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Décisions

Cass. com., 28 novembre 2018, n° 17-18.619

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Ingesup (SAS) , Sud ouest campus (SAS)

Défendeur :

Educinvest (Sté) , Brouard (ès qual.) , Philippot (ès qual.) , Ecole supérieure d'informatique de Paris (Association) , Pellegrini (ès qual.) , Paris international campus (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Darbois

Rapporteur :

Mme Poillot-Peruzzetto

Avocat général :

M. Debacq

Avocats :

SCP Richard, SCP Zribi, Texier

T. com. Paris, du 20 janv. 2010

20 janvier 2010

LA COUR : - Donne acte à la société Ingesup du désistement de son pourvoi ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Educinvest, qui a pour activité le développement d'un réseau d'enseignement supérieur privé ayant pour objet la formation d'ingénieurs informaticiens, a conclu le 17 mars 2009, avec la société Sud ouest campus, créée le 9 juin 2009 par MM. Desage et Inquel, deux contrats de franchise pour l'exploitation de deux écoles d'informatique à l'enseigne Supinfo à Bordeaux et Toulouse ; que le 14 décembre 2009, la société Sud ouest campus a saisi un juge des référés d'une demande de condamnation de la société Educinvest au titre d'impayés ; que le 18 décembre 2009, la société Educinvest lui a notifié la résiliation des contrats de franchise, puis l'a assignée aux fins de voir constater l'acquisition de la clause résolutoire stipulée par l'article 12.1 du contrat, subsidiairement, en résolution des contrats aux torts du franchisé, et paiement de diverses indemnités ; que la société Sud ouest campus a demandé la résolution des contrats aux torts du franchiseur et le paiement de différentes sommes ;

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche : - Vu l'article 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article 1184 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ; - Attendu que pour dire que la société Educinvest était fondée à prononcer la résiliation des contrats de franchise aux torts de la société Sud ouest campus et condamner, en conséquence, cette dernière à lui payer diverses indemnités et rejeter ses demandes, l'arrêt retient que le fait, pour le gérant de la société Sud ouest campus, d'adhérer et de participer à la création et à l'animation d'une association de défense des intérêts des franchisés Supinfo, qui utilise ce signe pour regrouper les franchisés dans une association dont l'objet manifeste une défiance certaine à l'égard du franchiseur, constitue un manquement à une obligation essentielle au contrat de franchise, qui a été conclu intuitu personae ; qu'il considère que cet objet révèle en effet une attitude déloyale à l'égard du franchiseur, qui caractérise une " atteinte du franchisé à l'image de marque du réseau ou (un) manquement affectant gravement les intérêts du franchiseur ", au sens de l'article 12.1 du contrat de franchise, et correspond à une hypothèse de résiliation anticipée expressément prévue ;

Qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir en quoi le seul fait de créer et participer à une association de défense des intérêts des franchisés, constitutif d'une liberté fondamentale, caractérisait une atteinte du franchisé à l'image de marque du réseau ou un manquement affectant gravement les intérêts du franchiseur, au sens de l'article 12.1 du contrat de franchise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

Sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche : - Vu l'article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et le principe de la liberté du commerce et de l'industrie ; - Attendu que pour rejeter la demande d'annulation de la clause de non-concurrence et condamner la société Sud ouest campus à payer à la société Educinvest la somme de 623 750 euros en réparation de la violation de cette clause, l'arrêt retient que cette clause apparaît limitée dans le temps, dans l'espace et quant à son objet et qu'une telle limitation apparaît nécessaire à la protection du savoir-faire du franchiseur dans le domaine de la formation d'ingénieurs informaticiens, et proportionnée au vu de la spécificité de l'objet de l'enseignement dispensé transmis au franchisé ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'interdiction d'exercer, directement ou indirectement, en quelque qualité que ce soit, une activité d'enseignement similaire ou identique à celle exercée par le franchisé à la date de conclusion du contrat, de s'affilier à un autre réseau de franchisés concurrent ou de commercialiser sous la forme de franchise ou autrement des enseignements identiques ou semblables, dans un rayon de 150 kilomètres autour de l'école visée au contrat, n'apportait pas une restriction excessive à la liberté d'exercice de la profession de son débiteur, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Et sur le quatrième moyen : - Vu l'article 1382, devenu 1240, du Code civil ; - Attendu que pour condamner la société Sud ouest campus au paiement de la somme de 25 000 euros au titre de la perte de chance de bénéficier d'un franchisé, après avoir relevé que le litige entre les parties était intervenu dans les premiers mois après la signature des contrats de franchise, qu'il n'était pas justifié des démarches engagées depuis pour rechercher un franchisé, que le centre Supinfo à Bordeaux avait été fermé en 2015, soit au moins cinq années après le déclenchement de la clause résolutoire, et qu'il n'était pas fourni d'éléments sur la façon dont ce centre avait été exploité jusqu'à cette fermeture, l'arrêt retient que, néanmoins, le retentissement qu'a pu avoir le litige avec la société Sud ouest campus chez les étudiants est de nature, par le trouble qu'il a pu créer auprès des clients et la présence sur le même marché de l'enseignement supérieur en informatique des écoles de la société Sud ouest campus, à réduire les chances de la société Educinvest dans la recherche d'un nouveau franchisé ;

Qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser une faute de la société Sud ouest campus, qui aurait été à l'origine de la perte de chance qu'elle a indemnisée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

Et vu l'article 624 du Code de procédure civile ; - Attendu que la cassation prononcée sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche, entraîne, par voie de conséquence, celle des chefs de dispositif de l'arrêt, critiqués par le deuxième moyen, rejetant la demande de la société Sud ouest campus en résolution judiciaire des contrats aux torts de la société Educinvest et les demandes en paiement formées contre celle-ci au titre des droits d'entrée et de la perte de marge brute, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : casse et annule, mais seulement en ce qu'il dit que la société Educinvest était fondée à prononcer la résiliation des deux contrats de franchise par courrier du 18 décembre 2009, rejette la demande de la société Sud ouest campus en résolution judiciaire aux torts de la société Educinvest et les demandes en paiement formées contre celle-ci au titre des droits d'entrée et de la perte de marge brute, condamne la société Sud ouest campus au paiement des sommes de 36 000 euros au titre de la clause pénale, de 623 750 euros en application de la clause de non-concurrence, et de 25 000 euros au titre de la perte de chance de bénéficier d'un franchisé, et en ce qu'il statue sur les dépens, l'arrêt rendu le 3 mai 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.