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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 12 décembre 2018, n° 14-15715

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Speed Rabbit Pizza (SA), ABC Food (SARL)

Défendeur :

Domino's Pizza France (SAS), French Pizza Inc. (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Lallement, Janssens, Parleani, Correia, Boccon Gibod, Saint Esteben Olivier, Lemmouchi-Maire, Villey

CA Paris n° 14-15715

12 décembre 2018

Faits et procédure

La société Speed Rabbit Pizza (SRP) exerce son activité dans le secteur de la vente à emporter et livraison à domicile de pizzas, par l'intermédiaire d'un réseau de franchise.

La société ABC Food est spécialisée dans le secteur d'activité de la restauration de type rapide. Elle exerce à Puteaux, en qualité de franchisé sous enseigne Speed Rabbit Pizza, l'activité commerciale de fabrication/vente à emporter/livraison de pizzas à domicile, depuis le 21 mars 2001.

La société Domino's Pizza France (ou DPF) est à la tête d'un réseau de franchise dans le même secteur et la société French Pizza exerce à La Garenne Colombes et à Puteaux, en qualité de franchisé sous son enseigne l'activité de fabrication/vente à emporter/livraison de pizzas à domicile.

La société ABC Food, se prétendant victime de pratiques de concurrence déloyale de la part des sociétés French Pizza et Domino's Pizza France, en ce que cette dernière octroierait à sa franchisée des avantages illicites, tels des délais de paiements et des prêts contraires à la loi, a, par acte du 30 novembre 2012, assigné les deux sociétés en cessation des pratiques et en réparation du préjudice.

Par conclusions du 7 et 28 septembre 2013, la société ABC Food a demandé au tribunal de commerce de Paris de surseoir à statuer en raison d'une procédure pendante entre Speed Rabbit Pizza et Domino's Pizza France, dont l'issue aurait, selon elle, une incidence sur la présente procédure.

Cette question a été tranchée par un jugement avant dire droit du tribunal de commerce de Paris du 11 octobre 2013.

A l'audience du 14 février 2014, la société Speed Rabbit Pizza a déposé des conclusions en intervention volontaire accessoire.

Par jugement du 7 juillet 2014, le tribunal de commerce de Paris a, sous le régime de l'exécution provisoire :

- dit que la prescription de l'article 2224 du Code civil n'était pas acquise à la défenderesse en ce qu'elle concerne les comptes de la société French Pizza,

- dit l'intervention volontaire accessoire de la société Speed Rabbit Pizza recevable,

- débouté la société ABC Food de l'ensemble de ses demandes,

- condamné in solidum la société ABC Food et la société Speed Rabbit Pizza à payer à la société French Pizza la somme de 85 000 euros et à la société Domino's Pizza France la somme de 50 000 euros pour procédure abusive,

- débouté les parties de leur demande de publication de la présente décision,

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

- condamné in solidum la société ABC Food et la société Speed Rabbit Pizza à payer, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile la somme de 10 000 euros à la société French Pizza et la somme de 57 515 euros à la société Domino's Pizza France,

- condamné in solidum la société ABC Food et la société Speed Rabbit Pizza aux dépens de la présente instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 211,68 euros TTC (dont 34,84 euros de TVA).

Par déclaration d'appel du 22 juillet 2014 enregistrée le 25 juillet 2014 (RG n° 14/15715), la société Speed Rabbit Pizza a interjeté appel du jugement du tribunal de commerce de Paris du 7 juillet 2014.

Par déclaration d'appel du 6 août 2014 enregistrée le 11 août 2014 (RG n° 14/17007), la société ABC Food a interjeté appel du jugement.

Le 19 mai 2015, une ordonnance de jonction a rendue afin que les procédures inscrites au rôle sous les numéros 14/15715 et 14/17007 soient jointes.

La procédure devant la cour a été clôturée le 11 septembre 2018.

Vu les dernières conclusions de la société Speed Rabbit Pizza, appelante, déposées et notifiées le 6 septembre 2018, par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 7 avril 2015, ainsi que les articles 16 et 455, 325 et suivant, 700, 907 à 916 du Code de procédure civile et 1382 et suivants (anciens) du Code civil,

1) annuler le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 7 juillet 2014, les premiers juges ayant écarté les pièces produites par la société ABC Food sur le fondement d'un moyen non soumis préalablement aux parties, l'ensemble du jugement étant dépourvu de toute motivation à cet égard,

2) Subsidiairement, infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 7 juillet 2014 en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il a :

- écarté les pièces de la société ABC Food et a jugé celles-ci " sans lien direct, immédiat et effectif avec les faits de la cause " sans désigner celles-ci,

- débouté la société ABC Food de l'ensemble de ses demandes,

- condamné in solidum les sociétés ABC Food et Speed Rabbit Pizza, à payer à la société French Pizza la somme de 85 000 euros et à la société Domino's Pizza France la somme de 50 000 euros à titre dommages et intérêts pour procédure abusive,

- condamné in solidum les sociétés ABC Food et Speed Rabbit Pizza à payer à la société French Pizza la somme de 10 000 euros et à la SAS Domino's Pizza France la somme de 57 515 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

- condamné in solidum les sociétés ABC Food et Speed Rabbit Pizza aux entiers dépens,

3) Statuant à nouveau,

- dire recevables l'ensemble des pièces communiquées par la société ABC Food,

- dire que les sociétés Domino's Pizza France et French Pizza ont commis des fautes délictuelles au préjudice de la société ABC Food, en accordant et acceptant des délais de paiement qui contreviennent aux délais légaux tels que prévus par les articles L. 442-6 I 7° (ancien) à L. 441-6 et L. 443-1 du Code de commerce, et en accordant et recevant des prêts qui contreviennent aux dispositions des articles L. 313-2 et L. 511-7 du Code monétaire et financier,

- dire que les sociétés Domino's Pizza France et French Pizza ont commis des fautes délictuelles à l'encontre de la société ABC Food en n'appliquant pas les dispositions légales et contractuelles prévues relatives aux délais de paiement,

