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Décisions

Cass. com., 12 décembre 2018, n° 17-24.582

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Ville de Paris

Défendeur :

Scootlib France (SAS) , PL Scoot (Sarlu) , Olky International (Sté) , Olkyrent (Sté) , Ph Rent (Sté) , Rouayroux

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Champalaune

Avocats :

SCP Bernard Hémery, Mes Thomas-Raquin, Le Guerer, SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre

TGI Paris, 3e ch. sect. 1, du 25 févr. 2…

25 février 2016

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 mai 2017), que la Ville de Paris a mis en place, à compter du 15 juillet 2007, un service de mise à disposition de bicyclettes en libre-service dénommé Velib' ; qu'elle avait, dès le 28 février 2007, réservé l'attribution de noms de domaine sur internet reprenant ce terme Velib' ; que, le 5 décembre 2011, elle a ouvert un service de mise à disposition de voitures électriques en libre-service dénommé Autolib' ; que pour protéger l'identification de ces activités, la Ville de Paris a fait procéder à l'enregistrement de diverses marques déclinant les termes Velib' et Autolib' ; qu'elle a ensuite obtenu l'enregistrement de la marque verbale française " Scootlib' Paris " n° 11 3 883 843, déposée le 22 décembre 2011 ; que, faisant grief à la société Olky International d'avoir procédé, en 2007, au dépôt de la marque française Scootlib n° 07 3 529 711 pour désigner différents produits et services en classes 12, 36 et 39, dont les " véhicules, véhicules électriques, cycles " et " transport, location de véhicules " et d'exploiter sous cette marque des services de location de véhicules, à la société Ph. Rent d'avoir obtenu une licence d'exploitation de cette marque, à la société PL Scoot d'en être sous-licencée, à la société Scootlib France d'exploiter sous ce signe un service de location de véhicules, et à M. Rouayroux d'avoir réservé les noms de domaine scootlib.com et scootlib.org, la Ville de Paris a assigné l'ensemble de ces parties en annulation de marque pour dépôt frauduleux, en contrefaçon de marque, responsabilité civile pour atteinte à une marque de renommée, et en leur faisant, en outre, grief de concurrence déloyale et de parasitisme ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la Ville de Paris fait grief à l'arrêt de dire que le dépôt de la marque " Scootlib " n° 07 3 529 711 n'est pas frauduleux, de déclarer en conséquence irrecevables, comme forcloses, ses demandes en nullité de cette marque et de rejeter son action en contrefaçon alors, selon le moyen : 1°) que la mauvaise foi du déposant, et partant le caractère frauduleux d'un dépôt de marque, doit être apprécié globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents propres au cas d'espèce existants au moment du dépôt ; que parmi ces facteurs figurent notamment d'une part, le fait que le déposant sait ou doit savoir qu'un tiers utilise un signe identique ou similaire pour des produits identiques ou similaires prêtant à confusion ou, si le signe utilisé par le tiers l'est de façon notoire, conduisant simplement à faire un lien avec la marque dont l'enregistrement est demandé et, d'autre part, l'intention du déposant ; que cette intention est un élément subjectif qui doit être déterminé par référence aux circonstances objectives du cas d'espèce ; que le degré de notoriété dont jouit le signe utilisé par le tiers de même que l'intention du demandeur lors de l'enregistrement de bénéficier des droits conférés par la marque dans le seul but de concurrencer déloyalement un concurrent utilisant un signe qui, en raison de ses mérites propres, a déjà obtenu un certain degré de notoriété, sont ainsi des facteurs pertinents à prendre en compte ; qu'en retenant en l'espèce que le dépôt de la marque " Scootlib " s'inscrivait dans une volonté de la société Olky International d'utiliser son signe pour distinguer son offre de service de location de scooters et non pour empêcher la Ville de Paris d'user de celui-ci pour son activité ultérieure ou pour tirer un profit indu du succès rencontré par le Velib' et n'était en conséquence pas frauduleux, aux motifs que n'étaient établis ni l'existence d'un projet concret de développement d'un service Scootlib par la Ville de Paris, ni a fortiori sa connaissance par la société Olky International et que la marque " Scootlib " avait été exploitée dès 2008, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le considérable succès immédiat et la renommée immédiate de la marque et du service Velib' dès son lancement en juillet 2007, la similarité des produits et services visés par les marques en l'état de leur proximité sectorielle évidente, la construction sémantique identique des signes, faisant du signe Scootlib, par transposition au service de mise à disposition de scooters, la déclinaison naturelle de la marque ne constituaient pas des éléments de nature à établir que le dépôt de la marque " Scootlib " avait été effectué de mauvaise foi dans le but de profiter indûment du succès et de la notoriété immédiate du service exploité par la Ville de Paris sous la marque " Velib ", la cour d'appel, qui n'a pas apprécié le caractère frauduleux du dépôt de la marque " Scootlib " en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce, a privé sa décision de base légale au regard du principe fraus omnia corrumpit ainsi que l'article L. 712-6 du Code de la propriété intellectuelle ; 2°) que l'intention du déposant au moment du dépôt de la marque est un élément subjectif qui doit être déterminé par référence à l'ensemble des facteurs pertinents propres au cas d'espèce, lesquels peuvent être postérieurs au dépôt ; qu'en retenant en l'espèce que le moyen tiré de l'imitation de la charte graphique du Vélib' dans le cadre de la communication initialement développée était sans portée dès lors que le caractère frauduleux du dépôt d'une marque doit s'apprécier au jour du dit dépôt et non au regard de l'exploitation ou de l'usage postérieur de la marque, la cour d'appel a encore violé ensemble le principe fraus omnia corrumpit et l'article L. 712-6 du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu, d'une part, qu'après avoir exactement relevé que l'annulation d'une marque, pour fraude, ne suppose pas la justification de droits antérieurs sur le signe litigieux mais la preuve d'intérêts sciemment méconnus par le déposant, l'arrêt constate que, parmi les arguments présentés au soutien de sa demande, la Ville de Paris invoquait la notoriété exceptionnelle du service Vélib' dès son lancement au mois de juillet 2007, la connaissance de ce succès par la société Olky International et l'utilisation d'un visuel en référence directe aux Codes graphiques adoptés pour promouvoir le service Vélib' ; qu'il relève encore que les parties proposent toutes deux une activité de mise à disposition d'engins de déplacement ; qu'ayant ainsi recensé ces éléments, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de les tenir pour facteurs suffisamment pertinents ni, en conséquence, de s'expliquer précisément à leur propos, a pu retenir, sans manquer à son obligation d'apprécier globalement l'existence d'une fraude, que celle-ci n'était pas caractérisée, dès lors qu'il n'était pas établi que la mise en œuvre d'un projet Scootlib' avait fait l'objet d'une évocation publique par la Ville de Paris avant le dépôt de la marque " Scootlib ", ni que la société Olky International avait connaissance de ce projet au jour du dépôt de sa marque, d'autant que la communication faite autour du Vélib' révélait une volonté politique de désengorger Paris de ses véhicules à moteur " afin d'aller vers des processus de déplacement plus écologiques, dont le vélo était le principal vecteur " ;

