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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 12 décembre 2018, n° 16-22323

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

P2M Shoes (SARL)

Défendeur :

Besson Chaussures (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Avocats :

Mes Vignes, Vidal, Cheval

T. com. Nancy, du 14 oct. 2016

14 octobre 2016

Faits et procédure

Vu le jugement rendu le 14 octobre 2016 par le tribunal de commerce de Nancy qui a :

- dit que les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ne s'appliquaient pas lors de la cessation des relations entre un mandant et son gérant-mandataire,

- dit que la société P2M shoes a commis une faute grave justifiant la résiliation sans préavis de la convention de gérance-mandat par la société Besson chaussures,

- déclaré en conséquence la société P2M shoes mal fondée en ses demandes et l'en a déboutée,

- condamné la société P2M shoes aux dépens et à payer la somme de 3 500 euros à la société Besson chaussures par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu l'appel relevé par la société P2M shoes et ses dernières conclusions notifiées le 30 mai 2017 par lesquelles elle demande à la cour, au visa des articles L. 442-6, I, 5° et L. 146-4 du Code de commerce, de l'article 1104 du Code civil ainsi que des articles 515 et 700 du Code de procédure civile, d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et de :

- déclarer illicite, nulle et de nul effet la clause de non-concurrence insérée dans la convention de gérance-mandat la liant à la société Besson chaussures,

- dire qu'elle ne s'est rendue coupable d'aucune violation de son obligation de non-concurrence et n'a commis aucune faute grave justifiant la résiliation sans préavis de la convention par la société Besson chaussures,

- en conséquence, condamner la société Besson chaussures à lui payer, à titre d'indemnité contractuelle de résiliation, la somme de 126 438 euros avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation,

- dire que la société Besson chaussures a rompu de manière brutale et vexatoire les relations commerciales établies avec elle,

- condamner la société Besson chaussures à lui payer les sommes suivantes :

* 262 791,20 euros au titre des gains manqués compte tenu de la privation d'un préavis de 14 mois,

* 50 000 euros, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice moral distinct causé par la rupture brutale et vexatoire des relations,

- condamner la société Besson chaussures aux entiers dépens et à lui payer la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 25 septembre 2017 par la société Besson chaussures qui demande à la cour, au visa des articles L. 146-1 et suivants du Code de commerce, des articles 1134 et 1147 du Code civil ainsi que de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions, débouter en conséquence la société P2M shoes de toutes ses demandes,

- condamner la société P2M shoes aux entiers dépens et à lui payer la somme de 7 500 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Sur ce, LA COUR,

Par un premier contrat de mandat du 1er novembre 2004, la société Besson chaussures a confié à la société P2M shoes l'exploitation de son fonds de commerce de vente d'articles chaussants ou textiles et accessoires, situé ZAC des Charrières - 21800 Quetigny. Trois avenants à cette convention ont été signés les 1er septembre 2005 et 17 septembre 2007.

Le 25 septembre 2008, un nouveau contrat de gérance-mandat, à durée indéterminée, a été conclu par lequel, conformément aux articles L. 146-1 à L 146-4 du Code de commerce dans leur rédaction issue de la loi du 2 août 2005, ainsi qu'aux articles 1984 et suivants du Code civil, la société Besson chaussures a donné mandat à la société P2M shoes, qui l'a accepté, de gérer pour son compte son fonds de commerce, les parties définissant ensemble annuellement les objectifs de développement du volume des ventes à atteindre par le mandataire et la rémunération de celui-ci étant versée sous forme d'une commission proportionnelle au chiffre d'affaires annuel prévisionnel, une commission minimale étant garantie pour chaque exercice.

L'article 2.4 de cette convention, intitulé "non-concurrence", stipulait notamment :

"Le mandataire est libre de conclure tout autre contrat de gérance mandat ainsi que tout autre contrat d'exploitation d'un fonds de commerce, sous quelque modalité que ce soit, ou encore tout autre contrat relatif à la distribution de produits ou de services, dès lors que de tels contrats n'ont pas pour objet la gestion d'un fonds de commerce ayant une activité concurrente à celle de Besson chaussures, et que, plus généralement, ces éventuels contrats ne portent pas atteinte à la nécessaire exécution de bonne foi de la présente convention. En effet, pendant toute la durée du présent contrat, en vertu de l'obligation de loyauté qui lui incombe, le mandataire ou ses représentants légaux s'interdisent de s'intéresser directement ou indirectement, à la vente ou à la promotion de produits concurrents de ceux faisant l'objet du présent contrat et de collaborer, sous quelque forme que ce soit, à une entreprise concurrente à celle du mandant".

