CA Rennes, 4 décembre 2018, n° 16-01789
RENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Le Menn (SARL)
Défendeur :
Optic Associés (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
M. Calloch, Conseillers : Mme Jeorger Le Gac, M. Garet
Avocats :
Mes Dohollou, Grenard, Bihan
Faits et procédure
Les sociétés Le Menn et Optic Associés, exerçant une activité d'opticien, ont acquis toutes deux en janvier 2011 des locaux à usage commercial en l'état futur d'achèvement dans un immeuble situé 33 rue Guillaume Onfroy à Saint Malo.
Monsieur L., gérant de la société Optic Associés, a obtenu du promoteur la possibilité de modifier les plans initiaux afin de créer une voie piétonne permettant un accès direct à son local et de faire ouvrir des portes d'accès complémentaires.
Par acte en date du 9 juillet 2012, la société civile immobilière MC Design, propriétaire du local exploité par la société Le Menn, a fait assigner le promoteur et l'assemblée de copropriétaire devant le tribunal de grande instance de Saint Malo afin d'obtenir leur condamnation à effectuer les travaux de remise en état des lieux conformément aux plans initiaux. Suivant assemblée générale des 5 juin 2012 et 17 décembre 2012, l'assemblée des copropriétaires a autorisé monsieur L. a procéder à la pose de jardinières pour empêcher le passage piéton vers le local exploité par la société Optic Associés puis a demandé à monsieur L., représentant la société Optic Associés, de remettre en leur état initial les portes d'accès par lui créées. Par assemblée générale du 3 septembre 2013, cette même assemblée a refusé sa demande de régularisation du permis de construire modificatif ayant permis la modification des lieux. La société Le Menn et la société MC Design ont faire assigner par actes en dates des 9 juillet 2012 et 12 avril 2013 la copropriété devant le tribunal de grande instance de Saint Malo pour obtenir l'annulation de ces trois délibérations et monsieur L. et la SARL Optic Associés pour obtenir l'indemnisation du préjudice résultant de la modification des lieux.
Suivant jugement en date du 11 avril 2018, le tribunal de grande instance de Saint Malo a notamment annulé les assemblées générales des 17 décembre 2012, 18 décembre 2012 et 3 septembre 2013 et a débouté la société Le Menn de ses demandes en indemnisation dirigées contre monsieur L. et la SARL. Optic Associés. La société Le Menn et la société MC Design ont interjeté appel de cette décision par déclaration enregistrée au greffe le 14 mai 2018.
Par acte en date du 27 novembre 2014, la société Le Menn a fait assigner la société Optic Associés devant le tribunal de commerce de Saint Malo afin de faire juger que celle ci avait commis des actes parasitaires constitutifs de concurrence déloyale et obtenir sa condamnation à cesser ses agissements sous astreinte de 1 000 par jour de retard et à lui verser une somme de 237 323 65, outre 240 21 par jour à compter du 1er juin 2015, en réparation du préjudice subi.
Suivant jugement en date du 26 janvier 2016, le tribunal a prononcé le sursis à statuer sur les demandes de la société Le Menn portant sur les faits reprochés à la société Optic Associés pour la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014 dans l'attente du jugement du tribunal de grande instance de Saint Malo et a débouté la société Le Menn pour les faits commis entre le 20 février 2012 et le 31 décembre 2012 et postérieurement au 31 décembre 2014.
La société Le Menn a interjeté appel de cette décision par déclaration enregistrée au greffe le 2 mars 2016.
Le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction par ordonnance en date du 4 octobre 2018 et a renvoyé l'examen de l'affaire à l'audience du 16 octobre 2018.
A l'appui de son appel, par conclusions déposées au greffe le 28 septembre 2018, la société Le Menn demande en premier lieu à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné le sursis à statuer pour une partie des faits dès lors que le jugement du tribunal de grande instance de Saint Malo en date du 11 avril 2018 a été frappé d'appel. En second lieu, la société Le Menn conclut à l'infirmation du surplus de la décision, affirmant que la société Optic Associés a bien commis des actes de concurrence déloyale . Pour les faits antérieurs au 1er janvier 2013, elle soutient que la société Optic Associés a procédé à la modification de la visibilité de son magasin et a créé à son profit un accès direct sans l'accord de la copropriété et en violation du règlement de copropriété et du permis de construire. Ces agissements auraient entraîné à son détriment une désorganisation générale et des perturbations du marché et ils auraient pour but de détourner la clientèle, rappel étant fait que l'immeuble commun abrite un cabinet d'ophtalmologie.
