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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 30 novembre 2018, n° 16-24556

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Comité national pour la sécurité des usagers de l'électricité (Association)

Défendeur :

Sea TPI (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lis Schaal

Conseillers :

Mme Cochet-Marcade, M. Picque

Avocats :

Mes Allaire, Coppinger, Bernabe

TGI Marseille, JME, du 3 sept. 2015

3 septembre 2015

Le Comité National pour la Sécurité des Usagers de l'Electricité - Consuel est une association sans but lucratif élaborant et mettant en œuvre les études et actions tendant à l'observation des règles établies en matière de conception et d'exécution des installations électriques intérieures en vue d'assurer la sécurité des personnes et la conservation des biens. Il est un organisme agréé par le ministre du Développement industriel et scientifique pour délivrer aux professionnels installateurs électriciens, les attestations de conformité de leurs travaux d'installation électrique.

Par contrat du 4 février 2011 (plusieurs fois modifié ou complété par avenants), le Consuel a externalisé son service "support informatique" auprès de la SA Sea TPI pour une durée de trois années tacitement renouvelable, pouvant être dénoncé chaque année après la troisième, moyennant un préavis de 4 mois. Le contrat a entraîné le transfert de quatre salariés initialement membres de la direction d'information en poste dans différents sites répartis sur le territoire national. Par lettre recommandée AR du 11 septembre 2013, l'association a dénoncé le contrat pour la fin de la période en cours s'achevant le 6 février 2014.

Le 17 octobre 2014, la société Sea TPI, invoquant notamment l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et en reprochant aussi le débauchage d'un salarié, a attrait le Consuel devant le tribunal de grande instance de Marseille aux fins essentiellement de le faire condamner à lui payer diverses indemnités en réparation de ses dommages.

Par conclusions signifiées le 13 avril 2015, invoquant notamment son siège situé en région parisienne et soutenant que les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce n'étaient pas applicables à une association, le Consuel a :

- à titre principal, décliné la compétence territoriale du tribunal de grande instance de Marseille au profit de celui de Paris,

- subsidiairement, demandé le sursis à statuer jusqu'à ce que des décisions définitives soient rendues dans les litiges opposant la société Sea TPI à Messieurs X et Y, anciens salariés de Consuel, dès lors que la société Sea TPI sollicite aussi une indemnité relative à leur transfert.

La société Sea TPI s'y est opposée en faisant valoir que son action se fondait sur la rupture "abusive et brutale" des relations commerciales dont le préjudice en découlant, qui doit être réparé sur le fondement délictuel, a été éprouvé à son siège social de la Ciotat situé dans le ressort territorial du tribunal de grande instance de Marseille.

Par ordonnance du 3 septembre 2015, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Marseille (10e chambre) a rejeté l'exception d'incompétence, mais a partiellement accueilli la demande de sursis à statuer uniquement sur le poste de préjudice allégué tiré de la fermeture en cours de contrat des sites de Rennes, Puteaux et Toulouse jusqu'à ce qu'une décision définitive intervienne concernant les litiges opposant la société Sea TPI à Messieurs X et Y, et a ordonné la poursuite de l'instance pour le surplus en enjoignant aux parties de conclure au fond pour le 5 octobre 2015, le consuel étant condamné à verser à la société Sea TPI la somme de 200 euros au titre des frais irrépétibles.

Le 30 septembre 2015, le Consuel a interjeté appel de cette ordonnance devant la cour d'Aix-en-Provence qui, après avoir invité les parties de conclure au regard des dispositions de l'article D. 442-4 du Code de commerce, a déclaré le recours irrecevable par arrêt du 22 novembre 2016, en ayant retenu qu'en application de l'article D. 442-4 précité, elle était incompétente pour connaître de la décision rendue par le tribunal de grande instance de Marseille en application de l'article L. 442-6 du Code de commerce.

Le 7 décembre 2016, faisant valoir que l'ordonnance initiale du juge de la mise en état ne lui a pas été signifiée, le Consuel a interjeté appel devant la cour de Paris.

Vu les dernières écritures télé-transmises le 7 mars 2017, par le Consuel appelant, réclamant la somme de 2 500 euros de frais irrépétibles et poursuivant l'infirmation de l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence, tout en demandant à nouveau la désignation du tribunal de grande instance de Paris pour connaître de l'affaire et le rejet de la demande d'indemnité de la société Sea TPI pour procédure abusive ;

Vu les dernières conclusions télé-transmises le 28 mars 2017, par la société Sea TPI intimée, réclamant la somme de 5 000 euros de frais irrépétibles et poursuivant la confirmation de l'ordonnance tout en sollicitant en outre une indemnité d'un montant de 2 000 euros "pour procédure abusive" ;

Sur ce,

Considérant, à titre liminaire, que la compétence matérielle des tribunaux de grande instance n'est pas contestée et que le recours exercé par l'association Consuel ne concerne que la partie de l'ordonnance critiquée portant sur la compétence territoriale du tribunal de grande instance de Marseille ;

