CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 22 novembre 2018, n° 17-10290
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Cyber Études et Pilotage du Bâtiment (SARL)
Défendeur :
Vinci Immobilier (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
Mmes Soudry, Moreau
Avocats :
Mes Teytaud, Parnière, Lemée, Grappotte-Benetreau, Le Lièpvre, Hocher
Faits et procédure
La société Cyber études et pilotage du bâtiment (ci-après la société Cyber études), immatriculée le 13 mai 2005, avait pour activité la prise en charge des missions techniques, notamment "fluides", d'économiste et de maîtrise d'œuvre d'exécution dans le domaine des constructions immobilières.
A l'époque, son fondateur, M. Christian X détenait 100 % de la société Osiris immobilier qui détenait elle-même 52 % du capital de la société Cyber études.
M. Christian X a également été à la tête du groupe de sociétés La Compagnie immobilière Hermès (ci-après le groupe Hermès) ayant pour activité la réalisation d'opérations de promotions immobilières.
En qualité de dirigeant du groupe Hermès et de la société Cyber études, M. Christian X a mis en place une collaboration entre lesdites sociétés, la société Cyber études se voyant missionnée pour le suivi de projets immobiliers conduits par le groupe Hermès et ses filiales.
Par acte du 20 décembre 2007, M. Christian X, les membres de sa famille dont son fils Frédéric X, la société Cézanne immobilier et la société Osiris immobilier ont cédé à la société Vinci immobilier la totalité des actions qu'ils détenaient sur le groupe La Compagnie immobilière Hermès. La cession ne concernait pas les parts sociales de la société Cyber études, laquelle, selon l'article 7.1 du contrat, devait poursuivre sa collaboration avec la société Vinci immobilier qui devait lui proposer des missions de maître d'œuvre d'exécution, économiste tous corps d'État (sauf béton armé), "fluides", OPC (ordonnancement, pilotage, coordination) et suivi de chantier pendant une période de trois ans à compter de la date de cession "sous réserve que les associés de Cyber études et pilotage du bâtiment soient exclusivement M. Christian X et/ou son épouse et/ou les salariés de cette société".
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 26 novembre 2014, la société Cyber études a sollicité auprès de la société Vinci immobilier le paiement d'une note d'honoraires du 28 avril 2014 et fait valoir le non-respect des dispositions de l'article 7-1 de l'acte de cession du 20 décembre 2007, la société Vinci immobilier ne lui confiant plus aucune mission.
La société Cyber études a fait l'objet d'une liquidation amiable à compter du 31 mars 2015, Mme Y étant désignée liquidatrice amiable.
C'est dans ce contexte que, par acte du 20 avril 2016, la société Cyber Études, représentée par Mme Y en sa qualité de liquidatrice amiable, a assigné la société Vinci immobilier devant le tribunal de commerce de Nancy, afin de voir déclarer cette dernière responsable de la rupture brutale de la relation commerciale établie, et la voir condamner au principal au paiement d'une somme de 250 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de marge pour la durée d'un préavis de deux ans et d'une somme de 30 000 euros en raison du défaut de notification écrite de la rupture de ladite relation.
Par jugement rendu le 7 avril 2017, le tribunal de commerce de Nancy a :
- déclaré la société Cyber études et pilotage du bâtiment recevable mais mal fondée en ses demandes au titre de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,
- l'en a déboutée,
- condamné la société Cyber études et pilotage du bâtiment à payer à la société Vinci Immobilier la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la société Cyber Études et Pilotage du bâtiment aux dépens du jugement.
