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Décisions

CA Rouen, ch. civ. et com., 21 juin 2018, n° 16-05587

ROUEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

B. et D. (SA)

Défendeur :

G. Informatique (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brylinski

Conseillers :

Mmes Bertoux, Mantion

T. com. Rouen, du 24 oct. 2016

24 octobre 2016

FAITS ET PROCÉDURE

La SA B. et D. fabrique différents éléments pour les installations gaz naturel et butane propane ; là SA G. Informatique commercialise des logiciels informatiques destinés aux entreprises, dont le logiciel de gestion SAGE qui peut être utilisé en matière de gestion de paie et des ressources humaines.

La société B. et D. a contracté, le 31 janvier 2006, avec la société G. pour la fourniture d'un logiciel de paie SAGE 100.

Courant 2014, la société B. et D. a fait l'objet d'un contrôle URSSAF pour la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013, au cours duquel il est apparu que le calcul de la loi sur la réduction Fillon était erroné, en conséquence de quoi l'URSSAF a enjoint à la société B. et D. de procéder au règlement de la somme de 8 767 € au titre des régularisations effectuées.

Estimant que cette erreur résultait d'un manquement au devoir de conseil de la SA G. Informatique, la SA B. et D. l'a fait assigner devant le tribunal de commerce de Rouen, aux fins d'obtenir, l'indemnisation de son préjudice.

Par jugement en date du 24 octobre 2016 le tribunal de commerce a :

- dit qu'il n'y a pas d'obligation précontractuelle de conseil de la part de la SA G. Informatique ;

- dit qu'il n'y a pas de manquement à son devoir de conseil de la part de la SA G. Informatique ;

- débouté la SA B. et D. de l'ensemble de ses demandes ;

- débouté la SA G. Informatique de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

- dit qu'il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile;

- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire du jugement ;

- condamné la SA B. et D. aux entiers dépens.

La SA B. et D. a interjeté appel de ce jugement le 18 novembre 2016 et, aux termes de ses dernières conclusions en date du 26 avril 2017 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, demande à la cour, au visa des articles 1134, 1135, 1137, 1147, 1149 et 1615 du code civil, de :

- réformer en toutes ses dispositions le jugement attaqué ;

En conséquence,

- constater que la SA G. Informatique a manqué à son devoir de conseil ;

- condamner la SA G. Informatique à payer la somme de 34 119 € en réparation de l'entier préjudice causé à la SA B. et D. ;

- condamner la SA G. Informatique à payer la somme de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la SA G. Informatique aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SCP Inter Barreaux B. et R. pour ceux dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 15 mars 2018 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, la SA G. Informatique demande à la cour, au visa notamment des articles 6 et 9 du code de procédure civile, 1103,1104,1193 (ancien 1134), 1231-1 (ancien 1147), 1353 (ancien 1315), 1615 et 1231-2 (ancien 1149) du code civil, de :

- dire et juger mal fondée la SA B. et D. en son appel ;

- la débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

- condamner la SA B. et D. à verser à la SA G. Informatique la somme de 12 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la même en tous les dépens de première instance et d'appel que la SELARL G. & S. sera autorisée à recouvrer pour ceux-là concernant conformément à l'article 699 du même code.

DISCUSSION

Au soutien de son appel, la SA B. et D. explique pour l'essentiel que tout contrat informatique comprend une véritable obligation de conseil et d'information à la charge du professionnel, qui lui impose de s'impliquer et de participer activement dans la prestation qu'il fournit à son client; que tout manquement à cette obligation est une défaillance contractuelle du fournisseur ; que l'obligation d'information comprend une obligation de renseigner son client et de s'informer auprès de celui-ci afin de déterminer ses besoins, ainsi qu'une obligation de mise en garde contre tous risques ou difficultés qui pourraient être rencontrés ; qu'en l'espèce, la SA G. Informatique qui assure les mises à jour du logiciel de paie, n'a pas mis à jour les paramétrages Fillon alors qu'elle aurait dû le faire, sachant que sans ces nouveaux paramétrages, le logiciel était désuet; que la SA G. Informatique est intervenue le 18 décembre 2014 pour corriger les erreurs relatives à la DADSU, ce qui démontre une reconnaissance tacite de l'inadéquation du logiciel et de l'obligation contractuelle d'exécution.