- dire que ces fautes causent un préjudice à la société ABC Food,

- condamner en conséquence in solidum les sociétés Domino's Pizza France et son franchisé, la société French Pizza à verser à titre de dommages-intérêts à la société ABC Food, franchisé Speed Rabbit Pizza, la somme de 1 500 000 euros (un million cinq cent mille euros), avec intérêts au taux légal commençant à courir à compter du 30 novembre 2012 date de la signification de l'assignation introductive d'instance et avec capitalisation desdits intérêts conformément à l'article 1154 ancien du Code civil,

- prendre acte de ce que la société Speed Rabbit Pizza se réserve de solliciter ultérieurement la réparation de l'aggravation de ses préjudices, et d'éventuels préjudices supplémentaires causés par les fautes délictuelles de Domino's Pizza France dénoncées dans le cadre de la présente procédure,

- dire que le tribunal de commerce de Paris a statué ultra petita en condamnant in solidum les sociétés ABC Food et Speed Rabbit Pizza à payer au titre de l'article 700 du Code de procédure civile la somme de 10 000 euros à la société French Pizza et la somme de 57 515 euros à la société Domino's Pizza France, alors que la société French Pizza n'avait présenté aucune demande de ce chef à l'encontre de la société Speed Rabbit Pizza,

- débouter la société Domino's Pizza France et la société Domino's Pizza France de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- condamner les sociétés Domino's Pizza France et French Pizza in solidum à verser à la société ABC Food la somme de 30 000 euros (trente mille euros) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner les sociétés Domino's Pizza France et French Pizza in solidum à verser à la société Speed Rabbit Pizza la somme de 30 000 euros (trente mille euros) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner in solidum les sociétés Domino's Pizza France et French Pizza en tous les dépens dont distraction au profit de la SCP Bolling Durand Lallement, Avocats, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile ;

Vu l'appel interjeté par la société ABC Food et ses conclusions, déposées et notifiées le 7 septembre 2018, par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 7 avril 2015, ainsi que les articles 16 et 455, 325 et suivant, 700, 907 à 916 du Code de procédure civile et 1382 et suivants (anciens) du Code civil,

- déclarer l'appel de la société ABC Food recevable et bien fondé,

en conséquence,

à titre principal,

- annuler le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 7 juillet 2014, les premiers juges ayant écarté les pièces produites par la société ABC Food sur le fondement d'un moyen non soumis préalablement aux parties, l'ensemble du jugement étant dépourvu de toute motivation à cet égard,

à titre subsidiaire,

- infirmer le jugement querellé en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il a :

* écarté les pièces de la société ABC Food et a jugé celles-ci " sans lien direct, immédiat et effectif avec les faits de la cause " sans désigner celles-ci,

* débouté la société ABC Food de l'ensemble de ses demandes,

* condamné in solidum les sociétés ABC Food et Speed Rabbit Pizza, à payer à la société French Pizza la somme de 85 000 euros et à la société Domino's pizza France la somme de 50 000 euros à titre dommages et intérêts pour procédure abusive,

* condamné in solidum les sociétés ABC Food et Speed Rabbit Pizza à payer à la société French Pizza la somme de 10 000 euros et à la société Domino's pizza France la somme de 57 515 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

* débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

* condamné in solidum les sociétés ABC Food et Speed Rabbit Pizza aux entiers dépens,

statuant à nouveau,

- dire recevables l'ensemble des pièces communiquées par la société ABC Food,

- dire que les sociétés Domino's Pizza France et French Pizza ont commis des fautes délictuelles au préjudice de la société ABC Food en accordant et acceptant des délais de paiement qui contreviennent aux délais légaux tels que prévus par les articles L. 442-6 I 7° (ancien) à L. 441-6 et L. 443-1 du Code de commerce,

- dire que les sociétés Domino's Pizza France et French Pizza ont commis des fautes délictuelles à l'encontre de la société ABC Food en n'appliquant pas les dispositions contractuelles prévues relatives aux délais de paiement,

- dire que les sociétés Domino's Pizza France et French Pizza ont commis des faits participant à la caractérisation du délit d'exercice illégal de la profession de banquier en accordant et acceptant un prêt sous la forme d'un compte courant d'associé, pratique habituellement commise par Domino's Pizza France au bénéfice d'autres franchisés,

- dire que ces fautes causent un préjudice à la société ABC Food,

- condamner en conséquence in solidum les sociétés Domino's Pizza France et son franchisé, la société French Pizza, à verser à titre de dommages-intérêts à la société ABC Food, franchisé Speed Rabbit Pizza, la somme 1 500 000 euros (un million cinq cent mille euros), avec intérêts au taux légal commençant à courir à compter du 30 novembre 2012, date de la signification de l'assignation introductive d'instance, et avec capitalisation desdits intérêts, conformément à l'article 1154 du Code civil,

- prendre acte de ce que la société ABC Food se réserve de solliciter ultérieurement la réparation de l'aggravation de ses préjudices, et d'éventuels préjudices supplémentaires causés par les fautes délictuelles de Domino's Pizza France et son franchisé, la société French Pizza, dénoncées dans le cadre de la présente procédure,

- dire que le tribunal de commerce de Paris a statué ultra petita en condamnant in solidum les sociétés ABC Food et Speed Rabbit Pizza à payer au titre de l'article 700 du Code de procédure civile la somme de 10 000 euros à la société French Pizza et la somme de 57 515 euros à la société Domino's Pizza France, alors que la société French Pizza n'avait présenté aucune demande de ce chef à l'encontre de la société Speed Rabbit Pizza,

- débouter les sociétés Domino's Pizza France et French Pizza de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- condamner en conséquence in solidum les sociétés Domino's Pizza France et son franchisé, la société French Pizza à payer la somme de 30 000 euros (trente mille euros) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile pour la procédure devant le tribunal de commerce de Paris,

y ajoutant,

- condamner les sociétés Domino's Pizza France et French Pizza in solidum à verser à la société ABC Food la somme supplémentaire de 30 000 euros (trente mille euros) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

en tout état de cause,

- condamner in solidum les sociétés Domino's Pizza France et French Pizza en tous les dépens dont distraction au profit de la Selarl BDL Avocats, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions de la société French Pizza, intimée, déposées et notifiées le 29 août 2018, par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu les articles 1382 et 2224 du Code civil, 9, 122 et 700 du Code de procédure civile,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 7 juillet 2014,

