple la masse d'enjeux de Pmu.fr, le PMU est en mesure de garantir à ses parieurs en ligne la stabilité des cotes, quel que soit le montant de leur mise " (§ 95).

Cette stabilité lui permet de capter la quasi-totalité des mises des gros parieurs hippiques (plus de 100 euros de paris) ou des joueurs les plus expérimentés.

- Le PMU peut offrir une gamme très large de jeux, sans effets de "canibalisation" entre eux, ce qui a pour effet d'attirer encore d'autres parieurs.

Une barrière à l'entrée

Le nombre d'opérateurs dans le secteur des paris hippiques en ligne est resté stable et faible (8) après l'ouverture du marché (du 31/12/2010 au 31/12/2013), contrairement aux paris sportifs et au poker en ligne (respectivement 12 et 11), malgré l'absence de tradition de la France dans les paris sportifs et malgré l'offre plus stable des paris hippiques par rapport aux autres paris et la tradition française dans ce domaine. Seuls deux nouveaux opérateurs ont été agréés, JOA-Online et France-Pari en 2011.

Surtout, ainsi que le souligne la société Betclic dans ses conclusions (page 65), le PMU, qui était en position de monopole avant l'ouverture du marché des paris hippiques en ligne, a vu sa part de marché faiblement baisser après l'ouverture à la concurrence, à rebours de la situation classique des opérateurs historiques lors de l'ouverture de marchés à la concurrence.

Les chiffres produits par le PMU démontrent que sa part de marché est descendue à 79,1 % au cours du quatrième trimestre 2015. Par comparaison, la Française des Jeux, opérateur historique des paris sportifs en ligne, s'est vu reléguer, un an après l'ouverture de ce marché, au rang de troisième opérateur du secteur.

En outre, le PMU, après avoir baissé sa part de marché à 83,3 % fin 2010, a ensuite augmenté celle-ci jusqu'à 2012.

Parallèlement, les opérateurs alternatifs ont vu leurs positions chuter en parts de marchés : Zeturf a vu sa part de marché divisée par deux entre juin 2010 et décembre 2012, et Betclic est passée d'une part de marché de 3,38 % fin 2010 à 1,65 % en 2015.

Dès que la séparation des masses est intervenue, la part de marché des opérateurs alternatifs a augmenté par rapport au chiffre du dernier trimestre 2015 : la part de marché de la totalité des opérateurs alternatifs est ainsi passée de 21,07 % fin 2015 à 24,54 % (dont part de Betclic de 1,46 % à 1,67 %) (source Arjel).

La potentialité d'éviction

Les opérateurs alternatifs sont particulièrement affectés par l'attractivité du Quinté+ qui représente, d'après Betclic, 20 % des enjeux totaux sur le marché (13 % pour le PMU).

Ne pouvant vendre un produit aussi attractif, leurs sites en ligne sont défavorisés.

Face à cette pratique, les opérateurs alternatifs ne peuvent ni diversifier leur offre, car leur masse d'enjeux est trop faible, ni baisser leurs prix, car le montant prélevé sur les mises (taux de redistribution aux joueurs) est limité à 85 % des mises. De même, les leviers de différenciation qualitative des jeux ne peuvent être que de faible portée. Ils ne peuvent donc que multiplier les bonus pour conserver leur part de marché, mais voient ainsi leur rentabilité attaquée et leur pérennité menacée (selon l'avis de l'Arjel, cité par l'Autorité dans sa décision, § 115). En outre, ils ne peuvent investir dans l'acquisition de nouveaux clients.

Il résulte aussi d'une note établie par Microeconomics le 25 novembre 2011 (pièce 14 de Betclic) qu'aucune contre-stratégie ne permettrait de rétablir l'équilibre entre le PMU et les opérateurs alternatifs. Le système d'abondement des gains entre courses, envisagé en 2011 par l'Autorité, ne permettrait ainsi pas d'éliminer le désavantage concurrentiel de ceux-ci, bien que de nature à améliorer l'espérance de gains, car les parieurs sont davantage sensibles aux gains affichés qu'à l'espérance des gains.

