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Décisions

CA Aix-en-Provence, 1re ch. A, 21 novembre 2018, n° 17-11325

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Natura Cosmetic (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Vidal

Conseillers :

Mmes Vignon, Demont

TGI Grasse, du 3 mai 2017

3 mai 2017

Faits, procédure et prétentions des parties :

Suivant acte d'huissier en date du 30 octobre 2013, Mme X a fait assigner la société Natura Cosmetic devant le tribunal de grande instance de Grasse et a réclamé, aux termes de ses dernières conclusions, sa condamnation à lui verser la somme de 320 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 19 août 2013, au visa des articles 1371 et suivants du Code civil et des articles L. 120 et suivants du Code de la consommation, outre 2 500 euros de dommages et intérêts et une somme sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, se prévalant des annonces de gain de 161 000 euros et 159 000 euros figurant dans deux jeux publicitaires adressés par cette société.

Par jugement du 3 mai 2017, le tribunal de grande instance de Grasse a condamné la société Natura Cosmetic à payer à Mme X la somme de 125,35 euros en réparation de son préjudice financier et celle de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral résultant du harcèlement commercial de cette société, avec intérêts au taux légal à compter du jugement, avec le bénéfice de l'exécution provisoire. Il a rejeté toutes les autres demandes et condamné la société Natura Cosmetic à payer à Mme X la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que les dépens.

Il a retenu que les documents publicitaires mentionnaient que l'attribution du gain était soumise à un aléa et que Mme X ne rapportait pas la preuve qu'elle avait pu légitimement croire être l'unique gagnante des jeux. Il l'a donc déboutée de sa demande en paiement des gains. Par contre, il a considéré que l'envoi de plus de 50 plis relatifs aux loteries litigieuses sur moins de cinq mois caractérisait une pratique commerciale agressive confinant au harcèlement du consommateur, au sens de l'article L. 121-6 du Code de la consommation, ce qui justifait la condamnation de la société Natura Cosmetic à verser des dommages et intérêts à hauteur de la somme de 125,35 euros correspondant à la commande passée dans l'espoir entretenu du gain et de celle de 5 000 euros au titre du préjudice moral.

La société Natura Cosmetic a interjeté appel de cette décision suivant déclaration en date du 14 juin 2017.

La société Stefal Holding venant aux droits de la société Natura Cosmetic, suivant conclusions n° 2 notifiées le 24 janvier 2018, demande à la cour de :

- dire recevable et bien fondé de l'appel interjeté par la société Natura Cosmetic aux droits de laquelle intervient désormais la société Stefal Holding à l'encontre du jugement du tribunal de grande instance de Grasse du 3 mai 2017,

- dire que les documents publicitaires reçus par Mme X mettaient en évidence, à première lecture, l'existence d'un aléa s'agissant de l'attribution du prix principal mis en jeu,

- dire que cet aléa a été notamment mis en évidence par le règlement du jeu dont Mme X a pu prendre connaissance,

- dire que Mme X n'a pas pu croire de bonne foi à l'attribution du prix mis en jeu dans le cadre de l'opération dont s'agit,

- dire que la société Natura Cosmetic n'a pris aucun engagement à l'égard de Mme X concernant le versement du prix principal mis en jeu,

- dire que la société Natura Cosmetic n'a commis aucune pratique agressive préjudiciable à Mme X,

- dire que la société Natura Cosmetic n'a commis aucune faute à l'égard de Mme X,

En conséquence,

- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Natura Cosmetic à rembourser à Mme X le montant des commandes passées dans le cadre des opérations commerciales auxquelles elle a participé, soit la somme de 125,35 euros, et à lui payer une indemnité de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral, outre 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- confirmer le jugement entrepris sur les autres points,

- débouter Mme X de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

- la condamner à payer à la société Stefal Holding la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.

Elle fait valoir, pour l'essentiel, l'argumentation suivante :

¤ elle a respecté les dispositions du Code de la consommation applicables avant la loi du 20 décembre 2014 et ressortant des articles L. 121-36 et suivants et des articles R. 121-11 et 121-12 de ce Code, les participants n'ayant aucune obligation de passer commande pour participer et les documents publicitaires comportant une reproduction du réglement du jeu parfaitement lisible;

¤ il n'y a pas lieu de retenir l'existence d'un quasi-contrat en l'absence de l'annonce d'un gain sans mettre en évidence l'existence d'un aléa et en raison de l'absence de croyance légitime du consommateur dans l'attribution du gain, ce qui suppose la bonne foi du participant ; en effet, les messages envoyés à Mme X mettent en évidence qu'il existe un aléa puisque le réglement complet du jeu est reproduit et que l'attention du consommateur est appelée sur sa lecture complète qui détaille précisément le fonctionnement du jeu et permet de comprendre aisément que le prix principal ne peut revenir qu'à la personne dont l'attribution correspond au grand gagnant tiré au sort lors de l'ouverture du jeu ; la mention d'un aléa figure également sur l'enveloppe du jeu, de même que celle de la gratuité du jeu ; en outre, le message annonce que Mme X est seulement éligible à l'attribution du prix et qu'elle dispose de droits potentiels à faire valoir en adressant sa participation ;

¤ le jugement vise par erreur, pour condamner la société Natura Cosmetic pour pratiques commerciales illicites, l'article L. 121-6 du Code de la consommation promulgué en 2016 au lieu de l'article L. 122-11 applicable à l'époque des faits ; en tout état de cause, les loteries ne répondent pas à la définition légale des pratiques commerciales agressives, elles respectent les exigences légales ; la prise de commande n'augmente pas les chances de gain et les messages n'ont pas substantiellement modifié le comportement de Mme X qui n'a passé que 3 commandes pour un montant total de 125,35 euros ; en outre, Mme X n'a pas demandé à ne plus être sollicitée.

