CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 20 décembre 2018, n° 17-01304
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
SNCF Mobilités
Défendeur :
Cargo Rail (Sasu), l'Autorité de la Concurrence, Ministre Chargé de l'Economie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Michel-Amsellem
Conseillers :
MM. Mollard, Cladière
Avocats :
Mes Boccon-Gibod, Choffel, Salzmann Moisan, Justier, Berthol-Balladur
LA COUR
Vu la décision de l' Autorité de la concurrence n° 12-D-25 du 18 décembre 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport ferroviaire de marchandises ;
Vu l'arrêt de la cour d'appel de Paris n° RG 2013/01128 du 6 novembre 2014 ayant partiellement infirmé cette décision ;
Vu l'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 22 novembre 2016 (pourvois n° 14-28.224 et 14-28.862), ayant partiellement cassé ledit arrêt;
Vu la déclaration de saisine après cassation déposée au greffe de la cour le 16 janvier 2017 par l'établissement public à caractère industriel et commercial SNCF Mobilités;
Vu les observations de l'Autorité de la concurrence déposées au greffe de la cour le 12 octobre 2017;
Vu le courrier du ministre chargé de !'Économie déposé au greffe de la cour le 12 octobre 2017, faisant savoir qu'il n'entendait pas user de la faculté de présenter des observations écrites et orales ;
Vu le mémoire récapitulatif de l'établissement public à caractère industriel et commercial SNCF Mobilités, déposé au greffe de la cour le 16 novembre 2017 ;
Vu les observations en réponse n° 2 et récapitulatives de la société Euro Cargo Rail, déposées au greffe de la cour le 27 novembre 2018 ;
Vu l'avis écrit du ministère public en date du 12 décembre 2017, communiqué le même jour à l'établissement public à caractère industriel et commercial SNCF Mobilités, à la société Euro Cargo Rail, à l'Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l'Économie ;
Après avoir entendu à l'audience publique du 14 décembre 2018 les conseils de l'établissement public à caractère industriel et commercial SNCF Mobilités, qui a été mis en mesure de répliquer et a eu la parole en dernier, ainsi que le représentant de l'Autorité de la concurrence et le ministère public ;
Faits et procédure
1. Par décision du 8 janvier 2008, le Conseil de la concurrence, devenu l'Autorité de la concurrence ( ci-après l' " Autorité ") s'est saisi d'office de pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport ferroviaire de marchandises, également appelé fret ferroviaire.
2. Le 19 octobre 2009, la société Euro Cargo Rail (ci-après la " société ECR ") a saisi l'Autorité d'une plainte relative à certaines pratiques mises en œuvre dans le secteur ferroviaire.
3. Les deux procédures ont été jointes par décision du 3 décembre 2009.
4. Par lettre du 28 juillet 2011, la rapporteure générale a notifié treize griefs d'abus de position dominante à l'établissement public à caractère industriel et commercial Société nationale des chemins de fer français ( ci-après la " SNCF ").
5. Par décision n° 12-D-25 du 18 décembre 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport ferroviaire de marchandises ( ci-après la " décision attaquée "), l'Autorité a dit que la SNCF a enfreint les dispositions des articles 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ( ci-après le " TFUE ") et L. 420-2 du Code de commerce. L'Autorité a en effet considéré que cinq des treize griefs initialement notifiés, les griefs n° 2, 3, 4, 8 et 10, étaient établis.
6. Elle a infligé, au titre des griefs n° 2, 3, 4 et 8, une sanction pécuniaire unique de 60 966 000 euros. Pour arriver à cette somme, l'Autorité a notamment appliqué une première majoration de 15 % pour proportionner la sanction à la puissance économique du groupe SNCF, et une seconde majoration de 10 % au titre de la circonstance aggravante de réitération, dont le premier terme était constitué, selon elle, par la décision du Conseil de la concurrence n° 09-D-06 du 5 février 2009 relative à des pratiques mises en œuvre par la SNCF et Expedia Inc. dans le secteur de la vente de voyages en ligne.
7. S'agissant du grief n ° 10, l'Autorité n'a infligé aucune sanction pécuniaire, mais a enjoint à la SNCF de mettre en place un certain nombre de mesures développées au point 779 de la décision attaquée.
8. La SNCF ayant introduit un recours contre la décision attaquée devant la cour d'appel, celle-ci a statué par arrêt n° RG 2013/01128 du 6 novembre 2014.
9. S'agissant des griefs n° 2, 3, 4 et 8, la cour d'appel a rejeté le recours en tant qu'il en contestait la réalité. En revanche, elle a considéré qu'il n'y avait pas lieu d'appliquer une majoration au titre de la puissance économique du groupe SNCF et que les conditions permettant de retenir la circonstance aggravante de réitération n'étaient pas réunies. Elle a donc réduit la sanction pécuniaire unique à la somme de 48 195 000 euros.
10. S'agissant du grief n° 10, la cour a fait droit au recours au motif qu'" il n'est pas démontré que la SNCF a abusé de la position dominante qu'elle détient sur le marché du transport ferroviaire par train massif en mettant en œuvre une politique tarifaire tendant à évincer ses concurrents aussi efficaces en pratiquant des prix inférieurs à ses coûts moyens incrémentaux de long terme ".
11. Statuant sur les pourvois de l'Autorité et de la société ECR, ainsi que sur les pourvois incidents de l'établissement public à caractère industriel et commercial SNCF Mobilités (ci-après " SNCF Mobilités "), venant aux droits de la SNCF à la suite de la nouvelle organisation de celle-ci par la loin° 2014-872 du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a, par arrêt du 22 novembre 2016 (pourvois n° 14-28.224 et 14-28.862), partiellement cassé l'arrêt du 6 novembre 2014.
12. D'une part, elle a cassé cet arrêt en tant qu'il a écarté la circonstance aggravante tirée de la réitération et infligé en conséquence à la SNCF une sanction pécuniaire de 48 195 000 euros au titre des griefs n° 2, 3, 4 et 8.
13. D'autre part, elle l'a cassé en tant qu'il a dit qu'il n'est pas établi que la SNCF a pratiqué des prix d'éviction sur le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif et constaté que l' injonction ordonnée au paragraphe 779 de la décision attaquée est devenue sans objet.
14. À la suite de cette cassation partielle, la cour a été saisie par SNCF Mobilités, par déclaration de saisine déposée au greffe de la cour le 16 janvier 2017.
Motivation
I. SUR LES GRIEFS N° 2. 3. 4 ET 8
Sur la portée de la cassation
15. L' article 624 du Code de procédure civile, dans sa version résultant du décret n° 2014-133 8 du 6 novembre 2014 relatif à la procédure civile applicable devant la Cour de cassation, dispose que" [l]a portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce ".
16. Il résulte du dispositif de son arrêt du 22 novembre 2016, que la Cour de cassation n'a pas annulé en totalité le chef du dispositif de l'arrêt du 6 novembre 2014 qui" [i}nflige à l 'EPIC SNCF une sanction pécuniaire de 48 195 000 euros au titre des pratiques visées aux articles Ier, 2, 3 et 4 de la décision [attaquée]", mais l'a annulé" seulement en ce qu'il [ .. .] écarte la circonstance aggravante tirée de la réitération et inflige en conséquence à la SNCF une sanction pécuniaire de 48 195 000 euros au titre des pratiques visées aux articles 1er, 2, 3 et 4 de la décision [ attaquée ] ".
17. Il s'ensuit que l'arrêt du 6 novembre 2014 a irrévocablement validé le montant de base de la sanction de 48 195 000 euros et écarté la majoration de 7 229 250 euros (15 % du montant de base de la sanction) au titre de l'appartenance à un groupe, ce qu'aucune partie ne conteste devant la présente cour.
18. Reste donc uniquement à apprécier le bien-fondé de la majoration appliquée par l'Autorité au montant de base de la sanction au titre de la réitération. Sur le calcul de la sanction
19. SNCF Mobilités rappelle, en premier lieu, que l'aggravation de la sanction pour cause de réitération n'est qu'une simple faculté pour l'Autorité et, sur recours, pour la cour d'appel. Il importerait, dans le cadre de l'examen de la situation individuelle de l'entreprise sanctionnée, de rechercher si les circonstances de l'espèce et la finalité de cette faculté d'aggravation justifient le prononcé d'une majoration de la sanction.
20. Il souligne que, dans l'arrêt du 6 novembre 2014, partiellement cassé, la cour a jugé qu'une majoration de la sanction n'était pas justifiée eu égard aux" circonstances très particulières entourant, au cas d'espèce, le comportement de l'entreprise publique, confrontée à une activité structurellement déficitaire, dans le secteur du transport par train massif, qu'elle doit maintenir pour des motifs de service public ". Si cette motivation a été employée pour écarter la majoration au titre de la puissance du groupe SNCF, elle justifierait également le refus d'une majoration au titre de la réitération, à supposer celle-ci établie.
