Cass. crim., 4 décembre 2018, n° 17-87.186
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soulard
Rapporteur :
M. Fossier
Avocat général :
Mme Caby
Avocats :
SCP Briard, SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller
LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par la société X, M. Y, M. Z, contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, 7e chambre, en date du 22 novembre 2017, qui, pour usage d'une marque sans l'autorisation de son propriétaire, a condamné la première à 5 000 euros d'amende, le deuxième et le dernier à 1 500 euros d'amende, à la destruction des objets contrefaisants, et a prononcé sur les intérêts civils ; - Joignant les pourvois en raison de la connexité ; - Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, du règlement (CE) n° 1400/2002 de la Commission des Communautés européennes, des articles L. 716-10 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé le jugement entrepris sur la culpabilité de MM. Y et Z et de la société X ;
"aux motifs que sur l'action publique, il résulte des dispositions des articles 1, 2 et 4 du Code de procédure pénale une autonomie des actions civiles et pénales ; il convient à cet égard de rappeler les dispositions de l'article 4 aux termes duquel "L'action civile en réparation du dommage causé par l'infraction prévue par l'article 2 peut être exercée devant une juridiction civile, séparément de l'action publique ; que toutefois, il est sursis au jugement de cette action tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement " ; que la mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu'elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil ; que la procédure pendante devant la cour d'appel de Versailles oppose les trois prévenus n'ont [sic] pas à la SAS Renault mais à la société Renault Retail Group, qui est non seulement une personne morale distincte mais qui de plus n'est pas partie à cette instance pénale ; la demande de renvoi et à défaut de sursis à statuer doit dès lors être rejetée, la procédure commerciale ne pouvant suspendre la procédure pénale ; que la qualité à agir de la SAS Renault en tant que propriétaire de tous les droits attachés aux marques Renault, Renault Sport ainsi qu'au logotype losange n'est pas discutée et est justifiée par les certificats d'enregistrement produit aux débats ; qu'eu égard à la nature et aux modalités de fonctionnement du réseau de distribution sélective qualitative mis en place par le constructeur Renault pour la fourniture des services de réparation et d'entretien des véhicules de sa marque, le contrat d'agent Renault Service liant la société X au concessionnaire la SAS RFA Lyon Alpes Auvergne définit les droits concédés, les conditions de l'agrément ainsi que leurs obligations réciproques notamment en matière d'installation, réparation, pièces détachées, commercialisation des véhicules neufs ou d'occasion, de publicité ; que la durée et les conditions de résiliation du contrat sont prévues à l'article 9 du contrat et notamment 9.1 et 9.2 lesquels stipulent : " 9.1 Le présent contrat est conclu pour une durée indéterminée. La partie qui désirerait y mettre fin devra en prévenir l'autre par lettre recommandée, en respectant un préavis de six mois. Le Concessionnaire devra spécifier les raisons objectives et transparentes de la décision, conformément au règlement (CE) 1400/2002, afin qu'il puisse être vérifié que la résiliation n'est pas intervenue à cause de pratiques qui ne peuvent faire l'objet de restrictions dans le cadre dudit règlement " et " 9.2 Le contrat pourra être résilié de plein droit par lettre recommandée par le Concessionnaire à tout moment et sans préavis en cas de manquement par l'agent Renault Service à ses obligations essentielles résultant notamment des articles 2.2, 3.J, 3.2.b, 4.2, 5.1, 5.4, 5.5, et 7.3 du contrat " ; que certaines des conséquences de la résiliation sont rappelées à l'article 7.3 du contrat ; que la lettre de résiliation du 7 novembre 2011 est fondée sur les manquements de l'agent Renault Service à ses obligations contractuelles et notamment celles définies à l'article 5.5 du contrat, expressément visé dans la lettre ; qu'à l'issue du préavis de huit mois donné dans ce courrier de résiliation, soit à compter du 7 juillet 2012, non seulement la société X n'a pas déposé les enseignes ou signalétiques diverses au nom des marque Renault ou Renault Sport ni cessé l'utilisation des droits concédés sur les marques Renault et le logotype mais elle a continué leur utilisation et ce malgré plusieurs lettres la mettant clairement en demeure de cesser un tel usage ; que le constat d'huissier dressé le 18 avril 2014 atteste de la poursuite de l'emploi d'enseignes ou de signalétiques au nom de la marque Renault ou Renault Sport et plus généralement des signes distinctifs de la marque Renault ; que les deux