A l'article 3.5.2, il était prévu que :

- chacune des parties pourrait mettre fin au contrat en avertissant l'autre de sa décision par lettre recommandée avec accusé de réception un mois avant la date effective de résiliation, ce délai étant augmenté en fonction de la durée de la relation entre les parties et porté à 2 mois si la durée de la relation excédait 10 ans,

- en cas de résiliation par le mandant pour faute grave du mandataire, celle-ci prendrait effet le jour même de la réception par le mandataire de la lettre recommandée avec accusé de réception lui notifiant la résiliation du contrat ainsi que la faute grave retenue à ...".

L'article 3.5.3 relatif à l'indemnisation de la résiliation du contrat par le mandant mentionnait que :

- si la durée des relations entre les parties était supérieure à 10 ans, le mandant verserait au mandataire une indemnité égale au montant des commissions acquises pendant les 7 mois précédant la résiliation,

- la date prise en compte pour déterminer le début des relations entre les parties afin de calculer l'indemnité de résiliation était celle de la première convention conclue entre les parties,

- aucune indemnisation ne serait due au mandataire si le mandant mettait fin au contrat pour faute grave du mandataire.

Par lettre de son conseil du 20 mars 2015, la société P2M shoes s'est plainte auprès de la société Besson chaussures de divers manquements à ses obligations contractuelles, en particulier du non-remboursement de charges d'exploitation et du délaissement du magasin dont l'aménagement datait de 1988 alors que la concurrence était de plus en plus forte en raison de l'implantation de nouveaux magasins sous les enseignes Chaussea et Halle aux chaussures.

Dans sa réponse du 7 avril 2015, la société Besson chaussures a dénié les griefs invoqués. Puis, par lettre recommandée avec avis de réception du 17 août 2015, elle a notifié à la société P2M shoes la résiliation du contrat pour faute grave en précisant que :

- elle venait de découvrir que la société P2M shoes était l'associée unique de la société Top run 21 dont les statuts avaient été déposés le 13 mars 2015 et qui avait pour objet l'exploitation d'un fonds de commerce de vente au détail de chaussures de sports-loisir et accessoires s'y rapportant, à savoir l'exploitation d'une franchise Courir Galerie commerciale Grand Quetigny - 21800 Quetigny,

- il s'agissait d'une violation dissimulée à l'obligation essentielle de non-concurrence et d'un manquement à l'obligation de loyauté,

- la société P2M shoes devait libérer les lieux pour le 25 août 2015.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 19 août 2015, se disant choquée par la brutalité et la mauvaise foi de la lettre de résiliation, la société P2M shoes a contesté toute violation de la clause de non-concurrence et indiqué qu'elle libérerait les lieux pour le 25 août 2015 sans que cela vaille acquiescement aux conditions injustifiées de la rupture.

C'est dans ces circonstances que le 12 novembre 2015, la société P2M shoes a fait assigner la société Besson chaussures devant le tribunal de commerce de Nancy pour lui réclamer la somme de 126 438 euros au titre de l'indemnité contractuelle de résiliation outre des dommages-intérêts pour rupture brutale et vexatoire des relations commerciales établies. Elle a été déboutée de toutes ses demandes par le jugement déféré qui a retenu, d'une part qu'elle avait violé la clause de non-concurrence et manqué à son obligation de loyauté, d'autre part que les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ne s'appliquaient pas à la cessation des relations entre mandant et mandataire.

La société P2M shoes, appelante, soulève en premier lieu la nullité de la clause de non-concurrence ; elle prétend d'abord que cette clause constitue une atteinte prohibée à l'article 101 §1 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) qui interdit et déclare nuls de plein droit les accords qui empêchent, restreignent ou faussent la concurrence sauf si, en vertu de l'article 101 § 3, ces accords produisent des avantages suffisants pour compenser leurs effets anti-concurrentiels. Elle expose qu'aux termes du Règlement 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010, certaines catégories d'accords bénéficient de l'exemption sur les accords verticaux, qu'il en est ainsi des contrats de franchise mais que rien de tel n'a été jugé pour les contrats de mandat-gérance, lesquels ne peuvent être assimilés aux contrats d'agence commerciale. Elle soutient ensuite que la clause est illicite au regard du droit interne dès lors que :

