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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 5 décembre 2018, n° 17-08466

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

EMP (SARL)

Défendeur :

EFR France (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Thaunat

Conseillers :

Mmes Gil, Barutel-Naulleau

T. com. Paris, du 3 avr. 2017

3 avril 2017

Faits et procédure :

La société BP France a conclu en novembre 2004 avec la SARL EMP, représentée par Mme X, un contrat de location-gérance portant sur un fonds de station service situé <adresse>.

Ce contrat de location-gérance portait sur la vente de produits pétroliers et assimilés, la vente de tous articles et la prestation de tous services concerant l'automobile et plus généralement tout ce qui répond aux besoin de l'automobiliste, toutes autres ventes ou opérations rendues possibles par le matériel et les aménagements équipant le fonds, ainsi que toutes activités annexes, accessoires ou connexes adjointes par BP ou que BP décidera d'adjoindre en cours de contrat ou dont BP aura préalablement autorisé l'adjonction. Le tout constituant un fonds de commerce indivisible.

Ce contrat stipulait en outre que la distribution de carburant s'effectuait sous la forme d'un mandat.

En août 2010, la société BP a informé la SARL EMP du transfert de la convention à la société EFR France à compter du 1er octobre 2010.

Le 10 décembre 2012, la société EFR France a indiqué à la SARL EMP son intention de rompre les relations contractuelles à compter du 25 juin 2013 à 6h00, la date exacte devant être confirmée trois mois à l'avance. Cette intention a été confirmée par courrier le 6 mars 2013.

La SARL EMP contestant les conditions financières de cette résiliation, notamment, selon elle, l'absence de prise en compte des pertes d'exploitation de l'activité vente de carburants, a mis en demeure, par courrier en date du 7 juin 2013, la société pétrolière de lui faire un proposition de remboursement et lui a demandé à percevoir immédiatement la prime de fin de contrat.

Par courrier en réponse du 16 juillet 2013, la société EFR France a indiqué être disposée à étudier les comptes de résultat de la société, rappelé que la prime de fin de contrat était due sous réserve du respect des obligations, alors qu'elle déplorait le rejet de plusieurs prélèvements automatiques magnétiques (PAM) comprenant notamment des ventes de carburants effectuées pour son compte.

La société EMP a adressé à la société EFR France un chèque d'un montant de 22 173,24 euros, indiquant qu'elle avait retenu sur les sommes dont elle restait redevable la somme de 51 372,98 euros correspondant, selon ses calculs à la prime de fin de mandat.

Par acte d'huissier de justice du 6 novembre 2013, la SARL EMP a assigné la société EFR France devant le tribunal de commerce de Paris.

Par jugement en date du 3 avril 2017, le tribunal de commerce a :

- Dit que les renonciations aux dispositions des articles 1999 et 2000 mentionnées dans le contrat de location-gérance sont régulières et font la loi des parties ;

- Débouté la SARL EMP de ses demandes visant les pertes sur mandat ;

- Débouté la SARL EMP de sa demande au visa de l'article L. 442-6 I 5° du Code du commerce ;

- Condamné la SASU EFR France nouvelle dénomination de la Sasu Delek France à payer à la SARL EMP, en deniers ou quittance valable, la somme de 51 372,98 € augmentée des intérêts au taux légal à compter du présent jugement avec anatocisme, au titre de l'apurement des comptes et ordonné, à la Sasu EFR France nouvelle dénomination de la Sasu Delek France de prononcer la main levée de la garantie à première demande de 50 000 € donnée par le Crédit du Nord dont elle était la bénéficiaire.

- Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 CPC ;

- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires au présent dispositif,

- Ordonné l'exécution provisoire sans caution.

- Condamné la Sasu EFR France nouvelle dénomination de la SASU Delek France aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 153,96 € dont 25,22 € de TVA.

Par déclaration en date du 24 avril 2017, la SARL EMP a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 7 novembre 2017, la SARL EMP demande à la cour au visa des articles 1131, 1999 et 2000 du Code civil, L. 330-3 du Code de commerce, L. 442-6 I, 5° du Code de commerce, de :

- Confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné à EFR France de donner mainlevée de la garantie à première demande au Crédit du Nord.

