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Décisions

CA Amiens, 1re ch. civ., 4 décembre 2018, n° 17-01498

AMIENS

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Commune de Damery

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Delbano

Conseillers :

M. Adrian, Mme Balocco

Avocats :

Mes Lumbroso, Defer, Doyen, Wacquet, Smyth, Derbise, Malnoy

TGI Amiens, du 5 avr. 2017

5 avril 2017

Décision :

Monsieur et Madame G. ont fait l'acquisition le 9 mars 2002, par le ministère de Maître Lionel Julien, notaire associé à Guiscard (60), aux droits duquel vient son successeur, la SCP Lestrade et

Clare, d' une parcelle de terrain non bâtie, située route de Villiers à Damery (80), parcelle cadastrée section ZK n° 57 d' une contenance de 20 ares 61 centiares, appartenant au domaine privé de la commune, pour le prix de 12 567,90 €.

Le 20 mars 2001, la commune, qui ne dispose d'aucune réglementation locale en matière d'urbanisme, avait délivré un certificat d'urbanisme indiquant qu'il était possible de construire sur cette parcelle, pour un usage d'habitation, sous réserve de prendre en charge les réseaux.

Le 28 juillet 2011, les époux G. ont déposé une nouvelle demande de certificat d' urbanisme et le 20 septembre 2011 la commune leur a transmis un certificat négatif motivé par la situation du terrain en lisière du village dans une zone où les constructions n'avaient qu' un usage agricole, la construction participant 'd' une urbanisation dispersée risquant de compromettre un secteur voué à l'agriculture.'

La contestation du certificat de la commune, formée devant le juge administratif par les époux G., a été rejetée par arrêt de la Cour d'appel administrative de Douai en date du 9 octobre 2014.

Par acte du 10 novembre 2015, ils ont assigné la commune devant le tribunal de grande instance d' Amiens, aux fins de résolution de la vente pour défaut de conforité ou d'annulation de la vente pour erreur sur la substance. La commune a appelé le notaire en garantie.

La commune s'est opposée à l'action par divers moyens et a notamment soutenu que l'action serait prescrite en application du bref délai de la garantie des vices cachés.

Par le jugement dont appel, du 5 avril 2017, le tribunal:

- a retenu la compétence judiciaire, celle du tribunal de grande instance, et a écarté l'application de la prescription quadriennale en observant que le terrain vendu relevait du domaine privé de la commune et que la vente relevait ainsi du droit privé ;

- a déclaré prescrite l'action en résolution sur le fondement de la garantie des vices cachés seule applicable au litige,

- a dit sans objet l'appel en garantie à l'encontre de la SCP Lestrade et Clare,

- a condamné M. et Mme G. aux dépens et à une somme de 1 200 € au titre de l'article700 du code de procédure civile.

Au vu de leurs dernières conclusions, du 31 octobre 2017, les époux G. sollicitent:

- de prononcer la nullité du contrat de vente du 9 mars 2002,

- d'ordonner les restitutions respectives et condamner la commune de Damery à leur payer la somme de 12 567,90 €,

- subsidiairement, de prononcer la résolution du contrat pour défaut de conformité avec même conséquence, ou à titre infiniment subsidiaire pour vice caché,

- de condamner la SCP Lestrade et Clare à leur rembourser les frais de vente (demande non chiffrée),

- de condamner la commune et la SCP solidairement à leur payer la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts, 5000 € de frais de procès, le remboursement des dépens.

Vu les dernières conclusions de la commune en date du 8 septembre 2017,

Vu les dernières conclusions de la SCP Lestrade et Clare en date du

20 septembre 2017.

SUR CE

1. Sur la recevabilité de l'action en nullité.

Selon l'article 1304 ancien du code civil l'action en nullité pour erreur 'dure cinq ans' et ce temps ne court que du jour où l'erreur a été découverte. Il est de jurisprudence que le délai de l'action en nullité pour erreur ne court que du jour où l'erreur est établie avec suffisament de certitude et non simplement soupçonnée.

En l'espèce, M. et Mme G. ont assigné la commune le 10 novembre 2015 alors que le certificat d'urbanisme négatif, qui leur a révélé l'erreur sur le caractère constructible de la parcelle litigieuse et qui est le point de départ du délai de prescription, leur a été délivré le 21 septembre 2011, de sorte qu'ils ont agi dans le délai de cinq ans.

L'action en nullité pour erreur est recevable.

2. Sur l'annulation de la vente.

Considérant que la constructibilité du terrain avait été déterminante pour les époux G., le tribunal a écarté l'erreur sur la substance ou le défaut de conformité qu'ils invoquaient et s'est référé à une jurisprudence de la cour de cassation pour conclure que 'l' inconstructibilité d'une parcelle vendue comme 'terrain à bâtir' est considérée comme un vice caché relevant des dispositions de l'article 1641 du code civil' et a ainsi jugé implicitement qu'elle ne pouvait être que le seul fondement applicable à l'action.

