CA Nancy, 1re ch. civ., 26 novembre 2018, n° 17-01192
NANCY
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Prestige Automobile (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cunin Weber
Conseillers :
MM. Ferron, Firon
Avocats :
Mes Welzer, Stephan, Bach Wassermann, Greco
Exposé du litige
Suivant contrat en date du 30 juin 2010, Mme Émilie P. a acquis auprès de la SAS Prestige Automobile un véhicule de démonstration ayant parcouru 500 kilomètres, de marque Fiat, type 500 cabriolet, pour un montant de 16000 euros TTC.
Mme P. ayant rencontré différents problèmes avec ce véhicule, la SAS Prestige Automobile est intervenue à plusieurs reprises entre juillet 2010 et octobre 2012 au titre de la garantie.
Arguant de la persistance des problèmes mécaniques et de l'apparition de nouveaux, Mme P. a sollicité une expertise judiciaire, qui a été ordonnée par le juge des référés du tribunal de grande instance d'Épinal par décision du 19 juin 2013. L'expert judiciaire a déposé son rapport le 2 juillet 2014.
Par acte d'huissier signifié le 10 avril 2015, Mme P. a fait assigner la SAS Prestige Automobile aux fins notamment de résolution de la vente sur le fondement de la garantie des vices cachés.
En réplique, la SAS Prestige Automobile a conclu au rejet des demandes de Mme P. et à la condamnation de cette dernière à lui verser la somme de 2500 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Par jugement contradictoire du 13 décembre 2016, le tribunal de grande instance d'Épinal a :
- débouté Mme P. et la SAS Prestige Automobile de toutes leurs demandes,
- condamné Mme P. aux dépens, en ce compris le coût de 1'expertise judiciaire.
Dans ses motifs, le tribunal relève que Mme P. ne fait état que d'un seul dysfonctionnement dans ses dernières écritures, la présence de carburant dans l'huile de lubrification du moteur. Au vu du rapport d'expertise, le premier juge a considéré que ce problème ne résultait pas d'une défectuosité, mais de l'utilisation faite du véhicule par sa propriétaire, n'effectuant pas assez de kilomètres. Reprenant les constatations de l'expert selon lesquelles Mme P. aurait dû être orientée vers une motorisation essence lors de son acquisition, le tribunal en déduit que Mme P. ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un vice caché pour la débouter tant de sa demande de résolution de la vente que de sa demande subsidiaire d'indemnisation au titre du coût de la remise en état du véhicule. Concernant la demande de dommages et intérêts de la SAS Prestige Automobile, le premier juge relève que Mme P. a rencontré de nombreux problèmes sur son véhicule après son acquisition et qu'il ne peut être considéré que la procédure intentée par cette dernière est abusive.
Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 19 mai 2017, Mme P. a relevé appel de ce jugement.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour sous la forme électronique le 22 janvier 2018, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Mme P. demande à la cour de :
- infirmer le jugement du 13 décembre 2016,
- prononcer l'annulation de la vente qu'elle a conclue avec la SAS Prestige Automobile portant sur le véhicule Fiat 500 en application des articles 1116 ou 1110 du Code civil dans leur rédaction au jour de la vente,
À titre subsidiaire,
- prononcer la résolution de la vente en raison des vices cachés atteignant la chose en application des articles 1640 et suivants du Code civil,
En tout état de cause,
- condamner la SAS Prestige Automobile à lui restituer le prix de vente d'un montant de 16000 euros,
- condamner la SAS Prestige Automobile à lui verser la somme de 10000 euros en réparation du préjudice subi,
À titre infiniment subsidiaire,
- dire que la SAS Prestige Automobile a manqué à son devoir de conseil en ne l'avertissant pas de l'inadéquation du véhicule cédé avec l'usage prévu,
- dire que l'ensemble des désordres mentionnés par l'expert judiciaire dans son rapport, tant pour les défauts du moteur que pour l'étanchéité doivent, en outre, être pris en charge par le vendeur au titre de la garantie contractuelle,
- condamner la SAS Prestige Automobile à lui verser la somme de 8743,68 euros correspondant à la remise en état du véhicule, outre 10000 euros au titre du trouble de jouissance,
- condamner la SAS Prestige Automobile à assurer l'étanchéité du véhicule cédé sous quinzaine et sous astreinte de 500 euros par jour de retard,
En tout état de cause,
- condamner la SAS Prestige Automobile à lui verser la somme de 6000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens, y compris les frais d'expertise judiciaire, dont distraction au profit de la SELARL Welzer & Associés.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour sous la forme électronique le 17 octobre 2017, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la SAS Prestige Automobile demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris,
Y ajoutant :
- constater qu'il n'existe aucun vice caché,
- constater que Fiat France n'est pas mis en cause par Mme P.,
- constater que la demande de remise en état du véhicule est une demande nouvelle irrecevable,
- condamner Mme P. à lui payer la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner Mme P. aux dépens , dont d is t ract ion au prof i t de Me Bach Wassermann.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 13 mars 2018.