Vu l'appel interjeté le 7 avril 2017 par la société Cyber études et pilotage du bâtiment, représentée par sa liquidatrice amiable Mme Y, à l'encontre de cette décision ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 29 mai 2018 par la société Cyber études et pilotage du bâtiment, appelante, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- déclarer son appel recevable et bien fondé ;
Y faisant droit,
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
- juger que la société Vinci immobilier engage sa responsabilité pour avoir rompu brutalement et sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale d'un préavis raisonnable, la relation d'affaires des parties, En conséquence,
- condamner la société Vinci immobilier à lui payer la somme de 250 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de marge pour la durée d'un préavis de deux ans,
- condamner la société Vinci immobilier à lui payer la somme de 30 000 euros en raison du défaut de notification écrite de la rupture des relations d'affaires,
- débouter la société Vinci immobilier de l'ensemble de ses fins, moyens et prétentions,
- condamner la société Vinci immobilier à lui payer la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Vinci immobilier aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ceux le concernant au profit de Maître Teytaud, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Moyens :
La société Cyber Études fait tout d'abord valoir l'existence d'une relation commerciale établie avec la société Vinci immobilier antérieure à l'acte de cession du 20 décembre 2007, dès lors que celle-ci a repris la relation commerciale établie pré-existante qu'elle entretenait avec la société La Compagnie immobilière Hermès lors du rachat de celle-ci, s'est engagée à la maintenir pour une durée minimale garantie de trois ans et l'a poursuivie au delà de ce délai, durant plus d'une année sans changement significatif entre les parties ni contestation des prestations fournies par ses soins.
Elle soutient que ni les stipulations du contrat de cession de la société La Compagnie immobilière Hermès, ni aucune situation de concurrence prétendue entre la société Cyber études ou son associée, la société Amadeus immobilier et environnement, et l'intimée, n'étaient susceptibles de remettre en cause le caractère établi la relation commerciale entre les sociétés Cyber études et Vinci immobilier, ni de rendre la rupture de celle-ci prévisible. Elle fait valoir qu'il n'existait aucun engagement d'exclusivité à la charge de la société Cyber études ou celle des cédants, la société Vinci immobilier étant informée que la société Cyber études assurait déjà des missions identiques pour le compte de la société Bouygues immobilier. Elle ajoute que la société Cyber études n'est pas devenue un concurrent direct de la société Vinci immobilier à la suite de la cession de parts du 20 décembre 2007 par le biais de la création, le 27 janvier 2011, de la société La compagnie immobilière, l'associée de la société Cyber études, la société Amadeus immobilier et environnement, déjà majoritaire dans son capital lors de ladite cession et qui détient une participation minoritaire dans la société La compagnie immobilière, n'ayant aucun mandat social dans celle-ci ni dans la société Cyber études ni aucun rôle promoteur et n'exerçant donc aucune activité concurrente avec la société Vinci immobilier. Elle précise qu'en sa qualité de bureau d'études, la société Cyber études n'avait pas accès aux informations confidentielles de la société Vinci immobilier ni à celles des sociétés concurrentes. Elle ajoute que le caractère prévisible ou non de la rupture n'ôte pas à celle-ci son caractère brutal.
Elle fait valoir le caractère brutal de la rupture de cette relation commerciale établie par la société Vinci immobilier, sans notification ni préavis, de manière subite et concomitamment avec la création par son ancien dirigeant, M. A d'une nouvelle société Sept ingénierie, laquelle conduirait désormais les activités de promotion immobilière pour la société Vinci immobilier qui lui étaient jusqu'alors confiées.
Au titre de son préjudice, elle sollicite une indemnité de 250 000 euros compte tenu de la perte de marge brute durant le délai de préavis de deux ans qui aurait dû être respecté au regard de l'ancienneté de la relation commerciale, d'une durée de seize ans, et de la situation de dépendance économique de la société Cyber études, ainsi qu'une indemnité supplémentaire de 30 000 euros en raison de l'absence de notification de la rupture de la relation commerciale établie, la société Vinci immobilier ayant laissé la société Cyber études dans une situation d'incertitude ce qui a eu pour effet d'entraîner sa liquidation.
