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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 14 décembre 2018, n° 17-15661

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Le Corona la maison du fumeur (Sté)

Défendeur :

Clop&co (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gaber

Conseillers :

Mmes Renard, Lehmann

Avocats :

Mes Brault, Caballero

T. com. Paris, 27 juin 2017

27 juin 2017

SUR CE, LA COUR,

Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.

Il sera simplement rappelé que le Syndicat Confédération Nationale des Buralistes de France (ci-après la Confédération) est une union de syndicats professionnels qui indique regrouper près de 90% des 29 000 débits de tabacs de France.

Monsieur Hervé C. est gérant d'un établissement de débit de tabac 'Le Corona - La maison du fumeur' à Caen. La société Les Courtilles exploite un bar tabac dénommé 'Les Courtilles' dans le 11ème arrondissement de Paris. Tous deux sont adhérents buralistes du syndicat.

La société Clop & Co, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Caen depuis le 26 mai 2011, commercialise et fait la promotion de produits de vapotage dits 'cigarettes électroniques' ou 'e cigarettes' et de leurs produits de recharge appelés les 'e liquides'. Elle exploite un site internet www. clopinette. fr ainsi qu'une page 'Facebook' associée et dispose de plusieurs boutiques à l'enseigne 'Clopinette', notamment d'une boutique dans la région de Caen, à proximité du débit de tabac de monsieur C., et d'un établissement secondaire et d'une boutique 'Clopinette' dans le 11ème arrondissement de Paris, à proximité de l'établissement géré par la société Les Courtilles.

Par acte du 19 juin 2013, la Confédération, monsieur C. et la société Les Courtilles ont fait assigner la société Clop & Co en référé devant le Président du tribunal de grande instance de Paris, aux fins d'interdire la commercialisation et la publicité des produits de vapotage dans les établissements à l'enseigne 'CLOPINETTE' de la société Clop & Co et sur son site internet et d'obtenir une somme provisionnelle à titre de dommages et intérêts.

Par une ordonnance du 27 septembre 2013 confirmée en toutes ses dispositions par un arrêt du 24 juin 2014, la juridiction des référés déclarait les demandeurs irrecevables à solliciter l'interdiction de publicité relative à la cigarette électronique et mal fondés pour le surplus de leurs demandes.

La cour d'appel a retenu cette irrecevabilité, tout en accordant à la confédération la qualification de syndicat professionnel lui donnant qualité à agir dans l'intérêt de la profession de buraliste, au motif qu'une telle action fondée sur l'article L. 3511-3 du Code de la santé publique serait réservée, aux termes de l'article L3512-1 du même code, aux associations dont l'objet statutaire est la lutte contre le tabagisme.

Par un arrêt en date du 24 mai 2016 (n°14-252010), la chambre commerciale de la cour de cassation a censuré partiellement cet arrêt en jugeant que " le droit à agir reconnu par la loi aux associations investies de la mission d'intérêt général de lutte contre le tabagisme n'exclut pas celui des syndicats professionnels agissant pour la défense de l'intérêt collectif de leurs membres.".

La cour de cassation casse et annule l'arrêt mais seulement en ce qu'il a déclaré irrecevables la Confédération, la société Les Courtilles et monsieur C. " en leur demande tendant à voir interdire à la SARL Clop & Co toute activité de cigarette électronique [...]'.

Parallèlement, la Confédération, la société Les Courtilles et monsieur C. avaient fait assigner la société Clop & Co au fond devant le tribunal de commerce de Paris, suivant acte délivré le 7 janvier 2014. Un sursis à statuer avait été prononcé par jugement du 16 décembre 2014 dans l'attente de la procédure pendante devant la cour de cassation.

Par jugement contradictoire en date du 27 juin 2017, le tribunal de commerce de Paris a :

- rétabli l'instance enrôlée sous le numéro RG 2014001931,

- dit la Confédération, la société Les Courtilles et monsieur C. recevables,

- ordonné à la société Clop & Co de cesser de faire, à compter de la signification du jugement, sous quelques formes que cela soit, la promotion de produits faisant directement ou indirectement référence au tabac et produits liés,

- dit que la société Clop & Co n'a pas enfreint l'interdiction de publicité des produits de vapotage,

- débouté la Confédération, la société Les Courtilles et monsieur C. de leur demande d'astreinte liée à cette prétendue infraction à la publicité des produits de vapotage,

- dit que la société Clop & Co n'a pas commis d'acte de concurrence déloyale,

- débouté la Confédération, la société Les Courtilles et monsieur C. de leurs demandes de réparation de préjudices à l'encontre de la société Clop & Co,

- dit que la Confédération, la société Les Courtilles et monsieur C. n'ont pas commis d'abus de position dominante,

- débouté la société Clop & Co de sa demande de voir condamner la Confédération, la société Les Courtilles et monsieur C. à lui payer la somme de 150.000 euros pour préjudice subi au titre d'un prétendu abus de position dominante,

- débouté la société Clop & Co de sa demande de saisine de l'autorité de la Concurrence .

- dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 Code de procédure civile et débouté respectivement chacune des parties de ses demandes formées de ce chef,

- ordonné l'exécution provisoire sans constitution de garantie,

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif,

- dit que les dépens seront supportés pour moitié par chacune des parties.

La Confédération, la société Les Courtilles et monsieur C. ont interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions par déclaration au greffe du 31 juin 2017.

Les appelants demandent à la cour de :

* Confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a :

- déclaré la Confédération, la société Les Courtilles et monsieur C. recevables à agir pour faire cesser les actes de promotion illicite par la société Clop & Co, des cigarettes électroniques et e liquides et obtenir réparation des préjudices résultant des actes de promotion illicites constatés,

- jugé que la Confédération, la société Les Courtilles et monsieur C. n'ont pas commis d'abus de position dominante et rejeté les demandes reconventionnelles formées sur ce fondement, déboutant la société Clop & Co de sa demande de saisine de l'Autorité de la Concurrence et des demandes indemnitaires formées à ce titre,

- jugé que la société Clop & Co a réalisé des actes de publicité indirecte en faveur des produits du tabac en violation des dispositions des articles L. 3511-3 et L. 3511-4 du Code de la santé publique, dans leur version en vigueur jusqu'au 20 mai 2016, puis des articles L. 3512-4 et L.. 3515-3 du même code,

- ordonné à la SARL Clop & Co de cesser de faire, à compter de la signification de la décision rendue, sous quelques formes que cela soit, la promotion de produits faisant directement ou indirectement référence au tabac et produits liés ;

* Réformer pour le surplus et statuant à nouveau,

- juger que la société Clop & Co a également violé les dispositions des articles L. 3511-3 (version du

26 janvier 2016) puis L. 3513-4 (version 20 mai 2016) du Code de la santé publique, interdisant la publicité en faveur des dispositifs de vapotage,

- ordonner à la société Clop & Co de cesser toute promotion illicite des cigarettes électroniques et e liquides, dans les boutiques CLOPINETTE situées 9 rue Demolombe à Caen (14000) et 160 rue Oberkampf à Paris (75011) et sur son site internet www. clopinette.fr, la page Facebook associée et sa chaîne YouTube, dans les 8 jours de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte provisoire de 1 000 euros par jour de retard passé ce délai,

- condamner la société Clop & Co à verser à monsieur C. et à la société Les Courtilles la somme de 177 057,69 euros chacun en réparation des préjudices subis du fait des actes de concurrence déloyale établis à leur encontre (à parfaire avant la clôture des débats) ;

- A titre subsidiaire, condamner la société Clop & Co à verser à monsieur C. et à la société Les Courtilles la somme de 24 228,94 euros chacun en réparation des préjudices subis du fait des actes de concurrence déloyale établis à leur encontre (à parfaire avant la clôture des débats),

- condamner la société Clop & Co à verser à la Confédération la somme de 100 000 euros en réparation des préjudices subis par la collectivité des buralistes du fait des actes de concurrence déloyale établis,

- juger que la société Clop & Co ne justifie d'aucune position dominante (ni a fortiori d'aucun abus), sur le marché des cigarettes électroniques, de la part de la Confédération, simple union syndicale, comme de monsieur C. et de la société Les Courtilles, dont l'action ne vise pas à interdire la commercialisation et la promotion des cigarettes électroniques,

- juger n'y avoir lieu à saisir l'Autorité de la Concurrence ,

- débouter la société Clop & CO de l'intégralité de ses moyens de défense et de son appel incident à l'encontre des appelants, qui ont partiellement triomphé en leur action en première instance ;

- condamner la société Clop & Co à verser à chacun des demandeurs la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de maître Nicolas Brault.

La société intimée demande à la cour de :

- déclarer irrecevables et mal fondées les demandes de la Confédération, la société Les Courtilles et monsieur C. concernant l'indemnisation d'un prétendu préjudice commercial pour violation des articles 4 et 5 du Code de Procédure Civile.