- l'activité interdite n'est pas déterminée avec suffisamment de précision, en l'absence de description sur l'activité précise de la société Besson chaussures et plus spécifiquement sur la gamme de produits qu'elle diffuse,

- elle est disproportionnée à l'objet du contrat ou aux intérêts légitimes à protéger, comme étendu aux produits textiles alors que la société Besson chaussures opère sur le segment très précis du marché de la chaussure, comme portant atteinte au principe constitutionnel de la liberté du commerce et de celle d'entreprendre et comme ne comportant aucune limitation dans l'espace.

Mais la société Besson chaussures réplique, à juste raison, que l'objectif du Règlement 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 est de déterminer les types d'accords verticaux dont on peut présumer avec suffisamment de certitude qu'ils remplissent les conditions de l'article 101 §3 du TFUE et bénéficient d'exemptions " par catégories ", que si une clause de non-concurrence ne remplit pas les conditions du Règlement pré-cité, elle n'en devient pas pour autant contraire aux dispositions de l'article 101 §1 du TFUE, mais qu'il convient de vérifier si la clause de non-concurrence litigieuse constitue une restriction de concurrence susceptible de bénéficier d'une exemption dite " individuelle " sur le fondement de l'article 103 §3 du TFUE, comme étant strictement proportionnée, au regard des activités interdites et de ses dimensions temporales ou spatiales, aux objectifs licites à atteindre.

La société Besson chaussures fait également justement valoir que la clause de non-concurrence insérée dans le contrat liant les parties est suffisamment précise et limitée dans le temps. En effet, elle interdit au mandataire, pendant la durée de la convention, de conclure tout contrat qui aurait pour objet la gestion d'un fonds de commerce ayant une activité concurrente à celle de la société Besson chaussures, le contrat précisant dans l'identification du fonds de commerce confié en mandat-gérance qu'il a pour destination la distribution au détail d'articles chaussants ou d'articles textiles ainsi que tous leurs accessoires. Elle interdit également au mandataire de s'intéresser à la vente de produits concurrents de ceux faisant l'objet du contrat ; la société P2M shoes était ainsi parfaitement en mesure de déterminer l'activité concurrente prohibée.

Il n'est pas disproportionné d'exiger d'un mandataire gérant, à qui le mandant confie en gestion son fonds de commerce dont lui-même reste propriétaire et supporte les risques d'exploitation, de ne pas exercer une activité concurrente pendant la durée de leurs relations.

C'est en vain que la société P2M shoes invoque l'absence de limitation de la clause dans l'espace alors que la clause est limitée dans le temps à la durée du contrat.

La clause étant licite au regard du droit communautaire et du droit interne, la société P2M shoes ne peut valablement invoquer une atteinte à la liberté du commerce et d'entreprendre.

En deuxième lieu, l'appelante expose qu'elle n'a pas violé la clause de non-concurrence puisque les activités des sociétés Besson chaussures et Courir ne sont pas concurrentes comme s'adressant à des clientèles distinctes en raison de :

- l'absence de similitude des produits que chacune commercialise puisqu'elle commercialisait des chaussures de ville et seulement 1 % de chaussures de sport de bas de gamme,

- la différence de prix importante des produits que chacune commercialise,

- leur appartenance chacune à des canaux de distribution différents : magasin généraliste pour l'une et enseigne de sport spécialisée pour l'autre.

La société Besson chaussures, quant à elle, reproche à la société P2M shoes d'avoir délibérément violé l'obligation essentielle de non-concurrence à laquelle elle était tenue et ce, de façon dissimulée, manquant de surcroît au principe de loyauté et de bonne foi dans ses rapports avec sa cocontractante, en prenant part dans une activité directement concurrente de la sienne dans la zone de chalandise définie contractuellement, sans pour autant en avoir averti son mandant à aucun moment. Elle allègue en ce sens que :

- les sociétés Besson chaussures et Top run 21 sont en concurrence sur le marché global des produits chaussants, la distinction entre produits d'utilisation urbaine et produits d'utilisation sportive ne permettant plus de définir deux types de marchés pertinents en matière de concurrence, étant observé que la Fédération française de la chaussure, dans son bilan détaillé des ventes de l'automne/hiver 2015/2016 met l'accent sur le marché de la chaussure dans son ensemble préférant une segmentation suivant le sexe et l'âge des clients,