21. SNCF Mobilités invite la cour à le faire, sans même avoir à se prononcer sur l'existence d'une situation de réitération.
22. SNCF Mobilités considère qu'une autre raison justifie de refuser une majoration de la sanction, qui tient à la finalité de la réitération. L'Autorité aurait expliqué, dans une décision n° 07-D-33 du 15 octobre 2007, que l'aggravation d'une sanction pour cause de réitération participe à la politique de dissuasion afin de lutter contre le comportement d'entreprises marquant" un mépris des règles du droit de la concurrence et une défiance à l'égard du régulateur de marché" ou" qui ont manifesté une propension à s'affranchir des règles de concurrence >>. Or, selon le requérant, ni dans la décision n° 09-D-06, qui constitue, selon l'Autorité, le premier terme de la réitération, ni dans la présente espèce, la SNCF n'a manifesté un tel mépris ou une telle défiance à l'égard del' Autorité. Cela serait démontré, d'abord par les engagements pris dans 1' affaire n° 09-D-06, qui avaient pour effet " d'organiser pour le futur une concurrence effective" selon les propres termes de [' Autorité, ensuite par le constat fait par l'Autorité, dans la décision attaquée, qu'il n'y avait pas de la part de la SNCF une " stratégie globale et a fortiori délibérée " pour évincer la concurrence, et enfin par la gravité modérée des pratiques et le dommage modéré à l'économie dans l'une et l'autre affaire.
23. En deuxième lieu, SNCF Mobilités constate que la Cour de cassation, dans son arrêt du 22 novembre 2016, ainsi que dans un arrêt du 27 septembre 2017 (Corn., pourvoi n° 15-20.087), retient une conception très extensive de la notion de réitération.
24. Or, selon lui, s'agissant d'une circonstance aggravante au caractère répressif marqué, cette vision extensive, qui risque de conduire à une automaticité des majorations pour réitération, n'est pas acceptable. Il soutient que le respect du principe de proportionnalité des sanctions, inscrit à l'article L. 464-2 du Code de commerce, impose un examen précis de la nature des pratiques en cause pour caractériser une réitération. La seule similitude des effets ne saurait suffire, sauf à admettre que tout constat antérieur d'une infraction aux règles de la concurrence aboutit automatiquement à retenir la réitération. En effet, quels que soient son objet, sa nature ou sa forme, toute pratique anticoncurrentielle, et notamment tout abus de position dominante, a pour effet d'entraver et restreindre les activités d'opérateurs concurrents, et finalement de les évincer. Le requérant invite donc la cour à ne pas faire application de la jurisprudence de la Cour de cassation.
25. SNCF Mobilités fait valoir qu'en l'espèce, la décision n° 09-D-06, sur laquelle l'Autorité s'est fondée pour retenir la réitération, ne concernait pas l'activité de fret ferroviaire, comme dans la présente espèce, mais uniquement l'activité de vente en ligne de titres de transport de voyageurs. En outre, à la différence du fret ferroviaire, l'activité de vente en ligne de titres de transport a toujours été ouverte à la concurrence de sorte que les pratiques objet de la décision n° 09-D-06 n'émanaient pas d'un opérateur historique anciennement en monopole sur le marché concerné. Enfin, les pratiques n'ont pas le même objet et ne sont pas de même nature : dans la décision n° 09-D-06 étaient en cause des comportements discriminatoires (refus d'accès à des fonctionnalités techniques) à l'égard de distributeurs de billets en ligne concurrents de la société Expedia, la filiale de la SNCF, alors qu'en l'espèce sont en cause des pratiques ayant potentiellement un effet d'éviction pour l'accès à des cours de marchandises de fret ferroviaire.
26. En dernier lieu, et à titre infiniment subsidiaire, SNCF Mobilités considère que la majoration pour réitération est disproportionnée et doit être réduite.
27. Certes, l'Autorité a appliqué une majoration de 10 % alors que son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (ci-après le " communiqué sanctions") prévoit qu'elle est normalement comprise entre 15 % et 50 %. Elle n'en resterait pas moins disproportionnée alors que, selon le constat de 1 'Autorité elle-même, la SNCF n'était en état de réitération que pour un seul des quatre griefs (grief n° 4).
28. L' Autorité répond, d'une part, que la SNCF était bien en situation de réitération.
29. Elle rappelle que, selon une jurisprudence constante, la qualification de réitération n'exige ni que les infractions commises soient identiques quant à la pratique mise en œuvre ni qu'elles le soient quant au marché concerné, que ce soit en termes de produits ou en termes géographiques. Il suffit, pour que la réitération soit caractérisée, que les nouvelles pratiques soient identiques ou similaires, par leur objet ou leurs effets, à celles ayant donné lieu au précédent constat d'infraction.
30. Selon l'Autorité, les pratiques en cause dans l'affaire n° 09-D-06 et dans la présente affaire présentent, dans leur objet ou leurs effets, un caractère identique ou similaire, ainsi qu'il résulte de l'arrêt de cassation lui-même. De fait, les unes et les autres tendaient à évincer du marché concerné des concurrents aussi efficaces.
31. D'autre part, l'Autorité conclut au caractère proportionné de la majoration retenue au titre de la réitération.
32. La société ECR fait sienne l'analyse de l' Autorité.
33. Aux termes de l'article L. 464-2 du Code de commerce, les sanctions pécunières prononcées par l'Autorité de la concurrence sont notamment proportionnées" à [ 'éventuelle réitération de pratiques prohibées ".
34. L' Autorité a exposé, aux points 50 à 53 de son communiqué sanctions, la méthode qu'elle entendait suivre en pratique pour prendre en compte une éventuelle situation de réitération lors de la détermination de la sanction :
35. Les points 50 et 51 du communiqué sanctions sont ainsi libellés :
" 50. La réitération est une circonstance aggravante dont la loi prévoit, compte tenu de son importance particulière, qu'elle doit faire l'objet d'une prise en compte autonome, de manière à permettre à l'Autorité d'apporter une réponse proportionnée, en termes de répression et de dissuasion, à la propension de l'entreprise ou del 'organisme concerné à s'affranchir des règles de concurrence. L'existence même d'une situation de réitération démontre en effet que le précédent constat d'infraction et la sanction pécuniaire dont il a pu être assorti n'ont pas suffi à conduire l'intéressé à respecter les règles de concurrence.
51. Pour apprécier l'existence d'une réitération, l'Autorité tient compte de quatre éléments cumulatifs :
- une précédente infraction au droit de la concurrence doit avoir été constatée avant la fin de la nouvelle pratique;[ .. ]
- la nouvelle pratique doit être identique ou similaire, par son objet ou ses effets, à celle ayant donné lieu au précédent constat d'infraction ;
- ce dernier doit avoir acquis un caractère définitif à la date à laquelle l'Autorité statue sur la nouvelle pratique ;
- le délai écoulé entre le précédent constat d'infraction et le début de la nouvelle pratique est pris en compte pour apporter une réponse proportionnée à la propension del 'entreprise ou del 'organisme concerné à s'affranchir des règles de concurrence; l'Autorité n'entend pas opposer la réitération à une entreprise ou à un organisme lorsque le délai en question est supérieur à 15 ans. "
36.Aux termes du point 52 du communiqué sanctions, " [e Jn cas de réitération, le montant intermédiaire de la sanction pécuniaire, tel qu'il résulte de l'individualisation du montant de base[ .. }, peut être augmenté dans une proportion comprise entre 15 et 50 %, en fonction notamment du délai séparant le début de la nouvelle pratique du précédent constat d'infraction et de la nature des différentes irifractions en cause".
37. Il est constant que la circonstance aggravante fondée sur la réitération de pratiques anticoncurrentielles peut être retenue pour de nouvelles pratiques identiques ou similaires, par leur objet ou leurs effets, à celles ayant donné lieu au précédent constat d'infraction, sans que cette qualification exige une identité quant à la pratique mise en œuvre ou quant au marché concerné, qu'il s'agisse du marché de produits ou services ou du marché géographique. Une telle analyse est justifiée au regard de l'objectif poursuivi, à savoir dissuader les opérateurs économiques ayant démontré une inclination à s'affranchir des règles de concurrence, de se livrer à des pratiques anticoncurrentielles.
38. En premier lieu, c'est à juste titre quel' Autorité a constaté que la SNCF était en situation de réitération.
39. Premièrement, par la décision n° 09-D-06, le Conseil de la concurrence a constaté que la SNCF avait commis plusieurs abus de position dominante et une entente anticoncurrentielle. Cette décision, en date du 5 février 2009, est intervenue avant la fin des pratiques objet du grief n° 4, qui ont débuté le 27 novembre 2006 et se poursuivaient au jour de l'envoi de la notification des griefs, le 28 juillet 2011 (décision attaquée, § 415).
