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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 5 décembre 2018, n° 16-19171

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Mondadori Magazines France (SAS)

Défendeur :

TDU Diffusion (SAS) , OPS Production (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

T. com. Paris, du 12 sept. 2016

12 septembre 2016

FAITS ET PROCÉDURE

La société Mondadori Magazines France (ci-après Mondadori) est le troisième éditeur de magazines en France, tels, notamment, Pleine Vie, Modes & Travaux, Top Santé et Biba.

La société Trait d'Union Diffusion (ci-après désignée TDU) est une agence de communication, spécialisée dans le marketing des produits de beauté, qui a été créée en 1996 par Madame X. Celle-ci dirige aussi la société OPS Production (ci-après OPS), spécialisée dans la vente à distance de trousses de beauté.

Auparavant, Mme X avait animé une société qui était une bourse d'échanges mettant en relation des sociétés de presse et des fabricants.

Mme X a organisé dès 1998 des opérations promotionnelles consistant à proposer aux lectrices de magazines d'acheter des trousses de beauté, contenant une douzaine de produits de beauté, pour un prix très inférieur (80 % en moyenne) à celui qu'elles auraient dû payer pour acheter les mêmes produits en magasin.

Plusieurs accords ponctuels ont été conclus de 1999 à 2011 entre les sociétés Mondadori et Trait d'Union, puis à compter de 2011 et jusqu'en juin 2013, les relations ont continué entre les parties, sans aucun contrat écrit, sur la base de simples courriels.

Les magazines à la société Mondadori présentaient sur une double page une douzaine de marques de cosmétiques accompagnées d'une trousse ou d'un sac. Les lectrices achetaient la trousse remplie aux sociétés Trait d'Union et OPS qui reversaient une commission à Mondadori.

Les parties ont tenté de renégocier les termes de leur partenariat dès novembre 2012, les rémunérations de Mondadori étant estimées insatisfaisantes par cette société.

En juin 2013, une parution en double page a eu lieu dans le magazine Top Santé, puis, le 22 juillet 2013, la société Mondadori demandait à Mme X un dernier bilan de la Trousse Beauté Top Santé et ajoutait " vu les faibles résultats, nous préférons ne pas en faire en fin d'année ".

Or, le 6 septembre 2013, Mme X était informée par un attaché de presse que le groupe Marie-Claire avait envoyé aux sociétés de produits cosmétiques travaillant avec elle un email publicitaire sur lequel était indiqué : " découvrez nos nouvelles trousses beauty : Modes & Travaux, Pleine Vie et Top Santé " (pièce n° 16 des intimées).

Fin novembre 2013, paraissait en kiosque le n° 1357 de Modes & Travaux daté de décembre 2013 comportant une double page présentant une Trousse hiver " 10 produits de soins de grandes marques + la trousse ". La maquette, formellement et dans son contenu, était quasiment identique à celles d'OPS, le seul changement tenant à la prise de commandes désormais gérée par le magazine. Il paraissait alors à la société OPS et à Mme X que la société Mondadori avait décidé de recourir à un partenaire différent pour la réalisation des opérations "trousses beauté ".

Au cours de l'année 2013, OPS a pu encore réaliser pour Mondadori une opération " trousse beauté " avec le magazine Biba et quelques opérations d'asilage. Les stocks de produits excédentaires ont été écoulés dans des opérations Mini-Box. En juin 2014, une opération de promotion dans Biba a été programmée.

Par courrier du 7 janvier 2014, réitéré par courrier du 11 mars 2014, le conseil des intimées a adressé à la société Mondadori une lettre de mise en demeure d'avoir à les indemniser à hauteur de 800 000 euros pour TDU et OPS, et de 40 000 euros pour Madame X.

Les parties n'ayant pu se mettre d'accord, les sociétés TDU, OPS et Mme X ont fait assigner la société Mondadori, par exploit d'huissier du 21 janvier 2015, devant le tribunal de commerce de Paris. Les saisissantes invoquaient trois fondements : la concurrence déloyale, l'abus de dépendance économique et la rupture brutale.

