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Décisions

TUE, 8e ch., 27 novembre 2017, n° T-902/16

TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

HeidelbergCement AG

Défendeur :

Commission européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Collins

Juges :

MM. Barents (rapporteur), Passer

Avocats :

Mes Denzel, von Köckritz, Pichler, Weiß

TUE n° T-902/16

27 novembre 2017

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

1 La requérante, HeidelbergCement AG, et Schwenk Zement KG (ci-après " Schwenk ") sont des sociétés actives dans la production de matériaux de construction, notamment dans le domaine du ciment. Elles contrôlent conjointement l'entreprise commune de plein exercice Duna-Dráva Cement Kft. (ci-après " DDC ").

2 Au cours de l'année 2015, Cemex SAB de CV a entamé une procédure en vue de la vente de différentes filiales, dont Cemex Hrvatska d.d. (Cemex Croatia) et Cemex Hungária Épitöanyagok Kft. (Cemex Hungary), dont DDC s'est portée acquéreur par l'intermédiaire de différentes conventions d'achat d'actions.

3 Le 5 septembre 2016, la requérante et Schwenk ont notifié cette opération de concentration à la Commission européenne.

4 Le 10 octobre 2016, la Commission a adopté la décision C(2016) 6591 final, en application de l'article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, L 24, p. 1) (ci-après la " décision attaquée "). Par cette décision, elle a engagé la procédure visant à vérifier la compatibilité avec le marché intérieur de l'opération de concentration notifiée. Aux termes de cette décision, la Commission a qualifié la requérante et Schwenk d'" entreprises concernées " dans la mesure où ces deux sociétés étaient " les véritables pilotes de l'opération " étant donné qu'elles étaient " mêlées de façon significative au lancement, à l'organisation et au financement de l'opération ". DDC constituerait, quant à elle, " un simple vecteur utilisé pour une acquisition par les sociétés mères ". La Commission en a dès lors conclu que l'opération de concentration notifiée avait une dimension communautaire au sens de l'article 1er du règlement no 139/2004 (ci-après la " dimension communautaire ").

Procédure et conclusions des parties

5 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 décembre 2016, la requérante a introduit le présent recours.

6 Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 2 mars 2017, la Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité au titre de l'article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

7 La requérante a présenté ses observations sur l'exception d'irrecevabilité par acte déposé au greffe le 13 avril 2017.

8 La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter l'exception d'irrecevabilité ;

- annuler la décision attaquée ;

- condamner la Commission aux dépens.

9 La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours comme irrecevable ;

- condamner la requérante aux dépens.

En droit

10 Aux termes de l'article 130, paragraphes 1 et 7, du règlement de procédure, si la partie défenderesse le demande, le Tribunal peut statuer sur l'irrecevabilité ou l'incompétence sans engager le débat au fond. En l'espèce, la Commission ayant demandé qu'il soit statué sur l'irrecevabilité, le Tribunal, s'estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, décide de statuer sans poursuivre la procédure.

11 Au soutien de l'exception d'irrecevabilité, la Commission soutient, d'une part, que la décision attaquée n'est pas susceptible de faire l'objet d'un recours en annulation et, d'autre part, que la requérante ne dispose pas d'un intérêt à agir.

12 La requérante conclut au rejet de l'exception d'irrecevabilité comme non fondée.

13 La requérante fait valoir, en substance, que la décision attaquée est un acte attaquable dans la mesure où c'est au terme de la phase préalable d'examen de la procédure de contrôle (ci-après la " phase I ") que la Commission arrive à une position définitive quant à sa compétence ou la dimension communautaire de l'opération de concentration notifiée.

14 À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, peuvent seuls être attaqués par une personne physique ou morale, en vertu de l'article 263, quatrième alinéa, TFUE, les actes produisant des effets de droit obligatoires de nature à affecter les intérêts de la partie requérante, en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique (arrêt du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, EU:C:1981:264, point 9 ; ordonnances du 30 avril 2003, Schmitz-Gotha Fahrzeugwerke/Commission, T 167/01, EU:T:2003:121, point 46, et du 31 janvier 2006, Schneider Electric/Commission, T 48/03, EU:T:2006:34, point 44).

