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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 13 décembre 2018, n° 12-12066

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Transdev Île-de-France (SA)

Défendeur :

Autorité de la concurrence, Ministre chargé de l'Economie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mollard

Conseillers :

M. Douvreleur, Mme Chesnot

Avocats :

Mes Teytaud, Donnedieu de Vabres Tranié

CA Paris n° 12-12066

13 décembre 2018

LA COUR,

Vu la décision du Conseil de la concurrence n° 05-D-38 du 5 juillet 2005 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché du transport public urbain de voyageurs ;

Vu l'arrêt de la cour d'appel de Paris n° RG 05/15051 du 7 février 2006 ayant rejeté les recours formés par les sociétés Connex, Kéolis et Transdev ;

Vu l'arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, du 9 octobre 2007 (pourvois n° 06-12.446, 06-12.596) ayant rejeté le pourvoi formé par la société Kéolis et cassé l'arrêt sauf en ce qu'il a déclaré recevable l'intervention volontaire de la communauté urbaine de Bordeaux et a rejeté sa demande ;

Vu l'arrêt de la cour d'appel de Paris n° RG 09/20624 du 15 juin 2010 ayant rejeté le recours formé par la société Veolia Transport, anciennement Connex, contre cette décision;

Vu l'arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, du 15 novembre 2011 (pourvois n° 10-20.527, 10-20.851 et 10-20.881) ayant déclaré irrecevable le pourvoi incident formé par la société Kéolis et annulé l'arrêt du 15 juin 2010, mais seulement en ce qu'il a rejeté le recours de la société Veolia Transport;

Vu la déclaration de saisine après cassation déposée au greffe de la cour d'appel de Paris le 29 juin 2012 par la société Veolia Transport;

Vu l'exposé des moyens déposé au greffe de la cour par la société Veolia Transport le 18 décembre 2012;

Vu les conclusions récapitulatives et les conclusions récapitulatives et en réplique déposées au greffe de la cour par la société Transdev Ile-de-France, anciennement Veolia Transport, les 29 mars et 19 juillet 2018;

Vu les observations de la société Kéolis déposées au greffe de la cour le 28 février 2013 ;

Vu les observations écrites de l'Autorité de la concurrence déposées au greffe de la cour les 5 octobre 2012, 5 mars 2013 et 15 mai 2018;

Vu les observations écrites du ministre chargé de l'Économie déposées au greffe de la cour les 5 octobre 2012, 4 mars 2013 et 15 mai 2018;

Vu l'avis écrit du ministère public en date du 14 septembre 2018, communiqué à la société Transdev Ile-de-France, à l'Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l'Économie ;

Après avoir entendu à l'audience publique du 20 septembre 2018 en leurs observations orales le conseil de la requérante, qui a été mis en mesure de répliquer et qui a eu la parole en, dernier, le représentant de l'Autorité de la concurrence, celui du ministre chargé de l'Economie et le ministère public.

FAITS ET PROCÉDURE

1. La cour est saisie, sur renvoi après cassation, d'un recours formé par la société Transdev Ile-de-France, anciennement CGEA, puis Connex, puis Veolia Transport, contre la décision n° 05-D-38 du Conseil de la concurrence du 5 juillet 2005 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché du transport public urbain de voyageurs (ci-après la " décision attaquée"). Par cette décision, le Conseil de la concurrence (ci-après le " Conseil ") a infligé des sanctions pécuniaires aux société Kéolis, Connex, devenue Transdev Ile-de-France, et Transdev, pour avoir enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité instituant la Communauté européenne (ci-après le " Traité CE ").

2. Cette affaire a son origine dans une enquête administrative menée à partir de 1998 par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (ci-après la" DGCCRF ") sur les conditions de passation de marchés publics de transport de voyageurs ouverts ou renouvelés entre 1994 et 1999 et passés par diverses collectivités territoriales. Cette enquête a porté sur dix-neuf marchés de transport public urbain et sept marchés de transport public interurbain et scolaire dont la liste est donnée en pages 5 à 7 de la décision attaquée. Dans le cadre de cette enquête, des visites et saisies ont été effectuées le 17 décembre 1998 dans les locaux de plusieurs entreprises, dont la société Connex, après autorisation donnée par une ordonnance du président du tribunal de grande instance de Nanterre en date du 27 novembre 1998. Cette ordonnance a fait l'objet, selon le régime alors applicable, d'un pourvoi que la Cour de cassation a rejeté par arrêt du 14 juin 2000.

3. Au terme de cette enquête, le ministre chargé de l'Économie a saisi le Conseil, le 7 juillet 2000, de pratiques relatives à l'exercice de la concurrence dans le secteur du transport public de voyageurs.

4. Le rapporteur chargé de l'affaire a, le 12 septembre 2003, notifié trois griefs aux sociétés Kéolis, Connex et Transdev, reprochant :

- aux sociétés Kéolis et Connex " de s'être concertées pour limiter le jeu de la concurrence sur les marchés de la CUB de Bordeaux, du district de Rouen et de Châteauroux, de l'agglomération de Toulon et du département du Var, des départements de la Meuse, de la Moselle et des Vosges attribués par les autorités organisatrices des transports entre 1994 et 1999, soit en s'abstenant systématiquement de présenter des offres contre celle qui était titulaire du marché, soit en simulant une concurrence qui n'existait pas en fait en déposant des offres de couverture ", ces pratiques ayant eu pour objet et pour effet, " d'une part, d'élaborer en commun les stratégies de soumission et de geler la répartition de ces marchés entre ces groupes, d'autre part, compte tenu du faible nombre d'entreprises susceptibles de présenter des offres compétitives au plan technique et financier, d'enlever aux autorités organisatrices la possibilité de faire jouer le jeu de la concurrence lors du renouvellement de ces marchés " (grief n° 1) ;

- aux sociétés Kéolis et Transdev " de s'être concertées pour restreindre le jeu de la concurrence sur les marchés de Bar-le-Duc, Epernay, Laval, Chalon, Saint-Claude, Oyonnax et Sens attribués par les autorités organisatrices des transports entre 1994 et 1999 en s'abstenant systématiquement de présenter des offres contre l'entreprise membre de l'entente déjà titulaire du marché ou en remettant des dossiers incomplets ou peu offensifs n'ayant à l'avance aucune chance d'être retenus", ces pratiques ayant eu pour objet et pour effet " de fixer à l'avance le bénéficiaire de ces marchés et d'empêcher les autorités organisatrices de transport de faire jouer pleinement les règles d'une libre concurrence fondée sur la présentation d'offres pleinement indépendantes découlant du choix autonome de chaque entreprise " (grief n° 2) ;

- aux sociétés Kéolis, Connex et Transdev " d'avoir organisé au plan national une concertation pour se répartir les marchés du transport public de voyageurs urbain, interurbain et scolaire venus à échéance entre 1994 et 1999 ", cette concertation s'étant " traduite par des rencontres et échanges d'information entre leurs dirigeants " et ayant " permis à ces groupes d'élaborer au plan national des stratégies communes de soumission et d'en suivre l'application au niveau local" et cette pratique ayant eu "pour objet de déterminer à l'avance l'entreprise bénéficiaire des marchés et pour effet d'empêcher les autorités organisatrices de transport de faire jouer la concurrence " (grief n° 3).

5. Le 6 septembre 2004, le rapporteur a adressé à ces sociétés une notification complémentaire de grief pour leur faire savoir que les pratiques en cause devaient être examinées au regard non seulement, comme le prévoyait la précédente notification, de l'article L. 420-1 du Code de commerce, mais aussi, dans la mesure où elles emportaient une affectation sensible du commerce entre Etats membres, de l'article 81 du Traité CE.

6. Dans son rapport notifié le 11 janvier 2005, le rapporteur a conclu au maintien des griefs n° 1 et 2; en revanche, il n'a maintenu le grief n° 3 qu'en ce qui concerne le marché du transport public urbain et en a écarté le marché du transport interurbain et scolaire.

7. Dans la décision attaquée, le Conseil a, "pour la clarté de l'exposé", examiné d'abord le grief n° 3 reproché aux trois sociétés en cause. Il a considéré que celui-ci était établi en se fondant sur un " faisceau d'indices graves, précis et concordants " (§ 134 à 202) démontrant, selon lui, un accord de volontés des trois entreprises en cause pour coordonner de manière explicite leur comportement sur le marché national du transport urbain de voyageurs, au moyen de deux coordinations bilatérales entre, d'une part, les sociétés Kéolis et Connex et, d'autre part, les sociétés Kéolis et Transdev. Il a, en particulier, au titre du premier de ces indices tiré de rencontres entre dirigeants, estimé qu'il importait peu que ne soit démontrée aucune rencontre entre ces trois sociétés, dès lors que la plus importante d'entre elles, la société Kéolis, " servait de pivot de fait à l'entente, et constituait l'interface naturel[le] entre les deux autres pour coordonner leur stratégie d'ensemble ". Il a, par ailleurs, relevé (§ 191 à 202) que ces entreprises s'étaient livrées à une surveillance des marchés et avaient envisagé l'exercice de représailles pour faire pression sur un partenaire récalcitrant. Enfin, le Conseil, examinant les effets du cartel, a considéré qu'il en était résulté une stabilité des attributaires des marchés, l'impossibilité pour les autres entreprises de faire échec aux trois entreprises qui en étaient membres et un impact sur les prix.

8. S'agissant des griefs n° 1 et 2, le Conseil a considéré que la démonstration, précédemment faite, de l'existence d'un cartel national entre les trois entreprises en cause rendait, en principe, inutile de vérifier s'il existait des ententes particulières sur certains marchés locaux où ces mêmes entreprises étaient présentes, de telles ententes n'étant pas dissociables du cartel dont elles n'étaient que l'aboutissement; aussi a-t-il indiqué qu'il examinait ces griefs, non pour les sanctionner de manière additionnelle, dans le cas où ils seraient établis, mais parce qu'il lui appartenait de statuer sur l'ensemble des griefs notifiés (décision attaquée, § 222 et 223). Au terme de cet examen, le Conseil a jugé ces griefs établis, mais pour partie seulement en ce qui concerne le grief n° 1, relativement à l'appel d'offre de la Communauté urbaine de Bordeaux, mais non relativement aux marchés de Rouen, Châteauroux et Toulon.