Et attendu, d'autre part, que le moyen critique, en sa seconde branche, un motif erroné, mais surabondant, dès lors que la cour d'appel avait retenu qu'il n'était pas établi que la société Olky International avait connaissance du projet Scootlib' ; D'où il suit que le moyen, pour partie inopérant, n'est pas fondé pour le surplus ;

Sur le deuxième moyen : - Attendu que la Ville de Paris fait grief à l'arrêt de dire que le dépôt de la marque " Scootlib " n° 07 3 529 711 n'est pas frauduleux, de déclarer irrecevables, comme forcloses, ses demandes en nullité de cette marque et de rejeter son action en contrefaçon et de dire irrecevables ses demandes fondées sur l'article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle alors, selon le moyen : 1°) que la forclusion de l'action en contrefaçon et en nullité d'une marque à raison de la tolérance de son usage pendant cinq ans est limitée aux seuls produits et services pour lesquels l'usage en a été toléré ; qu'en déclarant irrecevables, comme forcloses, les demandes de la Ville de Paris tendant à voir juger que le dépôt et l'exploitation de la marque française " Scootlib " portent atteinte aux droits attachés à sa marque antérieure Velib' et à voir également prononcer la nullité de la marque " Scootlib " pour tous les produits et services visés à son enregistrement en classes 12, 36 et 39, après n'avoir constaté un usage de celle-ci et une tolérance de cet usage que pour les seuls services de location de scooters, sans constater ni son usage pour les autres produits et services visés à son enregistrement, ni la tolérance par la Ville de Paris de son usage pour ces autres produits et services, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 714-3 et L. 716-5 du Code de la propriété intellectuelle ; 2°) que la forclusion par tolérance ne peut être opposée qu'à une action en contrefaçon de marque incriminant le dépôt et l'usage d'une marque postérieure et non à une action en contrefaçon incriminant l'usage d'un signe de nature différente comme une dénomination sociale, une enseigne ou un nom de domaine ; qu'en déclarant irrecevables comme forcloses les demandes de la Ville de Paris incriminant, sur le fondement de sa marque antérieure Velib', l'exploitation de la dénomination sociale Scootlib France, des noms de domaine " scootlib.com " et " scootlib.org " ainsi que du sigle Scootlib, la cour d'appel a violé les articles L. 714-3 et L. 716-5 du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu que la Ville de Paris n'a pas soutenu devant les juges du fond qu'il y avait lieu d'examiner si les conditions d'une forclusion par déchéance étaient réunies pour chacun des produits ou services désignés dans l'enregistrement de la marque seconde, ni que la forclusion par tolérance ne pourrait être opposée qu'à une action en contrefaçon de marque incriminant le dépôt et l'usage d'une marque postérieure et non à une action en contrefaçon incriminant l'usage d'un signe de nature différente comme une dénomination sociale, une enseigne ou un nom de domaine ; que le moyen est nouveau en ses deux branches, et, mélangé de fait, irrecevable ;

Sur le quatrième moyen : - Attendu que la Ville de Paris fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité de la marque verbale française Scootlib' Paris n° 11 3 883 843 et de la condamner au paiement de dommages-intérêts à raison des atteintes portées à la marque Scootlib n° 07 3 529 711 alors, selon le moyen, que l'annulation partielle de la marque Scootlib Paris et sa condamnation à payer à la société Scootlib France des dommages-intérêts du fait des atteintes portées à la marque Scootlib n° 07 3 529 711 par le dépôt de la marque Scootlib' Paris sont dans la dépendance nécessaire des chefs de l'arrêt, contestés par les premier et deuxième moyens de cassation, disant que le dépôt de la marque Scootlib n° 07 3 529 711 n'est pas frauduleux et déclarant irrecevables les demandes tendant à en voir prononcer la nullité ; que la cassation à intervenir sur les premier et deuxième moyens s'étendra donc aux chefs de l'arrêt contestés par le présent moyen en application de l'article 624 du Code de procédure civile ;

Mais attendu que le rejet des deux premiers moyens rend le grief sans portée ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le troisième moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.