- Confirmer le jugement en ce qu'il a condamner EFR France à payer à EMP la somme de 51 372,98 euros au titre de l'apurement des comptes entre les parties avec ITL. Statuant à nouveau, de :

- Dire et juger la SARL EMP recevable en ses demandes.

- Dire et juger que EFR France n'a pas fourni d'information sur les précédents exploitants de la station-service et n'a donc pas permis à son contractant de s'engager en connaissance de cause.

- Dire et juger que EFR France ne peut se prévaloir d'une clause limitant sa responsabilité qui contredit la portée d'une obligation essentielle contenue à l'article 3 du préambule des AIP, qu'elle a de surcroît délibérément violé.

- Dire et juger que la société EFR France ne peut pas mettre à la charge de la SARL EMP les pertes du mandat dont cette dernière n'avait pas la maîtrise.

En conséquence,

- Dire et juger que EFR France ne peut pas se prévaloir de la clause de renonciation aux articles 1999 et 2000 du Code civil.

- Condamner EFR France à verser à la SARL EMP la somme de 482 550 euros au titre du cumul des pertes du mandat essuyées pour les exercices 2008 à 2012, somme à parfaire dans l'attente des résultats de l'exercice 2013, augmentée des intérêts légaux avec capitalisation conformément à l'article 1154 du Code civil à compter du 7 juin 2013, date de la mise en demeure pour les pertes du mandat essuyées pour les exercices 2008 à 2012.

- Condamner EFR France à verser à la SARL EMP la somme de 78 629 euros au titre des pertes du mandat essuyées pour l'exercice 2013, augmentées des intérêts légaux avec capitalisation conformément à l'article 1154 du Code civil à compter du 7 novembre 2017.

À titre subsidiaire,

- Nommer tel expert qu'il lui plaira aux frais avancés par EFR France avec la mission de :

- Chiffrer le montant des pertes afférentes à la seule activité de distribution des carburants.

- Déterminer l'origine de ces pertes notamment au regard de la faiblesse des commissions versées par EFR France.

En tout état de cause,

- Débouter EFR France de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

- Condamner EFR France à verser à la SARL EMP la somme de 100 000 € au titre du non-respect de ses obligations et de la rupture des relations contractuelles.

- Condamner EFR France à apurer les comptes entre les parties et de confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné à EFR France de donner mainlevée de la caution donnée par le Crédit du Nord pour le compte de la SARL EMP y ajoutant une astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir et de condamner EFR à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts à ce titre.

- Condamner EFR France à verser à la SARL EMP la somme de 15 000 € au titre de l'article 700 du CPC ; ainsi qu'aux entiers dépens.

- Dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal avec capitalisation conformément à l'article 1154 du Code civil à compter de la demande.

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 7 septembre 2017, la société EFR France demande à la cour aux visas des article L. 442-6-I-5° et L. 110-4 du Code de commerce, de :

- Dire et juger la société EFR France recevable et bien fondée en ses présentes écritures, fins et conclusions,

- Constater que la SARL EMP n'avait pas, au moment de la résiliation du contrat, restitué à EFR France les recettes carburantes due au titre du mandat ;

- Dire et Juger qu'il s'agit d'une faute dans l'exécution du mandat ;

- Dire et Juger qu'une telle faute fait échec au versement de la prime de fin de gérance prévue à l'article 5.3 du contrat de location-gérance ;

En conséquence,

- Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 3 avril 2017 en ce qu'il a condamné EFR France à payer à la SARL EMP la somme de 51 372,98 € au titre de la prime de fin de gérance et à ordonner la mainlevée de la garantie à première demande de 50 000 € donnée par le Crédit du Nord dont elle était la bénéficiaire.

- Condamner la SARL EMP à :

- rembourser à EFR France les sommes versées en exécution dudit jugement notamment celle versée au titre de la prime de fin de gérance, augmentée des intérêts légaux avec anatocisme à compter de la décision à intervenir,

- restituer à EFR France la somme de 51 372,98 € indûment retenue par la SARL EMP au titre des recettes carburant encaissées au nom et pour le compte de EFR France, augmentée des intérêts légaux avec anatocisme à compter de la décision à intervenir.