- les deux sociétés sont en concurrence sur le segment de la chaussure de sport/loisir de basse et moyenne catégorie, l'enseigne Courir ne commercialisant pas uniquement des chaussures de sport de marque et de haut de gamme, ses premiers modèles disponibles sur son site internet étant vendus autour de 45 euros la paire de chaussures d'hommes sous sa marque et entre 60 et 80 euros pour un certain nombre de modèles de marque, sans compter les promotions, tandis que Besson chaussures propose des chaussures dites de moyenne gamme, dont des modèles Adidas et Puma, pour des prix moyens de l'ordre de 45 euros,

- le recoupement entre l'offre de Besson chaussures et celle de Top run 21 est réel en ce qui concerne les produits chaussures sport/loisir de basse et moyenne catégorie et, si la concurrence n'est pas ressentie du côté de l'enseigne Courir, elle est avérée pour Besson chaussures qui peut craindre que sa clientèle désireuse d'acquérir une paire de chaussures de sport/loisir se rende chez son concurrent où elle bénéficiera d'un plus large choix,

- un tel recoupement existe aussi s'agissant de la gamme chaussures de sports de marque et de haut de gamme, étant observé que les consommateurs ont tendance à favoriser aujourd'hui un critère esthétique, indépendamment du prix ou de la destination originelle du produit,

- la Commission européenne a eu l'occasion de souligner cet état de fait dans un dossier relatif à l'acquisition par la société Adidas de la société Reebok pour laquelle elle a conclu que la distinction des chaussures de sport en catégories sportives ou en sous catégories était trouble, qu'il n'était pas évident de savoir dans quelle mesure les chaussures de sport haut de gamme ont une vocation multi-fonction chez les consommateurs dans le même sens que les chaussures de sport de bas ou moyen budget et qu'il ne pouvait être considéré que les chaussures de sport ou de performance sportive appartenant au marché haut de gamme seraient en premier lieu visées par les sportifs et les petits prix limités aux chaussures de loisir,

- contrairement à ce que soutient l'appelante, la société Besson chaussures n'a jamais renoncé à développer son offre de chaussures sportives de marque ; elle a même émis la possibilité que cette offre puisse s'étoffer pour suivre la concurrence mais s'est montrée plus sceptique sur le très haut de gamme en terme de prix, c'est à dire pour les paires dont le prix s'établit autour de 120 ou 140 euros,

- la méthode de vente d'un magasin à un autre n'est pas pertinente, ou à tout le moins suffisante, pour conclure à une absence totale de concurrence entre ceux-ci.

Mais il convient de rappeler, à titre préliminaire, qu'une clause de non-concurrence doit s'interpréter strictement, s'agissant d'une exception au principe de la liberté du commerce. Il est donc nécessaire de rechercher si, dans les faits, la société Top run 21, constituée par le dirigeant de la société P2M shoes, commercialise dans son magasin, sous l'enseigne Courir, des produits concurrents de ceux de la société Besson chaussures. La comparaison entre les produits vendus par Courir sur son site internet et non en magasin n'est pas pertinente.

Il apparaît que le 3 octobre 2014, la société P2M shoes avait adressé au service Achat de la société Besson chaussures un courriel ainsi rédigé :

" Plutôt considéré comme vente accessoire ou complémentaire, aujourd'hui et depuis quelques années maintenant, le rayon sport homme et femme s'est quelque peu réduit et est plutôt pourvu d'articles basiques sans marque à bas prix et quelques modèles de marque courant à prix doux. Compte tenu qu'il ya de plus en plus de boutiques spécialisées dans la vente de chaussures de sport (ville) haut de gamme type Skate, Basket, Runing, Casual ... de grandes marques comme Nike, Vans, Diesel, Lacoste etc ... à un prix moyen de 120 à 140 euros voire plus ! je voudrais savoir si comme jusqu'à maintenant vous préférez laisser ce créneau à des spécialistes et vendre plutôt accessoirement du sport moyen/bas de gamme ou si vous comptez vous investir dans ce segment. "

Il lui a été répondu par courriel du 6 octobre 2014 :

" Jamais nous n'avons ni n'aurons accès à collections de marque dans ces gammes de prix. Je pense d'ailleurs honnêtement que nous ne les vendrions pas. Mais essayons d'être suiveurs. Pas facile. A ce jour les ventes de rentrée ne sont pas faites et avons sur les bras 80 % de la collection sport marque et sans marque. Si vous avez des idées sur ce rayon suis preneur. "

Ces échanges montrent qu'en 2014, la société P2M shoes ne commercialisait que des chaussures de sport/ville à bas prix avec quelques marques à prix "doux" et en petite quantité et rien ne prouve que la société Besson se réservait de modifier à l'avenir sa politique commerciale.