15 Lorsqu'il s'agit d'actes dont l'élaboration s'effectue en plusieurs phases d'une procédure interne, seules constituent, en principe, des actes attaquables les mesures fixant définitivement la position de l'institution au terme de la procédure, à l'exclusion des mesures intermédiaires dont l'objectif est de préparer la décision finale (arrêts du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, EU:C:1981:264, point 10 ; du 27 juin 1995, Guérin automobiles/Commission, T 186/94, EU:T:1995:114, point 39) et dont l'illégalité pourrait être utilement soulevée dans le cadre d'un recours dirigé contre celle-ci (ordonnance du 31 janvier 2006, Schneider Electric/Commission, T 48/03, EU:T:2006:34, point 45).

16 Il n'en serait autrement que si des actes ou des décisions pris au cours de la procédure préparatoire constituaient eux-mêmes le terme ultime d'une procédure spéciale distincte de celle qui doit permettre à l'institution de statuer sur le fond (arrêt du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, EU:C:1981:264, point 11, et ordonnance du 9 juin 2004, Camós Grau/Commission, T 96/03, EU:T:2004:172, point 30).

17 Par ailleurs, un acte intermédiaire n'est pas susceptible de recours s'il est établi que l'illégalité attachée à cet acte pourra être invoquée à l'appui d'un recours dirigé contre la décision finale dont il constitue un acte d'élaboration. Dans de telles conditions, le recours introduit contre la décision mettant fin à la procédure assurera une protection juridictionnelle suffisante (arrêt du 13 octobre 2011, Deutsche Post et Allemagne/Commission, C 463/10 P et C 475/10 P, EU:C:2011:656, point 53 ; voir également, en ce sens, arrêts du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, EU:C:1981:264, point 12, et du 24 juin 1986, AKZO Chemie et AKZO Chemie UK/Commission, 53/85, EU:C:1986:256, point 19).

18 À cet égard, il y a lieu de relever que la procédure de contrôle des concentrations entre entreprises, telle qu'elle est conçue dans le règlement no 139/2004, est composée de deux phases. La phase I de la procédure s'achève par une décision qui est adoptée sur le fondement de l'article 6, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, respectivement sous a), sous b), ou sous c), selon les différentes conclusions auxquelles la Commission aboutit à la fin de cette phase. C'est seulement dans le cas où la Commission constate que la concentration notifiée relève dudit règlement et soulève des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur qu'elle ouvre la phase d'examen approfondi (ci-après la " phase II "), qui, au sens de la deuxième phrase de l'article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement no 139/2004, " sera close par voie de décision conformément à l'article 8, paragraphes 1 à 4, à moins que les entreprises concernées n'aient démontré, à la satisfaction de la Commission, qu'elles ont abandonné la concentration " (arrêt du 7 mai 2009, NVV e.a./Commission, T 151/05, EU:T:2009:144, point 66).

19 L'article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement no 139/2004 ne confère à la Commission aucun pouvoir discrétionnaire quant à l'ouverture de la phase II lorsqu'elle se heurte à des doutes sérieux au sujet de la compatibilité de la concentration avec le marché intérieur. En effet, lorsque la Commission éprouve des doutes sérieux quant à la compatibilité avec le marché intérieur d'une concentration, elle est tenue d'ouvrir la phase II (arrêt du 11 décembre 2013, Cisco Systems et Messagenet/Commission, T 79/12, EU:T:2013:635, point 49).

