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Décisions

CA Lyon, 6e ch., 13 décembre 2018, n° 18/04117

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Engineering Plastique et Services Indus (SARL)

Défendeur :

Mat Plast (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Boisselet

Conseillers :

Mmes Clerc, Stella

Avocat :

Me Guerinot

TGI Lyon, JEX, du 17 avr. 2018

17 avril 2018

FAITS, PROCÉDURE ET DEMANDES DES PARTIES

La SARL Engineering Plastique & Service Indus (EPSI) est titulaire d'un contrat de distribution exclusive des produits de la société taïwanaise Shini (essentiellement des machines-outils) pour commercialiser les produits de cette marque en Algérie et en Tunisie.

La SARL Mat Plast est titulaire d'un contrat d'exclusivité similaire pour la commercialisation des produits de la marque Shini sur le territoire français.

Par ordonnance en date du 7 juin 2017, le juge des référés du tribunal de commerce de Lyon a notamment ordonné à la SARL EPSI de :

- cesser toute publicité, démarchage et communication relative aux produits Shini sur le territoire français,

- et cesser toute commercialisation des produits Shini,

et ce sous astreinte de 500 euros par infraction constatée à compter d'un délai de 8 jours suivant la signification de l'ordonnance.

La décision a été signifiée à la SARL EPSI le 22 juin 2017.

La SARL Mat Plast reproche à la SARL EPSI de n'avoir pas cessé de commercialiser et proposer à la vente des produits de la marque Shini sur le territoire français par le biais de son site internet.

Par acte d'huissier de justice en date du 24 juillet 2017, elle a fait assigner la SARL EPSI à comparaître devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Lyon aux fins de la voir condamner, en principal, au paiement de la somme de 200 000 euros au titre de l'astreinte liquidée.

Par jugement en date du 17 avril 2018, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Lyon a :

- dit que les demandes de la SARL Mat Plast sont recevables,

- liquidé le montant de l'astreinte provisoire résultant de l'ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce de Lyon du 7 juin 2017 pour la période du 1er juillet 2017 au 27 février 2018 à la somme de 120 000 euros,

- condamné la SARL EPSI à payer à Ia SARL Mat Plast la somme précitée,

- rejeté le surplus des prétentions,

- condamné la SARL EPSI à payer à la SARL Mat Plast la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SARL EPSI aux entiers dépens de l'instance, à l'exclusion du procès-verbal de constat non obligatoire,

La SARL EPSI a relevé appel de cette décision par déclaration reçue au greffe de la cour le 4 juin 2018.

Par ordonnance du 8 juin 2018, le président de la chambre, faisant application des dispositions des articles 905 du code de procédure civile et R. 121-20 al.2 du code des procédures civiles d'exécution a fixé l'affaire à l'audience du 25 octobre 2018 à 13h30.

Le 2 juillet 2018, la SARL Mat Plast a fait procéder à une saisie attribution de la somme de 119 500,76 euros sur le compte bancaire de la société EPSI.

Par ordonnance de référé du 8 août 2018, le premier président de la cour d'appel de Lyon a rejeté la demande de la société EPSI de sursis à l'exécution provisoire.

En ses dernières conclusions au fond du 14 septembre 2018, la SARL Engineering Plastique et Service Indus (EPSI) demande à la cour de statuer comme suit, au visa des articles 9, 56, 114, 122 et 700 du code de procédure civile, L. 131-3 et R.121-1 du code des procédures d'exécution et 1382 ancien du code civil, ainsi que des Lignes directrices sur les restrictions verticales (2010/C 130/01) de la Commission européenne :

- infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a dit que les demandes de la société Mat Plast étaient recevables ;

- juger que la société Mat Plast n'a pas respecté les prescriptions de l'article 56 du code de procédure civile exigeant que ces diligences soient précisées dans l'assignation ;

- juger que les nouvelles demandes formulées par la société Mat Plast devant le juge de l'exécution sont irrecevables ;

- infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a condamné la société EPSI à payer la somme de 120 000 euros au titre de la liquidation de l'astreinte provisoire résultant de l'ordonnance de référés du tribunal de commerce de Lyon du 7 juin 2017 pour la période du 1er juillet 2017 au 27 février 2018 ;

- juger que la simple mise à disposition de la documentation technique des produits Shini sur le site internet ne constitue pas une " communication sur le territoire français " susceptible d'être interdite ;

- juger que la société EPSI ne commercialise pas de produits Shini sur un site internet ;

- juger que seules sont prohibées les " ventes actives " dans les cas de contrats de distribution exclusive, à l'exclusion des " ventes passives " notamment sur un site internet ;

- juger que la société EPSI, en qualité de distributeur de produits Shini en Algérie et en Tunisie, ne fait qu'user du droit consenti par son fournisseur d'utiliser un site internet pour la commercialisation de ses produits ;

- juger que seuls 57 produits sont mentionnés dans le constat d'huissier du 7 juillet 2017 ;

- juger que la société Mat Plast ne rapporte pas la preuve de ses prétentions ;

- condamner la société Mat Plast à restituer à la société EPSI la somme de 119 500,76 euros saisie sur son compte bancaire en exécution forcée du jugement du juge de l'exécution du 17 avril 2018 ;

- infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de la société EPSI ;

- juger que l'action de la société Mat Plast à l'encontre de la société EPSI est abusive ;

- en conséquence, débouter la société Mat Plast de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société EPSI ;

à titre subsidiaire,

- limiter le montant de l'astreinte liquidée à la somme de 28 500 euros ;

- condamner la société Mat Plast à restituer à la société EPSI la somme de 91.000,76 euros, correspondant à la différence entre la somme de 119 500,76 euros saisie sur son compte bancaire en exécution forcée du jugement du juge de l'exécution du 17 avril 2018 et l'astreinte liquidée à la somme de 28 500 euros ;

- condamner la société Mat Plast à payer à la société EPSI la somme de 200 000 euros à titre de procédure abusive ;

- condamner la société Mat Plast à payer à la société EPSI la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Mat Plast aux entiers dépens de première instance et d'appel distraits au profit de Me Laffly, avocat.

Le 15 octobre 2018, la SARL Mat Plast a notifié de nouvelles conclusions au fond puis, le 19 octobre 2018, des conclusions aux fins de sursis à statuer.

Faisant valoir qu'elle a été destinataire le même jour d'une assignation à comparaître devant le tribunal de commerce de Bourg en Bresse, à la demande de la SARL EPSI, pour des demandes identiques fondées sur les mêmes arguments, la société Mat Plast demande à la cour de surseoir à statuer sur toutes les demandes en l'attente de l'issue de la procédure engagée devant le tribunal de commerce de Bourg en Bresse.

Par nouvelles conclusions du 23 octobre 2018, la SARL Engineering Plastique et Service Indus (EPSI) demande à la cour, au visa des articles 378, 700, 905, 905-2 et 907 du code de procédure civile et R. 121-20 du code des procédures civiles d'exécution, de :

- juger que la procédure pendante devant la cour d'appel de Lyon, suite à l'appel interjeté par la société EPSI a été fixée de plein droit à bref délai, conformément aux dispositions des articles R. 121-20 du code des procédures civiles d'exécution et 905 du code de procédure civile ;

par conséquent,

- se déclarer incompétent pour se prononcer sur la demande de sursis à statuer de la société Mat Plast ;

- débouter la société Mat Plast de sa demande de sursis à statuer ;

- constater que la société Mat Plast est irrecevable à conclure au fond ;

par conséquent,

- déclarer irrecevables les conclusions de la société Mat Plast aux fins de sursis à statuer ;

- débouter la société Mat Plast de sa demande de sursis à statuer ;

- condamner la société Mat Plast à payer à la société EPSI la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société Mat Plast aux entiers dépens de l'instance.