L'audience de plaidoirie a été fixée au 10 avril 2018, renvoyée au 1er octobre 2018 et le délibéré au 26 novembre 2018.
Motifs de la décision
Sur les demandes principales
À titre liminaire, il résulte de l'article 565 du Code de procédure civile que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent. En application de ces dispositions, est recevable la demande en annulation de la vente qui tend, comme l'action en résolution introduite en première instance, à l'anéantissement rétroactif de la convention.
Selon l'article 1109 du Code civil dans sa version applicable en l'espèce, 'Il n'y a point de consentement valable si le consentement n'a été donné que par erreur ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol '.
L'article 1116 du même Code dispose : ' Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.
Il ne se présume pas et doit être prouvé'.
À cet égard, il est constant que, outre les manœuvres, un dol peut être retenu à l'encontre d'un cocontractant du fait de mensonges, mais aussi d'une simple réticence dolosive. Ainsi, s'agissant d'un vendeur professionnel, tenu d'une obligation de renseignement et d'information envers l'acquéreur profane, constitue un dol le fait de présenter de manière inexacte les caractéristiques de la chose vendue, ou encore de ne pas révéler à son cocontractant un fait qui, s'il avait été connu de lui, l'aurait dissuadé de contracter.
En l'espèce, il résulte du rapport d'expertise judiciaire que : 'Le carburant circule dans le circuit de lubrification, ce qui risque de créer une usure prématurée du moteur, voire une rupture de celui ci. Le véhicule, équipé d'un moteur Diesel avec un filtre à particules, n'est pas adapté à l'utilisation faite par Mademoiselle P.. La régénération du système de dépollution n'arrive pas à se faire du fait du peu de kilomètres effectués quotidiennement. Lors de son investissement, Mademoiselle P. aurait dû être orientée vers une motorisation essence. Afin de mettre le véhicule en parfait état de fonctionnement et de ne prendre aucun risque de grippage des pièces mécaniques du moteur, vu les nombreuses particules de carburant Diesel dans le circuit de graissage, il est nécessaire d'effectuer le remplacement complet du moteur ainsi que le système du filtre à particules'. L'expert judiciaire en conclut que 'le problème du filtre à particules provient d'un manque de roulage du véhicule, Mademoiselle P. ayant choisi un modèle Diesel sur les conseils du vendeur '.
En d'autres termes, compte tenu de l'utilisation que Mme P. comptait faire du véhicule, son vendeur aurait dû lui conseiller d'acquérir un véhicule essence et non un véhicule diesel, mais aussi l'informer sur les conséquences importantes pour la pérennité du véhicule d'une utilisation insuffisante d'un véhicule diesel.
La SAS Prestige Automobile prétend avoir conseillé à Mme P. d'acquérir un véhicule essence compte tenu de l'utilisation qu'elle comptait en faire et que Mme P. a sciemment acheté un véhicule diesel. Il est observé que l'intimée ne soutient pas avoir mis en garde l'appelante des risques pour le moteur d'une utilisation insuffisante d'un véhicule diesel. Quoiqu'il en soit, Mme P. conteste la délivrance de cette information.
L'article 9 du Code de procédure civile dispose : 'Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention'. En application de ces dispositions légales, il incombe au vendeur professionnel de prouver qu'il s'est acquitté de l'obligation de conseil lui imposant de se renseigner sur les besoins de l'acheteur afin d'être en mesure de l'informer quant à l'adéquation de la chose proposée à l'utilisation qui en est prévue.
En l'espèce, la SAS Prestige Automobile ne verse aux débats qu'une seule pièce tendant à démontrer son affirmation, sa pièce n° 26 intitulée 'attestation de Monsieur A.'. L'auteur de ce document se présente comme un ancien commercial de la SAS Prestige Automobile et atteste que son collègue, M. David C., et lui même conseillaient systématiquement à leur clientèle un véhicule essence pour les personnes n'effectuant pas de longs kilométrages. Dans un dernier paragraphe, écrit ultérieurement compte tenu de son aspect différent, M. A. confirme la délivrance de cette information par M. C. à Mme P. le jour de la vente du véhicule litigieux.
Cependant, ce document ne respecte pas les formes prévues par l'article 202 du Code de procédure civile pour les attestations. En particulier, il n'indique pas qu'il est établi en vue de sa production en justice et que son auteur a connaissance qu'une fausse attestation de sa part l'expose à des sanctions pénales. En outre, ce document n'est pas daté et, surtout, il ne lui est annexé aucune photocopie d'un document officiel justifiant de l'identité de son auteur. À cela s'ajoute le fait qu'il n'est aucunement démontré que l'auteur de ce document était effectivement employé par la SAS Prestige Automobile. Il en résulte que cette pièce n'est pas suffisamment probante et que, en conséquence, la SAS Prestige Automobile ne prouve pas avoir délivré cette information à Mme P..
