CA Lyon, 3e ch. A, 15 novembre 2018, n° 17-04875
LYON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Rhône Alpes Distribution (SAS)
Défendeur :
Gerland Le Renouveau (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Esparbès
Conseillers :
Mme Homs, M. Bardoux
Avocats :
Mes Laffly, Freire Marques, Chesnot, Quenson, Lerat
Exposé du litige
Par contrat d'accord commercial du 14 mai 2009, la SARL BR exploitant un restaurant a souscrit auprès de la SAS Café'In Rhône Alpes et pour une durée de 5 ans une obligation d'approvisionnement exclusif corrélée à la promesse d'un chiffre d'affaires annuel HT de 25 500 soit un total de 127 500 HT sur les 5 ans.
En contrepartie, la société Café'In a accordé au client une avance sur ristourne, à amortir, de 14 133,97 TTC, constituée d'une part d'un chèque de 5 000 versés et d'autre part d'une reprise du non amorti au 30 avril 2009 d'une avance initiale de 14 352 TTC de septembre 2008 pour 9 133,97 .
Par contrat du 31 juillet 2011, l'exploitante BR a cédé son fonds de commerce à la SARL Gerland le Renouveau, qui par une clause expresse a repris l'exécution du contrat de distribution.
La société Café'In Rhône Alpes a changé sa dénomination en SAS Olivier distribution Rhône Alpes, qui a, par acte du 19 décembre 2012, cédé son fonds de commerce à la SAS Rhône Alpes distribution.
Celle-ci a indiqué que la société Gerland le Renouveau avait poursuivi les approvisionnements auprès d'elle jusqu'en mai 2014, terme du contrat, réalisant un chiffre d'affaire de 42 869,93 sur 5 ans, inférieur au chiffre promis.
Par lettre recommandée du 27 janvier 2016 réceptionnée le lendemain, la société Rhône Alpes distribution a mis en demeure la société exploitante Gerland le Renouveau d'avoir à lui régler, en application de la clause résolutoire visée à l'article 4 du contrat de distribution, la somme totale de 28 114,52 se décomposant comme suit :
- 8 820,69 au titre du montant restant à amortir sur l'avance accordée,
- 19 293,83 au titre des indemnités de rupture.
La société Gerland le Renouveau a considéré que la demanderesse n'était pas fondée à se prévaloir d'un contrat conclu avec la société Café'In Rhône Alpes, puisque ce contrat ne comportait aucune clause de cessibilité ou de substitution de cocontractant et que l'indemnité ne pouvait être réclamée qu'en cas de résiliation anticipée ce qui n'était pas le cas du contrat parvenu à son terme le 14 mai 2014 et qui ne stipulait aucune tacite reconduction.
Par acte d'huissier du 18 juillet 2016, la société Rhône Alpes distribution a saisi le tribunal de commerce de Lyon aux fins de condamnation de la société Gerland le Renouveau au paiement de la somme de 29 437,43 TTC.
Par jugement du 16 juin 2017, le tribunal de commerce de Lyon a :
débouté la société Rhône Alpes distribution de l'ensemble de ses demandes, en la condamnant à verser à la société Gerland le Renouveau la somme de 1 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, à payer les dépens de l'instance, et débouté les parties de toutes leurs autres demandes.
Appelante par acte du 3 juillet 2017 et par conclusions du 15 janvier 2018 fondées sur les articles 1103 et suivants du Code civil, la société Rhône Alpes distribution demande à la cour par voie de réformation de :
juger qu'elle a intérêt à agir dans le cadre de l'exécution du contrat d'accord commercial initialement conclu entre les sociétés Café'in Rhône Alpes devenue Olivier B. distribution et BR rachetée par Gerland le Renouveau, que ce contrat lui a valablement été transmis et a été accepté par la société Gerland le Renouveau, de sorte qu'il doit recevoir application à son profit,
constater que la société Gerland le Renouveau n'a pas respecté les termes dudit contrat, condamner cette dernière à lui régler la somme globale de 29 437,43 TTC [constituée de la clause pénale, de l'avance sur ristourne et d'un compte marchandise] outre intérêt de droit au taux légal à compter de la mise en demeure du 27 janvier 2016,
débouter la société Gerland le Renouveau de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions, et condamner celle-ci à lui payer la somme de 5 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction pour ceux d'appel.