Par jugement du 12 septembre 2016, le tribunal de commerce de Paris a, sous le régime de l'exécution provisoire :

- condamné la société Mondadori Magazines France à payer à la SARL Trait d'Union Diffusion, la SAS OPS Production et à Madame X ès qualités de liquidateur judiciaire :

* la somme globale de 180 000 euros au titre de la rupture abusive du contrat liant les parties,

* la somme globale de 100 000 euros de dommages et intérêts au titre des abus de dépendance économique,

- débouté les parties demanderesses de leurs demandes de réparation au titre d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme (faute de savoir-faire individualisé et original),

- condamné la société Mondadori Magazines France à payer à chacune des parties demanderesses, la société Trait d'Union Diffusion, la société OPS Production et Madame X, ès qualités de liquidateur judiciaire, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile la somme de 6 000 euros, ainsi qu'aux dépens liquidés à la somme de 129,24 euros.

Vu l'appel interjeté le 22 septembre 2016 par la société Mondadori et ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 12 octobre 2018, par lesquelles il est demandé à la cour de :

vu les articles 1382 du Code civil dans sa version antérieure au 1er octobre 2016, L. 420-2 et L. 442-6 du Code de commerce,

- constater que les sociétés OPS Production et Trait d'Union Diffusion sont deux personnes distinctes,

- constater que Madame X est une personne distincte des deux sociétés qu'elle a créées,

- constater qu'elle n'a jamais eu de relations directes avec la société Mondadori Magazines France mais seulement en sa qualité de gérante de Trait d'Union Diffusion puis de OPS Production,

- constater que le " concept " revendiqué par les intimées n'est pas protégeable et qu'elles ne justifient en outre d'aucun droit sur ce concept,

- dire que les intimées ne démontrent pas la moindre faute de la société Mondadori Magazines France à leur encontre,

en conséquence,

- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes formées au titre de la concurrence déloyale et parasitaire,

- l'infirmer en ce qu'il est entré en voie de condamnation à l'encontre de Mondadori Magazines France en retenant une rupture de relations commerciales établies et un abus de dépendance économique,

à titre subsidiaire,

Si, par impossible, la cour devait estimer que le comportement de la société Mondadori Magazines France a été fautif :

- constater que ni la réalité ni l'étendue des préjudices allégués ne sont démontrées,

- infirmer le jugement en ce qu'il a alloué aux sociétés Trait d'Union Diffusion, OPS Production et à Madame X " la somme globale de 180 000 euros de dommages et intérêts au titre de la rupture abusive du contrat liant les parties ",

- infirmer le jugement en ce qu'il a alloué aux sociétés Trait d'Union Diffusion, OPS Production et à Madame X " la somme globale de 100 000 euros de dommages et intérêts au titre des actes d'abus de dépendance économique ",

très subsidiairement, réduire ces dommages et intérêts à de plus justes proportions,

- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté le préjudice moral comme non démontré ;

en tout état de cause :

- débouter la société Trait d'Union Diffusion, la société OPS Production et Madame X de l'intégralité de leurs demandes,

- condamner solidairement la société Trait d'Union Diffusion, la société OPS Production et Madame X à verser à la société Mondadori Magazines France la somme de 20 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner solidairement les mêmes aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions des sociétés OPS Production, Trait d'Union Diffusion et Mme X, intimées, déposées et notifiées le 8 octobre 2018, par lesquelles il est demandé à la cour de :

vu les articles L. 420-2 et L. 442-6 du Code de commerce, 1241 du Code civil,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a dit et jugé que la relation commerciale entre Mondadori Magazines France et Trait d'Union Diffusion à laquelle s'est substituée OPS Production est une relation commerciale unique, stable et établie,

- juger que cette relation commerciale constituait un mandat d'intérêt commun qui a débuté le 22 janvier 1999,

- juger que Mondadori l'a rompu, en 2013, sans formalisme, sans préavis et sans indemnité,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a dit et jugé que la rupture de cette relation a été brutale,

- fixer à 24 mois le délai de préavis dont aurait dû bénéficier OPS Production,

- juger que OPS Production a droit à une indemnité correspondant à la perte de marge brute qu'elle aurait pu réaliser pendant le préavis,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a dit et jugé que :

* la société OPS Production était dans un état de dépendance économique à l'égard de la société Mondadori Magazines France,

* et qu'en voulant lui imposer des conditions économiques déséquilibrées, Mondadori Magazines France a abusé de l'état de dépendance économique de la société OPS,

- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté les intimées de leur demande relative au parasitisme et Mme X de sa demande de dommages-intérêts,

statuant à nouveau :

- juger que la société Mondadori Magazines France s'est rendue coupable de parasitisme,

- juger que Mme X justifie d'un préjudice personnel,

en conséquence :

- condamner la société Mondadori Magazines France à payer les sommes suivantes :

* 802 848 euros à la société OPS Production au titre de la perte de marge brute pendant les 24 mois de préavis,

* 200 000 euros à la société Trait d'Union Diffusion en réparation du gain manqué du fait de la rupture brutale par Mondadori,

* 100 000 euros à la société OPS au titre de l'abus de dépendance économique

* 150 000 euros solidairement aux sociétés OPS Production et Trait d'Union Diffusion en réparation des agissements de parasitisme,

* 20 000 euros à Mme X en réparation de son préjudice personnel.

- débouter la société Mondadori Magazines France de toute demande plus ample ou contraire,

- la condamner à verser la somme de 20 000 euros à chacune des intimées par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- la condamner en tous les dépens dont distraction au profit de la SCP AFG ;

SUR CE, LA COUR,

Sur la concurrence déloyale et parasitaire

La société Mondadori expose que l'idée de commercialiser un lot de produits cosmétiques inclus dans un accessoire, tel qu'une trousse de toilette ou un petit sac ne présente aucune originalité particulière et a été déjà développée par le groupe Marie-Claire, qui commercialise des trousses Beauty dans les revues Votre beauté, Famili et Cosmopolitan depuis les années 1980. Le partenariat conclu avec le groupe Marie-Claire ne viole aucune exclusivité ou clause de non-concurrence qui aurait été consentie aux sociétés TUD et OPS. Enfin, l'offre promotionnelle parue en décembre 2013 dont les intimées allèguent qu'elle aurait été présentée de façon quasiment identique à leurs offres, ne présente aucun caractère distinctif.

Les sociétés intimées et Mme X répliquent que Mme X est à l'origine du concept et que la société Mondadori s'est immiscée dans son sillage en reprenant des maquettes en tous points identiques aux leurs et en s'appropriant le travail de constitution du modèle économique.

Le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'une entreprise en profitant indûment sans bourse délier de la notoriété acquise ou des investissements consentis.

La victime doit donc démontrer, en premier lieu l'existence d'un travail ou d'un savoir-faire original et en second lieu, le placement du parasite dans son sillage de façon à tirer indûment profit de ses efforts et de son savoir-faire. Il n'est pas en revanche exigé une situation de concurrence directe entre l'auteur et la victime.

A la différence de la concurrence déloyale, qui ne saurait résulter d'un faisceau de présomptions, le parasitisme résulte d'un ensemble d'éléments appréhendés dans leur globalité. Le grief de parasitisme ne sanctionne pas l'exploitation de l'objet mais les circonstances de cette exploitation, manifestant la volonté de se placer dans le sillage d'un concurrent pour profiter de sa notoriété, dès lors qu'elles révèlent un comportement contraire à la pratique loyale des affaires.

Il résulte de l'instruction qu'à compter de mai 1999, Mme X a imaginé et développé un modèle économique basé sur la vente de trousses de beauté contenant une douzaine de produits cosmétiques en dose vente, lesdits produits étant donnés par les fabricants en contrepartie d'une annonce de leurs produits sur une double page dans un magazine.

Or, il n'est pas démontré qu'à cette époque, une autre société ait proposé des trousses contenant des produits en format vente et ait envisagé ce modèle, le magazine Votre Beauté n'offrant à ses lectrices que la possibilité d'acquérir des trousses de beauté contenant plusieurs échantillons de produits cosmétiques, mais non vendus dans le commerce. Le magazine Marie-Claire a offert des produits en doses d'essais (pièce 1 de l'appelante), dès 1990 ; mais ce n'est seulement qu'en juin et novembre 1999, d'après les pièces communiquées, qu'il s'est lancé dans les produits en format vente, soit postérieurement à Mme X.