Mme X, en l'état de ses écritures contenant appel incident en date du 7 novembre 2017, demande à la cour de :

- infirmer le jugement et condamner la société Natura Cosmetic à lui payer la somme de 320 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 19 août 2013,

- condamner la société Natura Cosmetic à une somme de 4 500 euros de dommages et intérêts pour les préjudices subis par Mme X,

- la débouter de toutes ses demandes, fins et prétentions,

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné "Phyderma" au paiement d'une somme sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et condamner cette société à lui payer la somme de 4 000 euros ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Elle soutient :

¤ que les documents publicitaires ne répondent pas aux exigences des articles R. 121-11 et R. 121-12 du Code de la consommation ;

¤ que l'existence de l'aléa du jeu ne ressort pas, alors qu'au contraire il lui a été envoyé un "certificat national d'attribution de numéro personnel relatif au réglement joint" indiquant "gagnant unique" et les mentions "votre numéro personnel est bien le...", "Vous gagnez 161 000 euros grâce à ce numéro" complétées par un pseudo cachet d'huissier ; que de même lui a été envoyée la confirmation officielle du service des gains reprenant les mêmes éléments ; que la certitude du gain est répétée à de multiples reprises et aucun des envois ne met l'accent sur un jeu de tirage au sort ;

¤ qu'elle a donc pu croire de bonne foi qu'elle avait effectivement gagné les sommes annoncées, la présentation lui laissant comprendre qu'elle était personnellement gagnante du prix présenté comme "unique montant en argent mis en jeu" ;

¤ qu'elle a subi un préjudice de déception ; qu'elle a reçu en quelques mois plus de 50 lettres lui annonçant l'envoi imminent d'un gros chèque, ces envois ne cessant qu'après l'assignation devant le tribunal ; qu'elle a été très pertubée par la tromperie dont elle a été victime.

La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 25 septembre 2018.

Motifs de la décision :

Sur la demande de Mme X en paiement des gains annoncés sur le fondement du quasi-contrat :

Attendu que Mme X réclame le versement des sommes de 161 000 euros et 159 000 euros correspondant aux gains qui lui ont été annoncés par la société Natura Cosmetic, sous l'enseigne Phyderma, dans deux envois publicitaires distincts, le premier en juin 2013 suivi de sa réponse avec une commande de 41,80 euros, le second en juillet 2013 suivi de sa réponse accompagnée également d'une commande de produits ;

Qu'elle invoque les dispositions de l'article 1371 ancien du Code civil en vertu desquelles l'organisateur de loteries publicitaires qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l'existence d'un aléa s'oblige par ce fait purement volontaire à le délivrer ; qu'elle invoque également le non respect des dispositions des articles R. 121-11 et R. 121-12 du Code de la consommation qui font obligation aux publicitaires de joindre à leur envoi un bon de commande, un extrait du règlement, une présentation des lots et un bulletin de participation, chacun sur une partie distincte et de manière particulièrement lisible ;

Attendu que le dossier de Mme X comporte de très nombreuses pièces originales concernant les deux loteries publicitaires dont elle demande le bénéfice ;

Qu'il ressort de la lecture de ces nombreux documents :

- que les envois opérés par la société Natura Cosmetic comportent, sur des feuillets différents ou sur des parties distinctes, le bon de commande, la présentation des lots et le bulletin de participation et que le règlement du jeu y est rappelé de manière complète et parfaitement lisible ;

- que le règlement précise bien que le jeu est totalement gratuit et sans aucune obligation d'achat et que le bon de participation comporte une case "non, je ne commande pas", à cocher par le participant ;

- que les enveloppes contenant les documents indiquent, certes, en petits caractères : "jeu gratuit - attribution soumise à aléa" ;

Que, s'agissant du jeu offrant un lot de 161 000 euros, il est rappelé, en caractères suffisamment lisibles :

- que le prix reviendra au numéro gagnant tiré au sort par huissier,

- qu'il convient de renvoyer le document avec le numéro attribué et que le prix reviendra à Mme X "si vous détenez et renvoyez dans les délais le numéro gagnant", sans qu'il soit jamais indiqué que le numéro attribué à Mme X est ce numéro gagnant ;