Y ajoutant :

- condamner la société ABC Food à verser à la société French Pizza la somme complémentaire de 60 000 euros, en sus des 85 000 de dommages et intérêts versés au titre de l'abus du droit d'agir en justice en première instance ;

- condamner solidairement les sociétés Speed Rabbit Pizza et ABC Food à verser à la société French Pizza la somme supplémentaire de 25 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner les sociétés Speed Rabbit Pizza et ABC Food aux dépens conformément à l'article 699 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions de la société Domino's Pizza France, intimée, déposées et notifiées le 10 septembre 2018 par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu les articles 9, 32, 122, 330, 550 et 700 du Code de procédure civile, et 1382 (devenu l'article 1240) du Code civil,

- dire que des pièces sans lien avec la procédure dans laquelle elles sont produites peuvent être valablement écartées,

- dire qu'un très grand nombre de pièces produites par ABC Food devant le tribunal étaient dénuées de lien avec le présent litige,

- dire que devant les juridictions où la procédure est orale, les parties sont libres de développer à l'audience des moyens et des prétentions non repris dans leurs écritures,

- dire que lors de l'audience du 2 mai 2014, le tribunal a interrogé ABC Food sur la pertinence des pièces produites au soutien de son assignation et de ses conclusions,

- constater que les pièces écartées des débats par le tribunal sont celles dont Domino's Pizza France demandait l'irrecevabilité et énumérées dans le rappel des prétentions des parties du jugement,

en conséquence,

- dire que le tribunal pouvait parfaitement écarter des débats ces pièces, sans violer le principe du contradictoire, ni entacher son jugement d'un défaut de motivation,

- dire qu'il n'y a lieu ni à l'annulation ni à l'infirmation du jugement sur ce point,

- dire qu'un grand nombre de pièces communiquées par ABC Food en appel, listées par Domino's Pizza France, sont dénuées de lien avec le présent litige,

en conséquence,

- écarter ces pièces des débats,

- constater que le marché de la pizza livrée et à emporter est de dimension locale et caractérisé par une multitude d'acteurs,

- dire que seules les pratiques alléguées commises sur la zone de chalandise locale du point de vente Speed Rabbit Pizza de Puteaux devront être examinées,

- dire que seules les pratiques alléguées commises par French Pizza et Domino's Pizza France à compter de mai 2003 dans le cadre de l'exploitation du point de vente Domino's Pizza France de Puteaux devront être examinées,

- dire que sont écartées des débats les pratiques alléguées commises par des parties non présentes à l'instance, commises en dehors de la zone de chalandise précitée ou commises antérieurement à l'entrée de French Pizza sur la zone de chalandise pertinente,

- dire qu'en matière de concurrence déloyale, la partie qui s'en prétend victime doit rapporter la triple preuve d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre les deux,

- constater que le tribunal de commerce de Paris a débouté ABC Food de sa demande indemnitaire, car il n'est pas établi que Domino's Pizza France et French Pizza auraient commis des actes de concurrence déloyale,

- dire qu'aucune faute dont seraient à l'origine Domino's Pizza France et French Pizza n'est démontrée,

- dire qu'aucun lien de causalité n'est démontré entre les fautes alléguées et le préjudice allégué,

- dire qu'aucun préjudice n'est caractérisé, ni plus généralement chiffré,

en conséquence,

- dire que les conditions d'application de l'article 1382 du Code civil ne sont pas remplies,

- confirmer le jugement sur ce point,

- débouter ABC Food de l'ensemble de ses demandes fondées sur l'article 1382 du Code civil,

- dire que le tribunal a rapporté la preuve qu'ABC Food et Speed Rabbit Pizza avaient fait dégénérer en abus leur droit d'agir en justice, ce qui a directement causé un préjudice à Domino's Pizza France,

- constater que Speed Rabbit Pizza a joué un rôle prépondérant, sinon a été l'instigateur, dans la procédure initiée par son franchisé,

- dire qu'un intervenant volontaire accessoire peut être condamné pour procédure abusive,

- dire que la condamnation in solidum rend les co-auteurs obligés au paiement de l'intégralité de la somme, sans qu'il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilité entre eux,

- dire que Speed Rabbit Pizza pouvait être condamnée in solidum avec son franchisé pour procédure abusive,

- dire que les parties sont libres de développer des moyens et des prétentions non repris dans leurs écritures devant les juridictions où la procédure est orale,

- dire que Domino's Pizza France a demandé à l'oral la condamnation in solidum de Speed Rabbit Pizza et d'ABC Food pour procédure abusive,

- dire que le tribunal de commerce n'a pas statué ultra petita en condamnant in solidum Speed Rabbit Pizza et ABC Food pour procédure abusive,

en conséquence,

- confirmer le Jugement en ce qu'il a condamné in solidum Speed Rabbit Pizza et ABC Food au paiement de la somme de 50 000 euros à Domino's Pizza France pour procédure abusive,

- dire que Speed Rabbit Pizza pouvait être condamnée in solidum avec son franchisé au paiement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- dire que l'article 700 du Code de procédure civile prévoit deux conditions alternatives et que le juge n'est pas tenu de prendre en compte la situation économique de la partie condamnée,

- dire que le juge dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour fixer le montant des frais irrépétibles,

- constater que Domino's Pizza France a justifié de l'ensemble des dépenses exposées pour assurer la défense légitime de ses intérêts et a produit l'ensemble des justificatifs afférents,

- dire que le tribunal de commerce de Paris a statué en équité,

en conséquence,

- confirmer le Jugement en ce qu'il a condamné in solidum Speed Rabbit Pizza et ABC Food au paiement de la somme de 57 515 euros à Domino's Pizza France au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

en tout état de cause :

- condamner in solidum ABC Food et Speed Rabbit Pizza à verser à Domino's Pizza France la somme de 60 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner in solidum ABC Food et Speed Rabbit Pizza aux entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl Lexavoué Paris-Versailles ;

Sur ce, LA COUR,

Sur la recevabilité des appels des sociétés Speed Rabbit Pizza et ABC Food

Aucune contestation relative à la recevabilité des appels ne figure aux dispositifs des conclusions, qui seuls lient la cour. La cour n'a donc pas à statuer sur ce point.