Par conclusions du 20 novembre 2017 fondées sur les articles 1134 et 1165 du Code civil, la société Gerland le Renouveau demande à la cour de :
sur l'impossibilité pour l'appelante de se prévaloir d'un contrat auquel elle n'est pas partie:
constater que le contrat du 14 mai 2009 ne comportait aucune clause autorisant par avance la société Café'In Rhône Alpes à le céder à un tiers, qu'il appartient à l'appelante de prouver qu'elle aurait accepté la substitution de cocontractant et que cette preuve n'est pas rapportée puisque la société Rhône Alpes distribution a attendu le 27 janvier 2016 pour se prévaloir du contrat qui avait pris fin depuis le 14 mai 2014, qu'elle même a continué à passer ses commandes jusqu'au 14 mai 2014 dans l'ignorance de la cession de fonds de l'appelante, et en conséquence, de juger que la société Rhône Alpes distribution n'est pas fondée à se prévaloir d'un contrat dont elle n'est pas signataire et dont elle même n'a pas accepté la cession, en application de l'article 1165 du Code civil, sur l'impossibilité d'exiger le paiement de la somme 29 437,43 en l'absence de résolution du contrat :
juger qu'il résulte clairement de l'article 4 du contrat que l'entrepositaire pouvait exiger le remboursement de l'avance non amortie et le paiement de la clause pénale, uniquement en cas de rupture anticipée du contrat consécutive à la mise en jeu de la condition résolutoire faisant suite à une mise en demeure restée infructueuse, que l'appelante ne lui a jamais adressé aucune mise en demeure pour se prévaloir de la condition résolutoire, que le contrat n'a pas été résilié car il a pris fin à l'arrivée de son échéance contractuelle de 5 ans, et que l'appelante n'est pas fondée à réclamer le paiement des sommes exigibles dans la seule hypothèse de la mise en jeu de la condition résolutoire,
en conséquence, débouter la société Rhône Alpes distribution de l'intégralité de ses demandes,
condamner celle-ci à lui payer une somme de 5 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile avec charge des entiers dépens de l'instance.
Motifs
Au préalable, il est relevé que, si la société Rhône Alpes distribution fait état de son intérêt à agir dans la présente action, l'intimée n'a conclu qu'à son débouté, de sorte qu'aucune fin de non-recevoir n'est soulevée par les parties et que la cour statue au fond.
Au soutien de son appel, la société Rhône Alpes distribution fait valoir que son acquisition du fonds de commerce de la société Olivier Distribution Rhône Alpes a compris, au titre des actifs, les contrats d'approvisionnement exclusif incluant celui souscrit initialement par la société BR et qui avait été expressément cédé à la société Gerland le Renouveau lors de la cession entre les deux exploitantes du 31 juillet 2011.
Elle invoque l'article 2 de la cession de fonds de commerce conclue avec la société Olivier Distribution qui stipule sous l'objet "désignation du fonds", notamment, "le bénéfice et la charge des contrats conclus avec la clientèle pour l'exploitation du fonds cédé et à raison desquels le vendeur a réalisé les agencements et investissements publicitaires en ce compris les créances de prêts et les immobilisations consenties par le vendeur à ladite clientèle, dont la liste exhaustive comportant le nom du client, la durée du contrat et la nature et le montant de l'investissement brut et net figurent en Annexe 3".
La stipulation est certes exacte au vu de l'acte de cession, mais elle ne vise que les rapports contractuels existant entre les sociétés Olivier Distribution cédante et Rhône Alpes distribution cessionnaire, et non pas les tiers à la cession que sont les "clients" (exploitants de débits de boissons).