Le GIE PMU réplique que le maintien d'une masse unique sur les paris hippiques en dur et en ligne n'a pas faussé le jeu de la concurrence. Il en veut pour preuve :

- le fait que l'opérateur Zeturf soit parvenu à conquérir plus de 10 % de parts de marché sur le segment des paris en ligne 18 mois après l'ouverture de celui-ci et qu'il en détienne aujourd'hui plus de 15 % ;

- les opérateurs alternatifs ont constitué une masse commune rassemblant les enjeux collectés sur leur site respectif dès le mois de mars 2011, la société Betclic n'ayant rejoint cette masse commune qu'en juin 2015 ;

- le nombre d'opérateurs de paris hippiques en ligne est resté stable et aucun opérateur n'a été évincé ;

- le nombre de gagnants étant proportionnel au nombre de parieurs, la capacité à récompenser les gagnants est statistiquement quasi stable quelque soit la taille de la masse d'enjeu ; les opérateurs alternatifs peuvent donc offrir des gains équivalents ou supérieurs à ceux du PMU sur des paris simples ;

- l'avantage représenté par le Quinté+ doit être relativisé car il ne représente que 14 % des enjeux collectés sur le site pmu.fr ; l'avantage concurrentiel ne concernant qu'un seul de ses rangs de rapports, le rapport ordre, la quasi-totalité des opérateurs alternatifs peuvent offrir un pari complexe à 5 chevaux, sans rapport ordre, et, enfin, depuis la séparation des masses en décembre 2015, Pmu.fr demeure le seul site à pouvoir offrir en ligne un nouveau pari spéculatif à 5 chevaux ;

- de nouveaux paris ont pu être proposés par les opérateurs alternatifs, comme Zeturf ;

- la seule masse d'enjeux collectés en ligne sur le site pmu.fr est déjà suffisamment supérieure à celle de ses nouveaux concurrents opérateurs alternatifs pour qu'il conserve un avantage comparatif équivalent à celui que lui conférait son agrégation à la masse d'enjeux collectés en dur par le PMU.

Mais la société Zeturf a vu sa part de marché divisée par deux entre juin 2010 et décembre 2012, de 12 à 6, 6 % et elle n'a atteint 15 % qu'en 2017, soit après la séparation des masses.

La constitution d'une masse commune entre les opérateurs alternatifs n'a pas résolu leur déficit d'attractivité par rapport à la masse des enjeux du PMU, puisque leur part de marché cumulée n'a vraiment décroché qu'après la séparation des masses en décembre 2015.

En tout état de cause, la stabilité des opérateurs alternatifs sur le marché des jeux hippiques en ligne ne peut démontrer l'absence d'effets d'éviction à moyen ou long terme, car les opérateurs se sont maintenus au prix de sacrifices financiers rappelés par l'Arjel dans son avis à l'Autorité, mettant en cause leur pérennité, et certains opérateurs ont été dissuadés d'entrer.

Le fait que le Quinté+ ne représente qu'une part faible dans les enjeux collectés, ainsi que le soutient le PMU, ne lui enlève pas son rôle moteur qui est d'attirer des nouveaux joueurs, qui ensuite, se tourneront vers les autres paris du PMU, en raison de la fidélité des joueurs pour le prestataire choisi.

Dès lors, l'avantage concurrentiel représenté par ce pari ne concerne pas que le seul rapport ordre, mais le pari dans son ensemble, rapports ordre et désordre.

Ainsi que le souligne la société Betclic dans ses observations (page 60), le fait que le PMU propose, sur certains paris, de moins bons rapports que les opérateurs alternatifs, n'est pas pertinent pour contester le lien entre taille de sa masse d'enjeux et sa capacité à offrir des rapports attractifs. En effet, les avantages de la mutualisation de la masse ne résident pas dans la possibilité d'offrir de meilleurs rapports sur tous les jeux, mais dans la faculté d'offrir des gains maximums bien supérieurs à ceux des concurrents et une stabilité des rapports incomparable, ce qui constitue les premiers facteurs d'attractivité des joueurs.

L'Autorité de la concurrence avait déjà étudié (voir annexe de son avis de 2011, page 55, § 22 de l'annexe ; pièce 1 de Betclic) la faculté des opérateurs alternatifs de concurrencer le Quinté+ du PMU sans rapport ordre, pour en conclure qu' "un opérateur alternatif ne peut réellement concurrencer le Quinté plus du PMU qu'en proposant à la fois un rapport ordre substantiel et des rapports dégradés (" de consolation ")".