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la Confédération, la société Les Courtilles et monsieur C. de leur action en concurrence déloyale,

- infirmer le jugement entrepris qui a constaté que la société Clop & Co avait commis des infractions à l'interdiction de publicité indirecte en faveur du tabac et des articles L. 3511-3, L. 3513-4 CSP de 2014 à 2017,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté l'absence de violation des dispositions relatives à la publicité en faveur des cigarettes électroniques commises avant ou après le 26 janvier 2016,

- condamner la Confédération à verser à la société Clop & Co la somme de 150 000 euros en réparation du préjudice du fait de ses abus de position dominante sur le marché des cigarettes électroniques,

Subsidiairement,

- saisir l'Autorité de la Concurrence aux fins de recueillir son avis sur la question suivante : "L'action des buralistes titulaires de monopole de vente au détail des produits du tabac en vue d'interdire sous astreinte la commercialisation et la promotion des cigarettes électroniques, constitue-t-elle un abus de position dominante au sens des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce ayant pour objet de restreindre abusivement la concurrence dans ce secteur de l'économie '",

- condamner la Confédération, la société Les Courtilles et monsieur C. à verser à la société Clop & Co la somme de 14 000 euros chacun (e) en remboursement de ses frais irrépétibles.

Sur la recevabilité des demandes au regard des articles 4 et 5 du Code de procédure civile

La société Clop & Co soutient que devant la cour, les demandeurs ne réclament plus la réparation d'aucun préjudice né de la " commercialisation " des cigarettes électroniques alors que leur assignation ne précisait pas le montant du préjudice réclamé de ce chef en violation des articles 4 et 5 du Code de procédure civile rendant toutes leurs demandes irrecevables et mal fondées devant la cour.

L'article 4 dispose que " L'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Ces prétentions sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense. Toutefois l'objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant. ".

L'article 5 que " le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé. ".

Pour autant, il est établi qu'en procédure écrite, les demandes des parties peuvent, sous certaines réserves notamment de connexité, évoluer devant la juridiction de premières instances par notifications de conclusions récapitulatives jusqu'à l'ordonnance de clôture et qu'il en est de même devant la cour sauf irrecevabilité des prétentions nouvelles au sens de l'article 564 du Code de procédure civile.

Les dernières conclusions notifiées par les appelants par voie électronique, le 9 février 2018 déterminent des demandes chiffrées de dommages et intérêts que chacun d'eux sollicite à l'encontre de la société Clop & Co sur le fondement d'actes de concurrence déloyale qu'elle dénonce au visa de l'article 1240 du Code civil.

Le seul élément indéterminé dans ces demandes est relatif à la possibilité que les appelants ont cru devoir se réserver "de parfaire " leurs demandes avant la clôture des débats dont la cour ne tiendra pas compte, une telle prétention étant inutile.

L'exception d'irrecevabilité sera ainsi rejetée.

Sur la législation du Code de la santé publique applicable

Les alinéas 1et 2 de l'article L. 3511-3 du Code de la santé publique, dans sa version en vigueur jusqu'au 28 janvier 2016, prohibaient comme suit la publicité directe ou indirecte en faveur du tabac :

"La propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur du tabac, des produits du tabac ou des ingrédients définis au deuxième alinéa de l'article L. 3511-1 ainsi que toute distribution gratuite ou vente d'un produit du tabac à un prix de nature promotionnelle contraire aux objectifs de santé publique sont interdites.

Ces dispositions ne s'appliquent pas aux enseignes des débits de tabac, ni aux affichettes disposées à l'intérieur de ces établissements, non visibles de l'extérieur, à condition que ces enseignes ou ces affichettes soient conformes à des caractéristiques définies par arrêté interministériel.".

L'article L. 3511-4 du même Code disposait :

"Est considérée comme propagande ou publicité indirecte la propagande ou la publicité en faveur d'un organisme, d'un service, d'une activité, d'un produit ou d'un article autre que le tabac, un produit du tabac ou un ingrédient défini au deuxième alinéa de l'article L. 3511-1 lorsque, par son graphisme, sa présentation, l'utilisation d'une marque, d'un emblème publicitaire ou un autre signe distinctif, elle rappelle le tabac, un produit du tabac ou un ingrédient défini au deuxième alinéa de l'article L. 3511-1.".