La société TDU et Mme X étaient donc les premières à concevoir ce concept original, consistant à publier une offre dans les magazines, les sociétés gérant ceux-ci intervenant en qualité de commissionnaires. Mme X, gérante de la société A4 Commercialisation qui était agent de marques de cosmétiques contactées par Mme X pour figurer dans son offre de produits " trousse beauté ", l'a confirmé, dans son attestation du 18 mai 2017 : " Christine X fut la toute première agence à nous proposer de participer en 1999 à des opérations trousses beauté en presse avec des produits au format vente. Nous avons trouvé que le concept était original et surtout séduisant pour les lectrices, ce qui assurait à nos marques une très jolie visibilité dans les pages des magazines. L'offre était tellement séduisante que nous étions sûre que les lectrices s'arrêteraient toutes sur ces doubles pages beauté et puis décideraient ou pas de recevoir l'offre beauté, mais en tout cas elles passeraient suffisamment de temps pour détailler l'offre assurant une belle visibilité à nos marques présentes. " (pièce 27 des intimées).

De même, Mme Z, ancienne directrice du développement du magazine Pleine Vie, a attesté de l'originalité du concept dans les termes suivants : " En 1998, alors Directrice du développement du magazine Pleine Vie, j'ai été approchée par X alors dirigeante de la société TDU Diffusion pour monter dans les pages du magazine de nouvelles opérations : " des trousses beauté ". Il s'agissait de proposer aux lectrices de notre magazine d'acheter une douzaine de produits de beauté en format magasin accompagnée d'une trousse de toilette, le tout à 99 francs, prix très attractif comparé à la valeur réelle de l'offre cosmétique indiquée sous chaque produit. Toute l'originalité de ce concept, consistait dans le fait que les produits de beauté proposés à un prix " découverte " aux lectrices du magazine Pleine Vie n'étaient pas achetés mais offerts par les marques cosmétiques. Nous n'avions jamais monté " ce genre " d'opération et avons été séduits par cette idée novatrice, et décidé de la tester sur un double du magazine Pleine Vie daté mai 1999. " (Pièce n° 4 : attestation de Mme Z). Ce qui était nouveau était non pas le concept de trousses-beauté mais leur contenu : produits en format magasin et non simples échantillons. Par ailleurs, le modèle économique était nouveau.

Le savoir-faire de la société TDU et de Mme X se manifestait en amont par la prospection des marques intéressées, ce qui nécessitait de nombreux échanges avec celles-ci, puis par l'élaboration d'une maquette à paraître dans les magazines concernés, l'élaboration d'un panel de marques, le choix des dates de parution.

Or, fin 2013, la société Mondadori a sous-traité au groupe Marie-Claire l'élaboration des trousses beauté, dont elle est devenue le vendeur, par l'intermédiaire de ses magazines. Le modèle économique a donc changé et s'est traduit par la disparition de l'intermédiaire, TDU, puis OPS.

La société Mondadori s'est immiscée dans le sillage de la société OPS en continuant d'annoncer ses offres " Trousse beauté " tout en reprenant exactement l'identité visuelle des offres de la société OPS.

La simple lecture de la double page parue dans le magazine Modes & Travaux de décembre 2013 permet de constater que la présentation de la " Trousse beauté " (pièces n° 17 des intimées) est quasiment identique aux maquettes qui avaient été conçues par la société OPS (pièce 23) :

- le choix d'une double page,

- en haut à gauche, le nom du magazine,

- en haut, à droite, le prix bradé de la trousse en très grand caractère et le prix global réel des produits la composant barré,

- en haut, à droite, une photographie de la trousse et de tous les produits la composant posés à côté de la trousse,

- un titre " à cheval " sur la double page,

- un coupon réponse en bas à droite avec pour les lectrices, trois possibilités pour passer commande : par téléphone, via internet ou par courrier,

- un mélange entre une couleur vive et le blanc.

L'imitation est allée, pour la société Mondadori, jusqu'à conserver :

- les mêmes magazines Modes et Travaux, Pleine Vie et Top Santé, alors qu'elle édite plus de 30 magazines,

- les mêmes dates, selon une périodicité identique.

La société Mondadori ne peut prétendre qu'elle aurait adopté les mises en page de Marie-Claire, celles-ci étant différentes, et ne comportant pas :

- de photographie de la trousse et de tous les produits la composant posés à côté de la trousse,

- d'un titre " à cheval " sur la double page,

- les mêmes couleurs,

- le même nombre de produits (de 6 à 12).