Ensuite le tribunal a observé que le délai applicable était le délai de deux ans de l'article 1648 du code civil qui avait commencé à courir le jour de la délivrance du certificat négatif, 20 septembre 2011; que l'instance devant les juridictions administratives, n'ayant pas la même fin que l'instance judiciaire, ne pouvait avoir eu un effet interruptif de cette prescription; et que, par conséquent, le délai de deux ans avait expiré le 20 septembre 2013; de telle sorte que les époux G. n' étaient plus recevables en leur demande lorsqu' ils assignaient la commune le 10 novembre 2015.

En appel, les époux G. contestent cette position et sollicitent à nouveau à titre principal l'annulation de la vente pour erreur sur la substance au sens des article 1109 et 1110 anciens du code civil applicables au litige ou subsidiairement sa résolution pour défaut de conformité ou encore, et seulement à titre 'infiniment subsidiaire' sa résolution pour vice caché; tandis que la commune soutient à titre principal que l'action 'doit s'interpréter comme une action en garantie des vices cachés'.

Il est exact que certains arrêts ont pu faire croire que la Cour de cassation voulait exclure la possibilité d' un certain cumul des actions en nullité pour erreur et en garantie des vices cachés 'lorsque l'erreur était la conséquence

d'un vice caché' pour respecter la règle spéciale du bref délai de l'action en garantie; toutefois cette position a été critiquée par la doctrine qui a souligné que cette jurisprudence risquait de réduire la nullité pour erreur à la portion congrue dans le contrat de vente; les deux actions, en effet, ayant nécessairement tout un domaine commun dès lors que le vice caché qui ouvre l'action redhibitoire doit être antérieur à la vente et rendre la chose impropre à l' usage auquel on la destine (V. spécialement note critique de J. Ghestin sous Civ. 3° 11 février 1981, JCP 1982, II, 19758).

Chacune des actions doit être examinée selon ses conditions propres et l'existence d' un vice caché n'exclut pas par lui même la possibilité d'invoquer l'erreur sur une qualité substantielle de la chose vendue.

Selon l'article 1109 ancien du code civil, il n' y a point de consentement valable, si le consentement n'a été donné que par erreur et selon l'article 1110 ancien du code civil, l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet, c'est à dire, selon la jurisprudence, sur une qualité qui fut déterminante pour l'acquéreur et que le vendeur savait être telle.

En l'espèce la commune a délibéré en conseil municipal le 14 décembre 2001 pour décider de la vente de cette parcelle comme d' un 'terrain à bâtir' (pièce G. 1) et l'acte de vente a défini l'objet vendu comme 'un terrain à bâtir' sans aucune réserve, selon le consentement des deux parties; par ailleurs, il n'est pas contesté que cette qualification a donné son intérêt à la vente de cette parcelle et a été déterminante pour M. et Mme G.; de telle sorte que la découverte postérieure de son caractère non constructible, confirmée par la juridiction administrative, est bien une erreur sur les qualités déterminantes de l' objet vendu au moment de la conclusion du contrat, portant sur une qualité de la chose que l'acheteur, sans elle, n'aurait pas contracté.

L'argument de la commune selon lequel la situation d'une parcelle au regard de l'urbanisme peut être évolutive pourrait être pertinent si le terrain avait été vendu simplement avec la mention de ce qu' il avait obtenu à telle date un certificat positif, mais ne l'est pas dans le cas d'espèce avec la mention de 'terrain à bâtir' qui fait référence à une qualité inhérente au terrain, à une constructibilité pérenne de la parcelle.

Le jugement doit donc être réformé et l'action pour erreur sur la substance doit être déclarée applicable au litige.

3. Sur les conséquences de l'annulation.

En cas de nullité, les parties doivent être remise rétroactivement en l'état comme si la vente n'avait pas existé. C'est à juste titre que le tribunal de grande instance avait écarté les moyens tirés de ce que la commune était une personne morale de droit public, s'agissant d' un terrain relevant du simple domaine privé de la commune et il n' y a pas plus lieu d'appliquer une prescription quadriennale à la seule obligation de restituer le prix qu' à l'action en annulation ou en résolution de la vente comme le soutient subsidiairement la commune.

La commune de Damery est censée n'avoir jamais cessé d' être propriétaire de la parcelle et devra faire procéder sur la base de cet arrêt à la publicité foncière correspondante, à ses frais. Le prix de vente, 12 567,90 € devra être restitué par la commune aux époux G., avec intérêts au taux légal à compter de leur assignation du 10 novembre 2015.