L'article L. 3511-1disposait :

" Sont considérés comme produits du tabac les produits destinés à être fumés, prisés, mâchés ou sucés, dès lors qu'ils sont, même partiellement, constitués de tabac, ainsi que les produits destinés à être fumés même s'ils ne contiennent pas de tabac, à la seule exclusion des produits qui sont destinés à un usage médicamenteux, au sens du troisième alinéa (2°) de l'article 564 decies du code général des impôts.

Est considéré comme ingrédient toute substance ou tout composant autre que les feuilles et autres parties naturelles ou non transformées de la plante du tabac, utilisés dans la fabrication ou la préparation d'un produit du tabac et encore présents dans le produit fini, même sous une forme modifiée, y compris le papier, le filtre, les encres et les colles. Les fabricants et importateurs de produits du tabac doivent soumettre au ministère chargé de la santé une liste de tous les ingrédients et de leurs quantités utilisées dans la fabrication des produits du tabac, par marque et type, dans des conditions définies par arrêté du ministre chargé de la santé. ".

Ni les cigarettes électroniques qui impliquent une production de vapeur par l'action de " vapoter ", ni les produits liquides utilisés n'étaient compris comme produit du tabac au sens de l'article L.3511-1 dans sa version initiale.

Ainsi, avant le 26 janvier 2016, la publicité pour la cigarette électronique ou les produits nécessaires au vapotage n'était pas interdite sauf si elle faisait référence aux produits du tabac et en faisait dès lors une publicité directe ou indirecte interdite.

La loi du 26 janvier 2016 " de modernisation de notre système de santé " a modifié l'article L.3511-3 du code de la santé publique pour interdire la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur " des dispositifs électroniques de vapotage et des flacons de recharge qui leur sont associés ".

L'ordonnance n°2016-623 du 19 mai 2016, a confirmé cette interdiction par l'ajout d'un Chapitre consacré spécifiquement aux " produits du vapotage " et par la création d'un nouvel article L. 3513-4 du Code de la santé publique, disposant que :

"La propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des produits du vapotage est interdite.

Ces dispositions ne s'appliquent pas :

1° Aux publications et services de communication en ligne édités par les organisations professionnelles de producteurs, fabricants et distributeurs des produits du vapotage, réservés à leurs adhérents, ni aux publications professionnelles spécialisées dont la liste est établie par arrêté ministériel signé par les ministres chargés de la santé et de la communication ; ni aux services de communication en ligne édités à titre professionnel qui ne sont accessibles qu'aux professionnels de la production, de la fabrication et de la distribution des produits du vapotage ;

2° Aux publications imprimées et éditées et aux services de communication en ligne mis à disposition du public par des personnes établies dans un pays n'appartenant pas à l'Union européenne ou à l'Espace économique européen, lorsque ces publications et services de communication en ligne ne sont pas principalement destinés au marché communautaire ;

3° Aux affichettes relatives aux produits du vapotage, disposées à l'intérieur des établissements les commercialisant et non visibles de l'extérieur.

Toute opération de parrainage ou de mécénat est interdite lorsqu'elle a pour objet ou pour effet la propagande ou la publicité directe ou indirecte en faveur de produits du vapotage. ".

Par ailleurs, cette ordonnance a recodifié les articles L. 3511-1 et suivants du Code de la santé publique aux articles L. 3512-4 et suivants.

Sur la violation de l'interdiction de la publicité en faveur des produits rappelant les produits de tabac

Les appelants reprochent à la société Clop & Co une publicité indirecte du tabac interdite sous l'empire des articles L. 3511-3 et L. 3511-4 du Code de la santé publique dans leurs versions initiales.

Ils appuient leurs allégations sur notamment un constat établi le 5 juin 2013 par monsieur C., expert auprès du CELOG, sur le site www. clopinette.fr et sur trois procès-verbaux de constat dressés par huissiers de justice les 19 et 20 décembre 2013 devant les boutiques situées à Caen et à Paris 11 et sur internet (pièces des appelants 7, 50 et 51 à 51 ter).

Ils critiquent en premier lieu l'utilisation par la société Clop & Co dans ses publicités, comme enseigne des boutiques, et sur son site internet de deux marques semi figuratives dont elle est titulaire et qui contreviendrait aux dispositions de l'article L. 3511-4 :

Ils lui reprochent plus généralement l'utilisation du terme 'clopi', notamment dans l'appellation de 'clopishop' qui ferait référence au nom familier 'clope' pour désigner une cigarette ou un mégot.