Elle ne peut davantage prétendre que la reprise à l'identique serait justifiée par l'état du marché, le nombre de magazines susceptibles de porter les publicités pour les trousses-beauté étant limité. En effet, d'autres variables de l'offre auraient pu changer.

Ainsi, en reprenant les maquettes, le travail effectué auprès des sociétés de cosmétiques et plus généralement le concept mis au point par Mme X et ses sociétés, la société Mondadori a économisé un travail de démarchage, de mise en page, de constitution de bases de données, de réflexion sur le calendrier de publication. Cette reprise servile du travail et des investissements réalisés par les sociétés TDU et OPS caractérisent des agissements parasitaires de la société Mondadori. Si le principe est celui de la liberté du commerce, et si l'on peut changer de partenaires économiques et reprendre en interne un service externalisé, ce ne doit pas être au prix d'une appropriation du travail et des idées d'autrui.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

La cour dispose des éléments suffisants pour évaluer à 50 000 euros le préjudice ainsi subi par les sociétés TDU et OPS, somme que la société Mondadori sera condamnée à leur verser.

Sur la rupture brutale des relations commerciales

La société Mondadori prétend que, à supposer les relations continues, ce qui serait démenti par la ponctualité des opérations convenues entre les parties et par le contrat de licence conclu entre OPS et TUD, leur durée serait tout au plus de trois ans, de 2011 à 2014, la société OPS ne pouvant revendiquer le bénéfice de l'ancienneté de la relation de TUD avec elle, s'agissant de deux sociétés distinctes. N'étant liée par aucune exclusivité envers les deux sociétés intimées, elle allègue qu'elle pouvait librement confier des opérations similaires à une autre société sans que cela caractérise une rupture des relations commerciales. Elle prétend qu'elle n'a pas mis fin à ses relations de partenariat avec OPS, cette dernière n'ayant proposé aucune nouvelle offre " trousse beauté " après le mois de juin 2014.

Les intimées prétendent que les relations entre les sociétés Mondadori et OPS sont la continuation de celles avec TDU, de sorte qu'elles remontent à 1999. En rompant sans préavis les relations, ce dont elles ont eu conscience en découvrant qu'elles avaient été évincées au profit d'un partenariat avec Marie-Claire, qui les excluait de facto de la plupart des magazines aptes à accueillir leurs offres commerciales, la société Mondadori est l'auteur d'une rupture brutale, pour laquelle elles sollicitent 24 mois de préavis, compte tenu des caractéristiques du marché en cause, nécessitant de préparer l'offre de 7 à 16 mois avant la date de parution du magazine, et de leur état de dépendance mesuré par le pourcentage du chiffre d'affaires réalisé avec Mondadori.

Si aux termes de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ", la société qui se prétend victime de cette rupture doit établir au préalable le caractère suffisamment prolongé, régulier, significatif et stable du courant d'affaires ayant existé entre elle et l'auteur de la rupture, qui pouvait lui laisser augurer que cette relation avait vocation à perdurer.

Les sociétés s'opposent sur la nature des relations, leur point de départ, et sur l'auteur de la rupture.

Sur la nature des relations et leur point de départ

La société Mondadori prétend que les relations étaient ponctuelles, sans contrat écrit depuis 2011, qu'elle se réservait la faculté de refuser une demande de la société OPS, de reculer une parution ; elle excipe à cet égard des termes d'un contrat de licence conclu entre OPS et TUD, prévoyant expressément l'hypothèse où Mondadori ne relayerait plus les opérations trousses beauté. La société Mondadori relève que les deux sociétés n'ont pu se succéder dans leurs relations avec elle.

Les intimées exposent que les relations ont été continues depuis 1999, d'abord avec TUD, puis avec OPS qui a repris le flux d'affaires.

Il résulte de l'instruction du dossier que le partenariat a pris naissance le 22 janvier 1999, date du premier accord, et a duré jusqu'à la fin de 2013. La preuve en est rapportée par des contrats écrits entre les sociétés TDU et les Editions Taitbout et TDU et le groupe EMAP jusqu'en 2005, la société Mondadori venant aux droits de ces deux sociétés, des parutions régulières (112 au total), systématiquement renouvelées et bi-annuelles dans les magazines Top Santé, Modes & Travaux, Pleine Vie et Biba, des trousses beauté négociées et gérées par TDU puis OPS, et enfin des courriels échangés entre Mme X et Mme A qui attestent de la poursuite par OPS, sans interruption, de l'activité Trousse Beauté de Mondadori initiée par TDU. Le flux d'affaires a été régulier et important, ainsi qu'en atteste l'attestation de l'expert-comptable, Mme B (pièce 22 des intimées).