- Constater que la SARL EMP n'a formulé aucune demande entre la date de la signature du contrat de location-gérance et sa première lettre de réclamation du 28 mars 2013 (de son Conseil) ;

- Constater que cette lettre du 18 avril 2013 de la SARL EMP ne portait que sur les modalités de rupture du contrat de location-gérance ;

- Constater que les premières réclamations de la SARL EMP au titre de ses " pertes " datent du 7 juin 2013.

- Dire et juger que les arguments relatifs (1.) à la Loi Doubin lors de la formation du contrat et (2.) à la renonciation expresse et non équivoque contenue dans ledit contrat, se trouvent prescrits dès le 15 novembre 2009, soit 5 ans après la signature du contrat et, a fortiori, à la date de l'assignation du 6 novembre 2013,

En conséquence

- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 3 avril 2017 en ce qu'il a jugé la SARL EMP prescrite dans tout argument tiré de la violation de la Loi Doubin,

A titre principal

- Dire et juger que EFR France a régulièrement appliqué la loi Doubin et que la SARL EMP ne rapporte pas la moindre preuve que son consentement aurait été vicié ;

- Dire et juger que la SARL EMP a valablement renoncé aux articles 1999 et 2000 du Code civil, lesquels ne sont pas d'ordre public ;

- Dire et juger que la renonciation aux articles 1999 et 2000 ne sont pas en contradiction avec les AIP ;

- Dire et juger que la SARL EMP n'affirme pas et démontre encore moins avoir été victime d'une quelconque discrimination par rapport à d'autres membres du réseau quant à la fixation du prix ;

- Dire et juger que la SARL EMP n'affirme pas non plus et démontre encore moins que les prix fixés par EFR France seraient anormalement supérieurs aux prix du marché ;

- Dire et juger que les AIP ne mettent nullement à la charge de la compagnie pétrolière une obligation de combler les pertes d'exploitation éventuelles du pompiste ;

- Dire et juger qu'aux termes des AIP, la Compagnie pétrolière s'engage simplement à examiner à tout moment la situation d'un pompiste qui estimerait ne pas dégager un résultat d'exploitation positif ;

En conséquence,

- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 3 avril 2017 en ce qu'il a jugé que les renonciations aux dispositions des articles 1999 et 2000 mentionnées dans le contrat de location-gérance sont régulières et font la loi des parties,

- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 3 avril 2017 en ce qu'il a débouté la SARL EMP de l'ensemble de ses demandes visant les pertes du mandat ;

A titre subsidiaire

- Dire et juger que la SARL EMP a commis des fautes de gestion qui font obstacle à toute indemnisation ;

- Dire et juger que la SARL EMP n'apporte pas la preuve certaine des prétendues pertes cumulées au titre du mandat ;

Dire et Juger que le fonds de commerce donné en location-gérance constitue un tout indivisible commis des fautes de gestion qui font obstacle à toute indemnisation ;

En conséquence,

Débouter la SARL EMP de l'ensemble de ses demandes, y compris de sa demande d'expertise ;

A titre infiniment subsidiaire

A titre très subsidiaire et si par extraordinaire la cour devait faire droit à la demande d'expertise, dire et juger que la mission d'un expert devra être la suivante :

- pour la période du 6 novembre 2008 (soit 5 ans avant l'assignation du 6 novembre 2013) au 25 juin 2013 (date de la restitution de la station-service) ;

- dire si la politique de prix à la pompe pratiquée par EFR France pour la station exploitée par la SARL EMP était, ou non, discriminante pour cette dernière, et, dans l'affirmative, si cette discrimination était justifiée ;

- dire, si à son avis, la station-service de la SARL EMP a été, ou non, mise dans l'impossibilité de concurrencer les stations environnantes ;

- dire si les éventuelles pertes d'exploitation de la SARL EMP ont pour seule origine la politique de prix à la pompe ;

- calculer les éventuelles pertes d'exploitation dans le cadre contractuel défini par les AIP ;

- déterminer s'il existe des fautes de gestion de la part de la SARL EMP et de ses gérants ;

- justifier les rejets de PAM correspondant aux ventes de carburants du 12 au 24 juin 2013 pour un montant de 61 941, 94 € alors même que la SARL dégageait des capitaux propres positifs.