Ils arguent également que l'intimée faisait la promotion de cigarettes électroniques revêtant l'apparence de vraies cigarettes et de cigares sur son site internet, sa page Facebook et dans ses points de vente, ainsi que la promotion de e liquides, avec ou sans nicotine ayant 'le goût de tabac' et qu'en faisant référence aux marques de fabricants de tabac, l'intimée faisait la promotion indirecte des produits de tabac.

La société Clop & Co soutient que les éléments tant matériel qu'intentionnel de la publicité indirecte en faveur du tabac, au sens de l'article L. 3511-4 du Code de la santé publique font défaut.

S'agissant de l'élément matériel, elle prétend que la marque 'Clopinette' est tirée d'une expression populaire signifiant 'presque rien' qui se détache de la consommation de tabac, que l'e cigarette ne se présente pas du tout comme un produit de tabac, n'a pas le même emballage, ni la même composition, ni encore la même forme, et que les actes de la société Clop & Co relèvent du commerce et non de la publicité.

Quant à l'élément moral, elle soutient qu'elle ne fait pas la publicité d'une marque de tabac et n'encourage pas non plus la consommation de tabac dans la mesure où elle se place comme un concurrent des buralistes et des fabricants de tabac.

La cour constate que l'utilisation des marques " clopinettes" a bien pour but et pour objet d'identifier et de promouvoir les produits de la société Clop & Co qui ne sont pas des produits de tabac au sens des articles précités antérieurs à 2016.

Le terme 'clopinette' ne renvoie pas directement à la cigarette de tabac et si le terme 'clope' signifie bien en langage familier la cigarette de tabac, tel n'est pas le cas du terme 'clopinette' qui ne signifie pas dans le langage courant une petite cigarette mais 'peu de choses'.

Quant à la 'bouffée de plaisir' qui figure dans l'une des deux marques figuratives dont l'usage est contesté, elle renvoie en l'espèce au plaisir d'inhaler une bouffée de vapeur tirée de la cigarette électronique et non à celui de fumer une cigarette de tabac.

De même le terme 'clopi' inclus dans celui de clopishop ne fait pas la publicité indirecte du tabac, l'expression 'clopi' n'étant pas plus que celle de 'clopinette' utilisée pour désigner une cigarette de tabac.

En revanche, il ressort du constat réalisé par le CELOG le 5 juin 2013 (pages 11, 12 et 13) que le site internet Clopinette de la société Clop & Co commercialisait une 'e cigarette jetable' ressemblant très fortement à une vraie cigarette d'une part par sa fonction à usage unique, d'autre part par sa présentation, l'objet étant cylindrique, fin, long de quelques centimètres et composé d'une partie brune résiduelle correspondant au filtre et à son emballage et d'une partie blanche supérieure imitant le papier de la cigarette, avec une finition grise pouvant être associée à un résidu de cendre provenant d'une cigarette en combustion.

En outre, la photographie du produit était accompagnée d'une description faisant état de 'la capacité de 300 bouffées soit environ 40 cigarettes' de cette cigarette électronique, vantant par ailleurs " son goût et ses dimensions [qui] en font une 'vraie fausse blonde' et son 'goût de Tabac blond' ".

Par contre, les autres cigarettes électroniques rechargeables proposées en vente par le site internet Clopinette ne jouent pas sur une ressemblance avec les vraies cigarettes. Si la forme de ces cigarettes, qui se présentent comme des objets longs, cylindriques et fins, est similaire à celle d'une vraie cigarette, la couleur et la présentation des cigarettes électroniques se distinguent des véritables cigarettes et peuvent tout aussi bien évoquer un stylo haut de gamme.

Par ailleurs, il ressort d'un deuxième constat CELOG du 1er juin 2016, que l'enseigne Clopinette a publié sur le réseau social Facebook une annonce faisant la promotion d'un coffret de cigares électroniques dénommé " ebarro " le 16 décembre 2015 accompagné d'une photographie du produit qui est fortement similaire par sa forme, sa couleur et sa présentation aux vrais cigares.