20 Selon l'article 8, paragraphes 1 à 3, du règlement no 139/2004, la Commission est habilitée à prendre une décision relative à la concentration notifiée déclarant celle-ci compatible ou incompatible avec le marché intérieur (ordonnance du 2 septembre 2010, Schemaventotto/Commission, T 58/09, EU:T:2010:342, point 110). Une décision de compatibilité peut être accompagnée de conditions et de charges (article 8, paragraphe 2, du règlement no 139/2004) ou non (article 8, paragraphe 1, du règlement no 139/2004). Aux termes de l'article 8, paragraphe 4, du règlement no 139/2004, la Commission est également habilitée à prendre une décision ordonnant la dissolution de la concentration.

21 Il découle ainsi d'une lecture combinée des articles 6 et 8 du règlement no 139/2004 qu'une décision adoptée sur la base de l'article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement no 139/2004 ne constitue pas le terme ultime de la procédure de contrôle dans la mesure où elle implique l'adoption d'une décision au titre de l'article 8, paragraphes 1 à 4, de ce même règlement, sauf en cas d'abandon de l'opération de concentration par les entreprises concernées [article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement no 139/2004]. De plus, une telle décision ne préjuge pas de la décision finale, la Commission pouvant conclure, au titre de l'article 8 dudit règlement, à la compatibilité ou à l'incompatibilité de l'opération de concentration.

22 Dès lors, une décision adoptée sur la base de l'article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement no 139/2004 apparaît comme une mesure préparatoire ayant pour seul objet l'ouverture d'une instruction destinée à établir les éléments devant permettre à la Commission de se prononcer par la voie d'une décision finale sur la compatibilité de l'opération avec le marché intérieur et n'est donc pas susceptible de faire l'objet d'un recours en annulation (voir, en ce sens, ordonnance du 31 janvier 2006, Schneider Electric/Commission, T 48/03, EU:T:2006:34, point 79, et arrêt du 13 septembre 2010, Éditions Odile Jacob/Commission, T 279/04, non publié, EU:T:2010:384, point 89).

23 Il y a lieu également de constater qu'un recours contre la décision finale de la procédure de contrôle, adoptée sur la base de l'article 8 du règlement no 139/2004, au terme de la phase II, est de nature à assurer une protection juridictionnelle effective.

24 En effet, les parties ayant notifié une opération de concentration sont recevables à introduire un recours contre la décision mettant fin à la procédure de contrôle, qu'il s'agisse d'une décision déclarant une concentration incompatible avec le marché intérieur, adoptée sur la base de l'article 8, paragraphe 3, du règlement no 139/2004, comme tel était le cas dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 6 juin 2002, Airtours/Commission (T 342/99, EU:T:2002:146), et du 9 mars 2015, Deutsche Börse/Commission (T 175/12, non publié, EU:T:2015:148), d'une décision ordonnant la dissolution de la concentration, adoptée sur la base de l'article 8, paragraphe 4, du règlement no 139/2004, comme tel était le cas dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 22 octobre 2002, Schneider Electric/Commission (T 77/02, EU:T:2002:255), ou d'une décision déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur assortie d'engagements, adoptée sur la base de l'article 8, paragraphe 2, du règlement no 139/2004, comme tel était le cas dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 18 décembre 2007, Cementbouw Handel & Industrie/Commission (C 202/06 P, EU:C:2007:814). De plus, il ne saurait être exclu qu'une décision déclarant une concentration compatible, sur la base de l'article 8, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, soit aussi un acte attaquable par les parties ayant notifié l'opération de concentration. En effet, pour déterminer si un acte est susceptible d'un recours en vertu de l'article 263 TFUE, il y a lieu de s'attacher à sa substance. Dès lors, le seul fait qu'une décision déclare une opération notifiée compatible avec le marché intérieur, qui ne fait donc pas grief, en principe, aux parties ayant notifié l'opération de concentration, ne dispense pas le Tribunal d'examiner si les constatations contestées produisent des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de celles-ci (arrêt du 22 mars 2000, Coca-Cola/Commission, T 125/97 et T 127/97, EU:T:2000:84, points 77 à 79).