Sur la demande tendant à voir prononcer la nullité du jugement déféré

La société French Pizza et la société Domino's Pizza France demandent que soit confirmé le jugement querellé en ce qu'il a rejeté les pièces de la société ABC Food sans lien direct, immédiat et effectif avec le présent litige.

Selon elles, parmi les 125 pièces versées par la société ABC Food dans le cadre de la présente procédure d'appel, seules 12 pièces présenteraient un lien direct, effectif et immédiat avec la société French Pizza. En effet, les pièces produites dans le cadre du présent litige correspondent pour l'essentiel aux pièces produites par la société Speed Rabbit Pizza dans le cadre de la procédure " de référence " l'opposant à la société Domino's Pizza France. De plus, il n'y a pas eu, selon elles, de violation du principe du contradictoire, car devant le tribunal de commerce la procédure est orale et, par conséquent, les parties sont libres de développer à l'audience des moyens et prétentions non repris dans leurs écritures qui sont alors débattus contradictoirement devant le juge. Il est ainsi de jurisprudence constante que les prétentions et moyens formulés au cours de l'audience sont présumés avoir été débattus contradictoirement, sauf à ce que la preuve contraire soit rapportée. De plus, lors de l'audience du 2 mai 2014, le tribunal a invité la société ABC Food à lui fournir des explications sur les pièces dont Domino's Pizza France demandait l'irrecevabilité notamment en l'interrogeant pour déterminer dans quelle mesure les pièces qu'elle produisait étaient utiles et nécessaires à la solution du litige.

Les sociétés ABC Food et Speed Rabbit Pizza demandent à la cour, au vu des articles 16 et 455 du Code de procédure civile, d'annuler le jugement, les premiers juges ayant écarté les pièces produites par elles sur le fondement d'un moyen non soumis préalablement aux parties, l'ensemble du jugement étant dépourvu de toute motivation précise à cet égard. Elles soutiennent que le jugement du 7 juillet 2014 a méconnu le principe du contradictoire car le moyen selon lequel les pièces étaient dépourvues de tout lien avec le litige n'a pas été soutenu par les sociétés French Pizza et Domino's Pizza France, et n'était donc pas entré dans le débat. Or aux termes d'une jurisprudence constante, seule l'absence de respect du contradictoire ou la déloyauté des éléments de preuve communiqués peuvent conduire une juridiction à les écarter des débats. En l'occurrence, les juges n'apportent pas cette précision. Le tribunal ne pouvait donc soulever d'office ce moyen sans permettre préalablement aux sociétés ABC Food et Speed Rabbit Pizza d'y répondre.

A titre subsidiaire, elles demandent à la cour d'appel d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 7 juillet 2014 en ce qu'il a écarté les pièces de la société ABC Food et les a jugées " sans lien direct, immédiat et effectif avec les faits de la cause " sans désigner celles-ci, car :

- la loi n'exige pas un lien pertinent entre les pièces et la procédure en cours et le jugement ne précise pas la définition de ce lien pertinent,

- les pièces qui sont produites par les appelantes sont toutes en rapport direct avec l'objet du litige, car de nature à établir les fautes reprochées aux sociétés French Pizza et Domino's Pizza France.

Il résulte du jugement entrepris que les sociétés French Pizza et Domino's Pizza France avaient demandé au tribunal de commerce de Paris de bien vouloir juger irrecevables et d'écarter 23 pièces produites par les sociétés Speed Rabbit Pizza et ABC Food (en l'occurrence, les pièces n° 6.1, 6.2, 6.3, 6.4, 6.5, 6.6, 6.7, 6.10, 6.12, 7.1, 7.2, 8.2, 9.1, 10.3, 11.1, 13, 14.2, 14.3, 16.3, 21, 22, et 24), au motif que ces pièces avaient été obtenues de manière déloyale et 2 autres (3.2 et 14.4) car elles étaient rédigées en langue anglaise et non traduites.

Or, le tribunal de commerce de Paris a statué au motif suivant : " Attendu cependant le trop grand nombre de pièces versées aux débats par les demanderesses sans qu'elles ne présentent un lien pertinent avec la procédure en cours, ni d'éclairage particulier sur les faits litigieux en ce qu'elles permettent d'établir à l'égard des parties en cause ni des délais de paiement abusifs, ni des prêts contrevenant au monopole des banques, ni des acquisitions de fonds à vil prix, le tribunal écartera des débats les pièces sans lien direct, immédiat et effectif avec les faits de la cause et les demandes soumises au tribunal. " (jugement du tribunal de commerce, page 7). En outre, il ne précise pas quelles pièces ont été écartées dans son dispositif, celui-ci ne contenant aucune mention de la mise à l'écart de pièces.

Les sociétés appelantes soutiennent à juste titre que seules l'absence de respect du contradictoire, la déloyauté dans le recueil des preuves ou l'illégalité des pièces peuvent conduire une juridiction à les écarter des débats, leur absence de " lien direct, immédiat et effectif avec les faits de la cause et les demandes soumises au tribunal " n'étant qu'un moyen permettant au juge de rejeter une demande de production forcée des pièces effectuée par une partie à l'égard d'une autre et non de les écarter des débats lorsqu'elles sont spontanément communiquées par une partie. Il appartient au juge dans son délibéré d'apprécier leur valeur probante au regard des faits dont il est saisi. Le jugement déféré doit donc être infirmé en ce qu'il a écarté, dans sa motivation, les pièces des appelantes pour ce motif erroné, soulevé d'office.