Elle fait valoir que les services de la SA B. et D. n'ont pas été formés pour créer des paramétrages spécifiques (formations prodiguées par la SA G. Informatique); que l'appelante a eu recours aux services de la SA G. Informatique en octobre 2014 pour réaliser le paramétrage de la réduction Fillon puisqu'elle était incapable de le faire elle-même.

Elle souligne que la SA G. Informatique ne démontre pas avoir délivré l'information relative au nécessaire paramétrage spécifique de la réduction Fillon à la SA B. et D., puisque la question de la fiabilité du logiciel de paie ne s'est posée qu'après le contrôle de l'URSSAF; que dès lors la SA B. et D. n'a pas disposé de conseils ni de l'intervention de paramétrage nécessaires en temps utile, alors que la SA G. Informatique indiquait en 2013 à la SA B. et D. que le paramétrage Fillon était conforme.

La SA G. Informatique réplique essentiellement que les parties n'ont pas conclu de contrat relatif au suivi et à la gestion de la comptabilité et des salaires de la SA B. et D., ni de contrat d'abonnement en matière sociale et déclarative ; que sont exclus de l'assistance prévue au contrat les 'ajouts et modifications du logiciel non prévus initialement'; que le contrôle de l'URSSAF permet de vérifier le respect par l'employeur des obligations légales qui lui sont personnellement imputables.

Elle explique que la SA G. Informatique se contente de fournir un logiciel et de former les utilisateurs de celui-ci (en l'espèce les salariés de la SA B. et D.); qu'il appartient aux utilisateurs du logiciel et au service comptable de la société appelante de connaître et respecter les dispositions légales et réglementaires lorsqu'ils entrent les données relatives aux salariés ; que la fonction de la SA G. Informatique est d'accompagner ses clients dans le paramétrage de leur logiciel selon leurs propres demandes, mais qu'elle n'a pas reçu de commande de la part de l'appelante avant le contrôle URSSAF, malgré plusieurs avertissements émanant de la SA G. Informatique relatifs au problème de paramétrage de la réduction Fillon.

Elle précise que la SA B. et D. a contractuellement reconnu 'avoir acquis une compétence informatique suffisante pour utiliser le logiciel' ; qu'un e-mail adressé par la SA G. Informatique à la SA B. et D. le 3 juillet 2014 confirme l'obsolescence du paramétrage relatif à la réduction Fillon, tout en précisant la nécessité de souscrire le contrat de service professionnel pour pallier à ce type de difficultés ; que c'est l'appelante qui, après le contrôle de l'URSSAF, a sollicité un devis pour acquérir les modules optionnels du logiciel, les mises à jour et les formations idoines.

La SA B. et D. reproche à la SA G. Informatique un manquement à ses obligations d'information et de conseil, faisant valoir que le logiciel paie fourni devant lui permettre de remplir ses obligations sociales et comptables, incluait l'installation du paramétrage Loi Fillon.

La SA B. et D. a souscrit, le 31 janvier 2006, auprès de la SA G. Informatique un contrat dont l'objet est de fixer ' les conditions du 'Droit d'Utilisation Annuel' portant sur le logiciel : DUA Paie SAGE 100+WIN Monoposte, de l'assistance et des services assurés par la société G. pour l'utilisation' de ce logiciel.

Selon l'article 3 intitulé 'DEFINITION DE L'ASSISTANCE', est mise à la disposition du client une assistance téléphonique les jours ouvrés, le personnel d'assistance s'efforçant de 'résoudre les difficultés du client dans l'utilisation du logiciel concerné en fonction des informations fournies par le client.'. Sont listées audit article les prestations 'expressément exclues de l'assistance', et notamment :

Les problèmes liés à un dysfonctionnement du matériel informatique ou téléphonique qui peuvent être couverts par ailleurs par un contrat de maintenance sur le matériel

. Les interventions sur site qui sont facturables,

. La formation par téléphone de personnels peu ou pas formés,

. Des ajouts ou des modifications du logiciel non prévues initialement.'