Que le Consuel, faisant valoir qu'étant une association à but non lucratif, l'article L. 442-7 du Code de commerce lui interdit d'offrir de manière habituelle des produits à la vente ou des services qui ne sont pas prévus par ses statuts et affirme qu'il n'exerce pas à titre habituel d'activités commerciales par nature, pour en déduire que l'article L. 442-6 du Code de commerce ne lui est pas applicable en ce que ce texte ne concerne (selon lui) que les "producteurs, commerçants, industriels ou personnes immatriculées au Registre des métiers" ;

Mais considérant :

- d'une part, qu'il n'est pas contesté que les statuts du Comité national pour la sécurité des usagers de l'électricité (Consuel) [pièce appelant n° 2], notamment son article 2, lui permettent de délivrer aux professionnels installateurs électriciens, les attestations de conformité de leurs travaux d'installation électrique, aux règlements et normes de sécurité en vigueur

- d'autre part, que l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce invoqué par la société Sea TPI, concerne tous les types de rapports dès lors que la relation porte sur la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service et qu'il convient de relever que, nonobstant son statut d'association à but non lucratif, le Consuel se livre à une activité de service en délivrant aux professionnels les attestations de conformité précitées et qu'il n'a pas contesté qu'il s'en fait rémunérer ;

Que le régime juridique d'association du Consuel, comme le caractère non lucratif de son activité ne sont pas de nature à l'exclure du champ d'application de l'article L. 442-6 précité du Code de commerce ;

Considérant que le Consuel fait aussi valoir que les demandes débordent sur d'autres fondements que la rupture brutale d'une relation établie, telle les demandes d'indemnité de réversion ou de violation d'une clause de non-sollicitation du personnel, pour en déduire que "l'évocation d'une rupture brutale des relations commerciales établies est purement formelle et ne correspond pas à l'objet du litige" ;

Mais considérant que, dès lors que dans le cadre du litige l'une des parties soulève au fond un moyen tiré de l'article L. 442-6 du Code de commerce, la compétence des juridictions spécialisées visées aux articles D. 442-3 et D. 442-4 du Code de commerce, s'applique sans que la juridiction saisie n'ait à apprécier préalablement les mérites dudit moyen et que même s'il y a d'autres demandes ne relevant pas des dispositions de l'article L. 442-6 précité, la compétence des juridictions spécialisées précitées s'impose néanmoins pour l'ensemble du litige ;

Considérant encore que le Consuel se fonde sur l'article 48 du Code de procédure civile réputant non écrites les clauses dérogeant aux règles de compétence territoriale souscrites entre non commerçants pour revendiquer, en sa qualité de défendeur à l'assignation introductive d'instance, la compétence du tribunal de grande instance du lieu de son siège social à Paris et que, pour écarter l'option prévue par l'article 46 du Code de procédure civile en matière délictuelle, il conteste que les préjudices financiers allégués aient nécessairement eu lieu au siège social du plaignant où est ultérieurement constaté [dans la comptabilité] les conséquences financières des agissements invoqués ;

Mais considérant qu'en application de l'article 46 précité, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, le demandeur peut, à son choix, saisir la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi et que la société Sea TPI soutient que le dommage "est constitué par la diminution du chiffre d'affaires" pour en déduire [conclusions page 3] que le dommage "a été subi dans le ressort du tribunal de grande instance de Marseille", soit la juridiction du lieu de son siège social à La Ciotat;

Que si le fait dommageable s'entend de la faute ayant entraîné le préjudice et qu'il n'est pas soutenu que la faute de rupture brutale alléguée à l'encontre de la société Sea TPI ait été commise dans le ressort territorial de Marseille, il convient aussi de relever que le lieu où le dommage a été subi ne coïncide pas forcément avec le lieu du fait dommageable, et que pour une rupture des relations commerciales, le dommage est subi au lieu du siège social de la société victime, soit en l'espèce La Ciotat, situé dans le ressort territorial du tribunal de grande instance de Marseille ;

Qu'en conséquence, l'ordonnance du 3 septembre 2015, du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Marseille (10e chambre) doit être confirmée ;

Que succombant dans son recours, le Consuel n'est pas fondé à solliciter l'indemnisation de ses frais irrépétibles mais qu'il serait, en revanche, inéquitable de laisser à l'intimée la charge définitive des frais irrépétibles supplémentaires qu'elle a dû exposer en cause d'appel ;

Par ces motifs, statuant dans les limites de l'appel, LA COUR, Confirme, l'ordonnance du 3 septembre 2015, du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Marseille (10e chambre), Condamne le Comité national pour la sécurité des usagers de l'électricité aux dépens de l'incident en appel et à verser à la SA Sea TPI la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles, Admet Maître Olivier Bernabe, avocat postulant, au bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.