La mutualisation des masses a renforcé le déséquilibre déjà existant entre les masses du PMU et celle des opérateurs alternatifs, sur les paris en ligne. Ce déséquilibre existant dès 2010 était la conséquence d'une masse des enjeux de Pmu.fr 30 fois plus élevée que celle des opérateurs alternatifs sur le seul marché des offres de jeux hippiques en ligne. Mais cette masse d'enjeux aurait été entièrement soumise à la concurrence si le PMU n'avait pas mutualisé les masses, donc ce rapport de 30 résulte déjà de la situation affectée par la pratique litigieuse. La circonstance qu'un déséquilibre existait déjà ne saurait établir l'absence d'effets des pratiques qui l'ont aggravé. La pratique de mutualisation de l'offre du PMU a permis de renforcer considérablement l'attractivité de son offre et d'accentuer le différentiel d'attractivité de ses offres en ligne avec celle des opérateurs alternatifs. Le PMU a ainsi pu proposer des gains bien plus attractifs que ceux qu'il aurait été en mesure de proposer en l'absence de mutualisation. Le rapport Mapp, versé aux débats par le GIE PMU, admet d'ailleurs que le e-Quinté+ proposé par le PMU en ligne après la séparation des masses était moins attractif que l'ancien Quinté+ proposé sur des masses mutualisées (pièce 27 de PMU, § 88). Au lieu de pouvoir proposer une tirelire de 2 millions d'euros par jour, la tirelire proposée en l'absence de mutualisation n'est plus que de 50'000 € par jour, soit quarante fois moins. Les parieurs étant sensibles au montant du jackpot qu'ils peuvent espérer gagner, il en résulte que l'attractivité de la nouvelle offre de paris en ligne du PMU en l'absence de mutualisation était moins élevée. Après la séparation des masses, on constate, sur le marché des paris hippiques en ligne, en dépit d'une baisse des masses en 2016 (924 millions au lieu de 1 016 en 2015 : voir rapports Arjel en pièce 51 du PMU), une baisse nette de la part de marché du PMU, selon les chiffres communiqués par le PMU lui-même (80,9 % en 2015 ; 76,8 % en 2016 ; 76,2 % en 2017 et, enfin, sur les trois premiers mois de 2018, 75,1 %). Selon le rapport Mapp de septembre 2016 (pièce 41 de PMU, § 36), " sur la base des études internes du PMU, la masse d'enjeux collectée par Pmu.fr a diminué d'environ 15 % suite à la séparation des masses d'enjeux ".

Donc, même si en l'absence de toute pratique anticoncurentielle, les opérateurs alternatifs subissaient un désavantage concurrentiel par rapport au PMU, qui était l'opérateur historique et donc en position favorable lors de l'ouverture du marché des jeux en ligne à la concurrence, compte tenu de sa notoriété, du maintien de sa position monopolistique sur les jeux en dur dans les points de vente physiques, et enfin, de la propension des parieurs à regrouper leurs paris auprès d'un même opérateur, il lui appartenait d'être vigilant, compte tenu de ces avantages structurels et de ne pas renforcer sa position dominante par des pratiques commerciales abusives.

Cet avantage dont dispose le PMU ne vient pas récompenser son efficacité passée, mais résulte de ses droits exclusifs. Il permet au PMU, sans que soit démontrée sa plus grande efficacité, de proposer les combinaisons de gains qui sont les plus valorisées par les parieurs.

Cet avantage a eu un objet et des effets anticoncurrentiels. Le fait, allégué par le PMU, que l'effet éventuel sur la concurrence soit limité, ne constitue pas un facteur d'excuse exonératoire, en l'absence de de minimis rappelée plus haut en matière d'abus des entreprises investies de droits spéciaux.

Enfin, la circonstance, au demeurant à démontrer, que la société Betclic ait moins investi dans les paris hippiques en ligne que dans les paris sportifs en ligne, ou n'aurait pas réalisé suffisamment d'efforts d'innovation, ce qui expliquerait sa faible part de marché, ne saurait exonérer le GIE PMU de sa responsabilité dans l'abus de position dominante qui lui est imputé, mais ne pourrait que constituer un facteur d'atténuation des dommages-intérêts à allouer à Betclic en réparation.

En conclusion, il y a lieu d'approuver les premiers juges d'avoir estimé que le GIE PMU, en maintenant sa pratique de mutualisation des masses d'enjeux dans les points de vente physiques et en ligne après l'entrée en vigueur de la loi de 2010, a abusé de sa position de monopole sur les jeux dans les points de vente pour fausser la concurrence sur le marché connexe des jeux en ligne, nouvellement ouvert à la concurrence, pratique contraire aux articles 102 du TFUE et L. 420-2 du Code de commerce.

Cette faute anticoncurrentielle constitue également une faute civile.

Sur le préjudice et sur le lien de causalité

Le GIE PMU fait valoir que le maintien de sa masse unique d'enjeux entre les mois de mai 2010 et décembre 2015 n'a causé aucun préjudice à la société Betclic, et verse à ce titre un rapport établi par le cabinet MAPP qui démontrerait que la seule masse d'enjeux collectés en ligne par son site pmu.fr était déjà suffisamment supérieure à celle de ses nouveaux concurrents opérateurs alternatifs pour qu'il conserve un avantage compétitif équivalent à celui que lui conférait son agrégation à la masse d'enjeux collectés en dur par le PMU.

L'appelant conclut dès lors que, contrairement à ce qu'a indiqué le tribunal de grande instance de Paris, il n'existe aucun lien automatique entre le constat d'une infraction au droit de la concurrence, qui, de surcroît en l'espèce, n'a pas été qualifiée, et un préjudice causé à des opérateurs économiques.