Par ordonnance du 23 octobre 2018, le président de la chambre a déclaré irrecevables les conclusions notifiées par la SARL Mat Past le 14 août 2018 par application des dispositions de l'article 905-2 du code de procédure civile.

L'affaire a été appelée à l'audience de la cour du 25 octobre 2018 et renvoyé à l'audience du 15 novembre 2018 eu égard au délai accordé à l'intimée pour former un éventuel déféré contre l'ordonnance précitée.

La SARL Mat Plast n'ayant pas déféré cette ordonnance à la cour, l'affaire a été retenue en l'état à l'audience du 15 novembre 2018.

Il est expressément renvoyé aux dernières conclusions de l'appelante pour l'exposé exhaustif de ses moyens et prétentions et aux mentions du jugement frappé d'appel pour l'exposé des moyens de l'intimée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Aux termes de I 'article L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution, le montant de I 'astreinte provisoire est Iiquidé en tenant compte du comportement de celui à qui I'injonction a été adressée et des difficultés qu'iI a rencontrées pour I'exécuter.

Le taux de I'astreinte définitive ne peut jamais être modifié lors de sa liquidation.

L'astreinte provisoire ou définitive est supprimée en tout ou partie s'iI est établi que l'inexécution ou le retard dans I'exécution de l'injonction du juge provient, en tout ou partie, d'une cause étrangère.

Sur la demande de sursis à statuer

Les premières conclusions de la société Mat Plast, notifiées le 14 août 2018, ont été déclarées irrecevables.

Cette irrecevabilité atteint les conclusions subséquentes de l'intimée, notifiées le 15 octobre 2018, ainsi que ses conclusions 'incidentes' adressées à la cour, notifiées le 19 octobre 2018, par lesquelles la société Mat Plast demande un sursis à statuer en attente de l'issue de la procédure au fond engagée par la société EPSI devant le tribunal de commerce de Bourg en Bresse par assignation de même date.

En conséquence, la cour n'est pas valablement saisie de la demande de sursis à statuer et il n'y a pas lieu, sur ce point, de répondre aux conclusions de la société EPSI.

La société EPSI, après avoir conclu sur le fond du litige dans ses conclusions notifiées les 6 juillet et 14 septembre 2018, a conclu dans ses dernières écritures sur le seul rejet de la demande de sursis à statuer, dans ses conclusions adressées expressément à la cour.

L'article 954 al.4 du code de procédure civile dispose que les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées.

Toutefois, la jurisprudence considère que l'obligation de récapitulation n'affecte pas les conclusions qui ne déterminent pas l'objet du litige ou ne soulèvent pas un incident de nature à mettre fin à l'instance.

En conséquence, il y a lieu de statuer au vu des dernières conclusions de l'appelante au fond notifiées le 14 septembre 2018.

Sur la recevabilité des demandes de la société Mat Plast

La société EPSI soutient que l'assignation qui lui a été délivrée à la requête de la société Mat Plast ne mentionne pas les diligences entreprises en vue de parvenir à la résolution amiable du litige, en violation des exigences de l'article 56 du code de procédure civile.

Contrairement à ce qu'indique l'appelante, cette exigence textuelle n'emporte aucune fin de non recevoir puisqu'elle ne subordonne pas la recevabilité de l'action à une démarche préalable de résolution amiable du litige.

Le premier juge a considéré qu'il s'agissait d'une exception de nullité pour vice de forme à laquelle il a répondu que la société EPSI ne justifie pas d'un grief causé de ce chef.

Toutefois, la disposition de l'article 56 du code de procédure civile, selon laquelle l'assignation précise les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige, n'est pas prescrite à peine de nullité de l'assignation.

Dès lors, en l'absence de justification d'une fin de non recevoir ou de la nullité de l'acte introductif d'instance, le jugement doit être confirmé, par substitution de motifs, en ce qu'il a dit que les demandes de la société Mat Plast sont recevables.

Sur le fond

La société EPSI soutient que l'ordonnance de référé ne lui interdit pas de mettre à disposition une documentation technique des produits SHINI sur son site internet et, de manière générale, d'utiliser un site internet.