cogérants de la société X, MM. Y et Z ont reconnu avoir été destinataires de la lettre de résiliation et des lettres les mettant en demeure de cesser l'emploi des marques Renault ; qu'ils ont également admis à l'audience qu'ils avaient persévéré dans l'utilisation de la marque et du logotype, nonobstant ces courriers et ce d'une part pour des raisons économiques et commerciales et d'autre part parce qu'ils contestent le bien-fondé de cette résiliation ; qu'ils ont également expliqué que la perte des garanties constructeur les contraignait à négocier des partenariats avec des garages disposant de l'agrément agent Renault Service ou encore à adresser leurs clients à ces derniers, reconnaissant ainsi implicitement que l'affichage des marques Renault et Renault Sport leur apporte des clients qui en raison de leur comportement ne sont pas mis en mesure de distinguer entre un garage disposant du droit d'utiliser la marque Renault avec les avantages et garanties y afférents et le leur qui a perdu ces droits et garanties ; que bien qu'ayant perdu les droits attachés aux marques Renault et Renault Sport ainsi qu'au logotype losange par l'effet de la résiliation du contrat d'agent Renault Service, MM. Y et Z ont donc délibérément poursuivi l'emploi de cette marque et de ses droits sans l'autorisation de son propriétaire avec la confusion que cela a pu générer dans l'esprit du public ; que de même, par leur comportement et en leur qualité de co-gérants de la société X, ils ont permis que la personne morale dont ils sont les co-gérants poursuive elle aussi l'utilisation de ces marques sans l'autorisation de son propriétaire générant la confusion dans l'esprit du public ; qu'or, il résulte des dispositions des articles L. 713-3 et L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle que ces comportements sont constitutifs du délit d'usage illicite d'une marque sans autorisation de son propriétaire notamment s'il peut en résulter une confusion dans l'esprit du public ce qui est bien le cas en l'espèce ; que le tribunal a exactement déclaré MM. Y, Z et la société X coupable du délit d'usage illicite d'une marque sans autorisation de son propriétaire ; que l'article 132-24 du Code pénal dispose notamment que la juridiction prononce les peines et fixe leur régime en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur ; que la nature, le quantum et le régime des peines prononcées sont fixés de manière à concilier la protection effective de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de favoriser l'insertion ou la réinsertion du condamné et de prévenir la commission de nouvelles infractions ; que M. Y n'a pas été condamné au cours des cinq années précédant les faits pour des crimes ou délits de droit commun aux peines prévues par les articles 132-30, 132-31 et 132-33 du Code pénal ; qu'il peut donc bénéficier du sursis simple ; qu'il est en instance de divorce et a encore un enfant à charge ; qu'il perçoit une rémunération de l'ordre de 3 000 euros par mois ; que M. Z n'a pas été condamné au cours des cinq années précédant les faits pour des crimes ou délits de droit commun aux peines prévues par les articles 132-30, 132-31 et 132-33 du Code pénal ; qu'il peut donc bénéficier du sursis simple ; qu'il est "pacsé" et a 2 enfants à charge. Il perçoit une rémunération de l'ordre de 3 000 euros par mois. L'activité de la société X génère un chiffre d'affaire annuel de l'ordre de 735 000 euros ; que dans le contexte précité et compte tenu des éléments dont elle dispose désormais, infirmant le jugement entrepris, la cour estime devoir condamner M. Y à la peine de 1 500 euros d'amende qui apparaît plus en rapport avec les revenus et les faits de l'infraction qui lui est reprochée ; que dans le contexte précité et compte tenu des éléments dont elle dispose désormais, infirmant le jugement entrepris, la cour estime devoir condamner M. Z à la peine de 1 500 euros d'amende qui apparaît plus en rapport avec les revenus et les faits de l'infraction qui lui est reprochée ; qu'enfin eu égard au chiffre d'affaire annoncé de la société X, et dans le contexte précité, infirmant le jugement entrepris, la cour estime encore, devoir prononcer à l'encontre de cette personne morale la peine de 5 000 euros d'amende qui apparaît plus en rapport avec ce chiffre d'affaire et l'importance de l'infraction qui a perduré de nombreux mois ; que la persistance dans le temps de l'infraction comme sa nature, caractérisée par une utilisation répétée de la marque sans autorisation, justifie qu'à titre de peine complémentaire la destruction, aux frais des prévenus, des objets contrefaisant portant la marque ou la signalétique Renault ou Renault Sport et le logotype losange soit ordonnée ; qu'en revanche, l'existence du litige commercial, pendant devant la cour d'appel de Versailles, justifie le rejet de la demande de publicité du jugement ;