Vu les dernières conclusions notifiées le 11 juin 2018 par la société Vinci immobilier, intimée, par lesquelles il est demandé à la cour de :
A titre principal,
- dire et juger que la rupture de la relation commerciale entre elle-même et la société Cyber études et pilotage du bâtiment n'est pas brutale ;
A titre subsidiaire,
- dire et juger que la société Cyber études et pilotage du bâtiment ne rapporte pas la preuve du montant de son prétendu préjudice ;
En tout état de cause,
- débouter la société Cyber études et pilotage du bâtiment de l'ensemble de ses demandes ;
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
- condamner la société Cyber études et pilotage du bâtiment au paiement de la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Anne Grappotte-Benetreau.
Moyens :
La société Vinci immobilier soutient que la rupture de la relation commerciale entre les filiales du groupe Hermès et la société Cyber études était prévisible et programmée, et non pas brutale.
Elle fait valoir qu'aux termes du contrat de cession du groupe Hermès, elle s'est engagée envers les cédants, et non pas l'appelante, à la poursuite de la collaboration entre ledit groupe et la société Cyber études pendant une durée de trois ans à compter de la cession, sous réserve que les associés de celle-ci soient exclusivement M. X et/ou son épouse ainsi que les salariés de cette société, et que les cédants et actionnaires de la société Cyber études n'exercent, pendant cette même durée, aucune activité concurrente à la sienne, qu'elle a respecté cet engagement, que l'acte annonce la fin de leur collaboration en fixant un "préavis" de trois ans, à l'issue duquel elle était libre de mettre fin à la relation commerciale sans formalité et les cédants libres de créer une structure concurrente.
Elle soutient que la fin de cette collaboration était d'autant plus prévisible et programmée que la société Cyber études est devenue, à l'issue de la période de non-concurrence de trois ans, une filiale de la société La Compagnie immobilière, société de promotion immobilière créée par acte du 27 janvier 2011 par M. Frédéric X et la société Amadeus, elle-même gérée par Mme X, associée majoritaire de la société Cyber études et ayant pour activité la promotion immobilière, ladite société exerçant ainsi une activité concurrente directe du groupe Hermès et de la société Vinci Immobilier. Elle considère que le fait que la société Cyber études soit devenue une filiale d'une société concurrente, avec un associé commun, justifie la fin de leur collaboration dès lors que la société La Compagnie immobilière peut bénéficier des informations confidentielles recueillies par la société Cyber études dans le cadre de cette activité.
Elle précise que la rupture de la collaboration entre la société Cyber études et les filiales du groupe Hermès n'a pas été instantanée à l'issue du terme contractuel de trois ans, la relation ayant été maintenue jusqu'à l'achèvement des opérations en cours, de sorte que le chiffre d'affaires de l'appelante a diminué progressivement.
Elle conteste à la fois la durée et le montant de l'indemnité de préavis réclamée par la société Cyber études, considérant que l'ancienneté de la relation commerciale alléguée n'est pas démontrée, que pour une relation commerciale d'une durée entre six et dix ans, le préavis devrait être de six mois au plus, de sorte que le préjudice de la société Cyber études ne saurait excéder la somme de 32 571,01 euros. Elle s'oppose au paiement d'une indemnité complémentaire dont ni le principe ni le montant ne sont justifiés.
Motifs :
Sur la rupture brutale de la relation commerciale établie :
Selon l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce, "Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
5°De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas".
Sur l'existence d'une relation commerciale établie :
Une relation commerciale est établie au sens des dispositions de l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce lorsqu'elle s'inscrit dans la durée, est régulière, significative et stable.
Par acte de cession du 20 décembre 2007, M. X et les membres de sa famille, dont son fils M. Frédéric X, ont cédé à la société Vinci immobilier la totalité des actions qu'ils détenaient sur le groupe La compagnie immobilière Hermès.
Il n'est pas discuté qu'antérieurement à cet acte, la société Cyber études et ledit groupe, qui avaient pour dirigeant commun M. X, ont entretenu une relation commerciale stable et durable, le groupe Hermès et ses filiales confiant à la société Cyber études des missions relatives à de nouveaux projets immobiliers.