S'agissant de la commercialisation de liquides de recharge dits 'e liquides', il ressort des constats du Celog des 5 juin 2013 et 1er juin 2016 que le site internet Clopinette présentait différents produits liquides de recharge pour cigarettes électroniques notamment le " eliquide tabac Madura" présenté comme " une saveur de tabac blond corsé qui reproduit le goût d'une célèbre marque de cigarettes blondes. Même si le goût n'est pas exactement identique à celui qu'apporte une vraie cigarette, l'illusion est là!" ou le "liquide Tabac California", " ayant le goût de tabac blond léger" ou encore le "eliquide Tabac Gold" à la "saveur de tabac blond". Ces références à des marques connues et appréciées des fumeurs et aux différents goûts des tabacs dans le graphisme et la présentation de ces liquides de recharges rappellent les produits de tabac, le tabac et leur ingrédient.

L'infraction de publicité illicite est constituée en présence de toutes formes de communication commerciale, quel qu'en soit le support, ayant pour but ou pour effet de promouvoir directement ou indirectement le tabac ou un produit de tabac. La publicité indirecte est celle faite en faveur d'une activité ou d'un produit ou d'un article autre que le tabac, un produit de tabac ou un ingrédient lorsque par son graphisme, sa présentation, l'utilisation d'une marque, d'un emblème publicitaire ou d'un autre signe distinctif, elle rappelle le tabac, un produit de tabac ou un ingrédient.

L'absence de règlementation relative aux produits de vapotage antérieurement au 28 janvier 2016 ne saurait ainsi exempter la société Clop & Co de respecter les dispositions applicables du Code de la santé publique dans le cadre de son activité commerciale et de la présentation de ses produits. Le moyen tenant à l'absence d'élément intentionnel de promouvoir une marque ou un produit de tabac ne saurait prospérer dès lors qu'il est établi que la société Clop & Co a volontairement rappelé le tabac et les produits de tabac dans la présentation de ses produits.

C'est donc par de justes motifs, que la cour adopte, que le tribunal a jugé qu'il ressort des éléments versés aux débats, que la société Clop & Co a fait la promotion des cigarettes électroniques et des produits liquides de recharge pour ces cigarettes en rappelant de façon explicite dans ses supports de communication commerciale, le tabac, les produits de tabac et leurs ingrédients, et a retenu que ces faits étaient constitutifs d'une violation tant au regard des anciens articles L. 3511-3, L. 3511-4 du code de la santé publique, qu'au regard des dispositions des articles L. 3512-4 et L. 3512-5 du code de la santé publique applicables après le 28 janvier 2016.

La société Clop & Co indique avoir, postérieurement à 2016, modifié sa communication et supprimé les cigarettes électroniques pouvant ressembler à des cigarettes de tabac.

Pour autant, si la plupart des faits ci-dessus reprochés ont cessé sous l'empire des dispositions postérieures au 28 janvier 2016, le rapport du CELOG du 1er juin 2016 montre que la publicité pour le liquide de recharge " K. Bill " " un tabac blond et corsé donnant une réelle impression de fumée " postée sur le réseau social Facebook le 3 novembre 2015 était toujours accessible de même que la publicité des cigares électroniques susmentionnée postée le16 décembre 2015.

Il convient donc de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a ordonné à la société Clop & Co de cesser de faire, à compter de la signification de la présente décision, sous quelques formes que cela soit, la promotion de produits faisant directement ou indirectement référence au tabac et produits liés.

Sur la violation de l'interdiction de la publicité au public des produits de vapotage au vu de la règlementation postérieure à la loi du 26 janvier 2016

Le jugement entrepris a dit que si les demandeurs produisaient aux débats de nombreux éléments démontrant que la société Clop & Co avait, sur son site internet, antérieurement au 19 mai 2016, procédé à des promotions de produits de vapotage, aucun élément probant n'est communiqué par les demandeurs indiquant que la société Clop & Co a, après cette date, procédé à de telles promotions.

Les appelants soutiennent que la société Clop & Co a bien violé les dispositions issues de l'ordonnance du 19 mai 2016 en organisant la promotion des produits de vapotage par le biais d'un film publicitaire diffusé le 25 janvier 2014 mais toujours accessible en janvier 2018 et en organisant des campagnes promotionnelles de ses produits de vapotage sur son site internet et via les réseaux sociaux ainsi que par des messages textes de 2015 à 2017.

L'intimée soutient que la promotion des produits de vapotage se fait dans le respect des dispositions légales, qu'elle a fourni des instructions à ses franchisés concernant la nouvelle règlementation applicable et ne saurait être tenue responsable de leurs agissements. Elle estime que les opérations de promotion organisées étaient mineures et faites par des messages internes à la clientèle ou des moyens de communication autorisés par la loi. Elle ajoute que son soutien à des évènements comme l'euro 2016 ou la journée sans tabac ne saurait être vue comme une opération de parrainage mais seulement comme l'expression d'une opinion.