Comme le rappelle, à bon droit, la SA B.D., le vendeur professionnel d'un matériel informatique est tenu d'une obligation de renseignement et de conseil envers un client dépourvu de toute compétence en la matière ; il doit préconiser la solution la plus adaptée. Cette obligation de conseil s'impose à tout prestataire informatique à l'égard de son client profane.

Lors de la conclusion du contrat, la SA G. Informatique a satisfait à son obligation de conseil à l'égard de la SA B. et D. en lui fournissant un logiciel adapté aux besoins de cette société, aucun motif d'insatisfaction n'ayant été formulé avant le contrôle de l'URSSAF de l'application des législations de sécurité sociale, d'assurance chômage et de garantie des salaires 'AGS', ni antérieurement à l'entrée en vigueur de la modification législative concernant les modalités de calcul de la réduction Fillon applicable au 01er janvier 2011 en vertu de la loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010 telles qu'indiquées par cet organisme de contrôle dans sa lettre d'observations du 25 août 2014.

La SA B.D. considère qu'il incombait à la société G. de l'informer B. sur la nécessité d'adapter le logiciel paie aux changements légaux.

Si effectivement, la SA G. Informatique, en sa qualité de professionnel de l'informatique fournisseur du logiciel de gestion de paie, devait connaître la nécessité d'adapter les fonctionnalités de celui-ci compte tenu des nouvelles dispositions relatives à la réduction Fillon, la SAS B.D., en sa qualité d'employeur, ne pouvait davantage les ignorer.

Par ailleurs, si effectivement les modifications législatives intervenues dans les modalités de calcul de la réduction Fillon entrées en vigueur à compter du 01er janvier 2011 nécessitaient un paramétrage spécifique du logiciel, ce qui n'est pas contesté, contrairement à ce que soutient la SA B.D., il ne s'agit pas d'une obligation inconditionnelle incombant au fournisseur du logiciel.

En effet, outre le fait que le contrat souscrit ne prévoit aucune prestation de maintenance pour remédier aux dysfonctionnements du logiciel, le paramétrage rendu nécessaire du fait de modifications législatives du calcul de la réduction Fillon est une prestation spécifique d'adaptation du logiciel aux besoins réglementaires de la société B. et D.

Il résulte de 'l'extrait de la page internet sur les obligations juridiques du mainteneur de logiciel' produit par la société B. et D., que ce type de prestation dite adaptative, évolutive qui 'consiste à faire en sorte que les programmes demeurent adaptés aux besoins du client et puissent évoluer en fonction notamment des modifications de la configuration du système.' est généralement prévue par les contrats de maintenance, en complément de la maintenance 'de base' que constitue la maintenance corrective.' Ce document précise également que 'les contrats prévoient parfois une maintenance dite 'réglementaire' consistant en la modification du logiciel en fonction d'un changement dans la réglementation en vigueur'. Il s'en déduit que le paramétrage en cours d'exécution du contrat en vue d'adapter le logiciel aux évolutions législatives et réglementaires, n'est pas une obligation inconditionnelle comprise dans le contrat de maintenance du fournisseur du logiciel, mais une prestation particulière qui doit être prévue contractuellement.

Or, force est de constater qu'il n'entre pas dans les obligations contractuelles de la SA G. Informatique de veiller à l'actualisation du paramétrage Fillon en cours d'exécution du contrat, puisque le contrat liant les parties ne stipule aucune prestation de maintenance de cette nature à l'exécution de laquelle la société G. Informatique serait tenue. Il en est de même en matière de DADSU, le prestataire informatique veillant au contrôle de la conformité technique de la déclaration, et pas de la conformité légale et/ou réglementaire comme le relève, à juste titre, la société G. Informatique.

Il n'entrait pas davantage dans ses obligations celle d'informer la société B. et D. de la nécessité d'un paramétrage spécifique de la réduction Fillon, notamment à la suite d'interventions ou de correction d'erreurs.