Selon l'article 7.1 de l'acte de cession, "Sous réserve que les associés de Cyber études et pilotage du bâtiment soient exclusivement M. Christian X et/ou son épouse et/ou les salariés de cette société, le cessionnaire s'engage et se porte fort de ce que la société poursuive sa collaboration avec la société Cyber études et pilotage du bâtiment pendant une durée de trois (3) ans à compter de la date de cession en proposant les missions de maître d'œuvre d'exécution, économiste tous corps d'état (sauf béton armé), "fluides", OPC (Ordonnancement, Pilotage, Coordination), et suivi de chantier, pour les opérations de logement compatibles avec le savoir-faire de Cyber études et pilotage du bâtiment, moyennant une rémunération identique à celle versée antérieurement à la date de cession, à savoir de l'ordre de 3 % à 5 % hors taxes du montant des travaux".
En outre, l'article 6 de cet acte prévoit un engagement de non-concurrence aux termes duquel "les cédants s'engagent, pendant la durée de trois (3) ans à compter de la date de cession, à n'exercer en France aucune activité de nature à être concurrente des activités actuelles et futures de la société. L'interdiction d'exercice prévue aux présentes vise toute activité, qu'elle soit déployée personnellement ou par personne interposée, à titre onéreux ou gratuit. Par dérogation à ce qui précède, cet engagement de non-concurrence ne sera applicable à M. Frédéric X qu'en cas de licenciement pour faute lourde de la société".
Il résulte de ces dispositions contractuelles que la société Vinci immobilier s'est engagée envers les cédants à poursuivre, durant une période de trois ans, la relation commerciale nouée entre la société Cyber études et le groupe Hermès. Ce délai de trois ans correspond également à la période de l'engagement de non-concurrence.
Il n'est pas discuté que la société Vinci immobilier a ainsi confié, durant cette période, directement ou par filiales interposées des SCI et SCCV dont elle était gérante ou associée, des missions fluides et des missions de maîtrise d'œuvre à la société Cyber études.
Il ressort du récapitulatif des missions confiées à la société Cyber études que la relation commerciale entre les parties s'est prolongée au delà du terme contractuel parvenu à échéance le 20 décembre 2010, dès lors que trois nouvelles conventions ont été conclues entre les parties les 26 juin 2011, 19 octobre 2011 et 13 juillet 2012, portant respectivement sur les opérations immobilières SCCV Vinca, SCCV Le Jardin et SCCV Le Clos Saint Fiacre. La société Vinci immobilier échoue à établir que ces missions ne constitueraient pas de nouvelles missions afférentes à d'autres projets immobiliers mais consisteraient en l'achèvement de projets en cours.
Aucune autre mission n'a été confiée au-delà du 13 juillet 2012, même s'il n'est pas discuté que la société Cyber études a facturé ses prestations jusqu'au 15 mai 2013.
La relation commerciale entre les parties a donc perduré jusqu'au 13 juillet 2012, soit dix-neuf mois après le terme contractuel.
Durant cette période, le chiffre d'affaires de la société Cyber études avec la société Vinci immobilier a été maintenu et globalement croissant.
Compte tenu de la poursuite de la relation commerciale précédemment nouée entre la société Cyber études et le groupe Hermès au delà du terme contractuel convenu, pendant une durée de dix-neuf mois au cours de laquelle la société Cyber études a maintenu son chiffre d'affaires avec la société Vinci immobilier dans le cadre de son rachat des sociétés du groupe Hermès, la relation commerciale entre les parties a perduré, et présentait un caractère stable, durable et significatif.
Sur la rupture brutale de la relation commerciale :
L'appelante reproche à la société Vinci immobilier la rupture brutale de la relation commerciale établie qu'elle entretenait avec la société Cyber études, sans préavis, le caractère prévisible de la rupture invoqué en défense, non caractérisé, n'ôtant en tout état de cause pas le caractère brutal de celle-ci.
La rupture, pour être préjudiciable et ouvrir droit à indemnisation au sens de l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce, doit être brutale c'est-à-dire effectuée sans préavis écrit tenant compte des relations commerciales antérieures ou des usages reconnus par des accords interprofessionnels.
Cet article prévoit toutefois la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.