La cour retient qu'il ne ressort pas des pièces versées aux débats par les appelants que les enseignes Clopinette ou les affiches placées au sein des points de vente Clopinette enfreignent la règlementation applicable au 21 mai 2016.

En outre, si plusieurs campagnes promotionnelles à durée limitée ont été mises en œuvre par la société Clop & Co via les réseaux sociaux en 2015 et étaient toujours visibles au 1er juin 2016, date du second constat du CELOG, il ne ressort pas des éléments versés aux débats que de nouvelles offres promotionnelles ont été publiées postérieurement au 21 mai 2016, date d'entrée en vigueur de la nouvelle règlementation applicable aux produits de vapotage.

De plus, les appelants justifient de différentes publications, reproduites en page 74 et 75 du constat du CELOG du 1er juin 2016, effectuées sous le nom Clopinette et qui font la promotion des produits de vapotage en mettant en avant le prix des produits de liquide de recharge ou en publiant une photographie associant une cigarette électronique et un café accompagné d'un message incitatif. Bien que diffusées antérieurement à l'entrée en vigueur des dispositions relatives à l'interdiction de la publicité pour les produits de vapotage, elles étaient toujours accessibles au 1er juin 2016, soit postérieurement à l'entrée en vigueur de l'interdiction de publicité. Ces faits sont donc constitutifs de publicité illicite et il sera ordonné à la société Clop & Co de cesser la diffusion de tout contenu faisant la promotion de ses produits.

Ainsi et contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, il est établi en cause d'appel que le film publicitaire faisant la promotion de l'enseigne et de ses produits diffusés le 25 janvier 2014 était toujours visible en janvier 2018, soit postérieurement à la date d'entrée en vigueur de la nouvelle réglementation interdisant la publicité, sur la page Facebook de l'enseigne. Ce film fait la promotion de l'enseigne Clopinette et des produits de la société Clop & Co et est accessible à tous, de sorte que l'infraction de publicité illicite des produits de vapotage est constituée à l'encontre de la société Clop & Co.

Il convient donc d'infirmer la décision déférée sur ce point et d'ordonner à la société Clop & Co de cesser la diffusion des offres promotionnelles antérieures au 21 mai 2016 ainsi que du film publicitaire diffusé le 25 janvier 2014.

Sur les actes de concurrence déloyale

Les appelants soutiennent que le non-respect de la réglementation par l'intimée constitue une faute génératrice d'un trouble commercial pour monsieur C. et la société Les Courtilles et pour l'ensemble des buralistes de France qui doivent respecter cette règlementation dans la mesure où l'intimée dispose d'un service de livraison sur l'ensemble du territoire français via son site internet. Ils soutiennent que ces violations ont eu pour effet une distorsion de concurrence sur le marché émergent des produits de vapotage au sein duquel les buralistes essayent de s'implanter.

Ils invoquent un trouble commercial résultant encore d'un détournement de la clientèle des buralistes qu'ils estiment établi par l'expansion rapide de la société Clop & Co sur le marché des produits de vapotage et par la volonté de la société Clop & Co de présenter ses produits comme une alternative aux produits de tabac.

L'intimée soutient que le préjudice commercial de monsieur C. et de la société Les Courtilles n'est pas démontré par une baisse de leur chiffre d'affaires ou de leur clientèle. Elle conteste le calcul du montant du préjudice commercial effectué sur la base du chiffre d'affaire de la société Clop & Co et sans proportion avec les demandes inférieures de première instance qui incluaient à l'origine le préjudice résultant de la commercialisation des cigarettes électroniques.

Par ailleurs, elle soutient que la Confédération qui n'a aucune activité commerciale et ne détient pas de parts de marché, ne justifie d'aucun préjudice commercial. Elle reprend à son compte la motivation du jugement du tribunal de commerce qui estimait que le succès de la publicité indirecte en faveur du tabac ne pouvait qu'accroitre le chiffre d'affaires des buralistes qui détiennent un monopole de la vente du tabac tandis que l'impact de l'échec de la publicité ne saurait être évalué.

La cour relève que l'exercice d'une activité en violation de la réglementation, au préjudice des membres d'une profession réglementée ou de concurrents, constitue un acte de concurrence déloyale et qu'en application de l'article 1240 du Code civil le préjudice qui pourrait en résulter doit être réparé.