9. Pour déterminer, sur la base des dispositions légales applicables à l'époque des faits reprochés, le montant des sanctions pécuniaires qu'il a infligées, le Conseil a apprécié la gravité des pratiques, qu'il a jugées " particulièrement graves ", et le dommage à l'économie en résultant, au titre duquel il a relevé que la concertation en cause avait été de nature à favoriser la moindre performance des transports publics et accru, pour les collectivités publiques, le coût de leurs obligations en la matière et, enfin, favorisé le cloisonnement du marché national.

10. Au vu de ces éléments, le Conseil a considéré qu'il convenait de prononcer contre les entreprises en cause une " sanction exemplaire " pour la commission des faits relevant du grief n° 3. Comme il l'avait précédemment exposé, il a, en revanche, indiqué qu'il n'y avait pas lieu de sanctionner spécifiquement les ententes locales relevant des griefs n° 1 et 2, lesquelles n'étaient que l' "aboutissement" du cartel national. Compte tenu du chiffre d'affaires hors taxes qu'elles avaient réalisé en France lors du dernier exercice connu, soit l'année 2003, il a infligé aux sociétés Kéolis, Connex et Transdev une sanction pécuniaire de, respectivement, 3 900 000 euros, 5 050 000 euros et 3 000 000 euros. Le Conseil a, en outre, ordonné la publication, dans une édition de La Gazette des communes, des départements et des régions et du quotidien Les Échos, d'un résumé de sa décision.

11. Les sociétés Kéolis, Connex et Transdev ont formé contre cette décision un recours auquel la Communauté urbaine de Bordeaux (ci-après la " CUB ") s'est jointe par voie d'intervention volontaire. Par arrêt du 7 février 2006 (RG n° 05/15051), la cour d'appel de Paris a jugé recevable l'intervention de la CUB, mais l'a déboutée et a rejeté les recours des sociétés requérantes.

12. Les sociétés Kéolis et Veolia Transport, anciennement Connex, ont formé contre cet arrêt des pourvois qui ont été joints et sur lesquels la Cour de cassation, Chambre commerciale, a statué par arrêt du 9 octobre 2007 (pourvois n° 06-12.446, 06-12.596).

13. La Cour de cassation a, d'une part, rejeté le pourvoi de la société Kéolis.

14. D'autre part, statuant sur le pourvoi de la société Veolia Transport, elle a constaté que, pour retenir la participation de la société Connex à une entente à trois, la cour d'appel avait relevé que la société Kéolis, qui intervenait dans les deux niveaux d'échanges bilatéraux, servait de pivot naturel à l'entente et jouait le rôle d'interface. Rappelant qu'il résulte de la jurisprudence communautaire que " la participation d'une entreprise à une entente globale, impliquant d'autres entreprises que celles avec laquelle elle s'est directement concertée, n'est établie que s'il est démontré que l'entreprise en cause a entendu contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l'ensemble des participants et qu'elle avait connaissance des comportements matériels envisagés ou mis en œuvre par ces autres participants dans la poursuite des mêmes objectifs ou qu'elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu'elle était prête à en accepter le risque", la Cour de cassation a considéré que la cour d'appel n'avait pas caractérisé les éléments lui permettant de retenir la participation de l'entreprise à une telle entente. Dès lors, elle a cassé l'arrêt du 7 février 2006, sauf en ce qu'il avait déclaré recevable l'intervention de la CUB et rejeté sa demande.

15. A la suite de cette cassation, la société Veolia Transport a saisi la cour d'appel de Paris d'un recours contre la décision attaquée et, sur le fondement des dispositions transitoires de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence, d'un recours en contestation de l'ordonnance du président du tribunal de grande instance de Nanterre du 27 novembre 1998 ayant autorisé les visites et saisies pratiquées dans le cadre de l'enquête administrative. La société Kéolis a formé un recours incident et la société Transdev est intervenue volontairement à l'instance.

16. Par arrêt du 15 juin 2010 (RG n° 09/20624), la cour d'appel a, d'une part, déclaré irrecevables le recours incident de la société Kéolis et l'intervention volontaire de la société Transdev. D'autre part, elle a rejeté tant le recours de la société Veolia Transport contre l'ordonnance d'autorisation de visites et saisies du 27 novembre 1998 que son recours contre la décision attaquée.

17. Les sociétés Veolia Transport, Kéolis et Transdev ont formé contre cet arrêt un pourvoi en cassation. Par arrêt du 15 novembre 2011 (pourvoisn° 10-20.527, 10-20.851 et 10-20.881 ), la Cour de cassation, Chambre commerciale, a cassé et annulé l'arrêt du 15 juin 2010, mais seulement en ce qu'il avait rejeté le recours de la société Veolia Transport. La Cour de cassation a en effet considéré, au visa de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (ci-après la " Convention EDH "), que " l'examen de l'existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles autorisant les visite et saisie par la même formation de jugement que celle appelée à statuer sur le bien-fondé des griefs retenus et de la sanction prononcée au titre de ces pratiques est de nature à faire naître un doute raisonnable sur l'impartialité de la juridiction ".

18. Par déclaration du 29 juin 2012, la société Veolia Transport a de nouveau saisi la cour d'appel de Paris d'un recours en contestation de l'ordonnance du 27 novembre 1998 ayant autorisé les visites et saisies et d'un recours en annulation et, subsidiairement, en réformation de la décision attaquée.

19. Ces deux recours ont été disjoints par une ordonnance du 3 juillet 2012 du magistrat délégué par le Premier président de la cour d'appel.

20. Le recours dirigé contre l'ordonnance d'autorisation a été rejeté par arrêt de la cour d'appel de Paris du 6 avril 2016 (RG n° 12/12413, ci-après l' " arrêt du 6 avril 2016 "), contre lequel a été formé un pourvoi qui a été rejeté par arrêt de la Cour de cassation, Chambre criminelle, du 8 novembre 2017 (pourvoi n° 16-83.036).

21. Le recours formé contre la décision attaquée est l'objet de la présente instance.

Motivation

22. La cour souligne d'emblée qu'elle est uniquement saisie de la contestation par la société Transdev Ile-de-France, anciennement CGEA, puis Connex, puis Veolia Transport, de sa condamnation par la décision attaquée.

I. Sur le moyen principal d'annulation tiré de la violation de l'article 6 de la Convention EDH

23. La requérante fait valoir que la Cour européenne des droits de l'Homme (ci-après la " CEDH ") a jugé, à deux reprises, que le recours en contestation prévu, à titre transitoire, par l'article 5-IV de l'ordonnance du 13 novembre 2008 ne répondait pas, dans les espèces qui lui étaient soumises, aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention EDH en ce qu'il n'avait pas permis aux entreprises qui avaient été l'objet de visites et saisies " d'obtenir un contrôle juridictionnel effectif de la mesure litigieuse et ce, dans un délai raisonnable " (CEDH, décisions du 21 décembre 2010, Canal Plus c. France, req. n° 29408/08, et Compagnie des gaz de pétrole Primagaz c. France, req. n° 29613/08). Elle rappelle, par ailleurs, que, dans de précédentes affaires, la Cour de cassation a cassé et annulé un arrêt de la cour d'appel de Paris qui, statuant sur ce recours en contestation, s'était déterminée par des motifs " impropres à établir que le recours en contestation prévu par l'ordonnance du 13 novembre 2008 répondait, en l'espèce, aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention, dès lors que les sociétés en cause n'ont pu contester en fait et en droit l'ordonnance autorisant les visite et saisie de documents que quinze ans après l'exécution de celles-ci" (Com., 14 février 2012, n° 11-11.750 et 11-13.130) et a dit qu'il appartenait aux juges du fond " d'apprécier souverainement " si le délai écoulé entre la date de l'ordonnance ayant autorisé les visites et saisies et celle à laquelle la cour d'appel statue sur le recours en contestation permet au requérant de " contester utilement les documents produits par l'administration" (Crim., 25 février 2015, n° 13-87.795).

24. Elle relève qu'en l'espèce, les visites et saisies ayant été effectuées le 17 décembre 1998, plus de dix ans se sont écoulés avant qu'elle ait pu, sur le fondement du recours transitoire, contester en fait et en droit l'ordonnance du 27 novembre 1998 qui les avait autorisées. Elle en conclut que, si la cour d'appel de Paris, qu'elle avait saisie d'un recours en contestation, a, par son arrêt du 6 avril 2016, effectivement exercé un contrôle en fait et en droit de cette ordonnance, ce contrôle ne répondait pas aux exigences du délai raisonnable, consacrées par la CEDH et la Cour de cassation dans les décisions et arrêts ci-dessus rappelés.

25. Elle soutient qu'il est résulté de cette durée excessive de la procédure une atteinte personnelle, effective et irrémédiable à ses droits de la défense. Elle invoque, en particulier, la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (ci-après la " CJUE "), aux termes de laquelle il importe d'éviter que la durée de la procédure " soit susceptible de faire obstacle à l'établissement de preuves visant à réfuter l'existence de comportements de nature à engager la responsabilité des entreprises concernées " (CJUE, arrêt du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektroteclmisch Gebied/Commission, C-105/04 P). Elle relève qu'au cas particulier, près de vingt ans se sont écoulés depuis les premiers actes d'enquête et que ce délai porte en lui-même une atteinte personnelle, effective et irrémédiable à ses droits de la défense, puisque les documents relatifs à l'époque des faits ne sont plus accessibles et qu'à supposer qu'ils le soient, personne ne serait plus en mesure de les commenter et les interpréter, de sorte qu'elle n'a pas bénéficié, et ne pourra jamais bénéficier, d'un recours effectif en droit et en fait et dans un délai raisonnable contre l'ordonnance ayant autorisé les visites et saisies.

26. La requérante en conclut qu'une telle violation du droit à un procès équitable a pour effet de vicier la procédure dans son ensemble et doit donc entraîner la nullité de la décision attaquée.

27. L'Autorité relève que, dans le cadre du recours formé par la requérante contre l'ordonnance ayant autorisé les visites et saisies, ce moyen a déjà été soumis à la cour d'appel qui, par son arrêt du 6 avril 2016, l'a écarté et que le pourvoi formé contre celui-ci a été rejeté par arrêt de la Cour de cassation du 8 novembre 2017. Elle en conclut que le contentieux de la régularité de ladite ordonnance est définitivement purgé et que le moyen de nullité de la décision attaquée pris de la violation de l'article 6 § 1 de la Convention EDH est irrecevable, comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée.

28. Le ministre chargé de l'Économie rappelle également qu'il a été définitivement statué sur ce même moyen, par les arrêts précités, et que la demande de la société Veolia Transport est irrecevable en tant qu'elle se heurte à l'autorité de la chose jugée.

29. Le ministère public oppose aussi l'autorité de la chose jugée au moyen de la requérante et ajoute qu'en tout état de cause, la violation de l'exigence du délai raisonnable ne pourrait conduire qu'à la réparation du préjudice en résultant, mais non à l'annulation de la décision, sauf dans le cas d'une atteinte personnelle, effective et irrémédiable aux droits de la défense qui n'est pas démontrée en l'espèce.

30. En premier lieu, la cour souligne que, dans les arrêts Canal Plus c. France et Compagnie des gaz de pétrole Primagaz c. France, précité, c'est pour les motifs suivants que la CEDH a jugé que le recours en contestation prévu à l'article 5 IV de l'ordonnance du 13 novembre 2008 ne répondait pas, dans les deux affaires examinées, aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention EDH: " Cependant, [la CEDH] constate que cette action ne pourra être exercée que si un recours au fond est formé contre la décision de l'Autorité de la concurrence, ce qui rend nécessairement l'accessibilité de cette voie de recours incertaine, compte tenu de l'exigence préalable à la fois d'une décision au fond et d'un recours contre celle-ci. Par ailleurs, la décision au fond de l'Autorité de la concurrence, qui n'est toujours pas rendue à ce jour, n'interviendra donc que plusieurs années après les décisions de 2005. Or, la Cour rappelle qu'en plus d'un contrôle en fait et en droit de la régularité et du bien-fondé de la décision ayant prescrit la visite, le recours doit également fournir un redressement approprié, ce qui implique nécessairement la certitude, en pratique, d'obtenir un contrôle juridictionnel effectif de la mesure litigieuse et ce, dans un délai raisonnable. " (arrêt Compagnie des gaz de pétrole Primagaz c. France, § 28).

31. Or, dans la présente espèce, lorsque la nouvelle voie de recours pour contester l'autorisation de visites et saisies a été ouverte à la requérante par l'ordonnance du 13 novembre 2008, à la fois le Conseil avait rendu sa décision au fond, et un recours contre cette décision était pendant devant la cour d'appel de Paris.

32. La cour constate d'ailleurs que la requérante, qui a exercé cette voie de recours, a bénéficié d'un contrôle juridictionnel effectif de l'ordonnance du 27 novembre 1998 ayant autorisé les visites et saisies, la cour d'appel, autrement composée, ayant examiné l'ensemble de ses moyens par son arrêt du 6 avril 2016, aujourd'hui irrévocable.

33. En second lieu, c'est à celui qui soutient que la durée excessive de la procédure a fait obstacle concrètement et effectivement à l'exercice normal de ses droits de la défense, d'en rapporter la preuve.

34. En l'espèce, la requérante, qui, d'une part, développe des considérations générales sur le caractère excessif du délai qui s'est écoulé entre l'ordonnance du 27 novembre 1998 ayant autorisé les visites et saisies et l'institution d'une voie de recours effective en contestation de cette ordonnance, par l'ordonnance du 13 novembre 2008, d'autre part, affirme que les documents relatifs à l'époque des faits ne sont plus accessibles ou, à tout le moins, que personne n'est en mesure de les commenter, sans préciser quels documents, ou catégories de documents, utiles à sa défense ne seraient plus disponibles, n'établit pas la réalité de l'atteinte portée à ses droits par l'écoulement de ce délai.

35. Au demeurant, il résulte de la simple lecture des moyens développés par la requérante dans le cadre de la contestation de l'ordonnance du 27 novembre 1998, qui sont résumés dans l'arrêt du 6 avril 2016, qu'elle a été pleinement en mesure de se défendre.

II. Sur le moyen subsidiaire d'annulation tiré de la violation des droits de la défense et du principe du contradictoire

36. La requérante rappelle qu'aux termes de la notification du grief n° 3, il lui était reproché d'avoir participé, avec les sociétés Kéolis et Transdev, à une entente nationale sur le marché du transport urbain de voyageurs en se concertant, par des rencontres et des échanges d'informations entre leurs dirigeants, afin de se répartir les marchés, cette concertation leur ayant permis d'élaborer des stratégies communes de soumission au plan national et d'en suivre l'application au plan local.

37. Elle soutient que, dans la décision attaquée, le Conseil a procédé à une modification radicale et à une extension de ce grief. En effet, le Conseil, d'une part, aurait caractérisé une double entente bilatérale avec un pivot commun, la société Kéolis, alors que le grief notifié visait une entente à trois, d'autre part, aurait ajouté deux volets à l'entente, consistant, le premier, dans la surveillance des marchés assortie de représailles et, le second, dans un effet de hausse des prix, lesquels n'étaient nullement mentionnés dans la notification dont elle a été destinataire.

38. La requérante fait valoir qu'elle n'a pu, par conséquent, discuter ces nouveaux éléments, absents de la notification de griefs ainsi que du rapport, et en conclut qu'il a été porté aux droits de la défense et au principe du contradictoire une atteinte qui doit entraîner l'annulation de la décision attaquée.

39. L'Autorité invite la cour à écarter ce moyen d'annulation, comme elle l'avait fait dans son arrêt du 15 juin 2010 en jugeant que " le grief d'entente nationale sur le marché national du transport urbain de voyageurs qui a été retenu par le Conseil (point 220 de la décision) à l'encontre de la requérante consiste, comme le grief qui lui a été notifié, en une entente nationale entre les trois sociétés sur le marché du transport public de voyageurs urbain et que les notions de surveillance et de représailles étaient induites par la nature même de la pratique dénoncée ". Elle rappelle, par ailleurs, que, selon une jurisprudence constante, elle peut retenir dans sa décision une analyse différente de celle des rapporteurs, dès lors qu'elle ne se fonde pas sur des éléments de fait qui n'auraient pas été soumis au débat contradictoire. Elle considère, au vu des termes de la notification de griefs et de la décision attaquée, que le Conseil a sanctionné les entreprises en cause pour des pratiques de cartel sur le marché national du transport urbain de voyageurs qui étaient visées par le grief notifié et qu'il s'est fondé sur les faits et pièces qui avaient été discutés dans le cadre du débat contradictoire.

40. Après avoir rappelé que, selon la définition qu'en donne la jurisprudence, un grief est " un ensemble de faits, qualifiés juridiquement et imputés à une ou plusieurs entreprises ", le ministre chargé de l'Economie observe qu'en l'espèce le grief sanctionné, tel qu'il est exposé dans la décision attaquée, vise, comme le grief qui a été notifié, une entente nationale entre les sociétés Kéolis, Connex et Transdev. Il souligne, par ailleurs, que la jurisprudence juge avec constance que l'Autorité de la concurrence, et avant elle le Conseil, ne sont pas liés par l'analyse des faits et des qualifications proposées par le rapporteur, à la condition de ne pas sanctionner des pratiques qui n'auraient pas fait l'objet de griefs notifiés ou des personnes auxquelles ces mêmes griefs n'auraient pas été notifiés. Enfin, le ministre fait valoir que c'est pour souligner la stabilité du cartel que le Conseil s'est fondé sur des éléments relatifs à la surveillance du comportement des entreprises en cause et à la possibilité de représailles, qui sont induits par la nature même des pratiques, et a souligné que celles-ci avaient eu un effet de hausse des prix. Il observe que, si ces éléments n'étaient pas mentionnés dans le grief notifié, ils étaient connus et discutés, de sorte que le moyen d'annulation tiré de la violation des droits de la défense et du principe du contradictoire doit être écarté.

41. Le ministère public demande à la cour de rejeter le moyen de la requérante en faisant valoir que les pratiques sanctionnées sont celles qui avaient fait l'objet de la notification de griefs et que les éléments et pièces sur lesquels se fonde la décision attaquée ont été soumis au débat contradictoire.

42. Le grief n° 3, dont la société Veolia Transport prétend qu'il a été radicalement modifié et étendu par le Conseil, a été notifié aux sociétfs en cause le 12 septembre 2003 dans les termes suivants : " Il est reproché à la SA Kéolis, à la SA CGEA Connex et à la SA Transdev d'avoir organisé au plan national une concertation pour se répartir les marchés du transport public de voyageurs urbain, interurbain et scolaire venus à échéance entre 1994 et 1999. Cette concertation qui s'est traduite par des rencontres et échanges d'information entre leurs dirigeants a permis à ces groupes d'élaborer au plan national des stratégies communes de soumission et d'en suivre l'application au niveau local. Cette pratique a eu pour objet de déterminer à l'avance l'entreprise bénéficiaire des marchés et pour effet d'empêcher les autorités organisatrices de transport de faire jouer la concurrence ".

43. Dans son rapport notifié le 11 janvier 2005, le rapporteur a écarté ce grief en ce qu'il portait sur le transport interurbain et scolaire, mais l'a maintenu pour le transport urbain.

44. Quant à la prétendue modification radicale du grief, la cour relève que le Conseil, après avoir rappelé, au paragraphe 123 de la décision attaquée, les termes exacts du grief reproché aux sociétés Kéolis, Connex et Transdev, a recherché si le dossier en rapportait la démonstration.