Il résulte du constat d'huissier de justice dressé le 11 mars 2015, à la demande de M. X gérant de la société P2M shoes, qui s'est alors déclaré désireux d'ouvrir une nouvelle activité sous l'enseigne Courir que :

- les paires de chaussures proposées à la vente en libre service dans son magasin, dans des boîtes sur lesquelles étaient affichés les prix, étaient principalement des chaussures dites de ville pour hommes, femmes et enfants dont les prix correspondaient à une moyenne gamme,

- certaines chaussures de sport étaient aussi proposées à la vente et il s'agissait principalement de chaussures dites de moyenne gamme pour un prix moyen de 45 euros, parmi lesquelles quelques chaussures de sport de marque Puma, Kappa, Adidas ou New Balance,

- dans la cellule commerciale exploitant l'enseigne Courir au centre commercial de la Toison d'or, le mode de vente est dit accompagné et les chaussures proposées à la vente correspondaient à des marques haut de gamme avec une moyenne de prix d'environ 100 euros.

Le 3 février 2016, M. X, devenu gérant de la société Top run 21 exerçant son activité sous l'enseigne Courir, a fait constater par huissier de justice dans son magasin que :

- les modèles de chaussure, à savoir une seule chaussure et non la paire, étaient positionnés sur des petits rayonnages et que les clients présents étaient contraints de s'adresser à un vendeur pour obtenir la pointure du modèle choisi,

- les modèles proposés à la vente étaient des modèles de marque dits haut de gamme avec des prix affichés de 130 à 170 euros, principalement les marques Adidas avec une moyenne de 100 euros, Nike avec une moyenne de 130 à 150 euros, Timberland avec une moyenne de 150 à 200 euros et Puma avec une moyenne de 70 euros,

- d'autres marques avec des modèles haut de gamme sont également présentes : Le Coq sportif, New balance, Asics, Reebok, Converse, Supra, Jordan et Lacoste,

- aucun modèle bas de gamme ou moyenne gamme n'est proposé à la vente.

Par attestation du 16 février 2016, M. Y, qui est directeur régional affiliation Courir, déclare que :

- l'enseigne Courir est positionnée sur le marché de la mode basket "premium" et elle est, à ce titre, partenaire des grandes marques internationales : Nike, Adidas, Puma,

- les gammes développées par ces marques pour l'enseigne Courir sont exclusivement réservées à des réseaux de distribution sélective,

- parallèlement à ces gammes "premium", les grandes marques internationales développent des gammes génériques, plus bas de gamme, à destination des enseignes de marché de masse (Gémo, la Halle aux chaussures, Besson etc),

- les produits distribués dans le réseau Courir sont totalement différents, ciblant une clientèle suiveuse des tendances de la mode basket et à la recherche de modèles exclusifs et "pointus" et de fait, ces produits ne pourront en aucun cas être retrouvés dans des magasins de grande distribution, y compris les magasins de sport type Décathlon, Go sport, Intersport etc...

M. Z, qui a exercé les fonctions de directeur des achats au sein de la société Besson chaussures de janvier 1994 à avril 2015, indique, par attestation du 14 décembre 2016, que le marché généraliste de la société Besson chaussures et celui des diverses enseignes de sport ne sont pas concurrents sur la gamme moyenne et haut de gamme qui n'était pas proposée à l'achat à la société Besson chaussures par les grandes marques, que ces gammes au delà d'un prix de 80 ou 100 euros auraient été invendables et que la clientèle de la société Besson chaussures est à 65 % féminine " mode entrée et milieu de gamme " et pas sport à l'inverse de celle de l'enseigne Courir.