Pour tenter d'englober les clients dans la cession, la société Rhône Alpes distribution précise que la transmission des contrats dits de bière est automatique, valant exception autorisée par la loi à la règle de l'article 1165 ancien du Code civil visé par l'intimée, qui ne conteste pas la qualification de contrat de bière, de sorte que l'acceptation du cédé ne serait pas exigée.
Cette allégation doit être écartée, puisque, comme le dit à bon droit la société Gerland le Renouveau, l'article 7 7° 4e § du contrat de cession conclu entre les sociétés Olivier Distribution et Rhône Alpes distribution le 19 décembre 2012 stipule au contraire que "Il (l'acquéreur) accomplira toutes les formalités permettant de rendre opposable aux tiers la cession du fonds ainsi que l'ensemble des autres éléments cédés en exécution des présentes et notamment, les formalités prévues à l'article 1690 du Code civil pour l'ensemble des contrats cédés et le bail commercial (...)".
Ainsi, aucune transmission automatique n'autorise la société Rhône Alpes distribution à faire état de son absence d'obligation à rendre son acquisition de fonds de commerce opposable aux clients dont la société Gerland le Renouveau.
Le contrat ne comporte pas plus de clause autorisant la société Café'In Rhône Alpes à céder le contrat à un tiers.
Plus sérieusement, parce qu'il est constant que la société Rhône Alpes distribution n'a pas accompli les formalités de l'article 1690 du Code civil exigeant la signification du transport du contrat (et donc de la créance en résultant) au débiteur cédé, qu'il est établi encore que la société Rhône Alpes distribution n'a jamais informé la société Gerland le Renouveau de son rachat du fonds de Café'In Rhône Alpes (devenue Olivier distribution) avant de l'assigner, et la société Rhône Alpes distribution ne prétend pas démontrer le contraire, et que par ailleurs aucune acceptation expresse de la part de l'intimée n'est alléguée, la société Rhône Alpes distribution évoque l'acceptation tacite de la substitution d'entrepositaire de la part de la société Gerland le Renouveau.
Il est en effet admis en jurisprudence que l'acceptation de la part du client/débiteur cédé peut être tacite si elle est exempte de toute équivoque. Par ailleurs, en fait, la société Gerland le Renouveau admet avoir conclu des commandes postérieurement à la date du 19 décembre 2012.
La société Rhône Alpes distribution échoue dans cette preuve, qui lui incombe.
En effet, elle communique un extrait de son grand livre général (pièce 6 - 1re page), relatif à une avance sur ristourne pour la société Gerland, qui vise l'année 2015, soit une année postérieure à l'expiration du contrat de distribution, non reconductible tacitement et dont le terme est survenu le 14 mai 2014. La pièce est donc inopérante à démontrer des commandes de la part de la société Gerland le Renouveau auprès de la société Rhône Alpes distribution dans le cadre du contrat litigieux.
Parmi les autres feuillets de la pièce 6, constitués notamment de statistiques rentabilité pour l'établissement BR Le renouveau, ils ne sont utiles que s'ils se rapportent avec certitude à la période postérieure au 19 décembre 2012, date de la cession du fonds d'entrepositaire.
Ainsi, le document visant la période mai 2012 (donc avant la cession) à mai 2013 (après la cession) ne permet aucune distinction des commandes éventuellement passées après le 19 décembre 2012, ni aucune certitude de commandes qui auraient été conclues après cette date.
Celui intéressant la période mai 2013 à mai 2014 est, lui, postérieur à cette date de la cession du fonds à la société Rhône Alpes distribution. Cependant, ce document unique, élaboré par le créancier lui-même et non conforté par des pièces complémentaires, s'il justifie de commandes effectives passées par la société Gerland le Renouveau, ne fait pas la preuve que ce client savait lors des commandes que l'entrepositaire s'était fait substituer dans son fonds de commerce et que de plus, il avait accepté ce changement de créancier.