4. Sur la demande de dommages et intérêts des époux G. à l'encontre de la commune.

Les époux G. sollicitent 10 000 € de dommages et intérêts à l'encontre de la commune, y compris contre la société notariale, au titre de divers préjudices.

Il est admis que la nullité pour erreur peut être accompagnée de l'octroi de dommages et intérêts sur le fondement d'une faute précontractuelle du vendeur, c'est à dire sur le fondement de la faute de l'article 1382 du code civil.

En l'espèce, on ne peut soutenir que la commune de Damery connaissait la précarité de la constructibilité du terrain lorsqu'elle a contracté en 2002 et a accepté la définition de l'objet comme d'un terrain à bâtir; outre qu'elle ne pouvait se douter que les choses resteraient si longtemps en l'état

et que les époux G. ne mettrait en œuvre leur projet de bâtir qu'en 2011.

En outre, la bonne foi est présumée.

Il n'est établi aucune faute de la commune antérieure ou concomitante au contrat de vente et les époux G. doivent être déboutés de ce chef de demande.

5. Sur les actions en garantie ou en dommages et intérêts exercées contre la SCP Lestrade et Clare.

L'acte a été établi par Maître Julien au nom de la SCP Roussel et Julien et peu importe que Maître Julien s'en soit retiré et que la SCP ait changé de nom et d'associés depuis, dès lors que c'est la personne morale de la SCP qui est en cause.

Les époux G. ne sauraient voir leur action en responsabilité délictuelle dirigée solidairement contre l'étude notariale prospérer au titre des dommages et intérêts qu' ils sollicitaient contre la commune, alors qu' ils sont déboutés de leur demande.

La commune, pour le cas où la résolution ou la nullité serait prononcée par la juridiction, comme c'est le cas, exerce contre la société notariale une action en responsabilité, sans d'ailleurs en préciser le fondement, au titre de la faute professionnelle commise.

Avant l'acte notarié, la vente a fait l'objet le 14 décembre 2001 d'une délibération du Conseil municipal par lequel celui ci décide de 'vendre un terrain à bâtir situé, etc.' de sorte que la désignation de l'objet ne résulte que de la volonté du vendeur et non du notaire.

Le notaire a fait ce que ses devoirs de conseil et de vérification de la fiabilité de l'acte lui imposaient, à savoir s'assurer de la situation du terrain au regard des règles de l'urbanisme, rappeler les dispositions du code de l'urbanisme, proposer dans son acte une définition de l'objet conforme à ce que proposait lui même le vendeur et à ce que voulait l'acquéreur. Il n'avait pas à supposer un revirement de la commune et à conseiller l'acquéreur en fonction de ce supposé.

Aucune faute personnelle n'a été commise par le notaire, Maître Julien, et la commune de Damery, aussi bien que les époux G., doivent être déboutés de leurs actions en responsabilité contre la SCP, y compris au titre des frais de vente.

6. Sur les dépens et les demandes pour frais non compris dans les dépens.

Le jugement a condamné les époux G. aux dépens de la commune et à payer à celle ci 1200 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, tandis que celle ci était condamnée aux dépens de la SCP Lestrade et Clare et à lui payer 1200 €.

La réformation du jugement sur la demande principale de M. et Mme G. doit conduire à modifier ce point.

La commune succombante devra assumer tous les dépens de première instance et d'appel exposés par les époux G. et par la SCP Lestrade et Clare, et payer une indemnité de frais de procès valable pour la première instance et l'appel de 4000 € envers les époux G. et de 1800 € envers la SCP Lestrade et Clare.

Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, Infirme le jugement rendu par le tribunal de grande instance d'Amiens le 5 avril 2017, Statuant à nouveau sur le tout y compris sur les dépens et les frais irrépétibles, Déclare l'action de Monsieur et Madame M. et Chantal G. recevable, Prononce la nullité de la vente du 9 mars 2012, Condamne la commune de Damery à payer la somme de 12 567,90 € à Monsieur et Madame M. et Chantal G. avec intérêts au taux légal à compter du 10 novembre 2015, à titre de restitution du prix, Dit que la commune de Damery est propriétaire de la parcelle cadastrée section ZK n° 57 d' une contenance de 20 ares 61 centiares et qu' il lui incombe de procéder aux formalités de publicité foncière à ses frais, Déboute toutes les parties de toutes leurs demandes en dommages et intérêts, Condamne la commune de Damery à tous les dépens de première instance et d'appel exposés par les époux G. et par la SCP Lestrade et Clare, et à payer une indemnité de frais de procès valable pour la première instance et l'appel de 4000 € envers les époux G. et de 1800 € envers la SCP Lestrade et Clare.