La société Vinci immobilier conteste la brutalité de la rupture de la relation commerciale établie avec la société Cyber études, faisant valoir que ladite rupture était prévisible et programmée, dès lors que lors de la cession du groupe Hermès, elle s'est engagée à la poursuite des relations d'affaires avec la société Cyber études durant une période limitée de trois ans, que l'acte de cession annonce la fin de la collaboration entre le groupe Hermès et la société Cyber études et fixe un "préavis" de trois ans, et qu'à l'issue de cet acte, ladite société est devenue une filiale d'une société concurrente des sociétés Hermès et Vinci immobilier. Elle considère que le fait que la société Cyber études soit devenue une filiale d'une société concurrente, avec un associé commun, justifie la fin de leur collaboration dès lors que la société La Compagnie immobilière peut bénéficier des informations confidentielles recueillies par la société Cyber études dans le cadre de cette activité.
Cependant, la circonstance que la société Cyber études soit devenue, ou non, une société concurrente de la société Vinci immobilier, n'exonérait pas celle-ci de l'obligation de lui notifier un préavis écrit manifestant son intention de rompre leur relation commerciale, sauf à démontrer l'inexécution par la société Cyber études de ses obligations.
La société Vinci immobilier n'a pas adressé de préavis à la société Cyber études, et invoque vainement que le contrat à terme conclu avec celle-ci constituerait en lui-même un tel préavis, alors que la relation commerciale s'est poursuivie dix-neuf mois après la survenance du terme.
L'acte de cession prévoyait la poursuite de la relation d'affaires engagée par le groupe Hermès avec la société Cyber études pendant une durée de trois ans, période durant laquelle les cédants (et non pas la société Cyber études) étaient tenus au respect d'une clause de non-concurrence.
Les parties ont cependant poursuivi leur relation commerciale au delà du terme contractuel survenu le 19 décembre 2010, sans prévoir le maintien de la clause de non-concurrence échue depuis cette date.
La circonstance que la société Cyber études ait pu devenir la filiale d'une société concurrente de la société Vinci immobilier, la société La compagnie immobilière, créée le 19 janvier 2011 par M. Frédéric X, cédant à l'acte de cession, et la société Amadeus immobilier et environnement, actionnaire majoritaire de la société Cyber études, alors que la clause de non-concurrence prévue à l'acte de cession était échue, ne caractérise aucun manquement de la société Cyber études à ses obligations contractuelles, sauf à considérer que la clause de non-concurrence se serait poursuivie, ce qui n'est pas établi.
La rupture, sans préavis, par la société Vinci immobilier, de la relation commerciale établie entretenue entre les parties depuis 2007, nullement justifiée par l'inexécution par la société Cyber études de ses obligations contractuelles ou un cas de force majeure, est donc brutale.
Sur le préjudice :
Il résulte des dispositions de l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce que seuls sont indemnisables les préjudices découlant de la brutalité de la rupture, et non pas de la rupture elle-même.
En cas de rupture de la relation commerciale établie sans préavis, les dommages et intérêts à fixer doivent tenir compte de la durée du préavis qui aurait dû être accordé au regard de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la rupture, et des conséquences dommageables résultant de l'absence de préavis, le préjudice pouvant être évalué en considération de la perte de marge brute escomptée durant la période d'insuffisance du préavis.
L'appelante fait valoir un préjudice de 250 000 euros, au titre de la perte de marge brute durant le délai de préavis qui aurait dû être de deux ans compte tenu de l'ancienneté de la relation commerciale reprise par la société Vinci immobilier, d'une durée de seize ans, et de la situation de dépendance économique de la société Cyber études.
Si en vertu de l'acte de cession, la société Vinci immobilier a repris la relation commerciale qui pré-existait entre la société Cyber études et le groupe Hermès, l'intimée relève avec pertinence que la société Cyber études ne justifie pas de l'ancienneté de ladite relation commerciale, d'une durée prétendue de seize ans, ne produisant aucun élément au débat pour en justifier, qu'en outre, la société Cyber études ayant été immatriculée le 13 mai 2005, soit deux ans et demi avant la cession conclue le 20 décembre 2007, elle ne peut avoir entretenu une relation commerciale d'une durée supérieure à sept ans et deux mois.