Quant aux duplicatas des factures (pièce 10 de l'appelante), ils portent d'abord un logo qui est similaire à celui porté sur la mise en demeure du 27 janvier 2016 écrite par la société Rhône Alpes distribution dite localisée à Vénissieux, mais en dessin plus petit.
Ensuite, ils mentionnent, en dessous de ce logo, le nom de Rhône Alpes distribution, mais sans autres références sociales ni adresse, la cour observant comme l'intimée que ce logo et le nom de Rhône Alpes distribution sont accolés à un autre nom, bien plus visible': "Leodis Grand Lyon Boissons" qui paraît ainsi être une autre entreprise située à une adresse précisée de Saint Priest et dotée d'un numéro d'immatriculation. L'appelante n'a pas précisé dans ses écritures ce comparatif de deux noms de sociétés, alors que le point est dans le débat.
Il n'est donc pas certain que ces commandes facturées à la société Gerland le Renouveau l'aient été par suite de commandes passées par celle-ci auprès de la société Rhône Alpes distribution en sa qualité connue du client de cessionnaire du contrat de distribution du 14 mai 2009.
Ces duplicatas mentionnent en outre des expéditions entre le 25 septembre 2013 et le 2 mars 2016, mais ils ne démontrent pas plus que la société Gerland le Renouveau a eu connaissance du changement d'entrepositaire, et qu'elle l'a accepté lors de ses commandes, alors encore qu'il est observé que le cessionnaire de l'acte du 19 décembre 2012 est la société Rhône Alpes distribution dont le siège social est situé, non pas à Saint Priest, mais à Reims ainsi qu'il résulte de l'examen de l'acte de cession communiqué par l'appelante.
Aussi, contrairement à ce qu'elle soutient, la société Rhône Alpes distribution ne verse au débat aucun document attestant sans équivoque de la poursuite de commandes par la société Gerland le Renouveau au-delà du 19 décembre 2012 date de cession du fonds de commerce par Olivier X (ex Café'In), passées auprès de Rhône Alpes distribution, en connaissance prétendue d'un changement de co-contractant.
L'acceptation tacite alléguée par Rhône Alpes distribution à l'encontre de Gerland le Renouveau n'est pas plus établie par l'acceptation alléguée par cette dernière de tarifs qui auraient été ceux applicables selon le contrat initial du 14 mai 2009, ce qui ne résulte d'aucune pièce communiquée.
La société Gerland le Renouveau souligne à juste titre que le contrat du 14 mai 2009, d'une durée ferme de 5 ans et sans clause de tacite reconduction, avait pris fin depuis le 14 mai 2014. La mise en demeure du 27 janvier 2016, émise par Rhône Alpes distribution se présentant comme contractante substituée (même si la référence du contrat n'est pas notée), postérieure de 20 mois de la cessation du contrat, ne permet pas le constat d'une substitution de co contractant donc de créancier.
Par voie de conséquence, à défaut de signification du transport du contrat par la société Rhône Alpes distribution envers la société Gerland le Renouveau et à défaut d'une acceptation expresse ou tacite non équivoque de la part de cette dernière, la société Rhône Alpes distribution n'est pas fondée à se prévaloir du contrat du 14 mai 2009 dont elle n'est pas signataire.
Par ces motifs ajoutés, la société Rhône Alpes distribution est par suite déboutée de toutes ses demandes et la décision du premier juge est confirmée en toutes ses dispositions.
Pour la cause d'appel, dont les dépens incombent à la société Rhône Alpes distribution, celle-ci supporte aussi la charge d'une indemnité de procédure allouée à l'intimée.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et par arrêt contradictoire, Confirme le jugement déféré, Y ajoutant, Condamne la société Rhône Alpes distribution à verser à la société Gerland le Renouveau une indemnité de procédure complémentaire de 3 000 pour la cause d'appel, Dit que les dépens d'appel sont à la charge de la société Rhône Alpes distribution.