45. Au terme de cette recherche, dont il n'est pas allégué qu'elle se serait appuyée sur des éléments non soumis à la discussion contradictoire, il a conclu qu'il était " établi que les entreprises Kéolis, Connex et Transdev ont constitué un cartel sur le marché national du transport urbain de voyageurs, en instituant une entente horizontale stable et pérenne pour se partager ces marchés et ne pas se faire concurrence". Force est donc de constater que le grief sanctionné est rigoureusement conforme au grief notifié, au titre duquel il était reproché aux mêmes mises en cause d'avoir" organisé au plan national une concertation pour se répartir les marchés de transport public de voyageurs urbain ".

46. Le Conseil n'a donc, contrairement à ce que prétend la requérante, nullement substitué à l'entente à trois, visée par le grief notifié, un dispositif consistant en deux ententes entre, d'une part, les société Connex et Kéolis et, d'autre part, les sociétés Transdev et Kéolis, celle-ci jouant le rôle de " pivot " et d' " interface ", ni procédé à une requalification du grief notifié.

47. Si le Conseil a fait état, au paragraphe 141 de la décision attaquée, de ce rôle particulier joué, selon lui, par la société Kéolis, c'est au titre du premier des sept indices qu'il a relevés, consistant dans des rencontres et des échanges d'informations entre dirigeants, et pour justifier qu'il retenait une entente à trois en dépit de l'absence de tels rencontres et échanges entre les sociétés Connex et Transdev. Cependant, il n'en a pas déduit l'existence de deux ententes distinctes qui seraient liées entre elles par un" pivot", mais, à l'inverse, a explicitement relevé que ces trois sociétés avaient constitué entre elles, par une coordination explicite de leurs comportements, une " entente horizontale stable et pérenne".

48. Quant à la prétendue extension du grief, la cour relève que, dans la décision attaquée, le Conseil, après avoir présenté le faisceau d'indices démontrant, selon lui, l'accord de volontés des sociétés Kéolis, Connex et Transdev pour coordonner leurs comportements sur le marché national du transport urbain de voyageurs, a, d'une part, relevé, au vu des éléments du dossier, que ces entreprises avaient mis en œuvre une surveillance de l'arrivée d'un nouveau concurrent et des appels d'offres et envisagé l'exercice de représailles à l'égard des contrevenants à l'entente et, d'autre part, examiné les effets du cartel, au titre desquels il a observé une stabilité des attributaires, conclu à l'impossibilité pour les autres entreprises de faire échec aux trois entreprises en cause et, enfin, considéré que ces pratiques n'étaient "pas restées sans effet sur les prix du transport urbain".

49. Ces différents constats n'étaient pas expressément mentionnés dans la notification de griefs et dans le rapport du rapporteur. Mais ils ne modifient pas la nature et l'étendue du grief, défini, tant par le rapporteur que par le Conseil dans la décision attaquée, comme une entente tripartite mise en œuvre en vue de se partager des marchés de transport urbain de voyageurs; en revanche, ils viennent l'expliciter en en précisant les modalités et, ainsi que le fait valoir à juste titre le ministre chargé de l'Economie, en décrivant certaines des conséquences induites par les pratiques objet de ce grief. S'agissant particulièrement des effets anticoncurrentiels mentionnés dans la décision attaquée, le Conseil, en les examinant, n'a pas pour autant modifié la nature du manquement visé par le grief notifié, qui est constitutif d'une infraction par objet et qui a été sanctionné, en tant que tel, par la décision attaquée.

50. La cour relève, en outre, qu'aucun de ces constats n'est fondé sur des éléments qui n'auraient pas été soumis à la discussion contradictoire. Il en va ainsi de la surveillance de l'arrivée d'un nouveau concurrent, qui s'appuie sur les constatations relevées au titre du "plan d'action de la CGEA en Lorraine", figurant aux paragraphes 49 à 52 de la décision attaquée, ces mêmes éléments ayant été analysés dans la notification de griefs, aux pages 21 et 22, sous l'intitulé " La stratégie d'entente dans la région Lorraine ". De même, s'agissant de la surveillance nationale des appels d'offres, le Conseil a fait état, au paragraphe 196 de la décision attaquée, de la réunion du 18 avril 1997 entre les dirigeants des sociétés Kéolis et Connex et, plus généralement, des autres réunions entre ces mêmes sociétés, ces différentes réunions ayant toutes été présentées et analysées aux pages 22 et suivantes de la notification de griefs (" 2. 2. 2. 4. - Les échanges et rencontres entre les dirigeants de deux groupes"). Par ailleurs, le constat d'une stabilité des attributaires, qu'a fait le Conseil, est fondé, comme cela est expressément précisé au paragraphe 82 de la décision attaquée, sur des données issues du rapport administratif d'enquête versé au dossier. Enfin, en ce qui concerne l'effet de l'entente sur les prix, qui est l'objet des paragraphes 211 à 217 de la décision attaquée, la note du 18 juillet 1997 adressée par le directeur de la Sodetrav, filiale de la société VIA-GTI, devenue Kéolis, au directeur général de cette dernière société, à laquelle le Conseil s'est référé, a été présentée et analysée par le rapporteur en pages 20 et 21 de la notification de griefs.

51. Il résulte de l'ensemble de ces constatations que c'est à tort que la requérante prétend que le Conseil a, dans la décision attaquée, radicalement modifié et étendu le grief qui lui avait été notifié.

52. Son moyen d'annulation est donc rejeté.

III. Sur le moyen subsidiaire d'annulation tiré de ce que les pratiques reprochées ne sont pas établies

53. La requérante soutient que la décision attaquée n'établit sa participation ni, au titre du grief n° 3, à un cartel avec les sociétés Kéolis et Transdev sur le marché national du transport urbain de voyageurs ni, au titre du grief n° 1, à son application locale, avec la société Kéolis, sur le marché attribué par la CUB.

A. Sur la participation au grief n° 3

54. Le Conseil a considéré que le grief n° 3 était établi en ce que les sociétés Kéolis, Connex et Transdev avaient organisé, au plan national, une concertation pour se répartir les marchés urbains de transport public de voyageurs venus à échéance entre 1994 et 1999, cette concertation, qui s'était traduite par des rencontres et échanges d'informations entre leurs dirigeants, leur ayant permis d'élaborer des stratégies communes de soumission à ces marchés et d'en suivre l'application au plan local et ayant éliminé toute concurrence de sorte que, dans la quasi-totalité des renouvellements de marché, l'entreprise sortante l'avait emporté.

55. Il s'est fondé sur un faisceau d'indices, qu'il a qualifiés de graves, précis et concordants, révélant la volonté des mises en cause de coordonner, au plan national, leurs comportements en vue de l'attribution des marchés, " au moyen de deux coordinations bilatérales, entre Kéolis et Connex, d'une part, Kéolis et Transdev de l'autre sur le marché national du transport urbain de voyageurs " (décision attaquée, § 134). Au nombre de sept, ces indices sont ainsi dénommés dans la décision attaquée : " Les rencontres entre les dirigeants ", " La coordination des comportements au plan local et national (les cas de Bordeaux, Rouen et Châteauroux dans les échanges Kéolis-Connex) ", " Le 'jeu' entre Transdev et VIA-GTI à Sens ", " Les 'monnaies d'échange' à Bar-le-Duc et Epernay", " L'échange des marchés ", " Les pactes de non-agression dans le Jura, le Doubs et l'Ain"," Le déploiement de l'entente en Lorraine, sur un marché connexe". Le Conseil a, par ailleurs, relevé que les sociétés en cause avaient procédé à une surveillance de l'arrivée d'un nouveau concurrent et à une surveillance nationale des appels d'offres et qu'elles avaient envisagé la possibilité d'exercer des représailles à l'encontre de celle d'entre elles qui contreviendrait à l'entente. Enfin, il a examiné les effets de cette entente et a considéré qu'elle avait entraîné la stabilité des attributaires des marchés renouvelés, l'impossibilité pour les autres entreprises de faire échec aux entreprises en cause et n'était " pas restée sans effet sur les prix du transport urbain ".

56. La requérante considère que la décision attaquée ne satisfait pas aux exigences posées par la jurisprudence communautaire et rappelées par la Cour de cassation dans son arrêt du 9 octobre 2007, selon lesquelles la participation d'une entreprise à une entente impliquant d'autres entreprises que celles avec lesquelles elle s'est directement concertée n'est établie que s'il est démontré qu'elle a " entendu contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l'ensemble des participants et qu'elle avait connaissance des comportements matériels envisagés ou mis en œuvre par ces autres participants dans la poursuite des mêmes objectifs ou qu'elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu'elle était prête à en accepter le risque ".

57. Elle fait valoir qu'en l'espèce aucun élément du dossier ne fait apparaitre de relation directe entre la société Connex et la société Transdev et qu'aucun des éléments sur lesquels le Conseil s'est fondé, et en particulier le faisceau de sept indices qu'il a relevé, n'apporte la démonstration requise par la jurisprudence ci-dessus rappelée. C'est ainsi qu'elle souligne que le premier indice, consistant dans des rencontres entre les dirigeants des entreprises en cause, fait état, d'une part, de plusieurs rencontres entre les sociétés Kéolis et Connex et, d'autre part, d'une rencontre entre les sociétés Kéolis et Transdev, mais d'aucune rencontre entre les sociétés Connex et Transdev. Elle observe, par ailleurs, que le deuxième indice, relatif à la " coordination des comportements au plan local et national ", ne concerne que les relations entre les sociétés Connex et Kéolis et, pas plus que le précédent, ne peut contribuer à établir l'existence d'une entente tripartite. Elle fait valoir, par ailleurs, que les troisième, quatrième, cinquième et sixième indices concernent les relations entre les seules sociétés Kéolis et Transdev et ne peuvent donc contribuer à établir la participation de la société Connex à une entente tripartite. Enfin, elle relève que le septième indice n'a aucun caractère probant puisqu'il porte, comme le Conseil l'a expressément précisé dans la décision attaquée, sur le marché du transport interurbain qui n'est pas couvert par le grief.

58. La requérante ajoute que la surveillance des marchés et la possibilité de représailles, mentionnées par le Conseil dans la décision attaquée, ne sont pas plus établies par les éléments du dossier. Elle observe, s'agissant de l'arrivée d'un nouveau concurrent, que le Conseil se fonde sur un document, défini comme " le plan d'action de la CGEA Connex en Lorraine ", qui concerne un marché connexe dont il a lui-même précisé qu'il n'était pas couvert par le grief et, s'agissant de la surveillance nationale des appels d'offres, que la décision attaquée ne se réfère qu'à une réunion, dont il n'est pas établi qu'elle avait un caractère anticoncurrentiel et qui, en toute hypothèse, était seulement bilatérale. S'agissant, enfin, de la possibilité de représailles, la requérante relève que la décision ne se fonde que sur une note interne à la société VIA-GTI, devenue Kéolis, mentionnant la société CGEA, devenue Connex, et concernant le marché de la ville de Toulon, pour lequel ces sociétés ont été mises hors de cause.

59. En ce qui concerne les effets de l'entente examinés par le Conseil, la requérante observe que la stabilité des attributaires n'est pas en soi l'effet d'une entente, mais qu'elle s'explique par le coût d'élaboration d'une offre et la "prime au sortant". Elle fait valoir, par ailleurs, que le dossier ne contient aucun élément qui établirait une hausse des prix et que, sur ce point, le Conseil s'est livré à de pures supputations, sur la base, d'abord, d'un raisonnement développé à partir du marché de Toulon, pourtant écarté du grief, ensuite, d'éléments concernant la Lorraine, alors qu'aucune entente n'y a été relevée, et, enfin, d'éléments concernant des marchés non couverts par le grief, mais qu'il a évoqués seulement à titre d' " éclairage extérieur de la question ".

60. L'Autorité considère, en revanche, que le Conseil a parfaitement caractérisé l'existence d'une entente nationale entre les trois sociétés en cause, puisque que le faisceau d'indices graves, précis et concordants qu'il a retenu établit un concours de volontés de ces sociétés pour coordonner, de manière explicite, au niveau national, leurs comportements en vue de l'attribution de marchés locaux de transport public urbain de voyageurs. Elle fait valoir, en particulier, que la Cour de cassation a, dans son arrêt du 9 octobre 2007, confirmé la matérialité et le caractère anticoncurrentiel des rencontres entre les sociétés Kéolis et Connex qui caractérisent la participation de celle-ci à une entente au niveau national et que les premier et troisième indices, relatifs, respectivement, aux rencontres entre dirigeants et à une concertation entre les sociétés Kéolis et Transdev portant sur le marché de la ville de Sens, sont révélateurs d'une entente tripartite. Elle ajoute que les mesures de surveillance mises en place et les représailles que les trois entreprises encouraient ont donné au cartel un caractère stable et pérenne. L'Autorité en conclut que chacune des mises en cause a entendu contribuer par son propre comportement aux objectifs communs de répartition des marchés et avait connaissance des comportements mis en œuvre ou envisagés par ses deux concurrents ou, à tout le moins, pouvait raisonnablement les prévoir et était prête à en accepter le risque et que, dès lors, la participation de la société Connex à une entente nationale tripartite est établie.

61. S'agissant des effets anticoncurrentiels de l'entente, l'Autorité rappelle d'abord que le Conseil a, dans la décision attaquée, démontré l'existence de pratiques de cartel ayant un objet anticoncurrentiel et qu'il n'était donc pas tenu d'en caractériser, de surcroît, les effets. Elle fait valoir, ensuite, que le Conseil a néanmoins établi la réalité de ces effets en démontrant que l' entente tripartite avait permis aux entreprises en cause de préserver leurs positions respectives et d'éliminer toute concurrence entre elles, que les entreprises concurrentes n'avaient pu faire échec à leur concertation et que les prix du transport urbain en avaient été affectés.

62. Elle conclut en soulignant qu'en toute hypothèse, l'existence d'ententes bilatérales au niveau national entre, d'une part, les sociétés Kéolis et Transdev et, d'autre part, les sociétés Kéolis et Connex ne fait aucun doute, comme l'a confirmé, selon elle, la Cour de cassation dans son arrêt du 9 octobre 2007.

63. Le ministre chargé de l'Économie soutient que les sept indices relevés par le Conseil dans la décision attaquée établissent l'existence d'une entente à trois entre les sociétés Connex, Transdev et Kéolis et le rôle de pivot joué par cette dernière. Il considère que, dans son arrêt du 9 octobre 2007, la Cour de cassation a confirmé la matérialité et la visée anticoncurrentielle des rencontres entre les dirigeants des sociétés Kéolis et Counex et a validé la pertinence des indices relevés par le Conseil. S'agissant des effets du cartel, le ministre rappelle, d'abord, que le Conseil n'était pas tenu de les caractériser puisqu'il avait démontré l'objet anticoncurrentiel des pratiques. Il relève, ensuite, que les éléments de contexte rappelés par le Conseil établissent que les pratiques ont eu un effet sur les prix du transport urbain, même si cet impact est difficile à mesurer.

64. Le ministère public demande à la cour de rejeter le moyen de la requérante et l'invite à se reporter au faisceau d'indices que le Conseil a relevé dans la décision attaquée et dont, selon lui, la Cour de cassation a validé la pertinence dans son arrêt du 9 octobre 2007. Il fait valoir que ces indices établissent la participation de la société Connex à une entente nationale tripartite sur le marché du transport public urbain de voyageurs. Enfin, le ministère public souligne que, si le Conseil n'était pas tenu de caractériser les effets anticoncurrentiels de l'entente, il a néanmoins démontré que celle-ci avait emporté des conséquences quant à la stabilité des attributaires, 1 'impossibilité pour les autres entreprises de faire échec au cartel et les prix du transport.

65. Il ressort de notes manuscrites rédigées par M. Cornil, directeur général adjoint de la société VIA-GTI, devenue Kéolis, que, en 1996 et 1997, il a rencontré à six reprises M. Frérot, à l'époque chargé de mission auprès du président de la société CGEA, devenue Connex, avec lequel il a évoqué la situation de vingt-deux marchés locaux de transport urbain de voyageurs (annexe 1 au rapport, cotes 223 à 301).

66. La requérante ne conteste pas la réalité de ces rencontres - dont elle note qu'elles n'étaient qu'au nombre de cinq dans le rapport du rapporteur-, mais soutient qu'elles n'avaient pas de caractère anticoncurrentiel et renvoie sur ce point à ses écritures devant le Conseil, dans lesquelles elle avait fait valoir, en particulier, que les mentions figurant dans les notes manuscrites étaient peu explicites et qu'on ne pouvait, en conséquence, y trouver d'indices d'une concertation (mémoire de la société Connex en réponse au rapport, p. 62 et s.).

67. Cette allégation, cependant, est contredite par les termes mêmes des notes rendant compte de ces rencontres. En effet, ces notes font expressément état de nombreux appels d'offres de réseaux urbains répartis sur tout le territoire, tels ceux concernant Nice (rencontres des 31 décembre 1996, 20 février et 10 septembre 1997, cotes 251 et 252, 263 et 228), Fréjus (rencontres des 10 septembre et 31 décembre 1996, cotes 239, 251 et 252), Rouen (rencontres des 31 décembre 1996 et 10 septembre 1997, cotes 251, 252 et 228), Lyon, Cahors, Morlaix, Sète, Thonon, Mantes (rencontre du 31 décembre 1996, cotes 251 et 252), Draguignan, Saint-Tropez (rencontre du 20 février 1997, cote 263), Amiens, Sens, Auxerre (rencontre du 18 avril 1997, cote 274), Lille, Agen (rencontre du 17 juillet 1997, cote 300), Tarbes, Dieppe, Saint-Claude, Bordeaux, Menton (rencontre du 10 septembre 1997, cote 228).

68. De surcroît, ces mêmes notes, contrairement à ce que prétend la requérante, traduisent clairement la volonté commune des participants à ces rencontres de coordonner leurs soumissions à ces différents marchés, ainsi qu'en témoignent, par exemple, les mentions suivantes : " Fréjus Pb de renouvellement du contrat" (cote 239), " Rouen Mettre fin à la Satar ---+ Reprise des services par Z../CNA = (les 3/5) A.../B... C... " (cote 251), " ---+ Amiens A coordonner ---+ Sens ---+ GT2 tient la corde Auxerre ---+ CGEA tient la corde " (cote 274), " Chemin de fer de Provence On remet une offre. Prime ?... " (cote 300), " ---+ Menton Appel à candidature " (cote 228).

69. Ces constatations démontrent que ces rencontres, au cours desquelles les participants ont échangé des informations en vue d'une coordination explicite de leurs offres dans le cadre des marchés ci-dessus mentionnés, ont donné lieu à une concertation anticoncurrentielle entre les sociétés VIA-GTI, devenue Kéolis, et CGEA, devenue Connex.

70. Cette conclusion, cependant, ne suffit pas à établir la matérialité de la participation de la société CGEA, devenue Connex, au grief n° 3, puisqu'au titre de celui-ci, il lui est reproché d'avoir pris part, non à une entente avec la seule société Kéolis, mais à une entente tripartite avec cette même société et la société Transdev.

71. La société Connex ne s'étant pas directement concertée avec la société Transdev, il convient donc de déterminer s'il résulte du dossier qu'elle entendait contribuer par son propre comportement aux objectifs poursuivis par les sociétés Kéolis et Transdev, qu'elle avait connaissance des comportements matériels envisagés ou mis en œuvre par celles-ci dans la poursuite des mêmes objectifs, ou qu'elle pouvait raisonnablement les prévoir, et, enfin, qu'elle était prête à en accepter le risque.

72. Dans ses observations devant la cour, l'Autorité soutient que tel est bien le cas et que le faisceau d'indices graves, précis et concordants relevé par le Conseil dans la décision attaquée caractérise l'existence d'une entente nationale sur le marché du transport urbain de voyageurs ayant réuni les trois sociétés en cause.

73. Cependant, la cour constate que ces indices n'attestent que de coordinations bilatérales entre, d'une part, les sociétés Connex et Kéolis et, d'autre part, les sociétés Transdev et Kéolis.

74. Tel est le cas du premier indice, relatif à des rencontres entre dirigeants, qui ne fait pas état de contacts, même indirects, entre les sociétés Connex et Transdev. En effet, il est fondé, d'une part, sur les six rencontres, ci-dessus mentionnées, entre les dirigeants des sociétés Kéolis et Connex ; or les notes manuscrites qui en rendent compte ne relatent, à aucun moment, une concertation avec la société Transdev, ni même ne la suggère implicitement. Cet indice est déduit, d'autre part, d'une rencontre ayant eu lieu le 29 avril 1997 entre les sociétés Kéolis et Transdev, dont il est ainsi rendu compte dans les notes manuscrites rédigées par le directeur général adjoint de la première de ces sociétés (cote 277) :

" Joël F... 29/04/97

-+ Objectif: Modifier la structure du groupe pour + de cashflow

-+ Soit accord global

soit accords ponctuels,

2 dossiers chauds : Rennes et St-Etienne

-+ Rennes: les élus poussent à avoir un seul interlocuteur.

-+ Zone de contact: Nice/Cagnes-sur-Mer

Dossiers communs

Transdev Leader

Société commune. Holding ou majorité Transdev "

75. Force est de constater que, s'il ressort de ce compte rendu que les sociétés Kéolis et Transdev ont évoqué des sujets d'intérêt commun et ont échangé des informations sur plusieurs marchés, rien ne permet d'affirmer que la société Connex était associée à cette concertation et encore moins qu'elle en avait connaissance ou qu'elle pouvait les envisager.

76. De la même façon, le deuxième indice, tiré, selon les paragraphes 143 et suivants de la décision attaquée, de " [l] a coordination des comportements au plan local et national (les cas de Bordeaux, Rouen et Châteauroux dans les échanges Kéolis-Connex) ", ainsi, d'ailleurs, que le suggère son intitulé même, ne met pas en cause la société Transdev ; si le Conseil y a vu, sur la base des éléments qu'il a analysés aux paragraphes 143 à 157, " un indice grave et précis de coordination explicite entre les deux entreprises VIA-GTI et CGEA Connex ", cette coordination n'est à aucun moment reprochée à la société Transdev.

77. Les troisième, quatrième, cinquième et sixième indices relatifs, respectivement, au "jeu entre Transdev et VIA-GTI à Sens ", à des " monnaies d'échange à Bar-le-Duc et Epernay ", à " l'échange des marchés " et à des " pactes de non-agression dans le Jura, le Doubs et l'Ain ", s'ils démontrent, sur ces différents marchés, une coordination du comportement des sociétés Kéolis et Transdev, n'ont également qu'un caractère strictement bilatéral ; aucun des éléments factuels relevés au titre de ces indices ne permet de déduire que la société Connex était informée de cette concertation et qu'elle entendait contribuer aux objectifs que les sociétés Kéolis et Transdev poursuivaient à travers celle-ci.

78. Le septième indice, relatif au " déploiement de l'entente en Lorraine, sur un marché connexe ", a été relevé par le Conseil non pour contribuer à la preuve du grief n° 3, puisqu'il porte sur le transport interurbain qui en a été écarté, mais parce qu'il était possible, selon lui," d'en tirer des éléments susceptibles d'éclairer la coopération explicite dans le secteur du transport urbain " (décision attaquée, § 186). Mais, à supposer que tel puisse être le cas, force est de constater que l'entente qui aurait été déployée sur ce marché ne met en cause que les sociétés Kéolis et Connex, sans impliquer de quelque façon que ce soit la société Transdev.

79. Il ne résulte donc d'aucun de ces indices, ni de leur réunion en faisceau, la preuve d'un accord de volontés entre les trois sociétés pour coordonner explicitement leur comportement en vue de l'attribution des marchés, ni que la société Connex, dont il n'est pas établi qu'elle avait connaissance de la concertation entre les sociétés Kéolis et Transdev, entendait contribuer, par son comportement, à des objectifs poursuivis en commun avec ces deux sociétés.

80. A cet égard, c'est en vain que l'Autorité soutient (§ 59) que les premier et troisième indices "sont particulièrement révélateurs d'une entente tripartite".

81. En effet, le premier indice, ne repose, comme la cour l'a constaté plus haut, que sur des concertations bilatérales entre, d'une part, les sociétés Kéolis et Connex et, d'autre part, les sociétés Kéolis et Transdev, sans jamais faire apparaître ni que les sociétés Connex et Transdev s'étaient concertées ni que la société Connex avait connaissance de la concertation entre la société Kéolis et Transdev ou qu'elle pouvait l'envisager. Si le Conseil a pu considérer que la société Kéolis avait joué le rôle de " pivot " et servi d' " interface naturel[le] " entre les autres sociétés, cette simple affirmation n'est étayée par aucun élément de preuve qui démontrerait que la société Connex entendait contribuer, par son propre comportement, à des objectifs poursuivis en commun.

82. Le troisième indice, relatif à une concertation entre les sociétés Kéolis et Transdev dans le cadre d'un marché de transport urbain de la ville de Sens, ne contribue pas davantage à la démonstration du caractère tripartite de l'entente reprochée aux mises en cause. En effet, le Conseil a tiré cet indice de plusieurs mentions figurant dans les notes manuscrites, déjà examinées, rédigées par le directeur général de la société VIA-GTI, devenue Kéolis. Il a ainsi relevé les mentions suivantes, aux dates des 6 avril et 2 juin 1997: "Sens. Nous avons joué pleinement le jeu avec Transdev " (cote 2170) et" Transdev Figer les positions actuelles " (cote 2172). Il a, par ailleurs, considéré que la société CGEA, devenue Connex, était informée de cette concertation entre les sociétés VlA-GTI et Transdev, en se fondant sur le compte rendu d'une réunion tenue le 18 avril 1997 entre les sociétés VIA-GTI et CGEA, figurant dans les mêmes notes manuscrites et comportant la mention " Sens, GT2 [VIA-GTI] tient la corde" (cote 274).

83. Mais cette seule mention, portée par le dirigeant de la société VlA-GTI, devenue Kéolis, sur une note interne rédigée pour son propre usage, et dont il n'est pas soutenu qu'elle aurait été communiquée à la société Connex, ne suffit pas à établir que celle-ci aurait été informée de la concertation menée avec la société Transdev et qu'elle aurait entendu aligner son comportement sur celle-ci.

84. Par ailleurs, les éléments relevés par le Conseil au titre de la surveillance des marchés et de la possibilité de représailles ne démontrent pas non plus, au regard des conditions ci-dessus rappelées, la participation de la société Connex à une entente tripartite.

85. En effet, le Conseil a, d'abord, considéré que les mises en cause s'étaient livrées à une " surveillance de l'arrivée d'un nouveau concurrent" et s'est fondé sur l'analyse de deux documents saisis au siège de la société CGFTE, filiale de la société CGEA, devenue Connex, consistant en des rapports rédigés par le responsable d'une filiale régionale à la société mère et intitulés " Les Rapides de Lorraine-Nancy Plan d'action 1998-1999-2000 ". Mais force est de constater que ces documents dont la société CGFTE est l'auteur, outre que les agissements qui y seraient relatés ont pour cadre des marchés de transport interurbain et scolaire non couverts par le grief, ne font état que de la seule société VlA-GTI, devenue Kéolis, et de ses filiales, sans jamais impliquer la société Transdev. Ainsi s'explique que le rapporteur, s'il y a vu la preuve d'un " accord tacite " passé entre les groupes VIA-GTI et CGEA (rapport relatif à des pratiques relevées sur le marché du transport public routier de voyageurs, p. 33), n'a pas envisagé que la société Transdev ait pu y être associée et que, dans la décision attaquée, le Conseil n'ait évoqué qu'une entente " entre les deux groupes présents dans cette région " (décision attaquée, § 194).

86. De même, le Conseil a déduit des notes manuscrites de la société VlA-GTI, devenue Kéolis, rendant compte d'une rencontre avec la société CGEA le 18 avril 1997, déjà évoquée, que les mises en cause s'étaient livrées à une " surveillance nationale des appels d'offres". Or, si ces notes démontrent, comme la cour l'a jugé plus haut, que ces sociétés ont échangé des informations, elles ne font pas mention de la société Transdev et ne fournissent aucun indice d'une participation de celle-ci aux agissements des deux autres sociétés, ou de la connaissance qu'elle en aurait eu.

87. Enfin, s'agissant de la possibilité d'exercer des représailles, le Conseil s'est appuyé sur " l'exemple de Toulon ", au vu d'une note interne du groupe VIA-GTI qui, selon lui, " illustre ce mécanisme ". Si cette note, dont la teneur est rappelée au paragraphe 42 de la décision attaquée, fait état, à propos de la concurrence que représente pour ce marché la société CGEA, d' "agression" et d' " escalade de la guerre ", il convient d'observer, d'une part, qu'elle ne fait pas état de la société Transdev ni ne laisse supposer une concertation avec celle-ci, et, d'autre part, que le Conseil a considéré que le grief n'était pas établi en ce qui concerne le marché en cause de la ville de Toulon. Ainsi s'explique, d'ailleurs, que le Conseil n'ait pas relevé que les mises cause s'étaient livrées à des représailles, ou même seulement à des menaces de représailles, mais qu'il a seulement noté que l'une d'entre elles s'était interrogée, dans une note interne, sur d'éventuelles représailles.

88. De l'ensemble de ces constatations, il ressort, en premier lieu, qu'il n'est pas établi que la société Connex se serait directement concertée avec la société Transdev, cette hypothèse n'étant, au demeurant, pas soutenue. En deuxième lieu, aucun élément du dossier ne permet de déduire que la société Connex, qui s'est concertée avec la société Kéolis, avait connaissance de la concertation que celle-ci entretenait avec la société Transdev. Enfin, et en troisième lieu, l'analyse des pièces du dossier, à laquelle il a été procédé, ne démontre pas que la société Connex aurait entendu, par son propre comportement, contribuer à des objectifs communs poursuivis avec les sociétés Kéolis et Transdev, qu'elle avait connaissance des comportements matériels envisagés ou mis en œuvre par celles-ci dans la poursuite des mêmes objectifs ou qu'elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu'elle était prête à en accepter le risque.

89. Il en résulte que la participation de la société Connex à une entente, avec les sociétés Kéolis et Transdev, objet du grief n° 3, n'est pas démontrée et qu'en conséquence, ce grief n'est pas établi.

B. Sur la participation au grief n° 1

90. Au titre du grief n° 1, le Conseil a examiné la participation des sociétés Kéolis et Connex à des ententes locales aux fins d'attribution de marchés passés par diverses collectivités territoriales. Il a considéré, dans la décision attaquée, que seule était établie la pratique relative à l'appel d'offres lancé en novembre 1994 par la CUB en vue de la " délégation de l'exploitation du service des transports urbains de la Communauté urbaine de Bordeaux ".

91. L'appel d'offres de la CUB avait donné lieu, après qu'un candidat se soit désisté, à la remise de deux offres, celle de la société CGFTE, filiale de la société CGEA, devenue Connex, et celle de la société VIA-GTI, devenue Kéolis. Sur proposition de sa Commission d'examen des offres, la CUB a, le 2 juin 1995, retenu l'offre de la société CGFTE.

92. Le Conseil a considéré que le grief était établi en ce que l'offre de la société VIA-GTI ne pouvait être analysée que comme une offre de couverture, déposée sans réelle volonté d'aboutir, et qui avait donc trompé l'autorité organisatrice sur la réalité de la concurrence entre les deux candidats. Il s'est fondé, d'une part, sur les échanges d'informations entre dirigeants des sociétés en cause et, d'autre part, sur le constat que l'offre de la société VIA-GTI était, par rapport à l'offre de la société CGFTE, plus chère et moins bien placée sur tous les critères essentiels de choix qui avaient été définis par la CUB.

93. La requérante fait valoir, d'abord, que, puisque l'entente nationale n'est, selon elle, pas établie, l'entente reprochée sur l'appel d'offres de la CUB perd ipso facto tout fondement. Elle soutient, ensuite, qu'en toute hypothèse la participation de la société Connex n'est pas établie. Elle conteste, en effet, que l'offre de la société VIA-GTI, devenue Kéolis, puisse être analysée comme une offre de couverture et réfute les éléments retenus en ce sens par le Conseil, en soulignant, en particulier, que la société CGFTE, filiale de la société CGEA, devenue Connex, étant le titulaire sortant, elle bénéficiait d'un avantage concurrentiel.

94. Selon l'Autorité, le Conseil a relevé à juste titre que la société Kéolis, informée de ce que la position du concessionnaire sortant, la société CGFTE, était contestable, a déposé une offre de couverture, plus chère et moins bien placée au regard des critères de choix précisés dans le règlement de l'appel d'offres et a donc établi que ces sociétés s'étaient entendues localement sur l'appel d'offres de la CUB, dans le prolongement de l'entente qu'elle avait mise en œuvre au plan national. Elle considère que l'analyse du Conseil a été confirmée par la Cour de cassation qui, dans son arrêt du 9 octobre 2007, n'a censuré la cour d'appel que parce qu'elle n'avait pas caractérisé les éléments lui permettant de retenir la participation de la société Connex à une entente tripartite.

95. Le ministre chargé de l'Économie fait valoir que le règlement de la consultation énonçait de façon précise les critères d'appréciation des offres et considère que c'est à juste titre que le Conseil a vu dans l'offre de la société Kéolis une offre de couverture.

96. Le ministère public fait valoir que le Conseil a justement établi, dans la décision attaquée, que l'offre de la société VIA-GTI avait le caractère d'uue offre de couverture.

97. Il ressort des pièces du dossier, analysées par le Conseil aux paragraphes 32 à 34, 143 et suivants ainsi que 225 et suivants de la décision attaquée, que les sociétés VIA-GTI, devenue Kéolis, et CGFTE, filiale de la société CGEA, devenue Connex, ont évoqué ensemble le marché de la CUB et échangé des informations sur leurs intentions respectives. C'est ainsi qu'une note interne du 5 août 1994 de la société VIA-GTI, adressée par son directeur de la région Sud-Ouest à son directeur général adjoint, fait état de tels échanges dans les termes suivants : " Je me suis entretenu avec M. Bonnet, Directeur de la CGFTE à Bordeaux, pour évoquer le problème des conventions CUB après le rejet du traité de concession du métro VAL par l'assemblée générale de la CUB (...) le problème du renouvellement de la convention d'exploitation du service urbain de la CUB par la CGFTE se posera puisque l'échéance de cette convention est le 31 décembre 1994 (...). Ces conventions sont de la compétence de la CGFTE (...) ; à ce titre, la négociation de leur renouvellement devra se faire avec la CGFTE. La logique voudrait que leur renouvellement fasse l'objet d'un appel d'offres. M. Bonnet [directeur de la CGFTE] n'y tient pas, car il ne souhaite pas changer d'exploitant, alors qu'il subit par ailleurs des pressions permanentes de deux sociétés d'Ambès, les sociétés Prévost et Ducart, qui veulent se positionner sur la CUB " (cotes 963 et 964).

98. Par ailleurs, une note du 13 février 1995 ayant les mêmes auteur et destinataire, à caractère plus général, fait le point sur certains marchés dans les termes suivants, qui attestent d'une coordination du comportement des sociétés VIA-GTI et CGFTE et, comme le Conseil l'a observé dans la décision attaquée, illustrent le souci des entreprises en place de figer les positions acquises et de fixer à l'avance la répartition des lignes du réseau urbain:" Dans une première phase, il est souhaitable que la situation actuelle soit conservée après le 1er janvier prochain. Ne serait-ce que pour préparer la phase suivante, il est nécessaire qu'il ne soit pas fait appel à d'autres entreprises. D'autre part, les équilibres actuels entre Citram, Cars de Bordeaux et OTS ne doivent pas être modifiés sensiblement (...) Lorsque l'activité de sous-traitance se développera, les règles de répartition de ce supplément auront dû être établies auparavant (...). Avec un calendrier fonction du déroulement de l'appel d'offres du réseau urbain de Bordeaux, les principes des phases 1 à 4 ci-dessus devraient être examinés avec la CGEA " (cotes 973-975).

99. Enfin, le dépôt d'une offre de couverture par la société VIA-GTI est explicitement envisagé dans une autre note de cette société, en date du 18 août 1994, ainsi rédigée : "(...) je pense que le moment est venu d'entamer une négociation avec le CGEA sur les bases suivantes: Consultation pour l'exploitation du réseau de surface: VIA Transport se présente sur cette consultation et fait une proposition qui couvre celle de la CGFTE. En contrepartie, CGEA dénoue le dossier de Rouen, facilite le renouvellement des conventions CUB de Citram Aquitaine [filiale de la société VIA-GTI], comme TDI sur la consultation de Châteauroux-Bus " (cote 965).

100. Ces constatations établissent que les sociétés VIA-GTI et CGFTE, devenues respectivement Kéolis et Connex, se sont concertées en vue de l'attribution à celle-ci du marché de transport urbain lancé par la CUB, ce que confirme l'analyse de leurs offres.

101. L'offre remise par la société VIA-GTI s'est, en effet, avérée plus chère que celle remise par la société CGFTE, mais aussi moins bien placée sur tous les critères essentiels de choix qui avaient été retenus par la CUB et portés à la connaissance des candidats. Ce constat, fait par le Conseil au paragraphe 238 de la décision attaquée, s'appuie sur le rapport de la Commission d'examen des offres de la CUB du 10 mai 1995, dont les extraits pertinents figurent dans le rapport administratif d'enquête de la DGCCRF transmis le 7 juillet 2000 au Conseil.

102. Ainsi, ayant comparé, " sur des bases homogènes ", les offres des deux candidats pour la durée de cinq ans de la convention à passer avec la CUB, la Commission d'examen des offres a constaté que l'offre de la société CGFTE était moins disante que celle de la société VIA-GTI, ses prix étant moins élevés, et qu'elle était également mieux disante en ce qui concernait les " risques de dérapage social ", les " surcoûts affichés en cas de renouvellement du parc par des véhicules à plancher surbaissé " et le " programme des études et enquêtes (...) permett[ant] à la CUB d'avoir une meilleure connaissance et un meilleur suivi de son réseau"; elle a, enfin, relevé que la société CGFTE avait levé toutes ses réserves et s'était engagée " plus clairement que ne le fait VIA-GTI sur la fourniture à la CUB des informations requises en application de la loi de 1995 sur la transparence des relations entre collectivités locales et délégataires de service public" (rapport administratif d'enquête, p. 125).

103. La requérante réfute cette analyse et entend démontrer que l'offre de la société VIA-GTI n'était pas une offre de couverture. Cependant, aucun des arguments qu'elle avance sur ce point n'est de nature à remettre en cause le caractère probant des constatations ci-dessus relevées, d'où il ressort que les deux candidats se sont livrés à une concertation anticoncurrentielle dans le cadre de laquelle l'un d'entre eux a déposé une offre de couverture. En effet, la circonstance que la société CGFTE était le titulaire sortant et pouvait à ce titre bénéficier d'un avantage concurrentiel, ne suffit pas, à elle seule, à expliquer que l'offre de la société CIA-GTI ait été bien moins bien placée que celle de sa concurrente sur tous les critères définis par la CUB. A cet égard, c'est à juste titre que le Conseil a, au paragraphe 23 7 de la décision attaquée, rappelé que ces critères étaient présentés de manière détaillée dans le règlement de la consultation - en ce qui concerne la maîtrise des coûts d'exploitation, les garanties offertes en matière de politique sociale, la qualité du service et son suivi, les objectifs d'évolution de la fréquentation et les moyens mis en œuvre pour les atteindre - et qu'ils avaient fait l'objet, tout au long de la procédure, de nombreux échanges avec les candidats, de sorte que ceux-ci étaient pleinement en mesure de chiffrer leurs propositions. S'il est exact que ce règlement ne figure pas au dossier, comme le souligne la société Veolia Transport, celle-ci, cependant, ne démontre pas, ni d'ailleurs ne soutient, que le Conseil en aurait déformé la teneur ou dissimulé certains des critères qui y figuraient.

104. Enfin, si la requérante conteste, dans son principe, l'analyse du Conseil, selon laquelle l'offre de la société VIA-GTI était moins bien placée sur les critères essentiels de choix retenus par la CUB, elle n'apporte, à l'appui de cette remise en cause, aucun élément probant. En effet, elle se borne à observer, d'une part, que les " surcoûts de maintenance et de carrosserie en cas d'augmentation d'un an de l'âge moyen du parc de véhicules" étaient moins élevés dans l'offre de cette société que dans l'offre de la société CGFTE et, d'autre part, que, pour certains autres critères tenant à la féminisation du personnel, au programme des études et enquêtes et à l'évolution des recettes, le caractère plus ou moins avantageux des offres relevait largement d'une appréciation subjective, alors que, même à les supposer établies, ces allégations ne remettent pas en cause les conclusions claires, précises et motivées de la Commission d'examen des offres qui, dans le rapport précité, a constaté que" [m]oins disante que celle de VIA GTI, l'offie de CGFTE apparaît même comme la mieux disante ", ces conclusions devant être rapprochées des éléments ci-dessus relevés qui démontrent que les deux candidats s'étaient entendus pour que la société VIA-GTI "fa[sse] une proposition qui couvre celle de la CGFTE ".

105. Il résulte de ces constatations que c'est à juste titre que le Conseil a conclu que la participation de la société Connex au grief n° 1 était établie.

106.Eu égard au constat qui précède, et nonobstant le fait que la cour a dit que la participation de la société Connex à l'entente objet du grief n° 3 n'est pas démontrée, il n'y a pas lieu d'annuler l'article 1er de la décision attaquée, qui a dit établi que cette société a enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de l'article 81 du Traité CE.

IV. Sur la sanction

107. Ayant constaté qu'étaient établies les pratiques objet des griefs n° 3 (décision attaquée, § 123 à 220), n° 1 (décision attaquée, § 224 à 248) et n° 2 (décision attaquée, § 249 à 290), le Conseil a procédé au calcul des sanctions devant être infligées aux sociétés Kéolis, Connex et Transdev (décision attaquée, § 312 à 336).

108. À cet égard, il ressort sans équivoque de la décision attaquée que la sanction de 5 050 000 euros prononcée à l'encontre de la société Connex lui a été infligée au titre des deux griefs qui ont été retenus à son encontre.

109. En effet, d'une part, au paragraphe 222 de la décision attaquée, le Conseil a, à juste titre constaté que les ententes locales visées par les griefs n° 1 et 2 n'étaient que l' aboutissement de la pratique générale du cartel national objet du grief n° 3. De fait, les pratiques visées par les griefs n° 1 et 2 étaient également appréhendées par le grief n° 3.

110. D'autre part, au paragraphe 223 de la décision attaquée, le Conseil a souligné qu'il n'y avait pas lieu de sanctionner les griefs n° 1 et 2 " de manière additionnelle ", ce qui atteste que l' amende de 5 050 000 euros infligée à la société Connex sanctionnait bien l'ensemble des pratiques retenues à l'encontre de cette société au titre des griefs n° 1 et 3.

111. La cour constate, au demeurant, que l'article 1er du dispositif de la décision attaquée dit " établi que les sociétés Kéolis, Connex et Transdev ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de l'article 81 du Traité CE", sans réserver ce constat au seul grief n° 3, de sorte que l'article 2, qui inflige des sanctions pécuniaires au trois entreprises poursuivies, doit lui-même être entendu comme n'étant pas limité à ce même grief.

112. Dès lors que, ainsi que la cour l'a jugé, le grief n° 3 n'est pas établi, il y a lieu de réformer l'article 2 de la décision attaquée en tant qu'il a condamné la société Connex à une sanction de 5 050 000 euros, et de calculer la sanction qui doit être infligée à cette société au titre de la seule pratique relevant du grief n° 1 retenue par le Conseil, à savoir l'entente sur l'attribution de l'appel d'offres lancé par la CUB. En effet, une entente bilatérale locale et ponctuelle n'a pas la même gravité et ne peut avoir eu la même portée qu'une entente trilatérale nationale et générale, de sorte qu'elle ne saurait être sanctionnée avec la même sévérité.

113. L'entente pour l'attribution de l'appel d'offres de la CUB a été commise avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, laquelle a, par une modification des dispositions de l'article L. 464-2 du Code de commerce, aggravé le montant des sanctions pécuniaires susceptibles d'être infligées aux auteurs de pratiques anticoncurrentielles. En conséquence, il convient de faire application des dispositions légales antérieures, qui prévoyaient que " [l]es sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné (...) Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos. "

114. La requérante soutient que ces dispositions sont contraires à l'article 7 de la Convention EDH, en ce qu'elles se réfèrent, pour déterminer le montant maximum de la sanction pécuniaire encourue, au chiffre d'affaires HT réalisé en France " au cours du dernier exercice clos ", la Cour de cassation ayant jugé que celui s'entendait du dernier exercice clos " au moment où le Conseil de la concurrence a été appelé à statuer " (Cass. com., 13 juillet 2004, pourvoi n° 03-11.280). Rappelant qu'aux termes de la jurisprudence de la CEDH, la peine encourue doit être prévisible, c'est-à-dire que l' auteur du fait incriminé doit savoir, lors de la commission de celui-ci, à quelle sanction il s'expose, elle fait valoir que les dispositions en cause, selon l'interprétation qu'en a donné la Cour de cassation, ne sont pas conformes à ce principe puisque, par hypothèse, l'entreprise contrevenante ignore quel sera le montant de son chiffre d'affaires au cours du dernier exercice clos avant une décision de condamnation de l'autorité de concurrence.

115. L'article 7 de la Convention EDH dispose : " Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même, il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise. ".

116. Il en résulte que le justiciable doit être en mesure, d'une part, de connaître quels actes ou omissions engagent sa responsabilité - étant observé qu'il n'est pas allégué que cette conditionne serait pas remplie en l'espèce - et, d'autre part, d'en prévoir les conséquences, la CEDH considérant, sur ce point, comme le rappelle l'Autorité dans ses observations, que le justiciable doit "être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences qui peuvent découler d'un acte déterminé", sans que ces conséquences aient "besoin d'être prévisibles avec une certitude absolue" (CEDH, arrêts du 20 mai 1999, Rekvényi c. Hongrie, req. n° 25390/94, et du 15 novembre 2018, Navalnyy c. Russie, req. n° 29580/12, § 114).

117. Tel est ici le cas, les dispositions légales en cause fixant d'une manière claire et précise le montant maximum de la sanction pécuniaire encourue par les auteurs de pratiques anticoncurrentielles et imposant, par ailleurs, que la sanction effectivement prononcée soit motivée et proportionnée à la gravité des faits, à l'importance du dommage à l'économie et à la situation particulière du contrevenant.

118. Au cas d'espèce, la cour relève, en premier lieu, que la concertation anticoncurrentielle à laquelle s'est livrée la société Connex lors de l'appel d'offres lancé par la CUB a fait échec au déroulement normal des procédures, organisées par la loi, d'attribution des marchés de transport public, en trompant la collectivité organisatrice sur la réalité de la concurrence entre les candidats, et qu'elle revêt à ce titre une particulière gravité. S'agissant, en deuxième lieu, de l'importance du dommage causé à l'économie, il convient d'observer que ces procédures, lorsqu'elles se déroulent dans des conditions concurrentielles normales, permettent de baisser le coût des prestations fournies et incitent les gestionnaires, pour accroître leurs recettes, à proposer des solutions innovantes, dont les usagers tirent bénéfice, et qu'à l'inverse, l'élimination concertée de la concurrence entre les candidats, comme c'est le cas en l'espèce, conduit à une moindre performance des services de transport et accroît le coût supporté par les collectivités publiques. Enfin, et en troisième lieu, il n'est pas contesté que la société Connex a réalisé en France en 2003, dernier exercice clos à la date de la décision attaquée, un chiffre d'affaires hors taxes de 101 millions d'euros.

119. Au vu de ces constatations, le cour fixe à 500 000 euros le montant de la sanction pécuniaire infligée à la requérante.

V. Sur la demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile et sur les dépens

120. Bien qu'une partie des moyens de la requérante aient été accueillis, il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile, dans la mesure où la cour a constaté la réalité de la pratique anticoncurrentielle objet du grief n° 1 qui, à elle seule, justifiait la procédure devant le Conseil.

Par ces motifs : Dit qu'il n'est pas établi que la société Connex a organisé au plan national, avec les sociétés Kéolis et Transdev, une concertation pour se répartir les marchés du transport public de voyageurs urbain venus à échéance entre 1994 et 1999 ; Rejette les moyens de la société Transdev Île-de-France visant à contester que les sociétés Kéolis et Connex se sont concertées pour limiter le jeu de la concurrence à l'occasion de l'appel d'offres de la Communauté urbaine de Bordeaux; Réforme en conséquence l'article 2 de la décision du Conseil de la concurrence n° 05-D-38 du 5 juillet 2005 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché du transport public urbain de voyageurs en ce qu'il a infligé à la société Connex une sanction pécunaire de 5 050 000 euros ; Statuant de nouveau, Inflige à la société Transdev Île-de-France, anciennement Connex, une sanction pécuniaire de 500 000 euros ; Dit qu'en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, le présent arrêt sera transmis par la cour à la Commission de l'Union européenne ; Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile; Condamne la société Transdev Île-de-France aux dépens.