Sur la demande d'indemnisation au titre d'une prétendue rupture brutale des relations commerciales

- Dire et juger que EFR France, conformément aux usages et accords interprofessionnels (notamment l'article 3 des AIP), tels qu'ils sont visés par l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, a régulièrement informé la SARL EMP, par lettre du 10 décembre 2012, puis par lettre du 8 mars 2013, de la fin du contrat de location-gérance le 25 juin 2013 ;

- Dire et juger que la SARL EMP ne justifie d'aucun préjudice qui résulterait d'une rupture brutale du contrat de location-gérance,

En conséquence,

Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 3 avril 2017 en ce qu'il a débouté la SARL EMP de sa demande au visa de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce,

En tout état de cause :

Condamner la société EMP au paiement de la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 mai 2018.

Motifs

Sur le défaut d'information pré-contractuelle, la renonciation à l'article 2000 du Code civil et la prescription

Dans le dispositif des ses écritures la société EMP demande à la cour de dire et juger que EFR France n'a pas fourni d'information sur les précédents exploitants de la station-service et n'a donc pas permis à son contractant de s'engager en connaissance de cause et qu'elle ne peut se prévaloir d'une clause limitant sa responsabilité qui contredit la portée d'une obligation essentielle contenue à l'article 3 des AIP, qu'elle a de surcroît délibérément violé.

La société EFR France soulève la prescription de l'action, au motif qu'elle a été introduite plus de cinq ans après la conclusion du contrat.

La société EMP réplique en soulignant qu'elle ne formule aucune demande au titre de la loi Doubin, mais expose une inexécution fautive de la part de BP, qui prive la défenderesse de se prévaloir utilement de l'exclusion des articles 1999 et 2000 du Code civil et souligne qu'en outre cette obligation d'information pré-contractuelle est également stipulée dans les AIP à l'article 1.2, lesquels ne permettent pas à la société EFR d'invoquer une quelconque prescription.

La cour relève que le débat instauré par la société EFR manque de pertinence, dans la mesure où la société EMP ne poursuit pas la nullité du contrat en raison d'un vice de consentement, lié au non-respect de l'information pré-contractuelle prévue par l'article L330-3 du Code de commerce, mais demande de voir dire que la société EFR France ne peut mettre à sa charge les pertes de mandat dont cette dernière n'avait pas la maîtrise.

Quand bien même l'action engagée pour violation de l'obligation pré contractuelle d'information serait-elle prescrite, cela n'aurait pas d'incidence sur l'examen du bien fondé des demandes présentées par la société EMP quant aux pertes qui ont pour origine un élément de l'exploitation dont la maîtrise a été conservée par le mandant et qui ne peuvent être mises conventionnellement à la charge du mandataire, alors même que le mandataire aurait expressement renoncé au bénéfice de l'article 2000 du Code civil.

La cour relève qu'en l'espèce il n'est pas contesté que les prix des carburants étaient fixés par la société pétrolière de même que les conditions de restitution des recettes à l'exploitant et plus généralement les amplitudes horaires du service des carburants et il importe peu à cet égard que les prix aient été fixés comme le soutient la société pétrolière sans discrimination entre les différents membres du réseau ni abus de sa part.

La société EFR France soutient que la société EMP a commis des fautes de gestion dans l'exécution de son mandat. Elle fait valoir que la société EMP s'est opposée aux derniers prélèvements automatiques des "recettes carburants" pour un montant de 73 546,22 euros au 3 février 2014, ce qui a eu pour effet de la priver de la prime de fin de contrat conformément à l'article 5-3 des AIP, que cependant, la société EMP estimant que cette prime lui était due a retenu son montant et ne lui a reversé que la somme de 22 173,24 euros, de sorte qu'elle reste débitrice de la somme de 51 372,98 euros ; qu'en s'abstenant de restituer l'ensemble des recettes carburants, elle a commis une faute grave. Par ailleurs, elle a commis des fautes de gestion en décidant de la distribution de 100 % du résultat d'exploitation pour l'exercice 2005 et l'exercice 2006 et de 93 % lors de l'exercice 2007. Rappelant que le fonds de commerce donné en location-gérance constitue un tout indivisible, elle conteste le fait que la société EMP aurait subi des pertes d'exploitation, alors même que ses comptes annuels font apparaître un résultat positif en 2012, le versement de salaires annuels confortables, le paiement d'une prime de gratification au gérant.