Mais les sociétés appelantes ne sauraient demander à la cour d'en déduire la nullité du jugement entrepris, les sociétés intimées affirmant, sans être sérieusement démenties, que le tribunal avait demandé aux appelantes dans quelle mesure les pièces qu'elles produisaient étaient utiles et nécessaires à la solution du litige et permettaient d'apporter la preuve que la société Domino's Pizza France aurait commis des actes de concurrence déloyale, de telle sorte que leur utilité a été effectivement débattue.

De plus, elles ne démontrent pas in concreto en quoi la mise à l'écart de chacune de ces pièces litigieuses aurait nui à leur argumentation devant le tribunal et porté, ainsi, atteinte à leur défense.

La demande d'annulation du jugement déféré sera donc rejetée.

Sur la responsabilité des sociétés Domino's Pizza France et French Pizza pour concurrence déloyale

La responsabilité des deux sociétés est recherchée, ainsi que leur condamnation in solidum, pour des pratiques commises par le franchiseur. La société Domino's aurait fait profiter la société French Pizza d'avantages illégaux, à savoir des délais de paiement et des prêts irréguliers.

Sur la zone de chalandise concernée par les pratiques alléguées

Les parties s'opposent sur la délimitation de la zone de chalandise pertinente, les appelantes souhaitant y inclure le magasin French Pizza, situé à La Garenne Colombes et exploité depuis le 2 janvier 1998.

Le temps de trajet séparant le point de vente exploité à Puteaux par ABC Food et celui exploité par French Pizza à La Garenne-Colombes est de seulement 16 minutes (pièce 58 de ABC Food).

Malgré le caractère limité géographiquement des zones de chalandise dans le secteur de la fabrication de pizzas à emporter et à livrer, il convient d'inclure ce magasin dans la zone de chalandise de la société ABC Food pour l'analyse des pratiques en cause, ce délai de 16 minutes étant compatible avec le délai moyen de 30 minutes, allégué par les acteurs du secteur, entre la passation des commandes et leur livraison, et du temps de préparation minimum de 15 minutes.

En conséquence, la société ABC Food se retrouve en concurrence avec :

- d'une part, le magasin French Pizza exploité à Puteaux, à partir de mai 2003 <adresse 1>, puis, à partir du 8 août 2009, au <adresse 2> (pièce n° 2.2 de ABC Food),

- d'autre part, le magasin French Pizza exploité depuis le 2 janvier 1998, à La Garenne Colombes, <adresse 3> (pièce n° 2.1 de ABC Food).

Sur les fautes imputées aux sociétés Domino's Pizza France et French Pizza

Sur les délais de paiement

Selon les sociétés ABC Food et Speed Rabbit Pizza :

- l'observation des comptes de French Pizza fait apparaître que, dès l'origine, cette société a bénéficié de délais de paiements anormaux, et ce jusqu'en 2005. En effet, sur cette période, la dette fournisseurs y est de façon continue au-dessus du ratio de 6 % du chiffre d'affaires établissant de manière conservatrice un dépassement des délais légaux avec, en l'occurrence, des paiements moyens à plus de 60 jours. Or, les délais légaux de paiement sur les denrées alimentaires périssables sont simplement de 30 jours fin de décade de livraison (article L. 443-1 du Code de commerce), contre 60 jours date d'émission de la facture pour les autres fournitures (article L. 441-6 du Code de commerce). Le dépassement de cette durée de 60 jours ne peut donc être imputable qu'à Domino's Pizza France, fournisseur exclusif de French Pizza en matières premières. Les exigences légales intéressant les délais de paiement sont reprises par l'article 6.1 des conditions générales de vente (Pièce 41.3) accompagnant les contrats de franchise Domino's Pizza France (pièce 14.2 d'ABC Food) ;

- les liens capitalistiques ayant existé entre le franchiseur Domino's Pizza France et son franchisé French Pizza sont en l'espèce sans incidence car, le non-respect des dispositions sur les délais de paiement est punissable même si l'infraction a été commise au sein d'un groupe de sociétés.

Selon les sociétés Domino's Pizza France et French Pizza, French Pizza règle ses factures à 15 jours avec escompte depuis au moins 2008. Les appelantes ne peuvent donc se prévaloir d'aucun désavantage concurrentiel. De plus fort, la société ABC Food n'a jamais respecté les dispositions relatives aux délais de paiement sur la période 2003-2010. La société French Pizza, respectant la réglementation en matière de délais de paiement, serait au contraire victime d'agissements déloyaux de la part de la société ABC Food.

La société ABC Food prétend que les sociétés French Pizza et DPF auraient violé la législation relative aux délais de paiement de 2001 à 2005.

Mais elle utilise successivement, pour démontrer ses assertions, plusieurs méthodes.

La première consiste à calculer, pour l'entreprise suspectée, un ratio dette fournisseur/chiffre d'affaires, qui permettrait d'en déduire le respect ou le non-respect de la législation sur les délais de paiement. La société ABC Food estime que dans le secteur de la vente de pizza livrée et à emporter, un ratio dette fournisseur/chiffre d'affaires supérieur à 6 % démontre que la société concernée a dépassé le délai légal de paiement (pièce 15.2 de ABC Food). Or, il résulte d'un tableau libre versé aux débats émanant de la société ABC Food (pièce 32 de ABC Food) que ce taux aurait été dépassé de 2001 à 2005 par la société French Pizza, le taux n'étant, en revanche, pas atteint de 2006 à 2008.

La méthode de calcul est explicitée par le commissaire aux comptes de la société ABC Food. En revanche, le tableau récapitulant chaque année ce ratio calculé pour la société French Pizza n'est étayé par aucune pièce comptable de cette société, de sorte que la cour ne peut en vérifier la vraisemblance.

De plus fort, les appelantes s'appuient, dans un rapport Sorgem (pièce 7.9) versé à l'appui de leur demande, sur une autre méthode, exprimée en jours, en utilisant la base de données Diane, constituée à partir des informations financières publiées par chaque société auprès des greffes des tribunaux de commerce.

En application de cette seconde méthode, la société French Pizza ne s'est jamais affranchie de la réglementation en matière de délais de paiement depuis 2008, les données n'étant pas disponibles pour les années antérieures ; en revanche, selon cette méthode, la société ABC Food elle-même n'aurait jamais respecté ces délais depuis 2003, première année du tableau (pièce 10 de DPF).