Le non-respect par la société Clop & Co tout d'abord de la règlementation interdisant la publicité indirecte puis des dispositions nouvelles interdisant la publicité en faveur des produits de vapotage lui a permis de capter une partie de la clientèle des buralistes notamment sur le marché des produits de vapotage.

Ces violations ont causé un préjudice commercial à monsieur C. et à la société Les Courtilles, astreints à respecter les règlementations applicables.

Pour autant, ni l'un, ni l'autre ne produisant d'élément comptable justifiant du quantum précis de leurs pertes, la cour au vu des seuls éléments fournis est toutefois en mesure de fixer le préjudice subi par chacun d'eux à la somme de 5 000 euros.

La Confédération agissant dans l'intérêt collectif de ses membres ne subit pas directement de préjudice du fait des agissements constatés qui ne soit pas réparé d'une part par les mesures d'interdiction ordonnées et d'autre part par la condamnation de la société Clop & Co au paiement des frais irrépétibles qu'elle a du engager sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Sur la demande de la société Clop & Co fondée sur un abus de position dominante de la confédération

La société Clop & Co sollicite la condamnation de la confédération à lui verser la somme de 150 000 euros en réparation du préjudice qu'elle aurait subi du fait de ses abus de position dominante sur le marché des cigarettes électroniques.

Elle rappelle que les buralistes sont en situation de monopole sur le marché de la distribution de tabac et qu'ils utilisent les avantages que leur procure cette position de monopole pour s'attribuer le marché des cigarettes électroniques.

Pour autant, la cour retient que si les buralistes ont bien une position de monopole sur la vente du tabac, tel n'est pas le cas sur la vente des cigarettes électroniques et de leurs produits accessoires.

Pour ces produits, les buralistes et les vendeurs spécifiques de cigarettes électroniques, tel la société Clop & Co, sont en concurrence et cette concurrence n'est pas faussée par les règles d'un monopole.

Il n'est pas non plus justifié que les buralistes occuperaient une situation dominante sur le marché des produits de vapotage.

L'action visant pour la société Clop & Co à obtenir à son profit un dédommagement sur le fondement de la concurrence déloyale impose la preuve d'actes illicites ou déloyaux commis qu'elle reproche à la Confédération et d'un préjudice subi par elle en lien de causalité avec les agissements dénoncés.

Or, aucune des pièces versées aux débats ne permettent de caractériser des agissements illicites au regard des articles L. 3511-3 et L. 3511-4 du Code de la santé publique dans leurs versions initiales ou de l'interdiction de la publicité pour la cigarette électronique ou les produits nécessaires au vapotage postérieurement au 26 janvier 2016, qui auraient été commis par la confédération, les agissements individuels de buralistes ne pouvant lui être reprochés.

Il est par ailleurs rappelé que la Confédération est une Union Syndicale qui n'exerce aucune activité de commercialisation des produits en cause et qui ne détient par définition aucune part d'un quelconque marché, mais qui agit dans l'intérêt de la profession qu'elle représente.

Son action en justice est dès lors légitime dans le soutien de l'intérêt collectif et au surplus en l'espèce bien fondée.

Dès lors, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Clop &Co en sa demande indemnitaire et en sa demande présentée à titre subsidiaire de saisine de l'autorité de la concurrence.

Par ces motifs, confirme le jugement du tribunal de commerce du 27 juin 2017 sauf en ce qu'il a dit que la société Clop & Co n'a pas enfreint l'interdiction de publicité des produits de vapotage et débouté le Syndicat Confédération Nationale des Buralistes de France, monsieur Hervé C. et la société Les Courtilles de leurs demandes de réparation de préjudices et au titre des frais irrépétibles à l'encontre de la société Clop & Co et partagé les dépens de la procédure, Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant, Enjoint à la société Clop & Co de cesser la diffusion des offres promotionnelles antérieures au 21 mai 2016 ainsi que du film publicitaire diffusé le 25 janvier 2014, Condamne la société Clop & Co à payer à monsieur C. la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice, Condamne la société Clop & Co à payer à la société Les Courtilles la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice, Condamne la société Clop & Co à payer à monsieur Hervé C., à la société Les Courtilles et au Syndicat Confédération Nationale des Buralistes de France la somme de 5 000 euros à chacun, soit 15 000 euros au total, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation, Condamne la société Clop & Co aux dépens de la procédure de première instance et d'appel qui, pour ces derniers, pourront être recouvrés par Maître Nicolas Brault, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.