La société OPS a poursuivi avec la société Mondadori les relations commerciales nouées avec la société TDU, sans aucune interruption, Mme X étant l'interlocuteur unique de Mondadori, les opérations " trousses beauté " étant poursuivies sans changement, ainsi qu'en atteste Mme A, directrice marketing vente à distance, qui représentait Mondadori dans ses relations avec les intimées : " Lorsque j'ai pris mes fonctions, j'ai poursuivi les opérations " Trousse beauté " montées par mes prédécesseurs avec la société Trait d'union Diffusion, puis par la suite avec la société OPS Production " (pièce Mondadori n° 26).

Sur l'auteur de la rupture

La société Mondadori expose qu'elle n'est pas l'auteur de la rupture et que les relations se sont taries après l'échec des négociations entre les parties tendant à rééquilibrer le partage des gains au profit de Mondadori, ses demandes ayant été refusées. A la suite de sa décision de ne pas mener d'opération fin 2013, la société Mondadori prétend que :

- Mme X ne lui a plus adressé la moindre proposition commerciale pour l'année 2014 excepté pour le magazine " Biba ",

- c'était pourtant le mode de fonctionnement habituel, selon lequel les opérations commerciales avaient lieu sur proposition de la société OPS Production, au coup par coup,

- le département VAD de Mondadori Magazines France en a déduit que la société OPS Production ne souhaitait plus collaborer sur ces titres,

- la rupture lui est donc imputable.

Les intimées répliquent que lorsqu'a paru, fin novembre 2013, la double-page présentant une Trousse hiver " 10 produits de soins de grandes marques + la trousse " dans le n° 1357 de Modes & Travaux, elles ont compris que le refus d'éditer leur dernière promotion signifiait la fin des relations commerciales au profit du groupe Marie-Claire, qui s'était déjà manifestée auprès des sociétés de produits cosmétiques.

Aucun écrit n'a été communiqué à la société OPS lui signifiant l'arrêt des relations. Celle-ci résulte de la décision, prise au moins dès le 6 septembre 2013, de la société Mondadori de retenir désormais le groupe Marie-Claire pour les opérations trousses-beauté. La circonstance que deux opérations ponctuelles aient été effectuées en décembre 2013 (pièce 17 des intimées) et en juin 2014 (pièce 31 de Mondadori) ne saurait remettre en cause cette appréciation.

En effet, le groupe Marie-Claire écrivait dans son message aux fabricants partenaires de OPS : " nous nous agrandissons dorénavant pour les trousses Votre Beauté Modes & Travaux, Pleine Vie et Top Santé vous n'aurez plus qu'un seul interlocuteur, un point de livraison pour les produits et pour la remise des éléments techniques de production " (pièce n° 16 des intimées). Les termes " dorénavant (...) vous n'aurez plus qu'un seul interlocuteur (...) ", dénués de toute ambiguïté, exprimaient clairement que Mondadori avait désormais chargé Marie-Claire de démarcher les sociétés de cosmétiques pour les opérations trousses beauté à paraître dans les magazines Modes et Travaux, Pleine Vie et Top Santé, soit précisément la mission confiée à TDU puis OPS depuis 1999.

Cette information, dans un contexte de parution d'une opération trousses-beauté fin novembre 2013, ne pouvait que faire comprendre à la société OPS que le partenariat était terminé, de sorte que la circonstance qu'elle n'ait pas proposé d'autres projets à compter de cette date (en général les propositions de l'automne de l'année n-1 concernaient les parutions de l'année n) ne peut être retenue comme signifiant un arrêt des relations, mais comme la conséquence de cette parution, dûment interprétée dans son contexte.

La rupture est donc bien imputable à la société Mondadori, sans que celle-ci puisse prétendre que l'arrêt des relations incombe au défaut d'offres de la société OPS, l'absence de protestations avant janvier 2014 démontrant que cette société ne contestait pas cet arrêt.