40. Deuxièmement, pour les raisons exposées par l'Autorité aux paragraphes 7 44 et 7 45 de la décision attaquée, et que la cour fait expressément siennes, à la date à laquelle la décision attaquée a été prononcée, la décision n° 09-D-06 avait bien acquis un caractère définitif en tant qu'elle constatait que la SNCF avait commis des abus de position dominante. Au demeurant, SNCF Mobilités ne conteste plus ce point.
41.Troisièmement, ainsi quel' Autorité l'a exactement relevé dans la décision attaquée(§ 750 à 752), les pratiques sanctionnées par la décision n° 09-D-06 et celles objet du griefn° 4 sont les unes et les autres des abus de position dominante et poursuivent un effet anticoncurrentiel similaire, à savoir évincer des concurrents du marché en limitant de façon artificielle leur efficacité et leur attractivité pour les clients. C'est donc à juste titre que l'Autorité a retenu que lesdites pratiques étaient similaires par leurs effets.
42. Enfin, quatrièmement, si les pratiques objet du griefn° 4 ont commencé avant le prononcé de la décision n° 09-D-06, elle se sont poursuivies après, de sorte que la dernière condition énoncée au point 51 du communiqué sanctions est remplie.
43. En deuxième lieu, c'est à juste titre que l'Autorité a considéré qu'il était nécessaire d'appliquer une majoration au titre de la réitération, afin d'assurer le caractère suffisanunent dissuasif de la sanction. En effet, le fait que la SNCF ait poursuivi une pratique d'abus de position dominante malgré une première condamnation, suffit à démontrer que cette société n'était pas disposée à respecter les règles d'une concurrence non faussée.
44. À cet égard, c'est en vain que SNCF Mobilités invoque les engagements pris dans l'affaire n° 09-D-06, qui avaient pour effet " d'organiser pour le fatur une concurrence effective " selon les propres termes del' Autorité, comme le constat, fait par l'Autorité dans la décision attaquée, qu'il n'y avait pas de la part de la SNCF une " stratégie globale et a fortiori délibérée " pour évincer la concurrence.
45. Les engagements pris par une entreprise pour atténuer la sévérité de la sanction ne suffisent pas à démontrer qu'elle entend désormais se conformer aux règles du droit de la concurrence, surtout lorsqu'elle poursuit la mise en œuvre de pratiques anticoncurrentielles sur un autre marché.
46. Quant au fait quel' Autorité n'a pas décelé" l'existence d'une stratégie globale, et a fortiori délibérée, par laquelle la SNCF aurait entendu évincer ses concurrents du marché " ( décision attaquée, § 680), un tel constat implique une moindre gravité des pratiques, ce dont l'Autorité a tenu compte lorsqu'elle a déterminé le montant de base de la sanction, en retenant une proportion de 6 % de la valeur des ventes (décision attaquée,§ 680 et 713). Il n'en reste pas moins que la SNCF a réitéré des pratiques d'abus de position dominante, ce qui suffit à attester, à tout le moins, une négligence coupable de sa part, alors que son attention avait été dûment attirée par la décision n° 09-D-06 sur l'importance de ne pas se livrer à de telles pratiques.
47. Enfin, si la cour d'appel première saisie a retenu, dans son arrêt du 6 novembre 2014, qu'une majoration de la sanction à raison de la puissance du groupe SNCF n'était pas justifiée, eu égard aux " circonstances très particulières entourant, au cas d'espèce, le comportement de l'entreprise publique, confrontée à une activité structurellement déficitaire, dans le secteur du transport par train massif, qu'elle doit maintenir pour des motifs de service public ", ces considérations sont indifférentes pour apprécier la propension de la société SNCF à s'affranchir des règles de concurrence.
48. En dernier lieu, la majoration de 10 % retenue par l'Autorité apparaît justifiée et la sanction découlant de l'application de cette majoration, proportionnée.
49. En effet, l'Autorité a pleinement pris en considération le fait que, bien que la SNCF ne soit en situation de réitération que pour les pratiques visées au grief n° 4, la majoration s'appliquerait à la sanction unique infligée au titre des griefs n° 2, 3, 4 et 8.
50. D'une part, l'Autorité a retenu une durée des infractions d'un an et trois mois, correspondant à la période où l'ensemble des griefs se déroulaient concomitamment, soit une durée bien plus courte que la durée pendant laquelle la SNCF s'est trouvée en situation de réitération au titre du grief n° 4, qui était de près de deux ans et demi - du prononcé de la décision n° 09-D-06 du 5 février 2009 jusqu'au jour de la notification des griefs, le 28 juillet 2011.
51. D' autre part, l'Autorité a appliqué une majoration de seulement 10 %, alors qu'aux termes du point 52 de son communiqué sanctions, elle peut majorer la sanction " dans une proportion comprise entre 15 et 5 0 % ".
52. La cour rappelle, par ailleurs, qu'en cas de pluralité d'infractions, une sanction unique est dans l'intérêt del' entreprise sanctionnée, car elle aboutit à un montant de sanction inférieur.
53. L'ensemble des moyens de SNCF Mobilités sont rejetés.
54. Par conséquent, et compte tenu de ce que l'arrêt du 6 novembre 2014 a irrévocablement écarté la majoration de la sanction au titre de la puissance du groupe SNCF, il y a lieu de réformer l'article 7 de la décision attaquée et d'infliger à la SNCF une sanction de 53 014 000 euros, résultant de l'application au montant de base de la sanction (décision attaquée, § 720) de la majoration de 10 % au titre de la réitération ( décision attaquée, § 755).
II. SUR LE GRIEF N° 10
55. Par le grief n° 10, il a été reproché à la SNCF " [u]ne pratique d'abus de position dominante de Fret SNCF sur le marché des services ferroviaires de train massif consistant en la mise en œuvre des prix d'éviction ne couvrant pas ses coûts totaux et ayant pour effet de fausser le jeu de la concurrence par d'autres moyens que la concurrence par les mérites, pendant la période allant du 31 mars 2006 à nos jours " ( décision attaquée, § 267).
56. Est appelé " train massif" le transport massifié de point à point, régulier ou irrégulier. Il ne s'agit que d'une des activités qui, ensemble, constituent le transport ferroviaire de marchandises ou fret ferroviaire. Les autres activités, non visées par le grief n° 10, sont la messagerie ferroviaire ( également appelée " transport par wagon isolé "), les autoroutes ferroviaires et le transport combiné de marchandises, associant au moins un autre mode de transport avec le transport ferroviaire ( décision attaquée, § 9).
Sur la portée de la cassation
57. À l'article 5 de la décision attaquée, l'Autorité a dit établie la réalité des pratiques objet du griefn° 10. Par l'article 8 de la même décision, elle a enjoint à la SNCF, au titre de ces pratiques, de se conformer, en tous points, aux injonctions ordonnées au paragraphe 779. Enfin, l'article 9 de ladite décision a imposé à la SNCF de faire publier le texte figurant au paragraphe 780, en respectant la mise en forme, dans les éditions du journal " Les Echos " et le magazine "Lavie du rail ".
58. Par son arrêt du 6 novembre 2014, la cour d'appel a d'abord écarté les moyens de légalité externe soulevés par la SNCF, pris de la violation des principes du contradictoire et des droits de la défense, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines (p. 48 et 49), puis a considéré que la réalité des pratiques objet du grief n° 10 n'était pas établie (p. 49 à 60). Dès lors, réformant la décision attaquée du chef du grief n° 10, la cour a :
- dit qu'il n'est pas établi que la SNCF a enfreint les dispositions de l'article 102 du TFUE et de l'article L. 420-2 du Code de commerce en pratiquant des prix d'éviction sur le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif ;
- constaté, en conséquence, que l'injonction ordonnée au paragraphe 779 de la décision attaquée est devenue sans objet;
- dit que les mentions concernant les prix d'éviction ainsi que l'injonction devront être supprimées du résumé de la décision attaquée effectué aux fins de publication, prévu au paragraphe 780 de cette décision.
59. Le dispositif de l'arrêt de cassation est ainsi formulé:
" Casse et annule, mais seulement en ce qu'il dit qu'il n'est pas établi que la SNCF a pratiqué des prix d'éviction sur le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif, constate que l'injonction ordonnée au paragraphe 779 de la décision est devenue sans objet, [. .. ] et dit que les mentions concernant les prix d'éviction ainsi que l'injonction devront être supprimées du résumé de la décision effectué aux fins de publication [ .. ] ".
60. Selon SNCF Mobilités, à la suite de cette annulation, il appartient à la cour d'examiner:
- d'abord, le moyen d'annulation de la décision attaquée pris du non-respect du principe du contradictoire et des droits de la défense à l'occasion de l'adoption de la décision attaquée sur le grief n° 10;
- ensuite, la question de fond liée à la qualification ou non de pratique de prix d'éviction, dont dépend l'établissement du grief n° 10;
- enfin, le cas échéant, la question du bien-fondé de l'injonction, adressée à la SNCF au titre dudit grief, de mettre en place une comptabilité analytique séparée pour ses activités de transport de marchandises par train massif.
61. Le requérant fait en effet valoir que l'ensemble des moyens soutenus pour contester le chef de dispositif cassé peut être repris devant la cour de renvoi, de sorte qu'il est fondé à reprendre tous les moyens que la SNCF avait invoqués devant la cour d'appel première saisie pour contester le grief n° 10, y compris les moyens de légalité externe.
62. L' Autorité conclut à l'irrecevabilité du moyen d'annulation de la décision attaquée pris de la violation du principe du contradictoire et des droits de la défense, au motif qu'il tend à remettre en cause des dispositions de l'arrêt du 6 novembre 2014 (p. 48 et 49) non atteintes par la cassation.
63. La société ECR répond également que la cour première saisie a rejeté le moyen d'annulation de la décision attaquée pris de la violation du principe du contradictoire et des droits de la défense et que ce rejet n'a pas fait l'objet du pourvoi, de sorte que la cour de renvoi ne saurait en être de nouveau saisie.
64. Lorsque la Cour de cassation ne limite pas, dans le dispositif de son arrêt, la portée de la cassation qui atteint un chef de dispositif, cette cassation n'en laisse rien subsister, quel que soit le moyen qui l'a déterminée. Aucun des motifs de fait ou de droit ayant justifié la disposition annulée ne subsiste, de sorte que la cause et les parties sont remises de ce chef dans le même état où elles se trouvaient avant l'arrêt précédemment déféré et peuvent, devant la cour de renvoi, invoquer de nouveaux arguments.
65. Il y a lieu de constater que, s'agissant du grief n° 10, l'arrêt de la Cour de cassation du 22 novembre 2016 a cassé en totalité le chef du dispositif de l'arrêt du 6 novembre 2014 qui a" [ d]it qu'il n'est pas établi que/ 'EPIC SNCF a enfreint les dispositions de l'article 102 du TFUE et de l'article L. 420-2 du Code de commerce en pratiquant des prix d'éviction sur le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif". 66.SNCF Mobilités, venant aux droits de la SNCF, est donc recevable à soulever à nouveau les moyens de légalité externe pris de la violation du principe du contradictoire et des droits de la défense aux fins de l'annulation de l'article 5 de la décision attaquée, qui a dit établi ledit grief.
Sur la violation alléguée du principe du contradictoire et des droits de la Défense
67. SNCF Mobilités expose que, dans la décision attaquée, l'Autorité a confondu deux seuils de coûts, les coûts évitables moyens (CEM) et les coûts incrémentaux - ou marginaux - moyens à long terme (CMMLT).
68. Ce faisant, elle aurait changé d'approche par rapport à la jurisprudence, qui distingue ces deux seuils de coûts, et adopté un raisonnement inédit s'écartant très largement de la pratique décisionnelle constante en la matière, et ce, sans débat contradictoire et de manière imprévisible, les rapporteurs n'ayant, quant à eux, jamais fondé leur analyse sur une confusion des seuils, que ce soit dans la notification des griefs ou dans leur rapport.
69. SNCF Mobilités demande donc à la cour d'annuler la décision attaquée et, statuant de nouveau, de constater l'absence de tout élément de nature à qualifier une pratique de prix d'éviction.
70. L' Autorité explique que la méthode retenue pour la réalisation du test de coût, ne présentait pas de caractère novateur à la date de notification des griefs. Selon elle, le test de coût appliqué résulte de la jurisprudence européenne (CJUE, arrêt du 3 juillet 1991, AKZO/Commission, C-62/86, et arrêts suivants). Quant à l'identité des seuils de coûts évitables et incrémentaux, la Commission de l'Union européenne (ci-après la "Commission" aurait déjà retenu une telle approche dans sa décision n° 2001/354/CE du 20 mars 2001 relative à une procédure d'application de l'article 82 du traité CE (affaire COMP/35.141 - Deutsche Post AG) (JOCE 2001, L 125, p. 27 ci-après la" décision Deutsche Post ").
71. Elle ajoute que la SNCF a pleinement été en mesure de présenter toutes observations utiles quant àla qualification du griefn° 10 et en ce qui concerne les éléments constitutifs du test de coût. Ainsi, les droits de la défense n'auraient pas été violés.
72.La société ECR rappelle que, selon la jurisprudence de la présente cour, le principe du contradictoire interdit à celle-ci de fonder sa décision sur d'autres éléments de fait et de droit que ceux tirés du dossier et soumis au débat des parties, mais qu'en revanche, ce principe ne saurait limiter la liberté de l'Autorité de délibérer en toute indépendance, par rapport aux analyses et conclusions de ses services.
73.Selon elle, l'Autorité a pu, en l'espèce, adopter une approche différente des services d'instruction.
74.La cour constate que la question del' application du test de coût et, par conséquent, le choix des paramètres devant être retenus, étaient dans le débat tout au long de la phase contradictoire de la procédure, de la notification des griefs jusqu'à la séance devant le collège de l'Autorité.
75.La SNCF a donc eu tout loisir de fournir toutes les explications sur la façon dont le test devait, selon elle, être mis en œuvre.
76.Le fait que le collège de l'Autorité, qui n'est pas lié par l'approche des rapporteurs, a considéré que, eu égard aux circonstances de l'affaire, les deux seuils, CEM et CMMLT, étaient identiques, ne saurait donc constituer une violation du principe du contradictoire.
77.La cour ajoute que, dans le cadre du débat de fond devant elle, SNCF Mobilités est en mesure de faire valoir tous les moyens tendant à voir juger que la manière dont le collège de l'Autorité a appliqué le test de coût est entachée d'erreurs.
78.Le moyen est rejeté.
Sur la qualification de pratique de prix d'éviction
Observations liminaires
79. L'abus reproché consiste en la mise en œuvre par la SNCF de prix d'éviction ayant pour effet de fausser le jeu de la concurrence par d'autres moyens que la concurrence par les mérites, pour les années 2007, 2008 et 2009 (décision attaquée,§ 593).
80. Le grief est cantonné à la seule activité de fret ferroviaire par train massif, qui a été défini comme le marché pertinent (décision attaquée,§ 298 à 331).
81. Ainsi que l'a rappelé l'Autorité aux paragraphes 504 à 514 de la décision attaquée, la méthode à appliquer pour qualifier de" prix d'éviction" le comportement tarifaire d'une entreprise en position dominante, a d'abord été précisée par la Cour de justice de l'Union européenne (ci-après la " Cour de justice" ou la " CJUE ") dans son arrêt AKZO/Commission, précité, et consiste en un test de coût.
82. Dans cet arrêt, la Cour de justice a jugé :
" 71. Des prix inférieurs à la moyenne des coûts variables (c'est-à-dire de ceux qui varient en fonction des quantités produites) par lesquels une entreprise dominante cherche à éliminer un concurrent doivent être considérés comme abusifs. Une entreprise dominante n'a, en effet, aucun intérêt à pratiquer de tels prix, si ce n'est celui d'éliminer ses concurrents pour pouvoir, ensuite, relever ses prix en tirant profit de sa situation monopolistique, puisque chaque vente entraîne pour elle une perte, à savoir la totalité des coûts fixes (c'est-à-dire de ceux qui restent constants quelles que soient les quantités produites), et une partie, au moins, des coûts variables afférents à l'unité produite.
72. Par ailleurs, des prix inférieurs à la moyenne des coûts totaux, qui comprennent les coûts fixes et les coûts variables, mais supérieurs à la moyenne des coûts variables doivent être considérés comme abusifs lorsqu'ils sont fixés dans le cadre d'un plan ayant pour but d'éliminer un concurrent. Ces prix peuvent, en effet, écarter du marché des entreprises, qui sont peut-être aussi efficaces que l'entreprise dominante mais qui, en raison de leur capacité financière moindre, sont incapables de résister à la concurrence qui leur est faite. ".
83. Ce test, parfois appelé " test AKZO )), a été adapté par la Commission, dans sa communication 2009/C 45/02 intitulée " Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l'application de l'article 82 du traité CE aux pratiques d'éviction abusives des entreprises dominantes )) (JOUE du 24 février 2009, C 45, p. 7, ci-après la " communication du 24 février 2009 "), à l'hypothèse des entreprises ayant des activités multi-produits comme la SNCF. Les points pertinents de cette communication sont les suivants: " C. Pratiques d'éviction/ondées sur les prix
23. Les considérations exposées aux points 23 à 27 s'appliquent aux pratiques d'éviction fondées sur les prix. Une concurrence vigoureuse par les prix est généralement profitable aux consommateurs. Pour éviter l'éviction anticoncurrentielle, la Commission n'interviendra normalement que lorsque les pratiques considérées ont déjà entravé ou sont de nature à entraver la concurrence d'entreprises considérées comme aussi efficaces que l'entreprise dominante (1).
24. La Commission reconnaît cependant que, dans certaines circonstances, un concurrent moins efficace peut également exercer une contrainte qui doit être prise en considération lorsqu'ils 'agit de déterminer si un comportement déterminé en matière de prix entraîne une éviction anticoncurrentielle. Elle examinera cette contrainte d'une manière dynamique, étant donné qu'en l'absence d'une pratique abusive ce concurrent peut bénéficier d'avantages liés à la demande, tels que les effets de réseau et d'apprentissage, qui tendront à renforcer son efficacité.
25. Pour déterminer si même un concurrent hypothétique aussi efficace que l'entreprise dominante risque de se voir évincer par les pratiques en question, la Commission examinera les données économiques se rapportant aux coûts et aux prix de vente, et vérifiera notamment si l'entreprise dominante pratique des prix inférieurs aux coûts. Cette méthode suppose toutefois que des données suffisamment fiables soient disponibles. Lorsqu'elles seront disponibles, la ,Commission utilisera les informations sur les coûts de l'entreprise dominante elle-même. A défaut de données fiables sur ces coûts, la Commission peut décider d'utiliser les coûts de concurrents ou d'autres données fiables comparables.
26. Les critères de coûts que la Commission sera susceptible d'appliquer sont le coût évitable moyen (CEM) et le coût marginal moyen à long terme (CMMLT) (2). Si le coût évitable moyen n'est pas couvert, il est probable que l'entreprise dominante sacrifie ses profits à court terme et qu'un concurrent aussi efficace ne peut satisfaire les consommateurs visés sans subir de pertes. Le CMMLT est généralement supérieur au CEM parce que, contrairement au CEM (qui ne comprend que les coûts fixes supportés pendant la période examinée), il inclut les coûts fixes propres au produit supportés pendant la période d'exercice des pratiques abusives présumées. Le fait que le CMMLT ne soit pas couvert indique que l'entreprise dominante ne couvre pas tous les coûts fixes (imputables) de la production du bien ou du service en cause et qu'un concurrent aussi efficace pourrait être évincé du marché (3 ).
27. Si les données font clairement ressortir qu'un concurrent aussi efficace peut concurrencer efficacement les pratiques de prix de l'entreprise dominante, la Commission en déduira en principe que ces pratiques ne risquent guère d'avoir un effet préjudiciable sur la concurrence effective et donc sur les consommateurs; il est alors peu probable qu 'elle interviendra. Si, au contraire, il en ressort que le prix appliqué par l'entreprise dominante risque d'évincer du marché des concurrents aussi efficaces, la Commission intégrera cet élément dans l'appréciation générale de l'éviction anticoncurrentielle (voir section B), en tenant compte des autres preuves quantitatives et/ou qualitatives pertinentes.
(1) Voir l'affaire 62/86, AKZO Chemie/Commission, Recueil 1991, p. 1-3359, point 72: en ce qui concerne les prix inférieurs au coût total moyen, la Cours 'est prononcée comme suit: 'Ces prix peuvent écarter du marché des entreprises, qui sont peut-être aussi efficaces quel' entreprise dominante mais qui, en raison de leurs capacités financières moindres, sont incapables de résister à la concurrence qui leur est faite'. Voir aussi l'arrêt du 10 avril 2008 dans l'affaire T-271/03 Deutsche Telekom/Commission, non encore publié, point 194.
(2) Le coût évitable moyen est la moyenne des coûts qui auraient pu être évités si l'entreprise n 'avait pas produit une unité (supplémentaire), en l'occurrence celle qui aurait fait l'objet d'un comportement abusif Dans la plupart des cas, le coût évitable moyen et le coût variable moyen (CVM) seront identiques, car ce ne sont souvent que les coûts variables qui peuvent être évités. Le coût marginal moyen à long terme (CMMLT) est la moyenne de tous les coûts (variables et fixes) qu'une entreprise supporte pour fabriquer un produit déterminé. Le CMMLT et le coût total moyen (CTM) sont de bons indicateurs l'un de l'autre; ils sont identiques dans le cas des entreprises qui ne fabriquent qu'un seul produit. Si des entreprises fabriquant plusieurs produits réalisent des économies de gamme, le CMMLT serait inférieur au CTM pour chaque produit, car les véritables coûts communs ne sont pas pris en compte dans le CMMLT Dans le cas des produits multiples, tous les coûts qui auraient pu être évités en ne produisant pas un produit ou une gamme de produits bien précis ne sont pas considérés comme des coûts communs. Lorsque ces derniers sont élevés, il peut être nécessaire de les prendre en considération afin d'apprécier la capacité d'évincer des concurrents aussi efficaces.
(3) Afin d'appliquer ces critères de coûts, il peut également être nécessaire d'étudier les recettes et les coûts de la société dominante et de ses concurrents dans un contexte plus large. Il ne suffit peut-être pas de vérifier si le prix ou les recettes couvrent les coûts du produit en cause ; il peut être nécessaire d'examiner les recettes marginales lorsque le comportement de l'entreprise dominante considérée porte atteinte à ses recettes sur d'autres marchés ou d'autres produits. De la même façon, dans le cas des marchés bilatéraux, il peut être nécessaire d'examiner les recettes et les coûts des deux côtés simultanément. "
84. Il résulte de la communication du 24 février 2009 que la Commission substitue à la " moyenne des coûts variables "-ou coût variable moyen (CVM) - et à la" moyenne des coûts totaux "-ou coût total moyen (CTM)- utilisées dans le test AKZO, respectivement le" coût évitable moyen " (CEM) et le" coût marginal moyen à long terme " (CMMLT).
85. Dès lors :
- lorsque les prix pratiqués par l'entreprise en position dominante sont supérieurs au CMML T calculé sur la base des coûts de cette entreprise ( on dit qu'ils sont situés dans la" zone blanche "), la pratique est alors considérée comme licite au regard des règles de concurrence ;
- lorsque les prix pratiqués par 1 'entreprise en posit10n dominante sont inférieurs au CEM calculé sur la base des coûts de cette entreprise ( on dit qu'ils sont situés dans la " zone rouge " ou " noire "), la pratique doit être considérée comme abusive, dès lors qu'en appliquant de tels prix, une entreprise occupant une position dominante est présumée ne poursuivre aucune autre finalité économique que celle d'éliminer ses concurrents, et ce indépendamment de la preuve d'une intention d'éviction;
- lorsque les prix pratiqués par l'entreprise en position dominante sont inférieurs au CMMLT, mais supérieurs au CEM ( on dit qu'ils sont situés dans la " zone grise"), la pratique n'est considérée comme abusive que s'il est démontré que ces prix sont fixés dans le cadre d'un plan ayant pour but d'éliminer un concurrent.
86. Il convient de préciser que, contrairement au caractère trop lapidaire de la formule employée au point 26 de la version française de la communication du 24 février 2009, le CEM ne peut pas être uniquement constitué de l'ensemble des " coûts fixes supportés pendant la période examinée ".
87. D'une part, nul ne conteste que le CEM intègre des coûts variables, ceux exposés pour produire " une unité supplémentaire ", ou plutôt, si on se réfère aux autres versions linguistiques de la communication du 24 février 2009, " une série d'unités supplémentaires ".
88. D'autre part, si, à la différence du coût variable moyen (CVM), exclusivement calculé à partir des coûts variables, le calcul du CEM prend en compte certains coûts fixes, il s'agit exclusivement des coûts fixes spécifiquement exposés aux fins de produire une série d'unités supplémentaires, car ce sont les seuls que la non-production de cette série d'unités supplémentaires permettrait d'éviter. Dans la communication du24 février 2009 (§ 64, note de bas de page n° 3), la Commission fournit un exemple de tels coûts fixes spécifiques : " si l'entreprise dominante devait développer ses capacités afin de pouvoir adopter un comportement prédateur, les coûts irrécupérables liés à cette capacité supplémentaire devraient être pris en considération aux fins de l'examen des pertes supportées par cette entreprise ".
89. En revanche, le coût évitable moyen n'intègre pas les coûts fixes que l' entreprise exposerait même en l'absence de production d'une série d'unités supplémentaires par rapport à un volume d'activité donné. Ainsi, les coûts fixes qu'exposait déjà l'entreprise antérieurement à la période pour laquelle elle est soupçonnée d'une pratique anticoncurrentielle de prix d'éviction aux fins de produire ce volume d'activité donné, ne peuvent pas être pris en compte aux fins du calcul du CEM.
90. Seul le CMML T intègre, outre la totalité des coûts variables, l'ensemble des coûts fixes liés à l'activité en cause, à l'exception toutefois, pour les entreprises multiproduits, des véritables coûts communs, à savoir les coûts communs à plusieurs activités qui ne disparaîtraient pas en cas d'abandon total d'une de ces activités.
91. Dans la présente espèce, l'Autorité a entendu appliquer le test de coût tel que défini dans la communication du 24 février 2009.
92. S' agissant, d'abord, du périmètre d'activité à prendre en compte, l'Autorité a considéré que la mise en œuvre du test de coût devait se faire au regard de l'activité de train massif de la SNCF prise dans son ensemble, et non en se fondant sur une analyse trafic par trafic ( décision attaquée, § 523 à 532).
93. En ce qui concerne, ensuite, les coûts à prendre en compte, l'Autorité a justifié en ces termes le constat qu'elle a fait que le CEM et le CMMLT se confondaient en l'espèce: " 533.Le coût évitable en cas d'abandon de l 'activité de train massif couvre l'ensemble des coûts qui lui sont imputables, qu'ils soient communs ou non avec d'autres activités de la SNCF. Si le coût évitable était défini sur un périmètre restreint, comme par exemple un trafic donné, il pourrait ne couvrir que les charges de convoi et de desserte, puisqu'en cas de perte du trafic, l'organisation liée aux fonctions de support et de structure ne serait pas modifiée, et les coûts liés à ces fonctions ne pourraient être évités. Au contraire, si l'on raisonne sur l'ensemble du périmètre du train massif, la cessation de cette activité impliquerait, à moyen terme, de supprimer tous les postes de coûts imputables directement à cette activité, ainsi qu'une partie des coûts communs avec d'autres activités telles que le wagon isolé. 534.Le coût évitable à prendre en compte ne se distingue donc pas du coût incrémental de long terme, tous deux englobant au contraire l'ensemble des postes de coûts, directs ou communs à d'autres activités, qui sont imputables à l'activité de train massif et qui pourraient être évités à long terme si elle était abandonnée. 535.Dans ces conditions, les deux seuils définis par la Commission européenne dans sa communication sur les abus d'exclusion pour les besoins du test de coûts pertinents, à savoir le coût évitable moyen et le coût marginal (ou incrémental) moyen de long terme, sont confondus en l'espèce. 536.La Commission européenne a déjà retenu une telle approche dans sa décision n° 2001/354/CE du 20 mars 2001 relative à une procédure d'application de l'article 82 du traité CE (affaire COMP/35.141 -Deutsche Post AG) (JOCE n° L 125 du 5 mai 2001, p. 27). Dans cette décision, elle a en effet qualifié d'abus de position dominante, en application du test de coûts issu de l'arrêt Akzo, la pratique de prix bas de Deutsche Post en se fondant sur le seul fait que l'entreprise dominante ne couvrait pas ses coûts incrémentaux liés à l'activité concurrentielle de transport de colis pour la vente par correspondance de façon récurrente sur une période de six années consécutives. Elle est arrivée à cette conclusion sans avoir à établir l'existence d'un plan global de l'opérateur historique visant à évincer les concurrents. 537.Elle a donc estimé, dans cette affaire, que la ligne de partage issue de l'arrêt Akzo et en-dessous de laquelle le prix est considéré comme abusif au regard des règles de concurrence, définie comme le coût variable moyen, correspondait en l'occurrence, en raison du périmètre considéré (à savoir l'ensemble du secteur de l'envoi de colis pour la vente par correspondance), au coût incrémental moyen calculé à un horizon temporel de moyen terme. ".
94. Enfin, l'Autorité a considéré que le test de coût devait être effectué à un horizon temporel de trois ans, eu égard au caractère généralement pluriannuel des contrats passés par la SNCF dans le cadre de son activité de train massif (décision attaquée, § 538 à 547).
95. Considérant que les seuls éléments de coûts fiables et exhaustifs permettant d'identifier, au sein des coûts communs aux activités de train massif et de wagon isolé, les coûts imputables à chacune de ces activités, étaient les données fournies par la SNCF au début de l'instruction pour les années 2007 à 2009 (annexe 482 - cote 36755), l'Autorité les a exploitées aux fins du test de coût et a constaté, à l'issue de ce test, que les prix pratiqués par la SNCF étaient inférieurs au CMMLT, de sorte que, eu égard à la confusion des deux seuils - CEM et CMML T -, les prix se trouvaient en zone noire ( décision attaquée, § 548 à 562).
96. Bien que ce constat la dispense de démontrer l'existence d'un plan ayant pour but d'éliminer un ou des concurrents, l'Autorité a ajouté qu'au demeurant, plusieurs éléments du dossier démontraient que la SNCF avait mis délibérément en œuvre une stratégie d'éviction pour certains trafics particuliers (décision attaquée, § 563 à 565).
97. Elle a donc considéré que le grief n° 10 était établi. Sur la contradiction alléguée entre la définition du marché pertinent et la mise en œuvre du test de coût
98. SNCF Mobilités fait valoir que l' Autorité a modifié son approche entre la définition du marché et l'établissement de la pratique, dont il résulterait une contradiction de motifs. Il expose que, pour la mise en œuvre du test du monopoleur hypothétique afin de définir le marché pertinent, l'Autorité a décidé qu'il n'y avait pas lieu de prendre en compte les prix pratiqués par la SNCF, dans la mesure où ceux-ci étaient supérieurs à ceux de ses concurrents, mais de neutraliser cette particularité de la SNCF en retenant des prix inférieurs de 15 à 30 % aux prix réellement pratiqués par la SNCF, tandis que, s'agissant d'établir la réalité du grief, elle a procédé au test de coût par rapport aux prix réellement pratiqués par la SNCF.
99. Or, selon le requérant, il résulte de l'option retenue pour le test du monopoleur hypothétique que la SNCF couvrait ses coûts et ne pratiquait donc pas de prix d'éviction, puisque ses prix étaient largement supérieurs aux coûts de ses concurrents et couvraient ses propres coûts.
100. SNCF Mobilités en conclut que le test de coût est dénué de toute pertinence.
101. L' Autorité répond que, dans la décision attaquée, elle n'a jamais considéré que les prix de la SNCF couvraient ses coûts, mais seulement que ses coûts étaient supérieurs à ceux de ses concurrents. Elle précise que, dans son analyse du marché pertinent, elle ne s'est jamais référée aux prix effectivement pratiqués par la SNCF et qu'elle ne les a pas comparés avec les coûts supportés par elle au titre de l'activité de train massif.
102. Selon la société ECR, contrairement au postulat sur lequel repose le moyen de SNCF Mobilités, l'Autorité n'a pas constaté que la SNCF pratiquait des prix supérieurs à ceux de ses concurrents efficaces, mais s'est bornée à prendre note, au paragraphe 315 de la décision attaquée, que, " selon un rapport " saisi dans les locaux de la SNCF, " les nouveaux entrants ont un coût complet de 15 à 30 % inférieur à celui de Fret SNCF", sans d'ailleurs faire sienne cette affirmation. Elle rappelle par ailleurs que le test du monopoleur hypothétique prend en compte le prix que pratiquerait un opérateur hypothétique efficace, et non le prix observé sur le marché. Elle conclut donc au rejet du moyen.
103. Il convient d'emblée de rappeler que la définition du marché pertinent n'est plus critiquable, ainsi que le requérant l'a d'ailleurs reconnu. Par ailleurs, l'affirmation de la société ECR selon laquelle l'Autorité n'aurait pas constaté que les concurrents de la SNCF avaient des coûts inférieurs de 15 à 30 %, est une dénaturation de la décision attaquée, alors que ledit constat est le point de départ de la définition du marché pertinent.
104. Contrairement aux allégations de SNCF Mobilités, il n'existe aucune contradiction entre la méthode employée pour la définition du marché pertinent par l'Autorité, au travers du test du monopoleur hypothétique (décision attaquée, § 312 à 327), et le constat qu'elle a fait ensuite, à l'issue d'un test de coût, que les prix pratiqués par la SNCF ne lui permettaient pas de couvrir ses coûts.
105. En effet, pour ce qui concerne le marché pertinent, il s'agissait pour l'Autorité de déterminer si le transport de marchandises par train massif constitue un marché distinct de celui du transport de marchandises par route. Ayant constaté que les concurrents de la SNCF avaient des coûts inférieurs de 15 à 30 % aux siens, l'Autorité a bâti son test du monopoleur hypothétique sur un prix fictif concurrentiel fixé à un montant également inférieur de 15 à 30 % aux coûts de la SNCF, soit le prix que pratiquerait un opérateur efficace qui alignerait ses tarifs sur ses coûts. Ce choix était parfaitement fondé, SNCF Mobilités rappelant lui-même que le prix à prendre en compte est celui qui reflète les coûts efficaces du service (SNCF Mobilités, mémoire récapitulatif, § 120). Constatant qu'une augmentation des prix de cet opérateur efficace de 5 % à 10 % n'entraînerait qu'une faible perte de volumes et que la baisse de profit en résultant serait compensée par l'augmentation des recettes sur les clients fidèles au mode ferroviaire, l'Autorité a conclu que le transport de marchandises par train massif était bien un marché distinct du transport routier de marchandises.
