CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 22 novembre 2018, n° 17-11787
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Annie Gurkier Erick Nadjar Commercialisation & Exp Loitation Dressing-Room (Agence Dressing Room) (SARL)
Défendeur :
Ren Mode (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
Mmes Schaller, Du Besset
Avocats :
Mes Sion, Denize
Faits et procédure
Un contrat d'agent commercial, par lequel la société Dressing Room est devenue l'agent commercial de la société Ren Mode, a été signé entre ces deux sociétés le 1er décembre 2011, pour la vente des vêtements 'Marie ...' sur le territoire du nord de la France (départements 27, 67, 60, 80, 62, 59,02) de l'est (départements 08,51,55,57,54,52,10,67,88,68,21,70,25,90) et de Paris ... - centre.
Par courrier en date du 22 décembre 2015, la société Ren Mode a dénoncé le contrat d'agent, à effet du 25 janvier 2016.
Le 22 février 2016, la société Dressing Room a mis en demeure la société Ren Mode de lui payer les commissions dues au titre du 4ème trimestre 2015, ainsi que l'indemnité de rupture à laquelle elle prétendait ; Ren Mode a procédé au règlement des commissions du 4ème trimestre 2015, d'un montant de 50 247,32 euros.
Par acte du 30 mars 2016, la société Annie Gurkier Erick Nadjar Commercialisation & Exploitation Dressing Room a assigné la société Ren Mode devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de la voir condamner au paiement de l'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial et des commissions restant dues.
Par jugement rendu le 12 juin 2017, le tribunal de commerce de Paris a :
- condamné la société Ren Mode à payer à la société Dressing Room la somme de 3.868,32 euros correspondant aux commissions des mois de juillet, août et septembre 2016 ;
- condamné la société Ren Mode à payer la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
- condamné la société Ren Mode à payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA .
Prétentions des parties :
La société Annie Gurkier Erick Nadjar Commercialisation & Exploitation Dressing Room, par conclusions signifiées le 23 octobre 2017, demande à la cour de :
- réformer le jugement du 12 juin 2017 en ce qu'il a débouté la société Dressing Room de sa demande de versement d'une indemnité de rupture du contrat d'agent ;
- condamner la société Ren Mode à payer à la société Dressing Room la somme de 316.587 euros au titre de l'indemnité de rupture du contrat d'agent, assortie des intérêts au taux légal à compter du 22 février 2016 ;
- condamner la société Ren Mode à payer à la société Dressing Room la somme de 200 000 euros, quitte à parfaire, au titre des commissions dues pour la vente des articles dans les magasins à l'enseigne Marie-Sixtine ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la Société Ren Mode à payer à la société Dressing Room la somme de 3.868,32 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 10 novembre 2016 ;
- condamner la société Ren Mode à payer à la société Dressing Room la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- condamner la société Ren Mode à payer à la société Dressing Room la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
La société Ren Mode, par conclusions signifiées le 29 mai 2018, demande à la cour de : A titre principal,
- constater que la société Dressing Room a, postérieurement au contrat signé avec la société Ren Mode, signé un contrat d'agence avec la société Charlise, société concurrente de cette dernière ;
- constater que la société Dressing Room n'a pas sollicité l'autorisation de la société Ren Mode comme imposé par l'article L134-3 du Code du commerce et son contrat d'agent du 1er décembre 2011, caractérisant tant une violation de ses obligations contractuelles et légales mais aussi de son obligation de loyauté ;
- constater la faute grave de la société Dressing Room dans l'exécution de son contrat d'agent rendant impossible le maintien de ce dernier ;
- constater que la société Dressing Room ne disposait d'aucun droit à commission indirecte sur les ventes réalisées auprès des points de vente propre de la société Ren Mode ;
- constater l'absence de préjudice allégué par la société Dressing Room à sa demande de dommages intérêts pour réticence abusive ;
En conséquence,
- confirmer dans l'ensemble de ses dispositions le jugement entrepris ;
- débouter la société Dressing Room, de l'ensemble de ses demandes ;
- débouter la société Dressing Room de sa demande de dommages-intérêts pour réticence abusive ;
A titre subsidiaire, si la cour devait exclure la faute grave de la société Dressing Room,
- fixer l'indemnité de rupture due à la société Dressing Room à la somme de 221.824 euros ;
- condamner la société Dressing Room à payer à la société Ren Mode la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.
