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Décisions

Cass. 1re civ., 14 novembre 2018, n° 17-23.668

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

AXA Corporate solutions assurance (SA), BTSG (SCP), Gasnier (ès qualité)

Défendeur :

TCR France (SASU)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Batut

Conseillers :

M. Truchot (rapporteur), Mme Kamara

Avocats :

SCP Waquet, Farge, Hazan, SCP Alain Bénabent

Paris, pôle 2, ch. 5, du 16 mai 2017

16 mai 2017

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société TCR France (la société TCR) a donné en location à la société AMC Group (la société AMC) un groupe électrogène destiné à alimenter en électricité un avion au sol ; que, le 25 mai 2007, lors d'une opération d'assistance d'un appareil appartenant à la compagnie Flybaboo, l'avion a été endommagé par une surcharge électrique causée par le groupe électrogène ; que, le 31 mai 2010, la société AXA Corporate solutions assurance (la société AXA), assureur de la société AMC, a indemnisé la société Flybaboo, après déduction de la franchise contractuelle ; que, par acte du 30 avril 2013, les sociétés AXA et AMC ont assigné la société TCR en responsabilité et indemnisation ; qu'après avoir énoncé qu'en application de l'article 1386-7 du Code civil, l'action en responsabilité du fait des produits défectueux était ouverte contre le loueur, dans les mêmes conditions que contre le producteur, la cour d'appel a déclaré cette action prescrite ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche : - Attendu que les sociétés AXA et BTSG, celle-ci agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société AMC, font grief à l'arrêt de statuer comme il le fait, alors, selon le moyen, que la réparation des dommages causés à une chose destinée à l'usage professionnel et utilisée pour cet usage ne relève pas du champ d'application de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux ; que les articles 1386-1 et suivants du Code civil, aujourd'hui repris aux articles 1245 et suivants du Code civil, ont été pris pour l'application de cette directive ; qu'il résulte, en l'espèce, des constatations des juges du fond que les dommages dont il était demandé réparation avaient été causés à un avion appartenant à la compagnie aérienne Flybaboo, soit à une chose destinée à l'usage professionnel du transport aérien de passagers et utilisée pour cet usage ; qu'en décidant, néanmoins, que le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux était exclusivement applicable à la réparation de tels dommages, l'arrêt attaqué a violé par fausse application les articles 1386-1 et 1386-18 du Code civil devenus 1245 et 1245-17 du Code civil ;

Mais attendu, d'abord, que, d'une part, selon l'article 9 de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, les dispositions de celle-ci s'appliquent à la réparation du dommage causé par la mort ou par des lésions corporelles et au dommage causé à une chose ou la destruction d'une chose, autre que le produit défectueux lui-même, sous déduction d'une franchise, à condition que cette chose soit d'un type normalement destiné à l'usage ou à la consommation privés et ait été utilisée par la victime principalement pour son usage ou sa consommation privés ; que, d'autre part, l'article 1386-2, devenu 1245-1 du Code civil, issu de la loi n o 98-389 du 19 mai 1998, transposant l'article 9 de cette directive, énonce que les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux s'appliquent à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne ainsi qu'à la réparation du dommage supérieur à un montant déterminé par décret qui résulte d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même ; que, dès lors, le législateur national n'a pas limité le champ d'application de ce régime de responsabilité à la réparation du dommage causé à un bien destiné à l'usage ou à la consommation privés et utilisé à cette fin ;

Attendu, ensuite, que si, par une décision du 4 juin 2009 (Moteurs Leroy Somer, C-285/08), rendue sur une question préjudicielle renvoyée par la Cour de cassation (Com., 24 juin 2008, pourvoi no 07-11.744, Bull. 2008, IV, no 128), la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que la réparation des dommages causés à une chose destinée à l'usage professionnel et utilisée pour cet usage ne relève pas du champ d'application de la directive précitée, elle a précisé que celle-ci doit être interprétée en ce sens qu'elle ne s'oppose pas à l'interprétation d'un droit national ou à l'application d'une jurisprudence interne établie selon lesquelles la victime peut demander réparation du dommage causé à une chose destinée à l'usage professionnel et utilisée pour cet usage, dès lors que cette victime rapporte seulement la preuve du dommage, du défaut du produit et du lien de causalité entre ce défaut et le dommage ;

Attendu qu'il en résulte qu'en l'absence de limitation du droit national, l'article 1386-2, devenu 1245-1 du Code civil, s'applique au dommage causé à un bien destiné à l'usage professionnel ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur la deuxième branche du moyen : - Vu l'article 1386-18, devenu 1245-17 du Code civil, ensemble les articles 1382, devenu 1240, et 1721 du même Code ; - Attendu que le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, pourvu que ceux-ci reposent sur des fondements différents de celui d'un défaut de sécurité du produit litigieux, tels la garantie des vices cachés ou la faute ;

Attendu que, pour déclarer l'action prescrite, l'arrêt retient que l'existence d'une surtension dans le groupe électrique caractérise un défaut qui compromet la sécurité de l'utilisateur du produit et qu'en conséquence de l'application exclusive au présent litige du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux, la prescription est triennale en application de l'article 1386-17 du Code civil ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans s'expliquer sur le caractère exclusif conféré à l'applicabilité du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux, qui était expressément contesté par les sociétés AXA et AMC, lesquelles invoquaient le bénéfice du régime de responsabilité de la garantie des vices cachés et de celui de la responsabilité extracontractuelle pour faute, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen : Casse et Annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 mai 2017, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; Remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ; Condamne la société TCR France aux dépens ; Vu l'article 700 du Code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer aux sociétés AXA Corporate solutions assurance et BTSG, prise en qualité de mandataire liquidateur de la société AMC, la somme globale de 3 000 euros ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé.