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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 20 décembre 2018, n° 18-07722

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Sécurité Vol Feu (SARL)

Défendeur :

Autorité de la concurrence, Ministre chargé de l'Economie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Michel-Amsellem

Conseillers :

M. Douvreleur, Mme Tréard

Avocats :

Mes Baechlin, Goguet

CA Paris n° 18-07722

20 décembre 2018

Vu la décision de l'Autorité de la concurrence n° 18-D-05, du 13 mars 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la sécurisation des débits de tabac en Isère.

Vu la déclaration de recours à l'encontre de cette décision déposée au greffe de la cour d'appel de Paris par la société Sécurité vol feu, le 20 avril 2018, complétée par son mémoire déposé au greffe de la cour le 18 mai 2018.

Vu les observations déposées au greffe de la cour d'appel le 6 septembre 2018 par l'Autorité de la concurrence ;

Vu les observations déposées au greffe de la cour d'appel le 14 septembre 2018 par le ministre chargé de l'Économie ;

Vu l'avis déposé au greffe de la cour d'appel par le Ministère public le 27 novembre 2018, communiqué le même jour aux parties ;

Après avoir entendu à l'audience publique du 29 novembre 2018, en leurs observations orales, le conseil de la société Sécurité vol feu, les représentants de l'Autorité de la concurrence et du ministre chargé de l'Économie, ainsi que le Ministère public, la requérante ayant été mise en mesure de répliquer et eu la parole en dernier

Faits et procédure

Le secteur de la sécurisation des débits de tabac

1. Aux termes de l'article 568 du Code général des impôts, la vente au détail du tabac fait l'objet d'un monopole confié à l'Administration, qui l'exerce, dans des conditions et selon des modalités fixées par décret, " par l'intermédiaire de débitants désignés comme ses préposés et tenus à droit de licence, des titulaires du statut d'acheteur-revendeur mentionné au dernier alinéa, ou par l'intermédiaire de revendeurs qui sont tentés de s'approvisionner en tabacs manufacturés exclusivement auprès des débitants désignés ci-dessus ".

Les débitants de tabac doivent par ailleurs faire l'objet d'un agrément auprès de la direction générale des douanes et droits indirects.

2. Confrontés à un nombre croissant d'actes de délinquance, les débitants de tabac ont été conduits à faire régulièrement appel à des entreprises chargées de sécuriser leur établissement.

3. Le décret n° 2006-742 du 27 juin 2006 a mis en place un dispositif d'aide à la sécurité des débits de tabac. Il a été complété par un arrêté du 27 juin 2006 fixant, notamment, les modalités de versement de l'aide à la sécurité des débits de tabac et définissant les matériels de sécurité ouvrant droit au bénéfice de cette aide.

4. En application de ce dispositif les services des douanes peuvent prendre en charge une partie des travaux de sécurité engagés par les débitants de tabac a la condition que ceux-ci produisent deux devis détaillés émanant de deux entreprises concurrentes.

5. L'aide est limitée à 80 % du montant de l'offre économiquement la plus avantageuse, la part restante étant à la charge du débitant. En fonction des montants des devis proposés, le directeur inter-régional peut exiger du débitant la présentation d'un troisième devis.

6. Le montant de cette aide, initialement plafonné à 10 000 euros, a été porté à 15 000 euros par décret n° 2012-1448 du 24 décembre 2012 et arrêté du même jour.

La procédure

7. À la suite d'une enquête réalisée dans le secteur de la sécurisation des débits de tabac, et essentiellement dans le département de l'isère, la brigade inter-régionale d'enquête de concurrence de Lyon a établi un rapport administratif d'enquête achevé le 28 mars 2014 par lequel elle a constaté que plusieurs entreprises avaient, en violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce, mis en œuvre des pratiques de devis de couverture, lesquelles consistent pour une entreprise à solliciter auprès d'une autre entreprise, présentée comme concurrente, une offre d'un montant délibérément plus élevé, afin d'obtenir de façon certaine le marché qu'elle convoite,

8 La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (ci-après, la " DGCCRF " ) a, sur le fondement de l'article L. 464-9 alinéa 1 du Code de commerce, engagé une procédure d'injonction et de transaction concernant plusieurs sociétés mises en cause, en particulier les sociétés Millenium sécurité, ATEC, ALTE et AlTEC, qui ont accepté de transiger.

9. En revanche, par lettre du 28 octobre 2015, la société Sécurité vol feu (ci-après la " société SVF " ) a informé les services de la DGCCRF qu'elle ne souhaitait pas transiger.

10. C'est dans ce contexte que l'Autorité a été saisie par le ministre chargé de l'Économie, par lettre, enregistrée le 16 décembre 2015, sous le numéro 1510120F, de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la sécurisation des débits de tabac en Isère.

11. Le rapporteur général ayant décidé que l'affaire serait examinée par l'Autorité sans établissement préalable d'un rapport, en application des articles L. 463-3 et R. 463-12 du Code de commerce, une notification des griefs simplifiée a été adressée à la société SVF et au commissaire du gouvernement le 18 octobre 2017.

12. À l'issue de celle procédure simplifiée, l'Autorité a, par décision n° 18-D-05 (ci-après (" la décision attaquée "), du 13 mars 2018, considéré qu'il était établi que la société SVF avait, du 14 mars 2013 au 30 avril 2014, réalisé des devis de couverture, à la suite d'échanges d'informations avec la société Millénium sécurité, concernant leurs clients respectifs, dans le cadre de la mise en concurrence des entreprises de sécurisation des établissements, imposée par la réglementation relative à l'aide à la sécurisation des débits de tabac. Elle lui a, en conséquence, infligé une sanction de 46 000 euros pour avoir mis en œuvre une pratique concertée, prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce, ayant pour objet de fausser la concurrence.

13. La société SVF, qui a formé un recours contre cette décision demande à la cour :

- d'infirmer la décision attaquée en toutes ses dispositions, Statuant à nouveau :

- juger que la procédure de classement sans suite et de clémence lui était acquise ;

- juger non caractérisées les conditions de l'article L. 420-1 du Code de commerce

À titre subsidiaire :

- prononcer une sanction en pourcentage de la base de 62 064 euros, qui ne saurait être supérieure à 30 %, soit à 20 688 euros et ce conformément au point 40 du communiqué de l'Autorité du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions ;

En tout état de cause :

- condamner l'Autorité à payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens.

14. L'Autorité, le ministre chargé de l'Économie et le Ministère public concluent au rejet du recours.

Motivation

Sur le bénéfice du classement sans suite

15. La société SVF soutient que l'Autorité aurait dû classer sans suite l'affaire et considère qu'en s'abstenant de le faire elle a violé les dispositions de l'article L. 464-6-1 du Code de commerce. Elle estime remplir toutes les conditions énoncées par ce texte pour bénéficier d'une telle mesure, dans la mesure où les contrats litigieux n'ont pas été passés en application du Code des marchés publics et que la part de marché cumulée qu'elle détient est inférieure à 10 %. En effet, prenant appui sur le nombre de 3 959 aides octroyées, en Franec, en 2013, tel que précisé par la notification de griefs, et sur le fait qu'elle n'est intervenue que onze fois sur ce marché, elle en déduit que sa part de marché représente 0,40 %. Elle ajoute qu'elle a perçu 32 100 euros en 2013, dans le cadre de dossiers où elle bénéficiait d'une offre de couverture, soit 2,7 % du total des aides versées.

16. L'Autorité, le ministre chargé de l'Économie et le Ministère public renvoient aux paragraphes 79 à 82 de la décision attaquée, et considèrent que le bénéfice de cette procédure est exclu en présence de certaines restrictions caractérisées, conformément à l'article L. 464-6-2-a du Code de commerce.

17. La cour rappelle qu'aux termes de l'article L. 464-6-1 du Code de commerce " l'Autorité de la concurrence peut (...) décider, (...) qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure lorsque les pratiques mentionnées à l'article L. 420-1 du même Code ne visent pas des contrats passés en application du Code des marchés publics et que la part de marché cumulée détenue par les entreprises ou organismes parties à l'accord ou à la pratique en cause ne dépasse pas soit :

a) 10 % sur l'un des marchés affectés par l'accord ou la pratique lorsqu'il s'agit d'un accord ou d'une pratique entre des entreprises ou organismes qui sont des concurrents, existants ou potentiels, sur l'un des marchés en cause ;

b) 15 % sur l'un des marchés affectés par l'accord ou la pratique lorsqu'il s'agit d'un accord ou d'une pratique entre des entreprises ou organismes qui ne sont pas concurrents existants ou potentiels sur l'un des marchés en cause ".

18. L'article L. 464-6-2 du Code de commerce prévoit toutefois que les dispositions de l'article L. 464-6-1 précitées ne s'appliquent pas aux accords et pratiques qui contiennent l'une quelconque des restrictions caractérisées de concurrence qu'il énumère, et notamment " a) Les restrictions qui, directement ou indirectement, isolément ou cumulées avec d'autres facteurs sur lesquels les parties peuvent influer, ont pour objet la fixation de prix de vente, la limitation de la production ou des ventes, la répartition de marchés ou des clients ".

19. Or, ainsi qu'il sera précisé dans les développements qui suivent, les pratiques en cause de mise en œuvre de devis de couverture, qui ont pour objet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché et d'opérer une répartition de marchés ou de clientèle, constituent, à tout le moins de façon indirecte, des restrictions ayant pour objet la fixation des prix de vente, ainsi que la répartition des marchés et des clients.

20. Il s'en déduit que la société SVF revendique vainement l'application de l'article L. 464-6-1 du Code de commerce.

21. Le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article L. 464-6-1 du Code de commerce ne peut qu'être écarté.

Sur le bénéfice de la procédure de clémence invoqué par la société SVF

22. Dans le dispositif de son mémoire, déposé le 18 mai 2018, la société SVF demande à la cour d'appel de " dire et juger que la procédure de clémence était acquise au bénéfice de la société Sécurité vol feu ".

23. La cour constate qu'aucun moyen n'est articulé au soutien de cette prétention, et que la procédure n'a pas été initiée à la suite d'éléments d'information apportés par la société SVF et dont l'Autorité n'aurait pas disposé antérieurement.

24. La procédure en cause n'ayant pas vocation à donner lieu à l'application du IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce, la demande de la société SVF est sans objet.

Sur l'absence de pratique entrant dans le champ de l'article L. 420-1 du Code de commerce invoquée par la société SVF

Sur l'incidence de l'évolution de la réglementation

25. La société SVF invoque l'insécurité juridique relative aux textes régissant les débits de tabac et souligne que les décrets de 2006 et 2012 précités ont été modifiés par un décret du 14 décembre 2017 qui a supprimé l'obligation de produire un second devis. Elle demande en conséquence à la cour " d'infirmer " la décision compte tenu de ce contexte.

26. L'Autorité et le Ministère public estiment que la modification des règles d'attribution de l'aide à la sécurisation des débits de tabac, postérieure aux pratiques mises en œuvre par la société SVF, est sans incidence sur l'objet anticoncurrentiel des pratiques sanctionnées qui a entravé l'objectif poursuivi par la réglementation en vigueur à l'époque des faits, visant à minimiser la dépense publique en favorisant l'émergence d'offres économiquement moins-disantes.

27. Le ministre chargé de l'Économie ajoute que si un changement de réglementation est survenu fin 2017, cette abrogation ne vaut que pour l'avenir et les faits antérieurs à l'abrogation sont examinés au regard des règles en vigueur à l'époque où ils sont intervenus. Il en déduit que l'Autorité était fondée à faire application des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce aux pratiques en cause.

28. La cour relève que, s'il est exact que le régime de l'aide apportée aux débitants de tabac a connu plusieurs réformes entre 2006 et 2017, et que l'article 5 de l'arrêté du 14 décembre 2017, fixant le modèle et la composition du dossier de demande d'aide à la sécurité, a abrogé l'arrêté du 27 juin 2006, qui imposait en son article 1, 3°, de joindre à la demande d'aide à la sécurité " deux devis détaillés émanant de deux entreprises concurrentes ", la nécessité d'une mise en concurrence par la production de deux devis a, toutefois, toujours été requise pendant toute la période de commission des pratiques, comprise entre le 14 mars 2013 et le 30 avril 2014.

29. Dès lors, l'évolution de la réglementation n'a été la cause d'aucune " insécurité juridique ", la société requérante n'expliquant au demeurant pas en quoi cette évolution aurait provoqué une incertitude ou un doute pour les opérateurs concernés à l'époque des faits.

30. Par ailleurs, les modifications à la réglementation précitée opérées en 2017 ne sont pas rétroactives.

31. La demande doit donc être rejetée.

Sur l'absence d'atteinte à la concurrence invoquée par la société SVF

32. La société SVF soutient qu'il importe peu qu'elle ait admis avoir sollicité des devis ou en avoir réalisés, dans la mesure où la présomption d'objet anticoncurrentiel ne joue que lorsque les devis de couverture sont réalisés antérieurement à toute répartition du marché et fixation des prix. Elle fait valoir que tel n'est pas le cas en l'espèce et précise à ce sujet que le rapporteur a, au paragraphe 115 de la notification de griefs, indiqué que l'acheteur avait sollicité plusieurs devis et mis en concurrence les différents prestataires. Elle ajoute que le choix entre les différentes sociétés d'alarme était déjà fait par le débitant avant la demande de devis de couverture et fait observer que la relation commerciale entre la société SVF et les débitants de tabac préexistait aux faits reprochés. Elle en déduit que l'établissement de devis par la société Millenium n'avait, dès lors, qu'une finalité administrative, celle de compléter un dossier d'attribution d'aide, conformément au décret applicable. Elle explique encore, concernant le débit de tabac Giraud, que sa démarche n'avait nullement pour objet de fausser la concurrence, mais de répondre aux demandes d'un ami. Elle ajoute encore que, si le buraliste l'a choisie, malgré son prix supérieur à celui de ses concurrents, c'est que le client a considéré que son sérieux et la fiabilité des équipements proposés justifiaient un tel tarif. Enfin, elle rappelle que l'entrée en vigueur des décret et arrêté du 14 décembre 2017 a modifié les règles d'attribution des aides et supprimé l'obligation de fournir un second devis lors du dépôt administratif du dossier d'aide, ce qui démontre, selon elle, que le Gouvernement considère que la concurrence est mise en œuvre antérieurement à la constitution du dossier administratif. Elle en déduit que, cet impératif n'existant plus, la cour d'appel ne peut que constater l'absence d'objet et d'effet anticoncurrentiel des pratiques poursuivies.

33. L'Autorité réplique que les pratiques de devis de couverture sont sanctionnées suivant une pratique décisionnelle constante à raison de la gravité de telles pratiques. Elle rappelle que l'utilisation de devis de couverture a pour objet et peut avoir pour effet de faire échec au processus de mise en concurrence des entreprises pour la réalisation d'une prestation dont, en définitive, les finances publiques supportent le coût. Elle rappelle également que l'objectif de la réglementation en cause est de provoquer les offres économiquement les plus avantageuses et souligne que ce type de pratiques fait directement obstacle à la libre fixation des prix. Elle relève que la société SVF, informée des conditions tarifaires de son concurrent, a renoncé à faire concurrence à d'autres entreprises en produisant des devis de couverture, faisant ainsi échec à une réglementation qui vise à optimiser la dépense publique. Elle en déduit que les pratiques ont bien eu pour objet de restreindre la concurrence, comme l'a retenu la décision attaquée.

34. Le ministre chargé de l'Économie observe que la société SVF ne conteste pas avoir établi ou bénéficié de devis de couverture, mais qu'elle prétend qu'une concurrence réelle et effective aurait eu lieu avant la commission des pratiques, de sorte qu'aucun objet ou effet concurrentiel n'y serait attaché. Il rappelle, à l'instar de l'Autorité, la finalité de la réglementation applicable à la date des faits et renvoie à la jurisprudence établie en ce domaine, notamment, à un arrêt de la cour d'appel de Paris du 29 avril 1993, rendu sur le recours formé contre la décision du Conseil de la concurrence n° 92-D-36 du 19 mai 1992 relative à la situation de la concurrence dans le secteur du déménagement des fonctionnaires et agents français en provenance ou à destination des DOM et des TOM, qui a écarté un moyen identique tiré de ce que la concertation avait eu lieu après que l'entreprise avait été choisie par le client. Il ajoute que le changement de la réglementation survenue en décembre 2017 résulte seulement du constat de l'inefficacité de la réglementation antérieure qui a donné lieu à de multiples cas de pratiques anticoncurrentielles. Il fait valoir, enfin, que l'objet anticoncurrentiel, tel qu'il a été décrit par l'Autorité, est de surcroît établi par le caractère volontaire, réciproque et répété pendant plus d'un an des pratiques relevées et en déduit que le moyen doit être écarté.

35. Le Ministère public soutient que la décision attaquée a parfaitement caractérisé l'objet anticoncurrentiel des pratiques aux paragraphes 71 à 76 de la décision et conclut au rejet du moyen.

36. La cour rappelle qu'aux termes de l'article L. 420-1 du Code de commerce, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions sont prohibées lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, et ce notamment lorsqu'elles tendent à " 2° Faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ".

37. Les pratiques reprochées consistant à solliciter des devis de couverture ou à en réaliser au bénéfice de concurrents, se sont inscrites dans le cadre du dispositif mis en place par le décret n° 2006-742 du 27 juin 2006 précité, lequel prévoit que la prise en charge par l'Etat, dans une certaine proportion, des travaux de sécurisation des débits de tabac est subordonnée à la mise en concurrence, par le bénéficiaire de l'aide, d'entreprises prestataires, afin de recueillir les offres économiquement les plus avantageuses.

38. Il ressort des éléments du dossier (notamment, cotes 862 à 869, 881, 909 à 920 en annexe 12) que les sociétés Millenium Sécurité et SVF se sont réciproquement adressées des demandes de devis de couverture, en y joignant leur propre devis ou en indiquant de manière explicite la proposition de prix qu'elles entendaient transmettre au client pour la réalisation des travaux du débit de tabac, pratiques dont la société SVF ne conteste pas la matérialité. Informée des conditions tarifaires du concurrent, chacune de ces sociétés a, alternativement, renoncé à faire concurrence à l'autre en produisant des devis de couverture portant une offre d'un montant délibérément plus élevé, permettant de présenter le concurrent comme le moins-disant, de façon à lui permettre d'obtenir de façon certaine le marché.

39. Si le prix n'est pas le seul paramètre du jeu de la concurrence, il en est néanmoins un élément essentiel et il importe peu que le client ait choisi son prestataire sur la base de critères qui lui sont personnels (confiance, fiabilité, sérieux...), préalablement à l'établissement du devis de couverture, puisqu'en procédant ainsi, son choix n'a pas été dicté par l'offre économiquement la plus avantageuse, comme le prévoit le dispositif de l'aide versée par l'Etat. Il est donc inexact de soutenir, comme le fait la société SVF, qu'une mise en concurrence " effective " a précédé la pratique litigieuse. Il peut être ajouté que l'offre économiquement plus avantageuse d'un concurrent peut l'amener à modifier son choix initial ou à utiliser le devis moins-disant afin d'amener l'entreprise choisie à diminuer son prix.

40. Ainsi, le fait, pour des entreprises indépendantes, de se concerter ou d'échanger des informations en vue de produire des devis de couverture a pour objet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché et cette pratique est bien de nature à fausser le jeu de la concurrence.

41. Il résulte de l'expérience reconnue et traduite par une jurisprudence constante - notamment celle relative aux pratiques mises en œuvre dans le domaine des déménagements de marins et personnels militaires, telle la décision de l'Autorité de la concurrence n° 14-D-16 du 18 novembre 2014, confirmée par la cour d'appel (CA Paris, 19 mai 2016, RG 2014/25803), dont l'analyse a été validée par la Cour de cassation (Cass. com., 18 octobre 2017, pourvoi n° 16-19.120) - que de telles pratiques, mises en œuvre dans un cadre réglementaire qui requiert expressément une mise en concurrence et ont spécifiquement pour objet de répartir les marchés, révèlent un tel degré de nocivité pour le jeu de la concurrence qu'elles constituent des pratiques anticoncurrentielles par objet et que l'examen de leurs effets n'est pas nécessaire.

42. Par ailleurs, à supposer même qu'il soit établi que les parties à une concertation ont agi sans aucune intention subjective de restreindre la concurrence, mais dans un tout autre but, de telles considérations ne sont pas pertinentes aux fins de l'application de l'article L. 420-1 du Code de commerce dont la violation constitue une infraction objective et ne requiert aucune intentionnalité. Il s'en déduit que le fait, à le supposer même avéré, que la société SVF ait simplement entendu " simplifier les démarches administratives de constitution du dossier nécessaire à la prise en charge d'une partie des frais de sécurisation des débits de tabac " ou " répondre aux demandes d'un ami ", est sans incidence sur les éléments constitutifs de la pratique prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce.

43. L'évolution de la réglementation depuis la fin de l'année 2017, rappelée ci-dessus, est également sans incidence sur l'objet anticoncurrentiel des échanges d'informations et fournitures de devis de couverture en cause, qui sont intervenus au cours d'une période où la réglementation visait à optimiser la dépense publique en favorisant l'émergence d'offres économiquement moins-disantes par le libre jeu de la concurrence.

44. C'est ainsi à juste titre que l'Autorité a retenu que les pratiques en cause ont eu pour objet de restreindre la concurrence sur le marché de la sécurisation des débits de tabac en Isère.

45. Enfin, comme elle l'a justement rappelé, aux paragraphes 63 et suivants de sa décision, l'objet et l'effet anticoncurrentiels des pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce sont des conditions alternatives pour apprécier si celles-ci peuvent être sanctionnées en application de ces dispositions. Il s'ensuit qu'ainsi qu'il a été dit précédemment, il n'est pas nécessaire d'examiner si les pratiques ont eu pour effet de restreindre la concurrence dès lors que leur examen a révélé un objet anticoncurrentiel. Le moyen tiré d'une absence d'atteinte à la concurrence doit, en conséquence, être rejeté.

Sur l'inapplicabilité de l'article L. 420-1 du Code de commerce, fondée sur l'absence d'élément justifiant de l'atteinte à l'économie et " d'une imputabilité de l'atteinte à l'économie ", invoquée par la requérante

46. La société SVF fait valoir que ni les services d'instruction de l'Autorité ni la direction régionale Rhône-Alpes de la DGCCRF ne sont parvenus à calculer le préjudice causé à l'économie et reproche à l'Autorité de s'être fondée sur une présomption d'atteinte à l'économie. Elle estime ce procédé contra legem et soutient qu'elle détient une preuve contraire, dès lors que la pratique reprochée a été postérieure à la mise en concurrence. Elle en déduit que la matérialité du dommage causé à l'économie n'est pas caractérisée, alors que cet élément serait, selon elle, un élément constitutif de l'infraction visée à l'article L. 420-1 du Code de commerce. Elle ajoute que " la présomption de matérialité du dommage à l'économie " ne permet pas de déroger aux principes constants de la responsabilité, notamment, celui selon lequel lorsque la procédure vise plusieurs auteurs en concours, il convient de définir la part de responsabilité imputable à chacun. Elle fait également reproche à l'Autorité de ne pas avoir établi le lien causal entre la pratique qui lui est reprochée et le dommage survenu. Elle en déduit que la cour doit en conséquence " infirmer " la décision attaquée.

47. L'Autorité réplique que la société SVF se méprend sur les éléments constitutifs de l'infraction, l'article L. 420-1 du Code de commerce n'exigeant, au stade de la qualification de la pratique, ni la preuve d'une " atteinte à l'économie imputable à l'entreprise " ni celle d'un " lien causal entre la pratique et le dommage survenu " comme le prétend la requérante. Elle rappelle qu'aux termes de l'article L. 420-1 du Code de commerce, l'objet et l'effet anticoncurrentiels de l'entente sont des conditions alternatives pour caractériser la pratique et se réfère à la jurisprudence nationale et européenne en ce sens (notamment, CJUE, arrêts du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e. a, C-8/08, points 28 et 20 et du 11 septembre 2014, C-67/13, P, CB/Commission , dit " arrêt Groupement des cartes bancaires ", points 49-5 ; CA Paris, 21 décembre 2017, RG 2015/17638). Elle renvoie au paragraphe 76 de la décision attaquée concernant l'objet anticoncurrentiel de la pratique en cause et en déduit, par suite, l'absence de nécessité d'en établir les effets. Elle relève que les principes de la responsabilité civile pour faute ne sont pas applicables à la sanction des pratiques anticoncurrentielles et indique que les arguments relatifs au dommage causé à l'économie seront examinés dans le cadre des discussions relatives à la sanction. 48. Le ministre chargé de l'Économie relève la même confusion opérée entre, d'une part, la notion de " dommage à l'économie " issue du droit de la concurrence, qui découle de l'article L. 464-2 I du Code de commerce et sert à évaluer le montant de la sanction, d'autre part, celle de " préjudice résultant d'un dommage ", propre à la responsabilité civile, qui est de nature différente. Il estime que les paragraphes 84 et 85 de la décision attaquée ont justement imputé la pratique à la société SVF et considère que le moyen tiré de l'absence de démonstration du " dommage à l'économie " causé par les pratiques dénonce en réalité une absence d'effets. Il en déduit que le grief est sans portée dès lors que l'objet anticoncurrentiel des pratiques a été démontré.

49. Le Ministère public s'associe aux observations de l'Autorité et conclut au rejet du moyen.

50. La cour rappelle que l'article L. 420-1 du Code de commerce prohibe un certain type de pratiques (actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions) lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché et que les critères de l'objet et des effets sont alternatifs pour la qualification de telles pratiques. Contrairement à ce que la société SVF fait valoir, le dommage à l'économie et son imputabilité à l'entreprise poursuivie ne sont pas des éléments constitutifs de la pratique prohibée.

51. En effet, mentionnée à l'article L. 464-2 du Code de commerce, la notion de dommage à l'économie n'intervient qu'au stade de la sanction des pratiques lorsqu'elles ont été qualifiées sur le fondement des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce.

52. Il s'ensuit que le moyen invoqué par la société SVF, tiré d'une violation des conditions d'application de l'article L. 420-1 du Code de commerce, à raison d'une absence de démonstration d'un dommage à l'économie qui lui soit imputable, est infondé et doit être écarté.

53. La question de savoir si l'existence d'un dommage causé à l'économie est établie sera en revanche examinée dans le cadre de l'appréciation du montant de la sanction infligée.

Sur La sanction

54. Pour la clarté du présent arrêt, il sera rappelé que l'Autorité a précisé, aux paragraphes 93 et suivants de la décision attaquée, la méthode utilisée pour déterminer le montant de base de la sanction infligée à la société SVF et indiqué, aux paragraphes 100 et suivants, qu'elle entendait appliquer les points 66 et 67 de son communiqué, considérant que la valeur des ventes ne constituait pas un indicateur approprié eu égard à la nature des pratiques en cause et du dispositif d'aide dans lequel elles se sont inscrites, qui suit la logique d'une procédure d'appel d'offres. Elle a, en conséquence, retenu que le montant de base de la sanction devait être déterminé par application d'un coefficient tenant compte de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, appliqué à la moyenne du chiffre d'affaires total réalisé en France par la société SVF pendant les exercices 2013 et 2014, soit 5 116 914 euros.

Sur l'assiette de la sanction

55. La société SVF conteste, en premier lieu, le choix de l'Autorité de retenir comme assiette de la sanction son chiffre d'affaires total, au lieu de prendre en compte la seule valeur des ventes réalisées par elle au titre des ventes de matériel d'alarme au profit des débitants de tabac en Isère. Elle considère que la méthode qui a été suivie est contraire au communiqué sanctions, lequel prévoit au point 23 que " la valeur de ces ventes constitue en effet une référence appropriée et objective pour déterminer le montant de base de la sanction pécuniaire, (...) de préférence au chiffre d'affaires total (...) qui peut ne pas être en rapport avec l'ampleur de ces infractions et le poids relatif de chaque participant sur le(s) secteur(s) ou marché(s) concerné(s) ", ainsi qu'à la pratique décisionnelle antérieure de l'Autorité, à la jurisprudence de la cour d'appel de Paris et à la loi applicable. Elle estime que le fait de retenir un chiffre réalisé au niveau national, alors que le comportement reproché se situe dans le seul département de l'Isère, contrevient au principe de proportionnalité. Elle souligne qu'en appliquant le maximum de 10 % au chiffre d'affaires, la sanction maximum encourue est de 520 274 euros, ce qui ne répond pas à l'ambition de rendre la sanction proportionnée à l'infraction dès lors que celle-ci est caractérisée par onze interventions en un an sur un marché où 3 959 aides ont été attribuées. Elle ajoute que, bien qu'étant l'entreprise ayant le moins participé aux pratiques, il lui a été infligé une sanction représentant presque dix fois le montant transactionnel payé par la société Millenium sécurité, pourtant instigatrice des faits. Enfin, elle souligne que l'Autorité n'a pas démontré que les devis s'inscrivaient dans le cadre d'une procédure d'appel d'offres.

56. L'Autorité, le ministre chargé de l'Économie et le Ministère public relèvent que les points 66 et suivants du communiqué sanctions prévoient la possibilité pour l'Autorité d'adapter la méthode exposée, dès lors qu'il est justifié des raisons qui conduisent à s'en écarter, ce que l'Autorité a fait aux paragraphes 93 à 103 de la décision attaquée.

57. Ils expliquent que le point 23 du communiqué sanctions n'est pas approprié lorsque, notamment, les pratiques anticoncurrentielles portent sur des appels d'offres ponctuels et font valoir que cette position a été retenue dans de nombreuses décisions confirmées par la cour d'appel de Paris et la Cour de cassation. L'Autorité constate que les pratiques en cause ont revêtu un caractère instantané, le ministre chargé de l'Économie ajoute que les appels à concurrence émis par les buralistes en vue de bénéficier de l'aide à la sécurisation s'analysent comme des appels d'offres privés.

58. Ils estiment également que la société SVF ne peut davantage se prévaloir d'une comparaison opérée entre la sanction qui lui a été infligée et le montant de la transaction acceptée par la société Millénium sécurité, dès lors que les sanctions sont appréciées au cas par cas selon les principes et critères légaux et que ces deux sociétés ne se trouvaient pas dans des situations identiques, tant au regard de leurs chiffres d'affaires respectifs qu'au regard de la voie procédurale choisie par chacune d'elles.

59. Le ministre chargé de l'Économie observe encore que l'assiette revendiquée par la société SVF (limitée à la seule valeur des ventes de matériel de sécurité effectuées au profit des buralistes en Isère) aboutirait à une sanction dérisoire qui n'aurait pas le caractère répressif et dissuasif nécessaire.

60. La cour rappelle qu'aux termes de l'article L. 464-2 du Code de commerce " [l]es sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés ; à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre ".

61. Si le montant de la sanction est déterminé en application des critères prévus par ce texte, le législateur n'a cependant imposé aucune méthode de calcul.

62. L'Autorité dispose ainsi d'une marge d'appréciation dans la détermination du montant de la sanction, qui connaît cependant deux limites

- d'une part, le montant de la sanction susceptible d'être infligée à une entreprise est soumis à un plafond chiffrable et absolu, de sorte que le montant maximal de l'amende pouvant être mis à la charge d'une entreprise est déterminable à l'avance.

L'article L. 464-2, I, du Code de commerce prévoit ainsi que, lorsque le contrevenant est une entreprise, le montant maximum de la sanction pécuniaire est de 10 % du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Dans le cadre de la procédure simplifiée en cause, et conformément à l'article L. 464-5 du Code de commerce, la sanction ne peut, par ailleurs, excéder 750 000 euros ;

- d'autre part, l'exercice de ce pouvoir d'appréciation est également limité par les règles de conduite que l'Autorité s'est elle-même imposées avec le communiqué sanctions, qui constitue une directive, au sens administratif du terme, et s'impose à elle, sauf à ce qu'elle explique, dans la motivation de sa décision, les circonstances particulières ou les raisons d'intérêt général la conduisant à s'en écarter dans un cas donné, comme l'a jugé la Cour de cassation, Chambre commerciale, économique et financière, dans un arrêt du 18 octobre 2016 (pourvoi n° 15-10.384, Bull. 2016, IV, n° 131). Ce communiqué n'institue donc pas un barème mécanique permettant d'anticiper le montant précis des sanctions, mais soumet son application à l'examen concret des circonstances propres à chaque cas d'espèce, conformément à une jurisprudence constante (voir en ce sens, Com., 17 mars 2015, pourvoi n° 13-26.003).

63. Concernant l'assiette de la sanction, l'Autorité indique, dans le communiqué sanctions, qu'elle retient, en principe, " une proportion de la valeur des ventes réalisées par chaque entreprise ou organisme en cause de produits ou de services en relation avec l'infraction ou, s'il y a lieu, les infractions en cause " (point 23 du communiqué sanctions), toutefois, dans une partie V intitulée " L'adaptation de la méthode suivie pour déterminer les sanctions pécuniaires dans le cas de certaines pratiques mises en œuvre à l'occasion d'appels d'offres ", elle précise que sa méthode peut être adaptée dans les cas de pratiques anticoncurrentielles portant sur un ou plusieurs appels d'offres ponctuels et ne relevant pas d'une infraction complexe et continue, ajoutant qu'" En effet, la valeur des ventes ne constitue pas un indicateur approprié de l'ampleur économique de ces pratiques, qui revêtent un caractère instantané, et du poids relatif de chaque entreprise ou organisme qui y prend part, en particulier lorsque leur implication consiste à réaliser des offres de couverture ou à s'abstenir de soumissionner " (point 66 du communiqué sanctions).

64. Comme il a été dit précédemment, les pratiques reprochées à la société SVF, consistant à solliciter ou émettre des offres de couverture, qui ne sont pas contestées dans leur matérialité, se sont déroulées, de manière ponctuelle mais répétée, au cours d'une période comprise entre le 14 mars 2013 et le 30 avril 2014 et ont concerné huit marchés, exclusivement dans le département de l'Isère.

65. Ces pratiques se sont inscrites dans le cadre du dispositif d'aide mis en place pour la sécurisation des débits de tabac, tel que prévu par le décret n° 2006-742 du 27 juin 2006 alors applicable, et de l'arrêté en fixant les modalités d'application, lequel prévoyait de joindre à la demande d'aide à la sécurité deux devis détaillés émanant de deux entreprises concurrentes. Elles revêtent ainsi, comme l'a justement retenu l'Autorité, un caractère instantané et répondent à un dispositif qui implique de la part des débitants de tabac une mise en concurrence des prestataires pour permettre de calculer le montant de l'aide allouée, limitée à 80 % de l'offre économiquement la plus avantageuse, selon la logique d'une procédure d'appel d'offres.

66. L'Autorité a, par ailleurs, justement constaté que les pratiques reprochées à la société SVF incluent l'émission d'offres de couverture au bénéfice de la société Millénium sécurité, de sorte qu'elles excèdent le seul montant des ventes de produits ou services en relation avec l'infraction figurant dans les comptes de la société SVF.

67. Par suite, l'Autorité, qui s'est conformée à la méthodologie décrite aux points 66 et 67 du communiqué sanctions, a exactement retenu que la valeur des ventes ne constituait pas un indicateur approprié de l'ampleur économique des pratiques ainsi que du poids relatif de la société SVF et que le montant de base de la sanction devait être défini par application d'un coefficient, déterminé en fonction de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, appliqué à la moyenne du chiffre d'affaires total qu'elle a réalisée en France pendant les exercices 2013 et 2014, soit 5 116 914 euros, compte tenu de ce que l'infraction ne correspondait à aucun exercice comptable complet, ayant perduré pendant treize mois, du 14 mars 2013 au 30 avril 2014.

68. Il convient d'ajouter que le pouvoir d'imposer des sanctions pécuniaires reconnu à l'Autorité, au deuxième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, constitue l'un des différents moyens qui lui sont dévolus pour accomplir la mission de protection du fonctionnement concurrentiel des marchés que lui confie l'article L. 461-1 du Code de commerce. Comme il est énoncé au point 11 du communiqué précité, les sanctions prononcées visent à punir les auteurs d'infractions aux règles de concurrence et à dissuader les agents économiques de se livrer à de telles pratiques. Par suite, la valeur des ventes en Isère invoquée par la société SVF, évaluée par son expert-comptable à la somme de 62 134 euros, qui ne reflète pas l'ampleur économique de l'infraction en cause, ne permettrait pas non plus, après l'application d'un coefficient déterminé en fonction de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, d'assurer le caractère dissuasif de la sanction à l'égard d'une entreprise dont la moyenne du chiffre d'affaires total réalisé en France pendant les exercices 2013 et 2014 s'est élevée, comme il vient d'être dit, à 5 116 914 euros.

69. Concernant la disproportion de la sanction infligée, qui résulterait, selon la requérante, de la comparaison opérée entre la transaction acceptée par la société Millénium sécurité et la sanction infligée à la société SVF, la cour rappelle que le respect du principe d'égalité de traitement ne requiert pas de traiter de manière identique des situations différentes.

70. En effet, la société SVF a choisi de refuser le règlement transactionnel qui lui était proposé, soumis aux conditions de l'article L. 464-9 du Code de commerce, l'amenant ainsi à défendre sa cause dans le cadre de la procédure simplifiée prévue à l'article L. 463-3 du Code précité et à être soumise aux dispositions des articles L. 464-2 et L. 464-5 de ce même Code.

71. Les dispositions de l'article L. 464-2 du Code de commerce commandent seulement de vérifier que la sanction prononcée répond au principe de proportionnalité selon les critères qu'il énumère, ce qu'il conviendra d'apprécier au regard de la gravité des pratiques et du dommage à l'économie en cause, de sorte qu'il n'est pertinent de comparer ni l'application qui peut en être faite à d'autres entreprises sanctionnées par l'Autorité dans d'autres causes ni le montant de la transaction intervenue entre le ministre chargé de l'Économie et d'autres entreprises dans la même affaire. Le moyen ne peut qu'être écarté.

Sur la gravité des pratiques

72. La société SVF soutient que les faits en cause, qui ont consisté en un simple échange sporadique d'informations (onze faits isolés) distinct d'un cartel de prix globalisé, sont d'une faible gravité. Elle fait valoir que le mécanisme de mise en concurrence issu des décrets de 2006 et 2012 était nouveau pour elle et que la nouveauté de ce marché et de son mode de fonctionnement a pu la tromper sur l'amplitude de ses droits à communiquer. Elle considère que, pour apprécier la gravité des faits, conformément au point 26 du communiqué sanctions, la nature des activités, et plus précisément l'émergence d'un secteur ouvert depuis peu à la concurrence, est un critère significatif dans l'adoption de la phase de calcul. Elle déduit de l'ensemble de ces éléments qu'un faible pourcentage aurait du être appliqué à l'assiette de la sanction.

73. Elle ajoute qu'eu égard à sa très faible participation sur le marché (0,4 %), il est malaisé de considérer que les faits isolés qu'elle a commis ont pu affecter, hors de toute proportion, les débitants de tabac et ses concurrents directs. Elle relève également que sur ses onze interventions, elle n'a remporté que quatre marchés et estime cette fréquence minime, puisque moins d'un marché par mois a été affecté par les devis de couverture sur la période courte concernée (d'un an et un mois). Elle relève qu'il était possible de se soustraire aux ententes, puisque l'obtention d'un troisième devis aurait pu faire obstacle à celles-ci, et considère que rien ne permet de dire que le recours à un troisième devis aurait été moins-disant. Elle souligne que, si elle avait été instigatrice des pratiques, elle aurait pu multiplier les demandes de devis dans le but de faire croître son chiffre d'affaires ou de réduire la concurrence, ce qu'elle n'a pas fait, et relève que l'ampleur de l'entente est également infime, se réduisant au département de l'Isère.

74. L'Autorité renvoie aux paragraphes 104 à 114 de la décision attaquée, indique avoir appliqué le point 26 du communiqué sanctions et rappelle la pratique décisionnelle constante selon laquelle l'utilisation de devis de couverture constitue une pratique grave qui a pour objet et peut avoir pour effet de faire échec au processus de mise en concurrence des entreprises. Elle souligne que la gravité de la pratique est encore accrue lorsqu'elle prend appui, comme ici, sur une réglementation spécifique conçue pour faire jouer la concurrence, ainsi que l'ont déjà retenu de nombreuses décisions. Elle en déduit que les faits ne peuvent être qualifiés de " simple échange sporadique d'informations ", alors qu'ils constituent une des infractions les plus graves aux règles de la concurrence en ce qu'ils visent à manipuler des paramètres essentiels de la concurrence dans le marché visé. Elle considère que la société SVF ne peut prétendre s'être méprise sur l'interdiction de cette pratique en raison de sa prétendue nouveauté. Elle ajoute encore qu'en procédant de la sorte, la société SVF s'est également rendue responsable d'une mauvaise utilisation des deniers de l'Etat en cherchant à faire échec à une réglementation visant à optimiser la dépense publique.

75. Le ministre chargé de l'Économie note que la société SVF reconnaît onze échanges d'informations alors que la décision attaquée la sanctionnée pour huit. Il formule ensuite les mêmes observations que l'Autorité, relevant la jurisprudence abondante rendue en la matière. Il en déduit que la société SVF savait pertinemment qu'elle enfreignait une réglementation mise en œuvre pour garantir une mise en concurrence effective. Il ajoute enfin que le fait que l'offre de couverture soit intervenue, le cas échéant, à la demande du débitant de tabac n'est pas pertinent aux termes d'une pratique décisionnelle constante.

76. Le Ministère public, qui s'associe aux développements de l'Autorité et du ministre chargé de l'Économie, demande à la cour d'approuver les motifs du paragraphe 114 de la décision attaquée.

77. La cour rappelle que l'Autorité a retenu, au paragraphe 114 de la décision attaquée, que l'infraction en cause constitue une des infractions les plus graves aux règles de la concurrence en ce qu'elle vise, par sa nature même, à manipuler des paramètres essentiels de la concurrence dans le marché concerné. Pour parvenir à cette conclusion, elle a tout d'abord relevé, aux paragraphes 104 et 105 de la décision attaquée, que la société SVF avait participé à la mise en œuvre d'une pratique concertée avec la société Millénium Sécurité, consistant en des échanges d'informations confidentielles portant sur des devis de couverture à l'occasion de prestations de sécurisation des débits de tabac en Isère, qui ont eu pour objet de se répartir les clients et ont fait échec à toute mise en concurrence entre elles. Elle a ensuite précisé que le marché de la sécurisation des débits de tabac, dans lequel sont intervenues les pratiques, fait l'objet d'une réglementation spécifique qui subordonne l'octroi d'une aide à une mise en concurrence effective entre les prestataires, le montant de cette aide étant proportionné au devis le moins élevé. Elle a enfin rappelé que cette mise en concurrence est destinée à réduire la charge financière qui pèse sur le budget de l'Etat, dans la mesure où le versement de l'aide est calculé sur le montant de l'offre la moins-disante.

78. La cour constate qu'en se déterminant de la sorte l'Autorité s'est conformée à la méthodologie précisée au point 26 du communiqué sanctions, en tenant compte des éléments qui y sont mentionnés en fonction de leur pertinence, et en examinant plus précisément la nature de l'infraction en cause, la nature du secteur et celle des services concernés.

79. Force est ensuite de constater que l'utilisation de devis de couverture constitue une pratique grave en ce qu'elle a pour objet et a pour effet de faire directement échec au processus de mise en concurrence des entreprises, ce que l'Autorité a justement rappelé aux paragraphes 108 et suivants de la décision attaquée.