25 Il découle de ce qui précède qu'une décision d'engager la phase II, adoptée sur la base de l'article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement no 139/2004, est une mesure préparatoire dont l'illégalité peut être invoquée à l'appui d'un recours dirigé contre la décision finale.

26 Dès lors et contrairement aux arguments de la requérante selon lesquels la décision attaquée supposerait une appréciation définitive de son auteur sur sa compétence ou sur la dimension communautaire de l'opération de concentration notifiée, la décision attaquée n'est pas un acte attaquable au sens de l'article 263 TFUE.

27 Cette conclusion n'est pas remise en cause par les autres arguments avancés par la requérante.

28 Premièrement, la requérante ne saurait tirer aucun argument utile de l'arrêt du 18 décembre 2007, Cementbouw Handel & Industrie/Commission (C 202/06 P, EU:C:2007:814), ou des conclusions de l'avocat général Kokott dans l'affaire Cementbouw Handel & Industrie/Commission (C 202/06 P, EU:C:2007:255) afin de démontrer le caractère attaquable de la décision attaquée.

29 En effet, si le point 43 de l'arrêt du 18 décembre 2007, Cementbouw Handel & Industrie/Commission (C 202/06 P, EU:C:2007:814), cité au point 28 ci-dessus, énonce que la compétence de la Commission pour connaître d'une opération de concentration est établie, pour toute la durée de la procédure, à une date présentant nécessairement un lien étroit avec la notification de cette opération, ce n'est pas pour fonder la recevabilité d'un recours en annulation contre une décision d'ouverture de la phase II adoptée sur la base de l'article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement no 139/2004, mais uniquement pour résoudre la question de savoir si la Commission était compétente pour adopter, sur la base de l'article 8 du règlement no 139/2004, la décision contestée qui mettait fin à la procédure de contrôle.

30 Deuxièmement et compte tenu du point 29 ci-dessus, la requérante ne saurait contester la pertinence, en l'espèce, de l'ordonnance du 31 janvier 2006, Schneider Electric/Commission (T 48/03, EU:T:2006:34), et, en particulier, de son point 79 (voir point 22 ci-dessus) invoqués par la Commission au soutien de l'exception d'irrecevabilité. Elle ne saurait, notamment, à cet égard, tirer argument du fait que ladite ordonnance est antérieure à l'arrêt du 18 décembre 2007, Cementbouw Handel & Industrie/Commission (C 202/06 P, EU:C:2007:814).

31 Troisièmement, la requérante ne saurait également contester la pertinence, en l'espèce, de l'arrêt du 13 septembre 2010, Éditions Odile Jacob/Commission (T 279/04, non publié, EU:T:2010:384), et, en particulier, de son point 89 (voir point 22 ci-dessus) invoqués par la Commission au soutien de l'exception d'irrecevabilité.

32 La requérante ne saurait, notamment, tirer argument du fait que l'acte attaqué était, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 13 septembre 2010, Éditions Odile Jacob/Commission (T 279/04, non publié, EU:T:2010:384), une décision adoptée, au terme de la phase II, sur la base de l'article 8, paragraphe 2, du règlement no 139/2004, et que le moyen soulevé était différent. Ces circonstances ne suffisent pas à exclure la pertinence de la solution qui est énoncée au point 89 dudit arrêt et qui se rapporte aux décisions adoptées sur la base de l'article 6, paragraphe 1, sous c), dudit règlement.

33 Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter le recours dans son ensemble comme irrecevable, et ce sans qu'il soit nécessaire d'aborder la question de savoir si la requérante peut se prévaloir d'un intérêt à agir.

Sur les dépens

34 Aux termes de l'article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

ordonne :

1) Le recours est rejeté comme irrecevable.

2) HeidelbergCement AGsupporte ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

Fait à Luxembourg, le 27 novembre 2017.

Le greffier Le président

E. Coulon A. M. Collins

* Langue de procédure : l'anglais.