CA Lyon, 3e ch. A, 13 décembre 2018, n° 17-03624
LYON
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Neoscan Medical (SARL)
Défendeur :
Avocotes (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Esparbès
Conseillers :
Mme Homs, M. Bardoux
Avocats :
Mes Soulier, Joly, Marcier
Exposé du litige
La SA Avocotes et la SARL Neoscan médical (Neoscan) ont signé le 16 mai 2014 un contrat d'agent commercial pour la réparation, la location et la vente notamment de sondes échographiques. Ce contrat comportait une clause d'exclusivité territoriale sur 12 départements et prévoyait un objectif de chiffre d'affaires de 100 000 HT pour l'année 2014.
Le 17 juillet 2015, la société Neoscan a mis en demeure la société Avocotes de lui faire parvenir les rapports mensuels manquants depuis la conclusion du contrat.
Dans son courrier du 31 juillet 2015, la société Neoscan a considéré que le rapport qui lui a été envoyé en réponse était inexploitable et a décidé de rompre le contrat pour faute grave.
La société Avocotes a alors réclamé par courrier du 10 août 2015 le paiement de deux ans de commissions et de toutes les commissions du mois de juillet 2015.
Par acte du 7 mars 2016, la société Avocotes a assigné la société Neoscan en paiement de la somme de 33 043,51 TTC correspondant à l'indemnité prévue à l'article L. 134-12 du Code de commerce et de la somme de 2 753,62 TTC correspondant au préavis.
Par jugement en date du 4 avril 2017, le tribunal de commerce de Lyon a :
- condamné la société Neoscan à payer à la société Avocotes la somme de 29 828,20 TTC à titre d'indemnité de rupture et celle de 2 485,68 TTC à titre d'indemnité de préavis,
- condamné la société Neoscan à payer à la société Avocotes la somme de 1 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et entiers dépens,
- rejeté comme non fondés tous autres moyens, fins et conclusions contraires des parties.
Par déclaration reçue le 15 mai 2017, la société Neoscan a relevé appel de ce jugement.
Dans le dernier état de ses conclusions déposées le 8 décembre 2017, fondées sur les articles L. 134-3 et suivants du Code de commerce, la société Neoscan demande à la cour de :
- la déclarer recevable et bien fondée en ses prétentions d'appelante,
- réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau,
- condamner la société Avocotes à lui payer la somme de 3 000 en application de l'article 700 du Code de procédure civile, et aux entiers dépens d'instance, avec pour ceux d'appel un droit de recouvrement direct.
Sur son appel incident et dans le dernier état de ses conclusions déposées le 23 janvier 2018, fondées sur l'article L. 134-12 du Code de commerce, la société Avocotes demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré abusive la résiliation du contrat d'agent commercial par la société Neoscan,
statuant à nouveau :
- condamner la société Neoscan à lui payer :
· la somme de 33 043,51 TTC correspondant à l'indemnité prévue à l'article L. 134-12,
· la somme de 2 753,62 correspondant à l'indemnité de préavis,
· la somme de 3 500 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Motifs
Sur la faute grave invoquée par la société Neoscan
La société Neoscan critique les premiers juges qui n'ont pas retenu à l'encontre de la société Avocotes une faute grave de nature à la priver d'un préavis pour la rupture du contrat d'agent commercial et d'une indemnité de rupture.
Elle soutient que la société Avocotes n'a pas respecté l'article 6 du contrat qui l'obligeait à établir un rapport mensuel d'activité, malgré les rappels qu'elle lui a faits et n'a pas prospecté de manière suffisante et selon une périodicité pertinente le secteur territorial qui lui était confié en exclusivité. Elle prétend que l'agent commercial n'a pas plus respecté l'objectif annuel de chiffre d'affaires prévu au contrat.
Elle considère que la réalisation d'un objectif annuel de chiffre d'affaires de 100 000 HT était substantiel et l'a poussée à avoir recours aux services de la société Avocotes qui a menti en affirmant disposer d'un réseau professionnel et d'une connaissance du monde de l'imagerie médicale. Elle indique que le chiffre d'affaires inhérent à l'activité personnelle de cet agent commercial ne peut être déterminé en l'absence de rapports d'activités précis.