"et aux motifs réputés adoptés qu'il résulte des éléments du dossier que les faits reprochés à M. Y à M. Z et à la société X sont établis ; qu'il convient de les en déclarer coupables et d'entrer en voie de condamnation ;
" 1°) alors que l'infraction d'usage illicite d'une marque sans autorisation ne saurait être caractérisée sans une résiliation régulière du contrat de marque ; que le règlement CE 1400/2002 - arrêté par la Commission des Communautés européennes le 31 juillet 2002 et consacré spécifiquement au secteur automobile - impose que la lettre de résiliation contienne une motivation écrite énonçant les raisons objectives et transparentes ayant motivé ladite résiliation ; qu'à défaut d'une telle motivation, la lettre de résiliation doit être considérée comme nulle et de nul effet et dès lors entraîner la poursuite du contrat de marque, poursuite interdisant la caractérisation de l'infraction d'usage illicite de marque sans autorisation ; que pour confirmer la condamnation des demandeurs du chef cette infraction, la cour d'appel a éludé la question essentielle de la motivation de la lettre de résiliation du contrat d'agent Renault et ainsi refusé d'appliquer le règlement CE 1400/2002 tandis même que de l'application de ce règlement - pourtant directement applicable en droit interne et à l'instance en cours - dépendait la caractérisation de l'infraction pénale soumise à sa juridiction ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
"2°) alors que l'infraction d'usage illicite d'une marque sans autorisation ne saurait être caractérisée sans une résiliation régulière du contrat de marque ; que le règlement CE 1400/2002 - arrêté par la Commission des Communautés européennes le 31 juillet 2002 et consacré spécifiquement au secteur automobile - impose que la lettre de résiliation contienne une motivation écrite énonçant les raisons objectives et transparentes ayant motivé ladite résiliation ; qu'à défaut d'une telle motivation, la lettre de résiliation doit être considérée comme nulle et de nul effet et dès lors entraîner la poursuite du contrat de marque, poursuite interdisant la caractérisation de l'infraction d'usage illicite de marque sans autorisation ; qu'en ne recherchant pas, ainsi qu'elle y était invitée, si la lettre de résiliation du contrat d'agent Renault était suffisamment motivée, en application du règlement CE 1400/2002, avant de confirmer la culpabilité des demandeurs du chef de cette infraction trouvant sa justification dans la validité ou non de ladite résiliation, la cour d'appel a, à tout le moins, privé sa décision de base légale au sens des textes visés au moyen" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'ayant été, selon contrat du 1er février 2005, agréés par le groupe Renault pour vendre et réparer les véhicules mis sur le marché par ce groupe, et utiliser sous diverses formes la marque dont il est propriétaire, la société X et MM. Y et Z, ses co-gérants, ont reçu le 7 novembre 2011 un courrier leur notifiant la résiliation de la convention ; qu'estimant que cette résiliation était irrégulière, la société et ses gérants ont continué d'utiliser la marque Renault pour les produits qu'ils vendaient et les services qu'ils proposaient ; que cités directement devant le tribunal correctionnel par la partie civile, la société et ses gérants ont été déclarés coupables d'usage illicite d'une marque ; qu'ils ont interjeté appel, de même que le ministère public ;
Attendu que, pour dire établi le délit prévu à l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle et réprimé par les articles L. 716-10-c, L. 716-11-1 et L. 716-13 du même code, l'arrêt attaqué retient que les conditions de résiliation du contrat d'agent ont été respectées, que les manquements retenus contre les destinataires sont ceux prévus et sanctionnés par l'article 5-5 dudit contrat, que le préavis contractuel a également été respecté, et que pourtant les deux gérants de la société ont persévéré dans l'utilisation de la marque et du logotype Renault, nonobstant des courriers reçus, et ce pour des raisons économiques et commerciales autant que pour des raisons juridiques ; que les juges en déduisent que les prévenus ont délibérément poursuivi l'emploi de la marque et des droits qui y sont attachés sans l'autorisation de son propriétaire et qu'ils ont permis que la personne morale dont ils sont les co-gérants poursuive elle aussi l'utilisation frauduleuse de la marque par Renault ;
Attendu qu'en statuant ainsi, abstraction faite des motifs surabondants mais inopérants relatifs à l'infraction prévue et réprimée à l'article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle, et dès lors qu'elle constatait l'usage d'une marque au mépris intentionnel du refus de son propriétaire, la cour d'appel a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette les pourvois.