Les différents courriels émanant des directeurs d'achat des marques de sport Reebok, Le Coq sportif, Lacoste, Converse et Timberland précisent que, compte tenu de la segmentation du marché, la société Besson chaussures ne peut avoir accès aux mêmes produits de leurs marques que l'enseigne Courir.

La société Territoire & marketing, dirigée par M. W membre du collège des experts de la Fédération française de la franchise, qui a accompagné la société Top run 21 dans son projet d'ouverture d'une enseigne Courir, expose que le concept d'enseigne Besson est sur un positionnement différent, aussi bien en assortiment et prix, du concept d'enseigne Courir avec une clientèle visée différente.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que la société Top run 21 commercialise dans son magasin sous l'enseigne Courir des produits qui ne sont pas concurrents de ceux vendus par la société Besson chaussures, s'agissant de chaussures de sport haut de gamme à des prix élevés, proposés sous la forme de vente accompagnée, et s'adressant à une clientèle différente.

La société Besson chaussures ne peut utilement reprocher à la société P2M shoes d'avoir manqué à son obligation de loyauté en ne l'avertissant pas de son projet d'ouverture d'un magasin par la société Top run 21 sous l'enseigne Courir, le manquement à la clause de non-concurrence n'étant pas établi.

Par conséquent, la société Besson chaussures est redevable de l'indemnité contractuelle de résiliation correspondant au montant des commissions acquises pendant les 7 mois qui ont précédé la résiliation du contrat, soit la somme de 126 438 euros qui portera intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation.

En troisième lieu, l'appelante demande la somme de 262 791,20 euros au titre des gains manqués compte tenu de la privation d'un préavis de 14 mois. Elle fonde cette prétention sur les dispositions de l'article L 442-6, I, 5° du Code de commerce, en reprochant à la société Besson chaussures la rupture brutale de leurs relations commerciales établies.

Mais l'intimée réplique, à juste raison, que cet article n'est pas applicable à la cessation des relations entre mandant et gérant-mandataire, lesquelles sont régies par un statut particulier organisé par les articles L. 146-1 à L. 146-4 du Code de commerce. En effet, dans ce dernier article, le législateur a prévu la résiliation à tout moment du mandat dans les conditions fixées par les parties, sous réserve du versement par le mandant d'une indemnité égale, sauf meilleur accord des parties, au montant des commissions acquises (ou de la commission minimale garantie) pendant les six mois précédant la résiliation du contrat.

La société P2M shoes doit donc être déboutée de ce chef de demande.

En quatrième lieu, l'appelante demande la somme de 50 000 euros, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice moral distinct causé par la rupture brutale et vexatoire des relations. Elle fait valoir que :

- la société Besson chaussures a mis fin à leurs relations quasiment du jour au lendemain en plein mois d'août 2015, sans la mettre en demeure, au préalable, de s'expliquer sur ses liens avec la franchise Courir exploitée par la société Top run 21,

- dès le 25 août 2015, un nouveau mandataire gérant, la société Nadal, sélectionnée auparavant, a pris sa suite, sans qu'aucun inventaire de sortie ne soit réalisé.

Elle souligne les bons résultats qu'elle avait obtenus pour l'année 2014 et jusqu'en août 2015 et reproche à l'intimée d'avoir utilisé des motifs fallacieux pour éviter de régler une indemnité de résiliation et un préavis à un mandataire-gérant présentant plus de 11 ans d'ancienneté.

Mais si la société Besson chaussures n'a pas respecté le délai de prévenance prévu par l'article 3.5.2 du contrat, la société P2M shoes ne démontre en aucune façon le préjudice moral qui en serait résulté. Elle ne rapporte pas non plus la preuve que les conditions entourant la résiliation du mandat auraient présenté un caractère vexatoire ou abusif ; sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral sera donc rejetée.

Vu les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, il y a lieu d'allouer la somme de 10 000 euros à la société P2M shoes et de débouter la société Besson chaussures de sa demande de ce chef.

Par ces motifs LA COUR, Confirme le jugement en ce qu'il a dit que les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ne s'appliquent pas lors de la cessation des relations entre un mandant et son gérant-mandataire ; L'infirme en toutes ses autres dispositions ; et, statuant à nouveau Condamne la société Besson chaussures à payer à la société P2M shoes : - la somme de 126 438 euros avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation, au titre de l'indemnité contractuelle de résiliation, - la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; déboute les parties de toutes leurs autres demandes ; Condamne la société Besson chaussures aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.