La société Mondadori ne peut s'exonérer en prétendant que les prestations auraient perdu en qualité, ce grief n'ayant jamais fait l'objet de remarques formelles à OPS, et cette allégation vague ne pouvant, en tout état de cause, caractériser une faute d'une gravité suffisante de nature à dispenser du respect d'un préavis. Il en est de même du refus de Mme X, au nom de la société OPS, de revoir le modèle économique de leur coopération, preuve n'étant pas faite de ce que le partenariat n'aurait rien rapporté à la société Mondadori. Le défaut de transparence sur les coûts et marges n'est pas davantage caractérisé.

Intervenue sans préavis, cette rupture est donc brutale.

Sur le préavis

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, c'est-à-dire pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une autre solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont la dépendance économique, l'ancienneté des relations, le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause. Le délai de préavis suffisant s'apprécie au moment de la notification de la rupture.

Les relations ont perduré pendant quinze ans et il résulte de l'attestation de l'expert-comptable ci-dessus mentionnée que le volume d'affaires réalisé avec Mondadori dépassait les 50 %, si l'on exclut les mini box, représentant, à partir de 2012, les ventes de produits invendus sur un site internet dédié. Par ailleurs, il ressort des courriels échangés avec Mondadori que les opérations Trousses de Beauté étaient planifiées entre 6 à 15 mois à l'avance (pièce n° 21 des intimées). Le préavis devant être fixé à la durée nécessaire pour se reconvertir, il convient de prendre en compte ces délais de préparation des opérations, et également de prendre en compte la nécessité pour la société OPS de démarcher d'autres fabricants de produits dermocosmétiques, les partenaires habituels ayant été captés par Marie-Claire et aussi de trouver d'autres magazines féminins, extérieurs aux deux groupes Marie-Claire et Mondadori pour y exposer leurs offres.

Compte tenu de ces éléments, la durée du préavis raisonnable sera fixée par la cour à 12 mois.

Sur l'indemnisation de la société OPS Production

Il est constant que le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture.

La société OPS verse aux débats une attestation de son expert-comptable, Mme B (pièce 22) et une note de commentaire émanant d'elle (pièce 28) d'où il ressort que la marge moyenne annuelle réalisée avec Mondadori s'élève à la somme de 391 759 euros (477 984 + 337 333 + 359 961) / 3 et la marge moyenne mensuelle à 32 646 euros (391 759/12).

La société appelante ne discute pas utilement cette attestation et son commentaire. En effet, il n'y a pas lieu, contrairement à ce qui est allégué par la société Mondadori, d'exclure de cette marge les activités liées à Mondadori, mais relatives à la mini-box et aux autres prestations extérieures aux seules trousses de beauté, correspondant par exemple aux prestations de diffusion des magazines dans des colis VPC, et autres. Cette marge est en effet liée aux relations avec Mondadori et la fin de ces prestations liées résulte précisément de la brutalité de la rupture.

L'expert-comptable a justifié la pertinence de son calcul, en expliquant que la marge qu'elle qualifie de marge brute dans son attestation correspond à la marge sur coûts variables, puisqu'elle en a appliqué les modalités de calcul, déduisant du chiffre d'affaires de la société OPS non seulement les achats de marchandises et de matière première, ainsi que la variation de stocks, mais aussi les autres charges variables, telles les frais d'envoi des colis, les frais de routage, de conception de maquettes et les commissions versées à Mondadori.

Il y a lieu, en conséquence, de condamner la société Mondadori à payer à la société OPS Production la somme de 391 752 euros (12 X 32 646).

Sur l'indemnisation de la société TDU

Les intimées exposent que la rupture brutale du partenariat avec Mondadori a privé TDU des redevances qu'OPS devait lui verser en vertu du contrat de licence d'exploitation signé entre ces deux sociétés. A partir de l'année 2013, cette redevance avait été fixée comme suit : 100 000 euros d'honoraires " en rémunération du concept Trousse beauté, du know how et du Savoir-faire " de TDU ; 100 000 euros d'honoraires en rémunération de la mise à disposition de Mme X et du suivi des opérations.

Mais ce préjudice n'est pas en lien direct avec la brutalité de la rupture, de sorte que la demande sera rejetée.