106. Ce faisant, l'Autorité, qui ne s'est à aucun moment fondée sur les prix effectivement pratiqués par la SNCF, n'a nullement postulé que celle-ci couvrait ses coûts.
107. Hormis pour le seul train massif régulier ( décision attaquée, § 316), elle n'a pas davantage constaté qu'un concurrent qui pratiquerait des prix alignés sur les coûts de la SNCF resterait compétitif par rapport au transport routier. Elle a au contraire souligné qu'en cas d'augmentation de 5 à 10 % du prix fictif concurrentiel-prix inférieur de 15 à 30 % aux coûts ( et non aux prix) supportés par la SNCF-, 25 % des trafics de train massif irrégulier seraient redirigés vers la route, ce qui représenterait, pour l'ensemble de l'activité de train massif, une perte de 15 % du trafic pour les opérateurs de fret ferroviaire ( décision attaquée, § 320).
108. C'est encore à tort qu'il est reproché à l'Autorité d'avoir fondé le test du monopoleur hypothétique sur un prix fictif concurrentiel inférieur aux prix en vigueur, puisqu'elle a au contraire défini le monopoleur hypothétique comme étant l'opérateur aussi efficace en termes de coûts que les concurrents réels de la SNCF et alignant ses prix sur ses coûts.
109. Dès lors, il n'y a aucune contradiction entre le test du monopoleur hypothétique mis en œuvre par l'Autorité pour définir le marché pertinent et le constat auquel elle a abouti, à l'issue du test de coût, selon lequel la SNCF ne couvrait pas ses coûts.
110. Le moyen est rejeté.
Sur la contestation de la prise en compte des coûts non retraités de la SNCF dans le test de coût
111.SNCF Mobilités fait valoir que le test de coût prévu dans la communication du 24 février 2009 est pertinent lorsque l'opérateur en position dominante est confronté aux mêmes conditions de coûts que ses concurrents. C'est en effet dans cette hypothèse qu'il serait légitime de considérer qu'une tarification de l'opérateur dominant qui est inférieure à ses coûts ne permettrait pas à un opérateur concurrent aussi efficace que lui d'accéder à ce marché, de s'y développer ou de s'y maintenir.
112. Mais la situation serait toute différente lorsque les opérateurs concurrents aussi efficaces que l'opérateur dominant ont des coûts bien moindres que ceux de l'entreprise historique dominante et que celle-ci est dans l'incapacité de réduire son désavantage relatif de coûts à raison des obligations législatives et réglementaires qui pèsent sur elle seule.
113. Dans un tel cas, en effet, les concurrents ne pourraient risquer une éviction du marché que si l'entreprise dominante pratiquait des prix inférieurs, non pas à ses propres coûts, mais aux coûts supportés par ses concurrents.
114. Au surplus, SNCF Mobilités estime que l'Autorité n'a pas tenu compte des (sur)coûts spécifiques que la SNCF devait supporter en comparaison avec ses concurrents.
115. Selon l'Autorité, la jurisprudence européenne ainsi que sa propre pratique décisionnelle, ont énoncé à plusieurs reprises que les coûts à prendre en compte pour mettre en œuvre un test de coût, sont les coûts de l'opérateur dominant, peu important qu'il supporte des coûts spécifiques. Ce choix se justifie par le principe de sécurité juridique et permet d'assurer que l'opérateur dominant a en sa possession tous les éléments nécessaires pour apprécier la légalité de son comportement.
116. Il n'y aurait donc aucune raison d'établir le test de coût par rapport aux prix d'un opérateur efficace ni de retraiter les prix de la SNCF pour tenir compte des sujétions particulières auxquelles elle est soumise.
117. L' Autorité ajoute que, si la cour de renvoi devait suivre le raisonnement proposé par SNCF Mobilités, il conviendrait de tenir compte, non seulement des coûts plus importants qu'elle a dû supporter par rapport à ses concurrents, mais également des avantages issus de son ancien monopole historique (en termes d'économies d'échelle, de gamme, de sa présence nationale ... ) dont ne bénéficie pas la concurrence.
118. La société ECR conclut dans le même sens, ajoutant que la SNCF ne rapporte pas la preuve que ses concurrents supporteraient systématiquement des coûts de 15 à 30 % inférieurs aux siens.
119. La cour rappelle que l'article 102 du TFUE interdit, notamment, à une entreprise en position dominante de se livrer à des pratiques tarifaires produisant des effets d'éviction pour ses concurrents aussi efficaces, actuels ou potentiels (voir, en ce sens, CJUE, arrêts du 14 octobre 2010, Deutsche Telekom/Commission, C-280/08 P, point 177, et du 17 février 2011, Telia Sonera Sverige, C-52/09, point 39). Exploite, ainsi, de façon abusive sa position dominante une entreprise qui met en œuvre une politique de prix visant à écarter du marché des concurrents qui sont peut-être aussi efficaces que cette même entreprise, mais qui, en raison de leur capacité financière moindre, sont incapables de résister à la concurrence qui leur est faite (voir, en ce sens, arrêts précités Deutsche Telekorn/Commission, point 199, et Telia Sonera Sverige, point 40).
120. Dès lors que l'illicéité de la politique de prix appliquée par une entreprise dominante dépend de l'aptitude de cette politique à évincer un concurrent aussi efficace, il convient, en principe, de se référer à des critères de prix fondés sur les coûts encourus par l'entreprise dominante elle-même et sur la stratégie de celle-ci (voir, en ce sens, CJUE, arrêts AKZO/Commission, précité, point 74, et du 2 avril 2009, France Télécom/Commission, C-202/07, point 108).
121. Une telle approche est d'autant plus justifiée qu'elle est également conforme au principe général de sécurité juridique, dès lors que la prise en compte des coûts et des prix de l'entreprise dominante permet à celle-ci d'apprécier la légalité de ses propres comportements, conformément à la responsabilité particulière qui lui incombe au titre de l'article 102 TFUE. En effet, si une entreprise dominante connaît ses propres coûts et tarifs, elle ne connaît pas en principe ceux de ses concurrents (arrêt Deutsche Telekom/Commission, précité, point 202).
122. Cela étant précisé, et ainsi que la Cour de justice l'a expressément jugé, dans son arrêt Telia Sonera Sverige, précité (points 45 et 46), il ne peut pas être exclu que les coûts et les prix des concurrents puissent être pertinents dans l'examen d'une pratique tarifaire de l'entreprise en position dominante.
123. Si aucun des exemples donnés dans cet arrêt n'est transposable à la présente espèce, la cour considère que d'autres situations pourraient justifier de se référer non pas aux coûts de l'entreprise en position dominante, mais à ceux de ses concurrents.
124. Toutefois, nonobstant les particularités de la présente espèce, dans laquelle les coûts de l'entreprise en position dominante sont très supérieurs à ceux de ses concurrents actuels, c'est à juste titre que l'Autorité a, dans le test de coût qu'elle a mis en œuvre, comparé les prix pratiqués par la SNCF avec ses propres coûts, et non avec ceux de ses concurrents.
125. En effet, sur un marché sur lequel une entreprise, est en position dominante, a fortiori lorsque cette entreprise est un ancien monopole d'Etat et que le marché vient de s'ouvrir à la concurrence, le choix des clients peut être motivé par d'autres paramètres que le seul prix (notoriété de l'entreprise dominante, ancienneté de ses relations avec la clientèle, présence sur la totalité du territoire, gamme plus étendue de services offerts, etc.). L'analyse économique et l'expérience enseignent d'ailleurs qu'une entreprise en position dominante peut parvenir à conserver ses parts de marché tout en pratiquant des prix plus élevés que ses concurrents.
126. Par conséquent, il ne peut être exclu que des prix pratiqués par l'entreprise en position dominante, et qui ne lui permettent pas de couvrir ses coûts, produisent un effet d'éviction, alors même que de tels prix permettraient aux concurrents, plus efficaces en termes de coûts, de couvrir leurs propres coûts, si une telle politique de prix est de nature à priver en tout ou partie les concurrents du principal moyen dont ils disposent, à savoir la concurrence par les prix, pour pénétrer un marché tenu par une entreprise en position dominante.
127. L' Autorité n'a donc commis aucune erreur en comparant les prix de la SNCF avec ses coûts.
128. Par ailleurs, rien ne justifiait de retraiter les coûts de la SNCF afin d'écarter les surcoûts qu'elle supporte à raison des contraintes qui pèsent sur elle en sa qualité d'ancien opérateur historique.