En outre, il ressort des conclusions de la SAS Prestige Automobile que cette dernière était consciente de devoir délivrer cette information essentielle à son acquéreur. L'intention dolosive est donc également établie.
Compte tenu de ce qui précède, la réticence dolosive est démontrée. Pour justifier l'annulation du contrat, il est nécessaire qu'elle ait présenté un caractère déterminant dans sa conclusion. En l'espèce, il résulte du rapport d'expertise judiciaire que l'utilisation insuffisante du véhicule litigieux 'risque de créer une usure prématurée du moteur, voire une rupture de celui ci'. Il est donc établi que, si cette information avait été délivrée à Mme P. avant la conclusion du contrat de vente, celle ci n'aurait pas acquis ce véhicule.
L'existence d'une réticence dolosive ayant présenté un effet déterminant dans la conclusion du contrat étant prouvée, il y a lieu d'annuler le contrat de vente du véhicule. La SAS Prestige Automobile sera donc condamnée à restituer à Mme P. le prix de vente de 16000 euros.
La partie obtenant l'annulation du contrat peut par ailleurs se voir allouer des dommages et intérêts en réparation de son préjudice. En l'espèce, Mme P. sollicite l'allocation de la somme de 10000 euros au titre de son trouble de jouissance et au titre des intérêts de l'emprunt souscrit pour financer l'achat du véhicule, ainsi que des frais supportés pour transporter ce véhicule à l'occasion des opérations d'expertise.
S'agissant des intérêts de l'emprunt souscrit pour financer l'acquisition du véhicule, ce chef de préjudice ne peut pas être retenu en raison du caractère insuffisamment probant de la pièce n° 16 produite par l'appelante. En effet, Mme P. ne produit pas le contrat de prêt, mais uniquement un document de deux pages ressemblant à un tableau d'amortissement ne mentionnant toutefois ni le nom de l'emprunteur, ni même un numéro de compte. Mme P. justifie en revanche des frais de déplacement du véhicule à l'occasion des opérations d'expertise pour un montant total de 662,40 euros. Enfin, bien que la SAS Prestige Automobile soutienne que Mme P. ne démontre pas l'existence du préjudice de jouissance allégué, ni un lien de causalité, l'expert judiciaire mentionne expressément dans son rapport le risque de rupture du moteur. Il ne peut donc être reproché à l'appelante d'avoir cessé d'utiliser son véhicule et tant le préjudice de jouissance que le lien de causalité avec la réticence dolosive sont démontrés.
En réparation de son préjudice, il sera alloué à Mme P. la somme globale de 5000 euros.
Compte tenu de ce qui précède, il n'y a pas lieu de statuer sur les prétentions présentées à titre subsidiaire sur la garantie des vices cachés et le manquement au devoir de conseil, ni sur les 'demandes' de constatations qui ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du Code de procédure civile.
Il convient en conséquence d'infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté Mme P. de l'ensemble de ses demandes. Le jugement sera en revanche confirmé en ce qu'il a débouté la SAS Prestige Automobile de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et de sa demande présentée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile
Partie perdante, la SAS Prestige Automobile sera condamnée aux dépens, y compris les frais d'expertise judiciaire.
Il résulte de l'équité que la demande présentée par Mme P. au titre de l'article 700 du Code de procédure civile est en partie fondée. Dès lors, il convient de condamner la SAS Prestige Automobile à lui payer la somme de 4000 euros à ce titre.
Pour les mêmes raisons, la SAS Prestige Automobile sera déboutée de sa demande formée sur ce fondement.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, prononcé par mise à disposition au greffe, Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de grande instance d'Épinal le 13 décembre 2016, sauf en ce qu'il a débouté la SAS Prestige Automobile de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et de sa demande présentée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Statuant à nouveau, Prononce l'annulation de la vente conclue entre Mme Émilie P. et la SAS Prestige Automobile portant sur le véhicule de marque Fiat, type 500 cabriolet, immatriculé AV-604- JC ; Condamne la SAS Prestige Automobile à restituer à Mme Émilie P. le prix de vente d'un montant de 16000 euros (seize mille euros) ; Condamne la SAS Prestige Automobile à verser à Mme Émilie P. la somme de 5000 euros (cinq mille euros) à titre de dommages et intérêts ; Condamne la SAS Prestige Automobile à verser à Mme Émilie P. la somme de 4000 euros (quatre mille euros) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute la SAS Prestige Automobile de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la SAS Prestige Automobile aux dépens, y compris les frais d'expertise judiciaire.