80. Comme l'a encore relevé l'Autorité, la pratique des offres de couverture s'est inscrite dans le cadre d'une réglementation spécifique conçue précisément pour faire jouer la concurrence afin de réduire une charge financière du budget de l'Etat. Elle a eu pour objet de faire échec à la fixation des prix par le libre jeu du marché, neutralisant le processus de mise en concurrence qui avait vocation à permettre l'émergence de l'offre économiquement la plus avantageuse. La société SVF ne peut donc raisonnablement soutenir que les offres de couverture qu'elle a émises ou sollicitées, de manière répétée, pendant treize mois, du 14 mars 2013 au 30 avril 2014, concernant huit marchés, seraient de faible gravité, en ce qu'elles constitueraient un simple " échange sporadique d'informations " qui "ne semble pas avoir affecté" le consommateur final.

81. Par ailleurs, la circonstance, à la supposer avérée, que la demande de devis de couverture ait émané des débitants de tabac, qui en sont celtes bénéficiaires mais n'en supportent pas eux-mêmes toute la charge, n'est pas de nature à justifier une pratique qui trompe les services des douanes, tiers payeurs, sur l'étendue de la concurrence mise en œuvre. Le fait que la société SVF n'en ait pas été systématiquement l'instigatrice n'est pas davantage de nature à atténuer sa responsabilité au titre de sa participation à des pratiques qui font obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché.

82. Il est tout aussi vain de soutenir que la pratique serait d'une faible gravité compte tenu du fait que la participation de la société SVF sur le marché pertinent est très faible ou qu'il ne serait pas démontré qu'un troisième devis aurait été moins-disant, dans la mesure où, comme il a été dit précédemment, cette pratique visait, par sa nature même, à organiser un simulacre de concurrence et à manipuler des paramètres essentiels de la concurrence, ce qui constitue, comme l'a encore justement retenu l'Autorité, au paragraphe 114 de la décision attaquée, une des infractions les plus graves aux règles de concurrence, dont les effets potentiels suffisent.

83. La société SVF ne peut davantage faire, utilement, valoir qu'elle se serait méprise sur une réglementation qui était en vigueur depuis 2006, soit depuis près de sept ans à la date du premier devis de couverture de mars 2013, et dont elle ne pouvait légitimement ignorer la portée.

84. Enfin, la couverture géographique limitée de l'infraction, sa faible durée, la part de marché restreinte de son auteur sont des éléments d'appréciation du dommage causé à l'économie et non de la gravité des pratiques.

Sur le dommage causé à l'économie

85. La société SYF soutient que, pour appliquer un pourcentage en rapport avec les faits, la cour doit encore étudier le " préjudice à l'économie ", lequel n'a pas été déterminé par l'Autorité. Elle fait valoir qu'elle s'en tient à la décision déférée en ce que celle-ci a indiqué que le dommage à l'économie était " nécessairement limité ". Elle en déduit que, compte tenu de ce que le budget de l'Etat n'apparaît pas avoir été lourdement affecté, de ce que l'entente n'a concerné que le département de l'Isère et qu'elle y a mis un terme dès qu'elle a été alertée sur les pratiques mises involontairement en œuvre par l'un de ses salariés, le pourcentage à appliquer ne saurait excéder 30 % de la somme de 62 064 euros, en application du point 40 du communiqué sanctions, selon lequel, " la proportion de la valeur des ventes réalisées durant l'exercice comptable de référence au sens du point 33 (...), que l'Autorité retient au cas par cas en considération de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, est comprise entre 0 et 30 % ".

86. L'Autorité réplique que la prise en compte du dommage à l'économie dans la fixation de la sanction, critère légal, ne se confond pas avec le préjudice qu'ont pu subir les victimes des pratiques en cause, mais qu'il s'apprécie en fonction de la perturbation générale que ces pratiques sont de nature à engendrer pour l'économie. Elle ajoute également qu'aux termes d'une jurisprudence constante, elle n'est tenue ni d'identifier la part imputable à chacun des participants ni de chiffrer précisément le dommage causé à l'économie. Elle estime que c'est au regard des paramètres requis (ampleur de l'infraction, part de marché sur le secteur, durée) que l'incidence économique de la pratique en cause a été appréciée, conduisant à retenir un dommage limité et ainsi un pourcentage de 0,9 % de l'assiette retenue.

87. Le ministre chargé de l'Économie souligne que le rapport d'enquête de la DGCCRF a évalué le montant des travaux obtenus par la société SVF dans le cadre des dossiers où elle bénéficiait d'une offre de couverture de son partenaire Millénium sécurité à 32 100 euros, soit 2,7 % du total des aides versées par la douane pour les débits de tabac situés en Isère, et (page 15 du rapport) que le montant total des travaux obtenus par la société Millénium sécurité grâce à des devis de couverture s'est élevé à 176 900 euros, soit 15,1 % du total des aides versées en Isère entre 2011 et 2013, dont une partie obtenue grâce aux devis de la société SVF. Il rappelle que l'importance du dommage causé à l'économie s'apprécie au regard de l'action cumulée de tous les participants et en déduit qu'il doit aussi être tenu compte d'une partie de l'action de la société Millénium sécurité pour apprécier le dommage causé à l'économie par les pratiques de la société SVF, même si la première a accepté de transiger et n'est pas en cause.

88. Le ministre ajoute que la dimension locale du marché n'est pas nécessairement une cause d'atténuation de l'importance du dommage et qu'il n'est pas non plus nécessaire d'établir la preuve qu'une entreprise tierce à l'entente aurait nécessairement proposé un devis moins-disant, puisqu'un effet potentiel des pratiques est suffisant. Il considère en conséquence que le dommage causé à l'économie est important et demande à la cour de rejeter le moyen. Il formule, pour le surplus, les mêmes observations que l'Autorité.

89. Le Ministère public adopte la même analyse et demande à la cour d'approuver la décision en ce qu'elle a défini le montant de base de la sanction dans une proportion de 0,9 % de la moyenne du chiffre d'affaires total réalisé en France par la société SVF sur les exercices 2013 et 2014, soit un montant de base de la sanction de 46 052 euros.

90. La cour rappelle qu'aux termes de l'article L. 464-2 du Code de commerce " [l]es sanctions pécuniaires sont proportionnées à l'importance du dommage causé à l'économie ". Comme l'a justement retenu l'Autorité, aux paragraphes 115 et suivants de la décision attaquée, il n'est pas pour autant exigé d'en établir un chiffrage précis, ni requis d'en quantifier la contribution de telle ou telle entreprise, dès lors que ce dommage est le fruit de la pratique incriminée en son entier. Concernant les pratiques d'entente mises en œuvre dans le cadre d'appel d'offres, il n'est, pour la même raison, pas davantage nécessaire d'apprécier l'atteinte réellement portée à chaque marché considéré.

91. La pratique de devis de couverture a pour effet d'entraîner une répartition artificielle d'un ou plusieurs marchés entre les entreprises et de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu de la concurrence. Dans un tel cas le dommage à l'économie dépend du nombre de marchés et du montant des opérations concernés ainsi que de la durée des pratiques. Les tableaux reproduits aux paragraphes 30 et 43 de la décision attaquée, dont les données ne sont pas contestées, établissent que les montants des devis concernés ont été modérés (situés dans une fourchette oscillant entre 2 035 euros pour le plus faible et 12 504 euros pour le plus élevé), que le nombre de marchés est limité (huit) et la durée des pratiques assez courte (treize mois). Il est par ailleurs constant que la couverture géographique de l'infraction s'est limitée au département de l'Isère. L'Autorité a précisément tenu compte de ces éléments pour retenir, à juste titre, que le dommage à l'économie résultant des pratiques reprochées à la société SVF avait un caractère limité, ce que celle-ci ne conteste d'ailleurs pas.