Compte tenu de ces éléments et du fait que la collaboration entre les sociétés du groupe Hermès et la société Cyber études a été mise en place à l'initiative de M. Christian X en sa qualité de dirigeant de ces sociétés, il convient de retenir que la relation commerciale entre les parties a duré du 13 mai 2005 au 13 juillet 2012, soit sept ans.
Ainsi que le fait valoir l'intimée, le chiffre d'affaires total réalisé par la société Cyber études avec la société Vinci immobilier est de 3 214 245 euros entre 2008 et 2013 (soit 535 707 euros par an) au vu de l'annexe 2 de la société Cyber études, les grands livres des tiers que celle-ci produit au débat ne mentionnant que les filiales de la société Vinci immobilier et aucun élément ne permettant d'attribuer à la société Vinci immobilier le chiffre d'affaires réalisé par lesdites filiales. Ce chiffre d'affaires représente 57,45 % du chiffre d'affaires total de la société Cyber études, de 5 594 332 euros sur la même période. La situation de dépendance économique alléguée par la société Cyber études n'est donc pas caractérisée.
Compte tenu de l'ancienneté de la relation commerciale, de l'importance du chiffre d'affaires réalisé par la société Cyber études avec la société Vinci immobilier, et de l'absence de dépendance économique de la société Cyber études, le délai de préavis, tenant compte du temps nécessaire à la société Cyber études pour se réorganiser, aurait dû être de six mois.
Au vu des éléments comptables fournis, en particulier des chiffres d'affaires nets et des charges d'exploitation mentionnées dans les comptes de résultat au cours des derniers exercices, aucune attestation d'un expert comptable n'étant produite, il convient de retenir un taux de marge moyen de 16% réalisé par la société Cyber études.
La perte de marge brute moyenne durant la période de préavis qui aurait dû être de six mois, est donc de 42 856,56 euros (535 707 x 16 %) / 2).
En revanche, l'appelante est mal fondée à se prévaloir d'un préjudice supplémentaire d'un montant de 3 000 euros lié à l'absence de notification de la rupture de la relation d'affaires qui aurait entraîné la liquidation de la société Cyber études, la brutalité de la rupture étant déjà indemnisée par le bénéfice de la perte de marge brute escomptée au cours du délai de préavis non respecté.
Le jugement entrepris sera donc infirmé en son intégralité, la cour, statuant à nouveau, condamnant la société Vinci immobilier à payer à Mme Y, ès qualités de liquidatrice amiable de la société Cyber études, une somme de 42 856,56 euros en réparation de son préjudice au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie et la déboutant du surplus de ses demandes.
Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile :
La société Vinci immobilier échouant dans ses prétentions, le jugement entrepris sera également infirmé en ce qu'il a condamné l'appelante aux dépens et au paiement d'une indemnité de procédure, la cour, statuant à nouveau, condamnant l'intimée aux dépens avec les modalités de recouvrement prévues à l'article 699 du Code de procédure civile ainsi qu'au paiement d'une somme de 8 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du même Code.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, Infirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nancy le 7 avril 2017 dans l'intégralité de ses dispositions, Statuant à nouveau, Condamne la société Vinci immobilier à payer à Mme Y, ès qualités de liquidatrice amiable de la société Cyber études et pilotage du bâtiment une somme de 42 856,56 euros en réparation de son préjudice au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie, Déboute Mme Y, ès qualités de liquidatrice amiable de la société Cyber études et pilotage du bâtiment du surplus de ses demandes, Condamne la société Vinci immobilier à payer à Mme Y, ès qualités de liquidatrice amiable de la société Cyber études et pilotage du bâtiment une somme de 8 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Vinci immobilier aux dépens avec les modalités de recouvrement prévues à l'article 699 du Code de procédure civile.