La cour relève qu'il importe peu que les bilans et comptes d'exploitation communiqués fassent apparaître un résultat d'exploitation positif, dans la mesure où ces comptes intègrent non seulement, les commissions versées par la compagnie pétrolière mais également le reste des activités développées par l'exploitant et compris dans le fonds donné en location-gérance. En effet, bien qu'il soit indiqué dans l'acte que le fonds est indivisible, il est également indiqué en page 7 de l'acte que le "gérant exercera les activités commerciales de diversifications dans le cadre de la présente gérance de fonds de commerce en son nom, à ses risques, périls et profits exclusifs", alors même que la vente de carburant est soumise dans ledit contrat au régime spécial du mandat. Dans ces conditions, la compagnie pétrolière ne peut soutenir que les pertes du mandat, causées par sa faute, doivent être compensées par les bénéfices dégagés par les autres activités developpées sur le site, aux risques et périls de l'exploitant.

Par ailleurs, seules les fautes commises dans leur gestion par les exploitants à l'origine des pertes d'exploitation dans le cadre de l'exécution du mandat sont de nature à exonérer le mandant de sa responsabilité.

En l'espèce, il ne peut sérieusement être reproché aux gérants aucune faute de gestion, quand bien même des dividendes auraient été distribués les trois premières années et des salaires confortables servis aux gérants entre 2007 et 2012, ces mesures n'ayant conduit à des pertes que pour les exercices 2009 et 2010, pour lesquelles aucun dividende n'a été distribué, les autres exercices ayant toujours dégagé des résultats d'exploitation positifs.

Par ailleurs la faute qu'aurait commise la société en refusant les prélèvements automatiques sur les recettes carburants, n'est intervenue qu'en fin d'exercice, alors que les relations entre les parties étaient tendues et n'ont aucun rapport avec une faute de gestion commise en cours d'exécution du mandat qui seule peut être retenue pour exonérer le mandant.

Des documents que produit l'exploitant afférents à la seule vente de carburants, il ressort qu'il a subi des pertes ; cependant en l'état, ces documents sont insuffisants pour démontrer que les pertes alléguées résultent soit de l'insuffisance des commissions versées, soit de la fixation d'un prix des carburants ne permettant pas raisonnablement de faire face à la concurrence, soit de la hausse excessive de la redevance de location-gérance, que l'ampleur des pertes subies ne peut davantage être établie ; que les documents produits ne ventilent pas entre les différentes activités exploitées. En conséquence, il convient d'instaurer une mesure d'expertise ainsi qu'il sera précisé au dispositif pour permettre de déterminer le montant des pertes financières liées à la seule vente de carburants et leur imputabilité soit à la politique de prix suivie par la société pétrolière ou aux conditions imposées au détaillant soit à une éventuelle faute de gestion de l'exploitant.

Les dettes éventuelles de la société EMP, s'agissant de la restitution des recettes liées à la vente de carburant devront s'imputer sur les créances de la société EMP ; le préjudice résultant pour la société EFR du retard de paiement sera lui-même examiné lors de la fixation de sa créance.

Sur la garantie à première demande

Il sera sursis à statuer sur la demande de main levée de la garantie à première demande de 50 000 euros donnée par le Crédit du Nord dont la société EFR France est bénéficiaire, jusqu'à ce que le compte définitif soit fait entre les parties par l'arrêt de la cour statuant après dépôt du rapport d'expertise.