Sur l'exploitation abusive de l'état de dépendance économique

La société appelante expose que ni l'état de dépendance économique ni son exploitation abusive ne sont démontrés, la société OPS n'étant pas tenue à une relation d'exclusivité et n'établissant pas l'absence de solutions alternatives aux magazines gérés par la société Mondadori, comme les magazines Glamour, Version Femina, les trois groupes Prisma, Marie-Claire et Mondadori ne représentant que 30 % de la presse magazine féminine en 2013 ; enfin, l'abus allégué serait l'arrêt des relations, dont il a été démontré qu'il ne lui était pas imputable. Elle conteste le jugement entrepris qui a estimé que l'abus résultait de sa tentative de négocier en 2012 et 2013 des conditions favorables " qui consistaient notamment à prendre en charge une partie importante des opérations " Trousses de Beauté " qui aurait pu lui permettre de s'approprier tout ou partie des savoir-faire des demanderesses sous bourse délier ".

Les intimées répondent que leur état de dépendance économique résulte de leur impossibilité de trouver de nouveaux partenaires et l'abus des circonstances dans lesquelles la société Mondadori a tenté de les contraindre à modifier leur modèle économique à son profit.

L'article L. 420-2 alinéa 2 du Code de commerce, prohibe, " dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou pratiques discriminatoires visées à l'article L. 442-6 ".

L'abus de dépendance économique peut se définir comme une entrave à la concurrence exercée par une entreprise placée en situation de force sur un marché à l'encontre de ses partenaires commerciaux qui ne peuvent se passer de cette coopération, car elles ne disposent pas de solution alternative dans des conditions économiques raisonnables.

L'application de cet article suppose ainsi d'établir, dans un premier temps, l'état de dépendance économique d'une entreprise à l'égard d'une autre, dans un deuxième temps, l'abus commis par cette dernière, et enfin la potentialité d'affectation du fonctionnement ou de la structure de la concurrence.

La seule circonstance qu'un prestataire réalise une part très importante voire exclusive de son chiffre d'affaires auprès d'un seul fournisseur ne suffit pas à caractériser son état de dépendance économique au sens de l'article L. 420-2 du Code de commerce. Celle-ci, au sens de l'article L. 420-2, alinéa 2, du Code de commerce, résulte de la notoriété de la marque du fournisseur, de l'importance de sa part de marché, de l'importance de la part du fournisseur dans le chiffre d'affaires du revendeur et, enfin, de la difficulté pour le distributeur d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents, ces conditions devant être simultanément remplies, sans que la circonstance que cette situation de dépendance économique résulte de clauses volontairement souscrites puisse être opposée à la victime.

Or, les intimées ne démontrent pas l'absence de solutions alternatives. L'état de dépendance n'est donc pas caractérisé au sens de l'article précité.

En outre, aucun abus n'est établi dans le chef de la société Mondadori, excepté la rupture brutale, qui ne saurait être qualifiée deux fois.

Cette demande sera donc rejetée.

Sur le préjudice personnel de Mme X

Mme X prétend avoir subi un préjudice distinct de celui de ses sociétés, n'ayant pu se reconvertir du fait du caractère soudain de la rupture, et n'ayant pu retrouver de travail, ce qui a eu un impact sur sa retraite.

Mais elle ne justifie pas d'un préjudice distinct dû à la brutalité elle-même, les préjudices allégués résultant de la rupture elle-même.

Cette demande sera donc rejetée.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Succombant au principal, la société Mondadori sera condamnée aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer aux sociétés Trait d'Union Diffusion et OPS Production, ainsi qu'à Mme X la somme de 20 000 euros en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a retenu la brutalité de la rupture, sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile ; et, statuant à nouveau, Dit que la société Mondadori s'est rendu responsable de parasitisme ; Condamne la société Mondadori à payer aux sociétés Trait d'Union Diffusion et OPS Production la somme de 50 000 euros de ce chef ; Fixe le préavis raisonnable à la suite de la rupture brutale à une durée de 12 mois ; Condamne la société Mondadori à payer à la société OPS Production la somme de 391 752 euros ; Déboute les sociétés Trait d'Union Diffusion et OPS Production, ainsi que Mme X du surplus de leurs demandes ; Condamne la société Mondadori aux dépens de l'instance d'appel ; Condamne la société Mondadori à payer à chacune des sociétés Trait d'Union Diffusion, OPS Production et à Mme X la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.