En définitive, la cour estime que cette pratique n'est pas établie.

Sur l'exercice illégal de la profession de banquier

Selon ABC Food :

- le 29 mai 1999, la société ADCO (aujourd'hui Domino's Pizza France) a racheté 100 % des parts de la société French Pizza. A ce moment-là, la société ADCO a octroyé un prêt à la société French Pizza. Ensuite, le 9 décembre 2000, Domino's Pizza France a vendu 100 % de ses parts à la société BFC. L'acte de cession de parts faisait alors état d'une transaction convenue au prix de 625 000 francs (95 300 euros), outre le prêt susvisé de 33 800 euros et prévoyait le maintien de ce prêt (qualifié ici de compte courant d'associés) au bénéfice de la société French Pizza, cette dernière société s'engageant à le rembourser sans intérêts en 4 échéances trimestrielles entre avril 2001 et janvier 2002 ;

- en lui-même, ce financement ne saurait permettre la caractérisation directe du délit d'exercice illégal de la profession de banquier, car ce financement par compte-courant d'associé est unique, et ne permet donc pas de caractériser l'habitude, qui est une condition légale à l'appréhension du délit précité. Mais, le financement par compte courant est l'une des techniques employées par Domino's Pizza France pour financer indûment, au plan national, ses franchisés. Or, dans ce cas, la pluralité de bénéficiaires entraîne, par conséquent, la possibilité de retenir contre Domino's Pizza France le délit d'exercice illégal de la profession de banquier ; en conclusion, le financement dénoncé ici participerait à la caractérisation du délit d'exercice illégal de la profession de banquier ;

- par ailleurs, l'exception relative au prêt inter-entreprises, désormais prévue par l'article L. 511-6, 3 bis, du Code monétaire et financier depuis la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite " loi Macron ", impose pour être appliquée le respect cumulatif de différentes conditions. Or, ces dernières ne sont manifestement pas toutes présentes ici.

Selon les sociétés Domino's Pizza France et French Pizza, l'article L. 511-7, I, 3 du Code monétaire et financier permet de " procéder à des opérations de trésorerie avec des sociétés ayant avec elle, directement ou indirectement, des liens de capital conférant à l'une des entreprises liées un pouvoir de contrôle effectif sur les autres ". Or en l'espèce, comme l'a rappelé le tribunal de commerce de Paris dans le jugement déféré, la société ADCO détenait 100 % du capital de la société French Pizza au moment où elle lui a consenti cet apport. De plus, l'article L. 312-2, 1 du Code monétaire et financier dispose que de manière générale, les apports en compte courant ne relèvent pas du monopole bancaire instauré par l'article L. 511-5 du Code monétaire et financier. Les apports en compte courant sont donc parfaitement licites.

Par ailleurs, les intimées soutiennent qu'un apport en compte courant consenti par une société ne devient pas illicite du seul fait que cette société en a également consenti plusieurs autres. En tout état de cause, il n'est pas contesté que la société ABC Food n'a bénéficié que d'un apport en compte courant.

Selon la société French Pizza, le fait que la société Domino's Pizza France ait prétendument exercé de manière illégale la profession de banquier à titre habituel n'est en aucun cas de nature à démontrer l'existence d'une faute imputable à la société French Pizza elle-même.

L'article L. 511-5 du Code monétaire et financier " interdit à toute personne autre qu'un établissement de crédit ou une société de financement d'effectuer des opérations de crédit à titre habituel " et " à toute personne autre qu'un établissement de crédit de recevoir à titre habituel des fonds remboursables du public ou de fournir des services bancaires de paiement ".

L'interdiction posée par cet article comporte des exceptions. C'est ainsi que l'article L. 511-7, I, 3 du même Code permet à une entreprise de : " procéder à des opérations de trésorerie avec des sociétés ayant avec elle, directement ou indirectement, des liens de capital conférant à l'une des entreprises liées un pouvoir de contrôle effectif sur les autres ".

Or, en l'espèce, la société ADCO, devenue Domino's Pizza France, détenait 100 % du capital de French Pizza au moment où elle lui a consenti cet apport. Il en résulte que cet avantage échappe à l'interdiction susvisée.

A supposer que le maintien de cet avantage par la société Domino's Pizza France, sous forme de compte courant d'associé quand la société Domino's Pizza France a vendu ses parts dans la société French Pizza à la société BFC soit une pratique distincte de la première, elle ne constitue pas davantage l'exercice illégal de la profession de banquier.

En effet, selon l'article L. 511-5, " Il est, en outre, interdit à toute personne autre qu'un établissement de crédit de recevoir à titre habituel des fonds remboursables du public ou de fournir des services bancaires de paiement ". Or, les pièces 64 à 66 de la société ABC Food ne sauraient établir le caractère habituel de cette pratique.

La faute n'est donc pas démontrée.

Sur l'absence de publication des documents comptables par les franchisés

Si la société ABC Food prétend que la société Domino's Pizza France, comme beaucoup de ses franchisés, ne publie pas ses comptes, méconnaissant les articles L. 232-21 et suivants du Code de commerce, les sociétés intimées répliquent à juste raison qu'aucun lien de causalité n'est établi entre le défaut de publication des comptes et une éventuelle distorsion de concurrence.

Le lien allégué par la société ABC Food réside dans la circonstance que la non-publication des comptes participerait à la dissimulation des autres fautes civiles imputées à la société Domino's Pizza France. Outre que la preuve de l'existence de ces fautes n'est pas établie, le lien du défaut de publication avec un préjudice subi par la société ABC Food est trop indirect pour que cette faute soit retenue au titre d'une éventuelle pratique de concurrence déloyale

En définitive, le bien-fondé d'une action en concurrence déloyale est subordonné à l'existence d'un fait fautif générateur d'un préjudice. Peut ainsi constituer une faute la méconnaissance, par un commerçant, de la réglementation qui lui est applicable car, en se dispensant des contraintes imposées par les textes, il s'octroie un avantage par rapport à ses concurrents.