Que le formulaire d'attribution nationale 2013 confirmant à Mme X l'attribution du numéro 301 330 749 lui indique : "il lui reste désormais à répondre dans les délais pour que nous puissions effectuer l'enregistrement de ses droits potentiels vis-à-vis de l'unique prix en jeu de 161 000 euros. C'est bien à cette adresse que sera, en cas de gain, envoyé le chèque de 161 000 euros, c'est prévu " [souligné par nous]

Que le règlement du jeu auquel le participant est invité à une lecture attentive indique que chaque destinataire se voit attribuer un numéro de manière aléatoire et que parmi eux figure le numéro gagnant présélectionné à l'occasion d'un tirage au sort dont le résultat donne lieu à un PV d'huissier, seule la personne dont le numéro correspondra au numéro pré-tiré au sort, se verra attribuer le prix si elle participe au jeu ;

Que, s'agissant du jeu offrant un lot de 159 000 euros, il apparaît en tête de tous les documents, la mention 'si vous détenez et renvoyez dans les délais le numéro gagnant, nous vous annoncerons' et il est rappelé :

- sur le formulaire d'attribution protocolaire, que le numéro de participation 300 239 663 est attribué à Mme X et "en cas de gain, le chèque bancaire de 159 000 euros sera dans ce cas envoyé à votre adresse", sans qu'il soit jamais indiqué que le numéro attribué est le gagnant [souligné par nous]

- dans la notification du département des paiements de prix : "Avec le chèque de 159 000 euros ici en jeu, c'est encore une somme considérable qui est à remettre, A vous de jouer !" et "Il est prévu qu'en cas de gain, Mme X, vous recevrez alors à votre adresse le grand chèque de 159 000 euros" [souligné par nous];

Que là aussi le participant est invité à lire le règlement du jeu, reproduit intégralement, qui précise que le numéro mentionné sur le bulletin de participation est attribué de manière aléatoire et figure parmi ceux faisant l'objet du tirage au sort effectué par huissier, seule la personne dont le numéro correspond à celui tiré au sort recevant le prix ;

Attendu qu'il sera donc retenu, en l'état de ces constatations, d'une part que la société Natura Cosmetic a respecté les obligations mises à sa charge par le Code de la consommation concernant la gratuité du jeu et l'information livrée au consommateur participant à la loterie publicitaire, d'autre part que l'existence d'un aléa est suffisamment rappelée dans les documents de participation et que le participant ne peut être trompé sur le fait que l'envoi du bulletin comportant le numéro qui lui a été attribué lui permet de prétendre au bénéfice du tirage au sort effectué par huissier et non d'obtenir obligatoirement et nécessairement le prix mis en jeu ;

Que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a considéré que Mme X ne pouvait légitimement prétendre avoir cru être l'unique gagnante des lots mis en jeu et qu'il l'a déboutée de sa demande en paiement des sommes de 161 000 euros et 159 000 euros constituant les prix mis en jeu ;

Sur la demande de Mme X en paiement de dommages et intérêts :

Attendu que le tribunal a retenu que l'envoi par la société Natura Cosmetic à Mme X de plus de 50 plis relatifs aux loteries publicitaires en moins de cinq mois caractérisait une pratique commerciale agressive au sens de l'article L. 121-6 du Code de la consommation et a condamné cette société à verser à Mme X une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts, outre la somme de 125,35 euros correspondant au montant des commandes passées pendant cette période ;

Qu'il convient d'observer :

- d'une part, que Mme X ne sollicitait, au terme des dernières conclusions visées par le tribunal dans son jugement, que 2 500 euros de dommages et intérêts et ne réclamait pas de somme au titre des commandes passées ;

- d'autre part, que les textes applicables à la période considérée (fin 2013) sont les articles L. 122-11 et L. 122-12 du Code de la consommation dans leur rédaction issue de la loi du 4 août 2008, avant leur abrogation par la loi du 1er juillet 2016 ;

Qu'une pratique commerciale est agressive lorsque, du fait de sollicitations répétées et insistantes, elle altère ou est de nature à altérer de manière significative la liberté de choix d'un consommateur ;

Que le dossier de Mme X contient l'ensemble des documents reçus par la voie postale pendant une courte période de temps, l'invitant à participer à deux jeux publicitaires et lui proposant de passer commande ; que le caractère excessivement répété et insistant des envois a été justement analysé par le tribunal comme confinant au harcèlement commercial et comme de nature à affecter ou à vicier la liberté de choix du consommateur ;

Que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a condamné la société Natura Cosmetic à verser des dommages et intérêts à Mme X en réparation du préjudice subi du fait de ces pratiques, dommages et intérêts qui seront fixés, toutes causes de préjudices confondues, à la somme de 2 500 euros ;

Vu les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

Vu l'article 696 du Code de procédure civile,

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf à modifier le quantum des condamnations prononcées contre la société Natura Cosmetic au profit de Mme X en réparation des préjudices résultant du harcèlement commercial subi ; Statuant à nouveau sur ce point et y ajoutant, Condamne la société Natura Cosmetic à payer à Mme X une somme de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts, toutes causes de préjudice confondues; Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; Condamne la société Natura Cosmetic aux dépens d'appel qui seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile ; Dit n'y avoir lieu de déroger aux régles concernant le tarif des huissiers.