Pour les faits postérieurs au 31 décembre 2014, la société Le Menn invoque le stationnement irrégulier de deux véhicules portant le logo KRIS par la société Optic Associés, stationnement permettant de créer au profit de cette dernière un passage naturel entre le parking et le fonds de commerce, et ce alors que les emplacements sont réservés à la clientèle.
Pour chiffrer le préjudice résultant de ces actes, la société Le Menn se fonde sur la baisse journalière du chiffre d'affaire telle que révélée par les documents comptables versés aux débats et demande l'indemnisation de cette perte journalière pour chaque période considérée. Au terme de ces écritures, la société Le Menn demande à la cour de juger que la société Optic Associés a commis des actes de concurrence déloyale et de la condamner à lui verser la somme de 96 803 outre 183 70 par jour du 1er juin 2016 à la cessation définitive de ses agissements, outre 5 000 en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Optic Associés, par conclusions déposées au greffe le 24 septembre 2018, conclut que l'appel de la société Le Menn était limité, l'intéressée concluant à la confirmation de la décision ayant ordonné le sursis à statuer. Elle soutient que la demande de la société Le Menn tendant au sursis à statuer dans l'attente de la décision de la cour est irrecevable, constituant une demande nouvelle n'ayant pas été présentée avant toute demande au fond alors qu'elle constitue, en application de l'article 73 du Code de procédure civile, une exception de procédure.
Sur la demande au fond, la société Optic Associés soutient que l'appelante ne démontre nullement l'existence de manœuvres déloyales lui étant imputables. Elle rappelle notamment que les modifications de l'état des lieux évoquées ont été réalisées par le promoteur lui même et conteste toute atteinte à la visibilité ou à l'accessibilité des locaux. Elle précise que le véhicule Smart est
garé sur un emplacement privatif lui appartenant et conteste que cette situation puisse être considérée comme révélant un agissement fautif.
La société Optic Associés affirme par ailleurs que la société Le Menn n'établit nullement l'existence d'un préjudice en lien avec les agissements allégués. Elle conteste notamment l'interprétation donnée par l'intéressée de ses propres pièces comptables, relève les variations dans les demandes et soutient que le lien de causalité entre les prétendus agissements en concurrence déloyale et la perte éventuelle de clientèle n'est nullement rapporté.
Au terme de ses écritures, elle demande à la cour de constater que le dispositif ayant ordonné le sursis à statuer n'est pas déféré à la cour et subsidiairement de juger irrecevable la nouvelle demande de sursis présentée. Sur le fond, elle conclut à la confirmation de la décision ayant débouté la société Le Menn et conclut à sa condamnation au paiement d'une somme de 5 000 de dommages intérêts pour procédure abusive, outre 10 000 en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Motifs de la décision
Sur la demande de sursis à statuer
La demande de confirmation du jugement ayant prononcé le sursis à statuer dans l'attente du jugement du tribunal de grande instance de Saint Malo se prononçant sur les faits reprochés pour la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014 apparaît désormais sans objet, le dit jugement ayant été prononcé ; en revanche, la demande de sursis à statuer dans l'attente de la décision de la Cour d'appel apparaît recevable, l'acte d'appel intervenu depuis lors constituant un fait nouveau au sens de l'article 564 du Code de procédure civile ; cette demande apparaît fondée dès lors que comme l'ont relevé les premiers juges, le litige pendant devant la cour concerne les mêmes actes et que la demande en indemnisation repose sur les mêmes fondements que ceux invoqués dans la présente procédure ; il convient en conséquence d'ordonner le sursis à statuer dans l'attente de la décision de la cour statuant sur les mérites du jugement du tribunal de grande instance en date du 11 avril 2018.