Or, les sociétés SRP et ABC Food ne rapportent pas la preuve que, sur la zone de chalandise de la société ABC Food, dans laquelle il existe une concurrence entre celle-ci et la société French Pizza, la société French Pizza aurait effectivement bénéficié de délais de paiement ou d'octroi de prêts illicites.

Sur le lien de causalité

Selon les sociétés ABC Food et Speed Rabbit Pizza, le chiffre d'affaires de la société French Pizza aurait connu une progression continue, alors que celui d'ABC Food n'aurait pas profité d'une progression en proportion de la croissance normale du marché. Se basant sur le rapport Sorgem, elles en déduisent la preuve de l'existence d'un lien de causalité entre les pratiques illégitimes reprochées à Domino's Pizza France et ses franchisés et les préjudices subis par Speed Rabbit Pizza et ses franchisés.

Selon Domino's Pizza France et French Pizza, ces quelques affirmations ne démontrent pas un lien de causalité:

- tout d'abord, dans son arrêt du 25 octobre 2017 rendu dans le litige entre les sociétés Speed Rabbit Pizza et Domino's Pizza France, la cour d'appel de Paris a elle-même explicitement constaté que les appelantes n'avaient fait que présumer un lien de causalité entre les pratiques alléguées de Domino's Pizza France et le préjudice invoqué par Speed Rabbit Pizza, mais avaient échoué à le démontrer ; le rapport Sorgem, versé à l'appui de ces prétentions, ne fait d'ailleurs à aucun moment une référence explicite à la situation des points de vente de la société ABC Food ou de la société French Pizza ;

- en outre, la société ABC Food n'apporte pas la preuve que le chiffre d'affaires de la société French Pizza aurait augmenté en raison des délais de paiement anormalement longs dont elle aurait bénéficié de la part de Domino's Pizza France, ou de prêts illicites : en effet, si le point de vente Domino's Pizza France de Puteaux a réalisé de bonnes performances, cela s'explique par la réussite du modèle Domino's Pizza France, qui a su attirer et fidéliser les clients en leur proposant des produits de qualité répondant à leurs attentes ;

- la société ABC Food fait également totalement abstraction des facteurs objectifs qui sont susceptibles d'expliquer les préjudices qu'elle allègue : elle passe complètement sous silence la pression concurrentielle exercée sur elle par les multiples autres acteurs du marché de la pizza livrée et à emporter ; les préjudices allégués ne peuvent pas sérieusement être imputés aux deux seuls points de vente exploités par la société French Pizza à Puteaux et La Garenne Colombes, celle-ci n'étant qu'un acteur du marché parmi beaucoup d'autres.

La cour constate que les sociétés SRP et ABC Food ne rapportent pas la preuve que, sur la zone de chalandise de la société ABC Food, sur laquelle il existe une concurrence avec la société French Pizza :

- la société French Pizza aurait profité de ces prétendus avantages illicites pour pratiquer une politique commerciale et tarifaire agressive sur le marché local au détriment de la société ABC Food ;

- ce qui aurait conduit à l'éviction effective ou potentielle de la société ABC Food, ou l'aurait placée en difficulté.

Si les sociétés appelantes prétendent que les aides diverses de la société DPF auraient permis à la société French Pizza de fausser la concurrence, et de pratiquer des prix agressifs, elles ne rapportent pas non plus la démonstration d'une corrélation entre ces avantages, au demeurant non établis, et la politique commerciale et promotionnelle de la société franchisée, la façon dont les pratiques illégales supposées influaient sur les prix de la société French Pizza n'étant pas analysée. Au surplus, étant supposée fixer librement ses prix, il n'est pas démontré que celle-ci ait rétrocédé aux consommateurs les avantages reçus du franchiseur en pratiquant des prix agressivement bas.

En définitive, la cour constate l'absence de démonstration d'un lien de causalité entre les pratiques prétendument anormales de la société Domino's Pizza France et la mise en œuvre, par la société French Pizza, d'une politique commerciale et tarifaire agressive.

La seule circonstance que la société ABC Food n'ait pas eu un chiffre d'affaires comparable à ceux du secteur ne peut suffire à établir un quelconque lien de causalité car il faut prendre en compte la concurrence exercée dans la zone pertinente par d'autres points de vente que ceux du réseau Domino's.

Aucun lien de causalité entre les prétendues fautes et le préjudice invoqué n'est établi, les difficultés alléguées pouvant s'expliquer par des motifs autres que les pratiques de concurrence déloyale.

Au total, il y a donc lieu de conclure que les pratiques de concurrence déloyale alléguées à l'encontre des sociétés Domino's Pizza France et French Pizza ne sont pas établies.

Sur la condamnation "ultra petita" par les premiers juges de la société Speed Rabbit Pizza à payer des indemnités de 50 000 euros et 85 000 euros pour procédure abusive

Selon la société Speed Rabbit Pizza, si, à l'audience du 2 mai 2014, la société Domino's Pizza a formé une demande de condamnation de la société Speed Rabbit Pizza, in solidum avec son franchisé la société ABC Food, à 57 515 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, cette société Domino's Pizza n'a formé à l'encontre de la société Speed Rabbit Pizza aucune demande pour procédure abusive, ni écrite, ni orale. Le tribunal aurait donc statué ultra petita.

En effet, si la société Domino's Pizza France prétend avoir soutenu cette demande au cours de la procédure orale du tribunal de commerce, elle ne le démontre pas, le jugement n'en comportant par ailleurs aucune mention.

Il y a donc lieu d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Speed Rabbit Pizza in solidum avec la société ABC Food à payer les sommes de 85 000 euros et 50 000 euros pour procédure abusive.