Sur la prime de fin de contrat :

La société EMP rappelle que l'article 5.3 des AIP institue une prime de fin de contrat, qu'en l'espèce la société EFR France a refusé de régler cette prime, alors qu'elle était due si bien qu'elle a effectué une compensation avec les sommes dont elle restait redevable envers la société EFR France. Elle s'oppose à la restitution du montant de cette prime.

Sous réserve que l'expertise ne fasse apparaître des fautes de gestion de nature à priver la société EMP de cette prime de fin de contrat, la société EMP peut y prétendre.

Sur la rupture brutale des relations et ses conséquences :

La société EMP expose que le préavis de six mois qui lui a été accordé est insuffisant compte tenu de la durée des relations contractuelles la liant à la compagnie pétrolière. Elle rappelle que ses gérants, qui avaient également fondé la société Mareli, pour l'exploitation d'une seconde station service appartenant à la même compagnie pétrolière, ont vu dénoncer les deux contrats pour la même date, ce qui les a laissés ensemble sans ressources.

La société EFR France, qui s'oppose à toute indemnisation de ce chef, fait valoir qu'elle a accordé un préavis de six mois à la société conformément aux dispositions de l'AIP, alors même que l'article L. 442-6-I-5° dispose que ne peut être rompue "brutalement, même partiellement, une relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce par des accords interprofessionnels (...) à défaut de tels accords (...)".

L'existence des Accords professionnels préconisant une durée de préavis de six mois ne dispense pas de rechercher si le préavis qui respecte le délai minimal tient compte de la durée des relations et de la dépendance économique. En l'espèce, la relation contractuelle ayant duré 9 ans et la rupture ayant été concomitante avec la fin de la relation contractuelle, concernant une autre SARL composée des mêmes associés, dans la dépendance économique exclusive de la compagnie pétrolière, le préavis de 6 mois qui a été accordé était insuffisant, un préavis de 12 mois, aurait été préférable. En conséquence, la rupture du contrat a été brutale et ouvre droit pour la SARL à une indemnisation, que la cour évalue à la somme de 12 000 euros.

Sur les autres demandes :

Il convient de surseoir à statuer sur les demandes présentées en application de l'article 700 du Code de procédure civile et de réserver les dépens.

Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement et contradictoirement, Infirme le jugement entrepris Statuant à nouveau et y ajoutant, Condamne la société EFR France à payer à la SARL EMP la somme de 12 000 € à titre de dommages intérêts pour rupture brutale de la relation contractuelle,Ordonne une expertise et commis pour y procéder : M. Z avec mission après avoir analysé les documents remis par les parties, - dire si l'exploitation de la station service donnée en location-gérance était déficitaire et préciser depuis quelle date, - dire s'il existait dans le même temps des pertes d'exploitation sur l'activité de vente de carburants sous mandat et dans l'affirmative, les chiffrer et en déterminer dans la mesure du possible les causes et l'origine (insuffisance des commissions versées, insuffisance du montant du prix des carburants ne permettant pas de faire face à la concurrence, augmentation de la redevance ou fautes éventuelles de gestion), - faire le compte entre les parties. Dit que l'expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du Code de procédure civile et qu'il déposera l'original de son rapport au greffe de la 3e chambre du pôle 5 (5-3) de la cour d'appel de Paris avant le 5 décembre 2019 ; Fixe à la somme de 3 000 euros la provision à valoir sur la rémunération de l'expert, somme qui devra être consignée par la SARL EMP à la Régie de la cour d'appel de Paris, [...] avant le 9 janvier 2019, Dit que, faute de consignation de la provision dans ce délai, la désignation de l'expert sera caduque et privée de tout effet ; Dit qu'un des magistrats de la chambre sera délégué au contrôle de cette expertise, Renvoie l'affaire à l'audience du jeudi 10 janvier 2019 à 13 heures pour contrôle du versement de la consignation ; Renvoie l'affaire après dépôt du rapport de l'expert, à une audience de la 3e chambre du pôle 5 (5-3) de cette cour à la date qui sera fixée ultérieurement par le magistrat chargé de la mise en état ; Surseoit à statuer sur les demandes en paiement de la prime de fin de contrat, Sursoit à statuer sur le surplus des demandes ; Réserve les dépens.