Sur les actes de concurrence déloyale
Une action en concurrence déloyale , fondée sur les principes de la responsabilité délictuelle, impose pour prospérer de démontrer l'existence d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre les deux ; en application du principe constitutionnel de la liberté de l'industrie et du commerce, la faute ne peut se présumer du seul fait de l'exercice par un tiers d'une activité concurrente ; il appartient à celui qui se prévaut d'un acte de concurrence déloyale d'établir en quoi le concurrent a manqué aux usages loyaux du commerce, et quel préjudice, perte de clientèle ou désorganisation de son entreprise, en a résulté.
En l'espèce, la société Le Menn invoque les travaux effectués à la demande de son concurrent, la société Optic Associés, pour améliorer la visibilité et l'accessibilité de son fonds de commerce ; il y a lieu en premier lieu de constater que ces travaux ont été effectués non par la société Optic Associés, mais par le promoteur ; si ces travaux ne sont pas conformes aux plans initiaux, cette seule circonstance ne suffit pas à les considérer comme illicites ou contraires aux règles de l'urbanisme, et donc à les considérer comme fautifs ; en second lieu, si ces travaux ont amélioré la visibilité du magasin et facilité l'accès pour les clients potentiels, et tout particulièrement ceux sortant du cabinet d'ophtalmologie, ils n'ont aucunement empêché les dits clients de cheminer jusqu'au fonds exploité par la société LE MENN, distant que de quelques mètres et tout aussi visible ; ces travaux ne peuvent en conséquence être considérés comme des actes de détournement de clientèle, ni comme un manquement aux usages loyaux du commerce, usages permettant à tout commerçant de présenter les commodités les plus attractives pour attirer le consommateur ; en troisième et dernier lieu, il ne résulte d'aucune pièce que ces travaux ont désorganisé le fonds de la société Le Menn, fonds parfaitement visible et accessible pour tout consommateur ; c'est dès lors à bon droit que les premiers juges ont refusé de considérer ces travaux comme constituant des actes de concurrence déloyale , et ce sans même devoir s'interroger sur la preuve du préjudice invoqué par la société Le Menn et son lien de causalité avec les faits allégués.
Le stationnement d'un véhicule par la société Optic Associés, voire de deux, sur un emplacement privatif ne peut manifestement pas être considéré comme fautif ; il en serait de même en admettant que ce stationnement se fasse sur le parking commun, dont la destination est précisément de permettre le stationnement des véhicules, qu'ils appartiennent aux commerçants ou aux clients ; aucune pièce ne permet de soutenir que le véhicule de type Smart est constamment stationné de manière irrégulière, en dépassant l'emplacement ; à supposer ce fait établi, il ne peut être jugé qu'il constitue un manquement aux règles de la loyauté commerciale et qu'il puisse occasionner soit un détournement de la clientèle, soit une désorganisation de l'entreprise concurrente ; c'est dès lors tout à fait à bon droit que les premiers juges ont débouté la société Le Menn de sa demande en concurrence déloyale fondée sur ce fait.
Sur les demandes accessoires
Si la société Le Menn manifeste par son action une grande difficulté à accepter la concurrence occasionnée par la présence d'un autre commerce dans l'immeuble par elle occupé, il n'existe pas d'éléments suffisant pour caractériser le caractère abusif ou fautif de cette action issue du droit général d'ester en justice.
La société Le Menn succombant à la procédure, elle devra verser à la société Optic Associés une somme de 5 000 en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR : - Ordonne le sursis à statuer sur les demandes de la société Le Menn portant sur les faits reprochés à la société Optic Associés pour la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014 dans l'attente de la décision de la présente cour d'appel statuant sur l'appel interjeté à l'encontre du jugement du tribunal de grande instance de Saint Malo en date du 11 avril 2018. - Confirme pour le surplus le jugement du tribunal de commerce de Saint Malo en date du 26 janvier 2016 dans l'intégralité de ses dispositions. - Ordonne le retrait de l'affaire du rôle et DIT qu'elle y sera réinscrite à la demande de l'une quelconque des parties sur justification de la décision de la cour d'appel pour laquelle le sursis a été prononcé. - Déboute les parties du surplus de leurs demandes. - Condamne la société Le Menn à verser à la société Optic Associés la somme de 5 000 en application de l'article 700 du Code de procédure civile. - Met l'intégralité des dépens à la charge de la société Le Menn, dont distraction au profit des avocats à la cause en ayant fait la demande.