Le jugement précise que le constat d'huissier de justice dressé le 7 juillet 2017 montre que 400 références de produits SHINI figuraient à cette date sur le site internet de la société EPSI.

Le premier juge en a déduit que cette société enfreignait ainsi l'interdiction qui lui est faite de cesser toute communication relative aux produits Shini sur le territoire français.

La présentation des produits avec accès à une notice technique, en langue française sur un site internet accessible sur le territoire français, constitue bien une forme de communication interdite par le juge de référés, quand bien même il n'y aurait pas d'indication du prix des produits ni de possibilité de les commander sur le site.

De surcroît, si la société EPSI se présente sur son site comme agent exclusif des produits Shini pour l'Algérie et la Tunisie, il n'est pas prétendu que le site comporterait une mention rappelant qu'elle ne commercialise pas ces produits sur le territoire français, de sorte que le site est susceptible de lui valoir des commandes d'entreprises situées sur le territoire français, en violation de l'interdiction de commercialisation.

Il a d'ailleurs été démontré par la société Mat Plast devant le premier juge que la société EPSI a démarché une société Plastisone sur le territoire français le 13 juillet 2017.

La société EPSI soutient que les contrats de distribution exclusive ne prohibent que les ventes actives, de sorte qu'elle pourrait poursuivre les ventes passives, c'est à dire celles consenties à des clients qui n'ont pas fait l'objet d'une sollicitation particulière.

Mais la distinction entre ventes actives et ventes passives proposée par l'appelante est inopérante en l'espèce puisque le juge de référés, dont le juge de l'exécution n'a pas pouvoir de modifier la décision, a interdit toute commercialisation des produits Shini sans restriction particulière.

Sur le montant de l'astreinte

L'appelante conteste la mention du jugement selon laquelle elle reconnaît la présence des 400 références de produits Shini sur son site internet. Elle fait valoir qu'il y a plusieurs références par produit et qu'en réalité, l'huissier de justice n'a mentionné que 57 produits.

Cependant, il ressort du procès verbal, versé aux débats par l'appelante, que les produits présentés se divisent en familles de produits (exemple : alimentateurs). Au sein de chaque famille, ce que l'huissier de justice a qualifié de produits (exemple 9 alimentateurs) sont en réalité des ensembles de produits se déclinant en divers modèles présentés sur chaque fiche technique, chaque modèle ayant une référence distincte.

Le premier juge a donc exactement pris en compte le nombre de références comme constituant chacune une infraction puisque chaque référence correspond à un produit différent.

Par ailleurs, le juge de l'exécution a modéré l'astreinte à 300 euros par infraction, soit 120 000 euros pour les 400 références figurant sur le site.

En l'espèce, la société EPSI a partiellement exécuté son obligation en supprimant de son site toute indication de prix et en ne permettant pas une commande directe sur site.

En revanche, comme il a été dit, elle n'a nullement cherché à restreindre la communication autour des produits Shini en spécifiant sur le site qu'elle excluait toute vente en France, de sorte que les clients français potentiels restaient incités à la contacter.

Au regard de ces éléments, il y a lieu de confirmer la décision du premier juge, en ce qu'il a justement modéré l'astreinte sans pour autant la réduire à un montant non dissuasif.

Sur les autres demandes

L'action de la société Mat Plast n'étant pas abusive, la demande de dommages et intérêts formulée par la société EPSI est rejetée.

L'appelante supporte les dépens d'appel et conserve la charge des frais irrépétibles qu'elle a exposés.

Par ces motifs, LA COUR, Déclare irrecevables les conclusions de la SARL Mat Plast aux fins de sursis à statuer et dit n'y avoir lieu à statuer de ce chef ; Confirme le jugement prononcé le 17 avril 2018 par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Lyon en toutes ses dispositions ; Condamne la SARL EPSI aux dépens d'appel ; La déboute du surplus de ses demandes.