92. La cour observe, en outre, que la décision attaquée s'est conformée au communiqué sanctions en appliquant, compte tenu de la nature des pratiques en cause, la méthodologie prévue au paragraphe 68, qui prévoit que dans les cas de pratiques anticoncurrentielles portant sur un ou plusieurs appels d'offres ponctuels et ne relevant pas d'une infraction complexe et continue " le montant de base de la sanction pécuniaire résultera alors de l'application d'un coefficient, déterminé en fonction de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, au chiffre d'affaires total réalisé en France par l'organisme ou par l'entreprise en cause (...), en principe pendant l'exercice comptable complet au cours duquel a eu lieu l'infraction ou du dernier exercice comptable complet s'il en existe plusieurs ".

93. Il s'en déduit que la société SVF ne peut utilement invoquer le bénéfice des dispositions du point 40 du communiqué sanctions, qui correspondent à une méthodologie inadaptée aux faits de l'espèce, pour voir appliquer un pourcentage de 30 % au montant de la valeur des ventes en relation avec l'infraction.

94. Compte tenu de l'ensemble des éléments successivement examinés et du fait que la mise en œuvre de l'infraction ne correspond à aucun exercice comptable complet puisqu'elle est comprise sur la période mars 2013 à avril 2014, le montant de base de la sanction fixé à 46 052 euros, soit 0,9 % de la moyenne du chiffre d'affaires total réalisé en France par la société SVF sur les exercices 2013 et 2014, dont le montant de 5 116 914 euros n'est pas contesté, est proportionné à la gravité des pratiques et au dommage à l'économie.

95. Il s'ensuit que les moyens soutenus à ce sujet sont rejetés.

Sur l'individualisation de la sanction et le bénéfice de circonstances atténuantes, invoqués par la société SVF

96. La société SVF fait valoir qu'elle a pris une part mineure dans la commission des pratiques, lesquelles ont été involontairement mises en œuvre par l'un de ses salariés, et qu'elle les a instantanément interrompues dès qu'elle a été alertée sur leur illégalité, pour solliciter à nouveau le bénéfice du point 40 du communiqué sanctions et l'application d'un pourcentage qui ne saurait excéder 30 % de la valeur des ventes.

97. L'Autorité réplique que les pratiques ont été mises en œuvre du 14 mai 2013 au 30 avril 2014 et ont pris fin après l'établissement du rapport administratif d'enquête du 28 mars 2014. Elle en déduit que, dans ces conditions, la cessation des pratiques doit être considérée, non comme une circonstance atténuante, mais comme un comportement normal de l'entreprise mise en cause.

98. Elle conteste également le fait que la société SVF n'aurait eu qu'un rôle " mineur " dans les pratiques reprochées dès lors que, contrairement à d'autres entreprises qui n'ont fait que fournir des devis de couverture, la société SVF a également sollicité de tels devis et se trouve être directement bénéficiaire de ces pratiques. Elle en déduit qu'elle a justement considéré qu'il y avait lieu de ne tenir compte d'aucune circonstance atténuante ou aggravante (paragraphes 122 à 126 de la décision attaquée).

99. Le ministre chargé de l'Économie, divergeant sur ce point de l'analyse opérée dans la décision attaquée, estime que le caractère aggravant attaché au rôle de leader est applicable à la société SVF puisque celle-ci a joué un rôle particulier dans la conception ou la mise en œuvre de l'infraction (point 46 du communiqué sanctions). Il relève que cette dernière ne se contentait pas de fournir des devis de couverture à la société Millenium sécurité mais qu'elle avait une stratégie propre vis-à-vis de son partenaire, dès lors qu'elle fournissait des devis de couverture, attendait une réciprocité " en cas de besoin " et escomptait que la société Millénium sécurité lui envoie des clients en télésurveillance. Il conclut au rejet du recours.

100. Ainsi que la cour l'a déjà précisé, l'invocation du bénéfice des dispositions du paragraphe 40 du communiqué sanctions par la société SVF, qui vient au soutien d'une demande de réduction de la sanction, est inopérante, puisque l'Autorité était fondée à ne pas retenir ces dispositions compte tenu de la nature des pratiques. Elle a par ailleurs justifié l'adaptation de la méthodologie qu'elle a appliquée pour définir le montant de la sanction et s'est conformée aux points 67 et 68 du communiqué sanctions.

101. Il ressort, au surplus, des éléments du dossiers, non contestés par la requérante, que les pratiques se sont déroulées du 14 mars 2013 au 30 avril 2014, cependant que le rapport administratif d'enquête les ayant constatées a été établi le 28 mars 2014, après de nombreuses auditions, dont celle de M. M., responsable d'agence de la société SVF, consignée par procès-verbal du 11 février 2014, (annexe n° XXII, cotes 2411 et 2412). Il s'en déduit que la cessation des pratiques, qui correspond au comportement attendu de l'entreprise mise en cause, n'a pas été spontanée et ne relève pas d'une circonstance atténuante.

102. De la même manière, si les circonstances aggravantes en considération desquelles l'Autorité peut augmenter le montant de base de la sanction pécuniaire peuvent, notamment, tenir au fait que l'entreprise a joué un rôle de meneur ou d'incitateur, ou a joué un rôle particulier dans la conception ou dans la mise en œuvre de l'infraction, il ne saurait s'en déduire qu'à l'inverse le rôle de simple suiveur serait constitutif d'une circonstance atténuante. Au cas d'espèce, il sera rappelé que la société SVF ne s'est pas contentée d'émettre des devis de couverture mais en a également sollicité, de sorte qu'elle ne peut prétendre avoir eu un rôle minime dans la commission des pratiques.

103. La société requérante ne justifie ainsi d'aucune circonstance atténuante susceptible de conduire à la réformation de la décision.

104. Enfin, si elle verse aux débats une attestation émanant d'une société d'expertise comptable, datée du 14 juin 2017, qui fait état d'une " position bancaire très souvent débitrice " et conclut au fait qu'il serait judicieux de solliciter un échelonnement de cette dette pour ne pas voir [sa] situation financière se dégrader à nouveau et pour ne pas être obligé de prendre des décisions plus radicales ", elle n'a cependant saisi la cour, qui n'est pas compétente pour ordonner un tel échelonnement, d'aucune demande ni moyen relatif à la faiblesse de ses facultés contributives.

105. Il s'ensuit que la sanction, arrondie à 46 000 euros, infligée à la société SVF est proportionnée à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de cette entreprise qui a réalisé au cours de l'exercice comptable 2015 un chiffre d'affaires de 5 602 743 euros.

Sur les demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile et sur les dépens

106. La société SVF succombant en son recours, il y a lieu de rejeter sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile et de la condamner aux entiers dépens.

Par ces motifs Rejette le recours de la société Sécurité vol feu contre la décision de l'Autorité de la concurrence n° 18-D-05 du 13 mars 2018 ; Rejette la demande de la société Sécurité vol feu fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Sécurité vol feu aux dépens.