Le PMU sollicite dès lors l'infirmation du jugement en ce qu'il a considéré qu'un préjudice subi par la société Betclic " s'infère nécessairement de ces pratiques " et ce, sans rechercher un lien de causalité entre la faute que qualifie le tribunal de grande instance et le principe même d'une revendication indemnitaire par Betclic.

A titre subsidiaire, le PMU demande à la cour de constater le caractère totalement disproportionné de la revendication indemnitaire de la société Betclic au vu des erreurs et incohérences qui jalonnent son évaluation, l'intimée ne rapportant notamment pas la preuve d'une probabilité que la chance perdue qu'elle revendique ait pu sérieusement ou raisonnablement se réaliser.

En réplique, la société Betclic conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a constaté l'existence d'un préjudice résultant, pour la société Betclic, des pratiques de mutualisation des masses mises en oeuvre par le PMU entre mai 2010 et décembre 2015.

Mais le lien de causalité entre l'abus de position dominante du PMU et un éventuel préjudice à déterminer est en l'espèce suffisamment établi par les éléments versés aux débats par la société Betclic. Il a déjà été répondu à l'argument selon lequel les opérateurs alternatifs souffraient structurellement d'un désavantage compétitif par rapport au PMU du fait de l'ampleur de ses seules masses d'enjeux en ligne. La pratique d'abus litigieuse a renforcé ce déséquilibre. Le jugement entrepris sera également confirmé sur ce point.

La cour ne dispose pas de davantage d'éléments que les premiers juges pour évaluer le préjudice de la société Betclic, les études présentées par la société Betclic n'étant pas suffisamment étayées sur le contrefactuel choisi et sur les éléments déterminants du préjudice, la société Betclic n'ayant pas communiqué à la cour ses comptes sociaux, son taux de marge sur coûts variables, ni aucune des annexes de l'étude Microeconomics.

Le jugement entrepris sera confirmé sur la période d'évaluation du préjudice, du second semestre 2010 au 10 décembre 2015, la pratique d'abus ayant continué du 25 février 2014 au 10 décembre 2015, comme vu plus haut.

Le jugement entrepris sera donc également confirmé sur la mesure d'expertise décidée et sur son contenu.

La mission sera toutefois complétée par la phrase suivante, à placer après la phrase " comparer la part de marché en valeur qui aurait prévalu en l'absence de mutualisation des masses d'enjeux et à la part de marché en valeur observée, afin de déterminer la perte de marge sur coûts variable subie entre le 3e trimestre 2010 et 2015 " : " évaluer les éventuels préjudices futur et de rétablissement de la société Betclic, ainsi que les taux d'actualisation des préjudices ".

Sur la demande de provision à hauteur de 20 millions d'euros de la société Betclic

Formant appel incident et demandant l'infirmation du jugement entrepris sur ce point, la société Betclic sollicite la condamnation du PMU à lui verser une indemnité provisionnelle à hauteur de 20 millions d'euros de nature à lui permettre d'engager sans délai les dépenses nécessaires pour développer son activité et rattraper le retard que les pratiques du PMU lui ont causé, dans l'attente de la liquidation définitive de son préjudice qui sera déterminé par l'expertise à venir.

En réplique, le GIE PMU estime que la demande formée de ce chef par l'intimée n'est ni fondée, ni sérieuse, arguant du fait qu'une demande de provision ne peut pas servir à pallier la carence de celui qui la réclame. Le PMU conclut au rejet de la demande de provision formée par la société Betclic.

La société ne fournissant pas d'éléments comptables à la cour, cette demande sera rejetée.

Sur la demande d'évocation

En l'absence de tout élément justificatif, il n'y a pas lieu d'évoquer l'affaire et de priver les parties d'un degré de juridiction ; l'affaire sera donc renvoyée au tribunal de grande instance de Paris pour l'évaluation du préjudice de la société Betclic.

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile

Le GIE PMU succombant au principal, sera condamné aux dépens de l'instance, ainsi qu'à payer à la société Betclic la somme de 100 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs LA COUR, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Rejette la demande d'annulation du jugement ; Rejette la demande de provision de la société Betclic ; Rejette la demande d'évocation de la société Betclic ; Renvoie l'affaire devant le tribunal de grande instance de Paris ; Complète la mission de l'expert en insérant la phrase suivante, à placer après la phrase " comparer la part de marché en valeur qui aurait prévalu en l'absence de mutualisation des masses d'enjeux et à la part de marché en valeur observée, afin de déterminer la perte de marge sur coûts variable subie entre le 3e trimestre 2010 et 2015 " : " évaluer les éventuels préjudices futur et de rétablissement de la société Betclic, ainsi que les taux d'actualisation des préjudices " ; Condamne le GIE PMU aux dépens de l'instance d'appel ainsi qu'à payer à la société Betclic la somme de 100 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.