Sur la condamnation pour procédure abusive

La société Domino's Pizza France prétend notamment que :

- la société ABC Food a usé de multiples procédés dilatoires et contraires au principe du contradictoire et de la loyauté des débats ;

- la société Speed Rabbit Pizza est intervenue de façon tardive avec une intention dilatoire manifeste ;

- elle a mis en avant des arguments et produit des pièces qui se sont trouvés être largement dénués de rapport avec le litige ;

- la société Speed Rabbit Pizza a orchestré la procédure initiée par la société ABC Food et ne saurait se retrancher derrière sa qualité d'intervenant volontaire accessoire à la procédure pour tenter d'échapper à une condamnation pour procédure abusive, alors même qu'il est patent qu'elle a joué un rôle prépondérant et déterminant dans l'action en justice exercée par ABC Food, à l'instar du rôle qu'elle a également joué dans toutes les autres procédures initiées au même moment par d'autres franchisés Speed Rabbit Pizza. Il ressort de ce contexte procédural global que la société Speed Rabbit Pizza est le véritable instigateur de la procédure introduite par la société ABC Food à l'encontre des société French Pizza et Domino's Pizza France ;

- ce comportement procédural abusif a grandement déstabilisé French Pizza car la menace pesant sur elle du fait des demandes indemnitaires exorbitante de Speed Rabbit Pizza a perturbé la gestion de sa trésorerie et French Pizza a dû engager des frais conséquents pour assurer sa défense. Plus généralement, le comportement procédural abusif d'ABC Food et Speed Rabbit Pizza a également pénalisé Domino's Pizza France, qui a dû subir la fronde de certains de ses franchisés.

Pour la société French Pizza, il y a eu une volonté manifeste des sociétés ABC Food et Speed Rabbit Pizza de nuire et de bloquer son activité, qui s'est traduite notamment par la production d'un nombre considérable de pièces, des recours purement dilatoires pour retarder le jugement à intervenir, de multiples demandes de renvoi et de demandes de sursis à statuer. La demande de réparation formée à hauteur de 1 500 000 euros à son encontre lui a causé un véritable préjudice personnel, direct et certain.

La société Speed Rabbit Pizza répond que :

- l'intervention de la société Speed Rabbit Pizza n'était pas tardive car elle est intervenue le 14 février 2014 et l'affaire a été plaidée le 2 mai 2014, soit deux mois plus tard ;

- la société Speed Rabbit Pizza n'est intervenue à la procédure qu'à titre accessoire ;

- la société Speed Rabbit Pizza n'a fait aucune demande à l'encontre des sociétés French Pizza et Domino's Pizza France.

Le droit d'agir en justice, droit fondamental, ne dégénère en abus de droit que lorsque l'action en justice, manifestement vouée à l'échec, est intentée dans l'intention de nuire.

Or, le nombre de pièces versées au dossier, les incidents ayant émaillé le déroulement de la procédure et le rôle centralisateur de la société Speed Rabbit Pizza ne traduisent pas en soi un acharnement procédural particulier devant la justice. Le caractère exorbitant de la demande de dommages et intérêts ne lie pas les juridictions et ne saurait donc en soi faire grief. En outre, les sociétés Domino's Pizza France et French Pizza, qui allèguent une désorganisation du réseau et une image ternie dans la presse ainsi qu'auprès des clients et investisseurs, n'en rapportent aucun commencement de preuves.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a condamné la société Speed Rabbit Pizza et la société ABC Food in solidum à payer les sommes de 85 000 euros et 50 000 euros pour procédure abusive.

Sur la condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

Les sociétés ABC Food et Speed Rabbit Pizza ont été condamnées in solidum par le tribunal de commerce, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, à allouer à la société Domino's Pizza France la somme de 57 515 euros et à la société French Pizza celle de 10 000 euros.

Or, l'article 700, alinéa 3, du Code de procédure civile impose au juge de " tenir compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée ".

Selon Domino's Pizza France :

- la condamnation de la société Speed Rabbit Pizza était justifiée dans son principe, car la partie principale et l'intervenant volontaire accessoire peuvent être condamnés in solidum au paiement de l'intégralité des frais irrépétibles exposés par les parties ayant eu gain de cause, peu important que les dépenses liées spécifiquement à l'intervention volontaire accessoire soient moins importantes que celles liées à l'action principale ;

- le montant de la condamnation de Speed Rabbit Pizza et d'ABC Food était justifié car lorsqu'il condamne une partie au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, le juge peut alternativement tenir compte soit de l'équité, soit de la situation économique de la partie condamnée. Dès lors, contrairement à ce qu'affirment ABC Food et Speed Rabbit Pizza, la prise en compte de la situation économique de la partie condamnée au paiement des frais irrépétibles ne s'impose pas au juge, qui est libre de fixer le montant accordé au titre de l'article 700 en fonction de considérations d'équité.

Selon French Pizza, au regard du temps passé, de l'importance des pièces communiquées et du nombre de jeux de conclusions échangés, il apparaît que la condamnation prononcée en 1ère instance à hauteur de 10 000 euros est en réalité insuffisante.

Au vu des justificatifs apportés à la cour, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné in solidum les sociétés ABC Food et Speed Rabbit Pizza à payer, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, la somme de 10 000 euros à la société French Pizza et la somme de 57 515 euros à la société Domino's Pizza France.

Sur les frais et dépens de la présente procédure

Succombant au principal, les sociétés Speed Rabbit Pizza et ABC Food seront condamnées in solidum à supporter les dépens de la procédure d'appel ainsi qu'à payer in solidum à la société Domino's Pizza France la somme de 20 000 euros et à la société French Pizza la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs LA COUR, Rejette la demande d'annulation du jugement ; Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a écarté des pièces du dossier, et en ce qu'il a condamné les sociétés Speed Rabbit Pizza et ABC Food in solidum au paiement des sommes de 85 000 euros à la société French Pizza et 50 000 euros à la société Domino's Pizza France pour procédure abusive ; L'infirme sur ces points, et statuant à nouveau, Deboute les sociétés Domino's Pizza France et French Pizza de leur demande pour procédure abusive ; Condamne les sociétés Speed Rabbit Pizza et ABC Food in solidum à supporter les dépens de la procédure d'appel ; Condamne les sociétés Speed Rabbit Pizza et ABC Food à payer in solidum à la société Domino's Pizza France la somme de 20 000 euros et à la société French Pizza la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.