Motifs :
Sur la demande d'indemnité de rupture du contrat d'agent
Considérant que l'article L. 134-12 du Code de commerce prévoit qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi ; qu'il perd toutefois le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits ; et que ses ayants droit bénéficient également du droit à réparation lorsque la cessation du contrat est due au décès de l'agent.' ; que l'article L. 134-13 du même Code précise que la réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due dans les cas suivants : 1° La cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial.' ;
Considérant que la société Ren Mode invoque, au soutien du rejet de la demande de l'agent commercial de sa demande d'indemnité de rupture, la faute grave de l'agent commercial qui a contracté avec une société concurrente de Ren Mode ;
Considérant que le contrat d'agent commercial stipule, en son article 7, que 'L'agent commercial pourra effectuer des opérations pour son compte personnel ou pour le compte de toute autre entreprise sans avoir à demander d'autorisation au mandant. Cependant, il s'interdit, sauf accord préalable et écrit du mandant toute activité se rapportant à la fabrication ou à la commercialisation de tous produits susceptibles de concurrencer ceux dont la représentation lui est confiée.' ;
Considérant qu'ainsi que le retient le jugement entrepris dont la cour adopte la motivation complète et pertinente :
- la société Annie Gurkier Erick Nadjar Commercialisation & Exploitation Dressing Room ne conteste pas la signature, postérieurement au mandat de représentation de Ren Mode, d'un contrat d'agent commercial avec la société Charlise qui commercialise des produits de prêt à porter féminin, contrat qu'elle a reconnu dans un courrier en date du 7 janvier 2016 (pièce Ren Mode n°4) ;
- les produits commercialisés par la société Charlise sont concurrents de ceux de la société Ren Mode, peu important que les produits de Charlise ne puissent être confondus avec ceux de Ren Mode dès lors qu'ils sont de même nature et s'adressent à la même clientèle féminine et jeune ;
- le manquement contractuel et le manque de loyauté de Dressing Room sont constitutifs d'une faute grave propre à priver l'agent commercial de son droit à indemnité de rupture ;
Que le jugement entrepris sera, en conséquence, confirmé en ce qu'il a débouté Dressing Room de sa demande d'indemnité de rupture ;
Sur les demandes de commissions
Considérant que l'intimée ne conteste pas le droit de l'agent commercial à percevoir les commissions des mois de juillet, août et septembre 2016 ; que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Ren Mode à payer à la société Annie Gurkier Erick Nadjar Commercialisation & Exploitation Dressing Room la somme de 3.868,32 euros, correspondant à une facture du 10 novembre 2016, avec intérêts au taux légal à compter de cette dernière date ;
Considérant que Dressing Room revendique, par ailleurs, un droit à commissions sur les ventes réalisées dans les magasins Marie-Sixtine situés sur le territoire à l'intérieur duquel elle estime avoir disposé d'une exclusivité (27 rue du Beaurepaire, Paris 10ème, 5 rue de Charonne Paris 11ème, Vincennes) ;
Considérant que, si l'article L. 134-6 du Code de commerce prévoit que l'agent chargé d'un secteur géographique a droit à la commission afférente aux opérations conclues avec des clients appartenant à ce secteur, même si elles l'ont été sans son intervention, c'est à la condition qu'aucune clause contraire ne figure dans le contrat ;
Qu'en l'espèce, le contrat d'agent commercial stipule :
- en son article 2, que 'la société Ren Mode se réserve le droit de :
- vendre pour son compte, sur internet, les produits visés par le présent contrat ainsi que dans le cadre de l'ouverture de points de vente auprès des sites internet et grands magasins tels que Le Printemps, Les Galeries Lafayette, Le Bon Marché, Franck et Fils et autres grands magasins non stipulés.
- sans l'accord de l'agent, exploiter la vente de produits Marie-Sixtine sur le territoire en ouvrant directement ou indirectement par franchise, une ou plusieurs boutiques Marie-Sixtine.' ;
- en son article 4, que 'Clientèle propre du mandant' : 'le mandant indique à l'agent qu'il a déjà constitué sur le territoire une clientèle qui lui est propre s'agissant des clients suivants : la société Le Grand Comptoir, Mademoiselle et Vous, sites en lignes, les grands magasins et tout client de stock organisant des ventes privées' et sites internet et ce sur l'ensemble des boutiques et points de vente en France. / L'agent commercial s'interdit toutes actions commerciales auprès de ces clients et ne percevra aucune commission à ce titre sur cette clientèle.' ;
Qu'ainsi que l'ont retenu les premiers juges, la commune intention des parties a été d'exclure du champ d'application du contrat les ventes réalisées sans l'intervention, en qualité d'agent, de Dressing Room, par les boutiques Marie-Sixtine ouvertes en propre par la société Ren Mode ; que l'appelante ne conteste que les quatre établissements au titre desquelles elle invoque un droit à commission relèvent des points de vente propres de Ren Mode des produits Marie-Sixtine, l'énumération de magasins des articles 2 et 4 n'étant à cet égard pas limitative ('et autres magasins non stipulés' et ouverture 'directement ou indirectement par franchise d'une ou plusieurs boutiques Marie-Sixtine') ; qu'en application des dispositions combinées des articles 2 et 4, les ventes réalisées dans les établissements visés par Dressing Room ne sauraient donner droit à commission ; qu'en conséquence, la décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a débouté Dressing Room de sa demande de ce chef ;
Considérant que, s'il est constant que la société Ren Mode laisse une facture impayée de 3.868,32 euros depuis novembre 2016, Dressing Room ne rapporte pas pour autant la preuve qu'elle a subi, par suite de cette absence de paiement, un préjudice autre que celui réparable par l'allocation des intérêts de retard ; que la cour la déboutera de sa demande de ce chef et infirmera en ce sens le jugement ;
Considérant que l'équité commande de condamner la société Annie Gurkier Erick Nadjar Commercialisation & Exploitation Dressing Room à payer à la société Ren Mode la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ;
Par ces motifs LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a condamné la SARL Ren Mode au paiement de la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts ; Statuant à nouveau du chef infirmé ; Déboute la SARL Annie Gurkier Erick Nadjar Commercialisation & Exploitation Dressing Room de sa demande de dommages et intérêts ; Condamne la SARL Annie Gurkier Erick Nadjar Commercialisation & Exploitation Dressing Room à payer à la SARL Ren Mode la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; Condamne la SARL Annie Gurkier Erick Nadjar Commercialisation & Exploitation Dressing Room aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.