En effet, la société B. et D. n'a certes pas la qualité de professionnel en informatique, elle dispose néanmoins, en interne d'un service informatique en mesure d'utiliser cet outil informatique puisqu'elle a déclaré au contrat souscrit le 31 janvier 2006 'avoir acquis une compétence informatique suffisante pour utiliser le logiciel. L'assistance téléphonique ne saurait se substituer à la formation', et d'un service comptable en charge des salaires, qui en cette qualité doit nécessairement connaître les dispositions législatives et réglementaires en vigueur, et partant être en mesure d'insérer les informations et données relatives aux salariés utiles à l'établissement des bulletins de paie en tenant compte des modifications relatives à la réduction Fillon, et ce dès leur entrée en vigueur, de s'assurer de la prise en compte de ces nouvelles données dans le logiciel de paie utilisé, et de réclamer, le cas échéant, l'adaptation du matériel nécessaire du fait de l'évolution législative, en sollicitant une intervention spécifique de la société G. Informatique en vue de l'actualisation du paramétrage.

Le 12 décembre 2014, la société G. Informatique a effectivement réalisé le paramétrage de la réduction Fillon pour la paie 2014-2015, ce qui ne suffit pas à établir qu'elle y était tenue en exécution du contrat portant sur le droit d'utilisation du logiciel, alors que conformément à cette convention, et ainsi qu'il ressort du bon d'intervention il s'agit d'une intervention d'une journée facturable qui s'est déroulée conformément à une commande distincte de la société B. et D. telle qu'elle résulte du devis en date du 14 octobre 2014 prévoyant une demi-journée de formation sur le logiciel Sage paie relative à la DADS-U 2014 d'une part, et une journée de formation relative au modification du paramétrage de la réduction Fillon selon les consignes laissées par l'URSSAF, d'autre part. Il était convenu dans ce devis qu'elles devaient se dérouler en décembre, ce qui a été le cas puisque la formation sur la DADS-U 2014 s'est déroulée le 18 décembre 2014 selon le bon d'intervention versé aux débats par la société informatique.

Ces diverses pièces démontrent, contrairement à ce que soutient la société B. et D., que ces interventions devaient faire l'objet d'un contrat spécifique, ce qu'avait d'ailleurs évoqué la société G. Informatique dans son mail du 25 février 2014 à la société B. et D. qui rappelait les conditions d'exclusion du contrat. Elle y indiquait par ailleurs qu'elle acceptait 'tout de même de faire ponctuellement de la formation/paramétrage, quand le temps d'intervention nécessaire ne désorganise pas la hotline. Or dans votre cas, l'intervention étant trop longue, nous devons la planifier.

Pour ce faire, nous vous proposons de souscrire à un CSP (contrat de service professionnel) qui est conçu pour répondre à ce type de problématique.'

Par ailleurs, la connaissance par la société G. Informatique de la nécessité du paramétrage Loi Fillon depuis son entrée en vigueur n'impose pas pour autant à cette dernière d'y procéder, en l'absence de stipulation contractuelle prévoyant cette prestation qui n'est nullement incluse dans la maintenance et dans la prestation d'assistance à la DADS assurée par la société G.. Au demeurant, il n'est pas sérieusement contesté que, comme le relève la société G., il ne lui est pas possible de se connecter au système d'information de ses clients afin de vérifier les paramétrages sans demande de leur part et sans avoir reçu, au préalable, leur accord exprès. Il n'est justifié d'aucune commande en ce sens avant le contrôle de l'URSSAF de 2014.

Aucun manquement à son devoir de conseil en qualité de prestataire en informatique, tant lors de la souscription du contrat le 31 janvier 2006 qu'en cours d'exécution ne peut donc être reproché à la société G. Informatique à l'égard de la SAS B. et D. qu'il convient, en conséquence, de débouter de ses demandes.

La décision entreprise sera confirmée.

Le jugement entrepris sera également confirmé en ses dispositions relatives à l'indemnité de procédure ainsi qu'aux dépens.

La SA B. et D., qui succombe en cause d'appel, sera condamnée aux dépens ; l'équité commande d'allouer à la SA G. Informatique la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.