La société Avocotes réplique qu'elle a régulièrement informé son mandant qui ne lui a reproché un manque d'information qu'à l'issue de 14 mois d'activité. Elle indique avoir réalisé l'objectif fixé pour l'année 2014, pour lequel le contrat ne précisait pas s'il supposait la signature de nouveaux contrats, et souligne que l'irrespect d'un objectif n'est pas constitutif d'une faute grave.
Elle prétend que la société Neoscan défaille à rapporter la preuve d'une insuffisance chronique d'activités de prospection et a pris en réalité la décision de mettre fin aux contrats d'agents commerciaux à la suite d'un changement de stratégie.
Comme le relève la société Avocotes, la société Neoscan a la charge de la preuve de la faute grave qu'elle invoque qui doit porter atteinte à la finalité du mandat commun et rendre impossible le maintien du lien contractuel.
Les préavis et indemnités de rupture étant de plein droit dus par le mandant, il ne s'agit pas d'apprécier si la société Avocotes a pleinement respecté ses obligations d'agent commercial mais uniquement de vérifier si la société Neoscan démontre la gravité de cette faute qui la dispense du paiement en application de l'article L. 134-12 du Code de commerce .
Sur l'obligation d'information du mandant
L'article 6 du contrat d'agent commercial oblige l'agent commercial à transmettre : ''A la fin de chaque mois (...) un rapport écrit sur son activité au cours de la période écoulée comportant notamment :
- les informations commerciales réalisées durant la période de référence et les actions qui doivent être entreprises pour la période suivante ;
- les activités développées par les concurrents dans le territoire durant la période de référence et les perspectives d'activités qui peuvent en être attendues pour la période suivante ;
- les détails et particularités concernant les commandes prises et les offres faites durant la période de référence".
La société Neoscan n'a pas manifesté son mécontentement sur l'absence de rapports d'activité avant son courrier du 17 juillet 2015 soit 14 mois après la signature du contrat et ne verse aux débats aucun courrier précédent faisant état de cette carence.
Elle justifie pourtant avoir envoyé en copie de nombreux courriels adressés entre le 21 novembre 2014 et le 2 juillet 2015.
La société Avocotes n'a fait parvenir qu'un seul rapport d'activité à la suite de la mise en demeure du 17 juillet 2015, dont le contenu a à juste titre été estimé insuffisant par le mandant, comme l'ont relevé les premiers juges qui l'ont qualifié d'inexploitable.
Cette absence de toute réclamation pendant plus d'une année ne permet pas à la société Neoscan de soutenir que cette carence est de nature à rendre impossible le maintien du lien contractuel.
Sur l'absence de réalisation de l'objectif annuel de chiffre d'affaires
L'article 5 du contrat "Quota de ventes" stipule :
"L'agent s'engage à faire tous les efforts requis par la diligence professionnelle pour promouvoir le développement des ventes et réaliser un quota annuel minimal de vente de produits, tel que prévu à l'Annexe 2 des présentes. Les chiffres d'affaires des années précédentes 2012/2013/2014 sont en annexe 3.
Seul est pris en considération, pour le respect de ce minima, le chiffre d'affaires réalisé sur des commandes directes ou indirectes ayant fait l'objet d'un paiement total pendant l'année considérée.
Le quota annuel minimal sera révisé chaque année en fonction de l'évolution des marchés et du contexte économique.
Il sera en tout état de cause et à défaut d'accord augmenté automatiquement de 5 %.
Trois mois avant la fin de l'année civile, les parties se rencontreront afin de déterminer le quota minimal de l'année suivante".
L'annexe 2, rédigée ainsi "Année 2014 Objectif CA HT 100 000 HT" conduit à retenir ce montant, étant à noter que l'annexe 3 permet de constater qu'un chiffre d'affaires de 44 617,55 était déjà acquis jusqu'en avril 2014.
Les tableaux communiqués en pièces 20 et 21 par la société Neoscan permettent de vérifier que les secteurs affectés en exclusivité à la société Avocotes ont connu :
- en 2014 un chiffre d'affaires total de 134 399,25 HT,
- en 2015 un chiffre d'affaires total de 103 836,25 HT jusqu'au 10 septembre 2015.
Les termes de la clause susvisée faisant une référence expresse aux commandes indirectes ne permettent pas à la société Neoscan d'en déduire au regard de l'exclusivité conférée à l'agent que seuls les contrats directement souscrits par la société Avocotes sont à prendre en compte pour déterminer la réalisation du chiffre d'affaires.
Elle ne tente d'ailleurs pas de faire une telle distinction dans ses deux tableaux. L'objectif contractuel pour l'année 2014 a été amplement réalisé comme celui de l'année 2015, les montants susvisés étant à rapprocher avec celui de l'année 2013 qui figure également dans cette annexe 3, mettant en avant un total annuel sur les départements confiés de 64 460,50 HT.
Sur l'absence de prospection suffisante du secteur
Les différents courriels envoyés par la société Neoscan à ses clients ou prospects sont taisants sur l'intervention ou l'absence d'intervention de la société Avocotes et sont inopérants à démontrer cette absence chronique et substantielle de prospection.
Ces courriels comportent pourtant pour nombre d'entre eux en copie carbone [email protected] ou Guillaume Soulier correspondant au nom du représentant légal de la société Avocotes, mais omettent de laisser la trace des message qui les ont motivés. Un courrier du CHU de Poitiers mentionne également cet agent commercial dans ses destinataires.
Ces différents courriels sont insuffisants à établir une telle faute grave alors que la société Avocotes a contesté ce grief dans son courrier du 10 août 2015 en réponse à la lettre de résiliation du mandat, en mettant en avant une augmentation de 54,53 % du chiffre d'affaires sur les 12 premiers mois de son activité.
Les chiffres d'affaires susmentionnés confirment au contraire que l'activité de la société Avocotes a permis son développement.
Les premiers juges ont dès lors retenu avec pertinence que la société Neoscan défaillait à établir une faute grave de la société Avocotes.
Sur l'indemnité de rupture
La société Neoscan en rappelant que l'indemnisation due à l'agent commercial du fait de la rupture imposée par le mandant doit correspondre à son préjudice effectivement subi, conteste le calcul réalisé par les premiers juges sur la base de deux années de commissions. Elle insiste sur la clientèle existant majoritairement avant l'intervention de l'agent et sur l'absence de preuve d'un apport substantiel durant les 14 mois d'activité.
La société Avocotes sollicite la confirmation de ce calcul basé sur deux années sans tenter de déterminer le préjudice particulier qu'elle a subi après un mandat de 14 mois pour motiver une indemnisation en prenant une référence de durée supérieure. Elle critique uniquement les modalités de calcul choisies par le tribunal de commerce que les motifs de la décision entreprise ne permettent pas de vérifier.
Au regard du chiffre d'affaires accumulé jusqu'en avril 2014, à hauteur de 44 614,75 , et de la durée limitée du mandat, la société Avocotes a naturellement bénéficié de l'encours de clients et de prospects qui lui étaient communiqués lors du début de son activité.
Une année de commissions doit être retenue comme indemnisant justement son préjudice, calculée sur la base des commissions accumulées durant son mandat soit 17 152,92 HT (9 225,39 en 2014 et 10 786,35 en 2015 soit au total 20 011,74 /14 X 12) et après application de la TVA 20 514,89 TTC.
Il convient par réformation du jugement entrepris d'indemniser la société Avocotes à hauteur de ce montant.
Sur l'indemnisation du préavis
Il n'est pas contesté que le contrat d'agent commercial a prévu que le préavis correspondait à deux mois à compter de la deuxième année.
Compte tenu du montant ci-dessus calculé, l'indemnité de préavis doit être fixée par réformation du jugement entrepris au montant de 2 753,62 réclamé par la société Avocotes.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile
La société Neoscan succombe en son appel et doit en supporter les dépens, comme indemniser son adversaire des frais irrépétibles engagés devant la cour.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et par arrêt contradictoire, Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a fixé à la somme de 29 828,20 l'indemnité de rupture et à 2 485,68 l'indemnité de préavis et statuant à nouveau sur ces montants : Condamne la SARL Neoscan médical à payer à la SA Avocotes: · la somme de 20 514,89 au titre de l'indemnité de rupture · la somme de 2 753,62 au titre de l'indemnité de préavis, Confirme le jugement entrepris en ses autres dispositions, Y ajoutant, condamne la SARL Neoscan médical à verser à la SA Avocotes une indemnité de 2 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SARL Neoscan médical aux dépens d'appel.