129. Certes, la S CNF était, à l'époque des faits, dans 1' incapacité de faire totalement disparaître son désavantage relatif en termes de coûts à raison des obligations réglementaires pesant sur elle seule. La cour rappelle toutefois que, s'il est peut-être regrettable que cette ouverture n'ait pas été précédée d'une réforme de la SNCF renforçant son efficacité et, partant, sa capacité à répondre à la concurrence d'opérateurs ne supportant pas les mêmes contraintes, il n'en reste pas moins que, dès l'instant où elle est active sur un marché concurrentiel, la SNCF ne saurait chercher à compenser ledit désavantage par des pratiques anticoncurrentielles. Ainsi que la cour vient de le souligner, le test de coût doit permettre de définir si la politique de prix mise en œuvre par la SNCF est de nature à priver ses concurrents du principal moyen dont ils disposent pour pénétrer le marché, à savoir la concurrence par les prix, ce qu'un retraitement, qui aboutirait en pratique à effectuer le test en prenant en compte les coûts des concurrents de la SNCF, qui ne subissent pas ses contraintes, ne permettrait pas.
130. La cour ajoutera surabondamment qu'un tel retraitement obligerait à tenir également compte des avantages importants que tire la SNCF de sa qualité d'ancien opérateur historique, tels que ceux mentionnés au paragraphe 125 du présent arrêt.
Sur la contestation de la pertinence des données sur lesquelles est bâti le test de Coût
131. Pour le test de coût, l'Autorité s'est fondée sur un tableau communiqué par la SNCF (annexe 482 - cote 36755), dans lequel celle-ci a imputé, pour les besoins de sa propre gestion, les charges de support et de structure spécifiquement à l'activité de train massif et à celle de wagon isolé, selon une clé de répartition comptable qui vise à refléter l'usage réel des ressources communes par chacune de ces deux activités (décision attaquée, § 559 et 560).
132. Renvoyant au rapport réalisé par un cabinet d'expertise économique mandaté par lui et daté du 14novembre 2017 (annexe 5 de son mémoire, p. 8 à 10), SNCF Mobilités soutient que ce tableau ne pouvait servir de fondement à un test de coût. Selon le requérant, en effet, si la répartition des charges de production entre l'activité de train massif et celle de wagon isolé est fiable, s'agissant de coûts variables, tel ne serait pas le cas de la répartition des charges de support et de structure, qui correspondent à des coûts fixes. La SNCF les aurait affectées à 1' activité de train massif ou à celle de wagon isolé selon une clé dépendant fortement du chiffre d'affaires et qui ne refléterait donc pas la distinction entre coûts évitables et non évitables en cas d'abandon de l'activité de train massif.
133. L'Autorité répond qu'elle était fondée, conformément à la jurisprudence des juridictions de l'Union (TUE, arrêt du 20 mars 2012, Telef6nica et Telef6nica de Espania/Commission, T-336/07, point 244), à utiliser les données fournies par la SNCF au début de l'instruction, reproduites au paragraphe 559 de la décision attaquée, pour réaliser le test de coût, dès lors qu'elles constituaient les seuls éléments de coûts fiables et exhaustifs permettant d'identifier, au sein des coûts communs, les coûts imputables à chacune des deux activités.
134. La société ECR fait valoir que la contestation par SNCF Mobilités de la répartition des coûts fixes communs (charges de support et de structure) résultant des propres données de la SNCF n'est pas recevable, alors que cette dernière a elle-même précisé que lesdits chiffres " sont issus d'une comptabilité analytique (c'est-à-dire par destination des charges) " (annexe 482 - cote 36755).
135. Il ressort du dossier que le tableau reproduit au paragraphe 559 de la décision attaquée à été communiqué par la SNCF au stade de l'enquête pour satisfaire à une demande des services d'instruction ainsi formulée : " Veuillez chiffrer annuellement depuis 2005 la répartition des pertes de Fret SNCF entre le train massif et le wagon isolé avec au sein de ces deux catégories de trafics une ventilation des pertes par postes de coûts " (Annexe 482 - cote 36755). SNCF Mobilités fait donc justement valoir que la répartition des charges de support et de structure entre les activités de train massif et de wagon isolé, figurant dans ce tableau, ne répondait pas à une demande d'information au sujet des coûts évitables en cas d'abandon de l'activité de train massif.
136. Toutefois, si la SNCF a fourni des estimations des coûts évitables, lors de l'instruction, en séance, puis dans une note en délibéré, ces estimations doivent être jugées non fiables pour les raisons exposées par l'Autorité aux paragraphes 576 à 580 de la décision attaquée, que la cour fait expressément siennes.
137. Or, à défaut de données fiables permettant de calculer le CMMLT, l'Autorité était en droit de se fonder, comme elle l'a fait, sur l'imputation des coûts à l'activité de train massif par la SNCF elle-même, quand bien même cette imputation n'avait pas été faite dans la perspective du calcul du CMMLT. En effet le fait que l'entreprise poursuivie, qui est seule à même de pouvoir fournir les données en la matière refuse de, ou ne parvient pas à, fournir des données fiables permettant d'évaluer le CMMLT, ne saurait faire échec au contrôle exercé par 1' autorité de concurrence.
138. La cour constate que tel est d'ailleurs le sens de la jurisprudence des juridictions de l'Union, statuant sur les recours contre les décisions que prend la Commission, en tant qu'autorité européenne de concurrence.
139. Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Telefônica et Telefônica de Espafia/Commission, précité, la société Telefônica avait fourni une estimation des CMILT (ou CMMLT) de commercialisation de son activité de détail ADSL, aux fins de l'application d'un test de ciseau tarifaire. Toutefois, jugeant que cette estimation sous-évaluait les CMILT, la Commission avait retenu la partie des coûts que la société Telefônica imputait elle-même à l'activité de détail ADSL, considérant qu'elle correspondait à une approximation raisonnable des CMIL T de commercialisation.
140. Cette approche a été approuvée par le Tribunal de l'Union européenne en ces termes : " Dès lors qu'il n'existait pas d'estimation fiable de l'affectation effective de l'équipe commerciale de Telef6nica à la commercialisation de produits de détail à haut débit, en termes de somme totale allouée à ladite commercialisation par rapport au temps consacré par l'équipe commerciale à ceux-ci (considérants 472 et 473 de la décision attaquée), la Commission n'a pas excédé sa marge d'appréciation en considérant comme une approximation raisonnable des CMILT de commercialisation la partie des coûts que Telefonica imputait elle-même à l'activité de détail ADSL [confidentiel] dans sa comptabilité de 2005.11 convient en effet de relever à cet égard que la règle d'assignation utilisée par Telef6nicajusqu 'en 2004 avait été considérée comme inadéquate par la CMT, car elle ne se basait pas sur l'assignation du coût total de commercialisation au prorata du temps consacré par le personnel commercial aux produits de détail de la large bande. " (point 244 ).
141. Il y a lieu de rappeler que le pourvoi formé contre cet arrêt a été rejeté par arrêt de la Cour de justice du 10 juillet 2014, Telefônica et Telefônica de Espania/Commission (C-295/12 P).
142. Le moyen pris du caractère non pertinent des données exploitées par l'Autorité aux fins du test de coût doit donc être rejeté.
143. Dès lors, doit être approuvé le constat, effectué par l'Autorité au paragraphe 560 de la décision attaquée, que les prix pratiqués par la SNCF étaient inférieurs au CMMLT au cours de la période 2007-2009.
144. À titre surabondant, la cour constate que SNCF Mobilités ne conteste pas l'exactitude du montant des charges de support et de structure (coûts fixes), toutes activités confondues. Aux termes du tableau reproduit au paragraphe 5 59 de la décision attaquée, ces charges ont représenté 1 206,21 millions d'euros (404,42 M en 2007, 418,62 M en 2008 et 383,17 M en 2009) sur la période 2007-2009.
145. Plus bas sont les coûts évitables, plus il est vraisemblable que les prix pratiqués soient supérieurs au CMMLT, et donc en " zone blanche". En l'espèce, pour que les recettes résultant de l'activité de train massif sur la période 2007-2009, d'un montant de 2 887,99 millions d'euros (975,04 M en 2007, 996,62 Men2008 et 916,33 M en2009), soient supérieures aux coûts évitables générés par cette activité au cours de la même période ( " zone blanche "), il faudrait que soient évitables, en cas d'abandon de ladite activité, outre les charges de production y afférentes (-834,17 M en 2007, -908,51 M en 2008 et -891,35 M en 2009, soit un montant total de -2 634,03 M), au maximum 21,05 % de l'ensemble des charges de support et de structure, toutes activités confondues. 146.Or, eu égard à l'importance respective des activités de train massif (65 à 71 % des volumes d'activité fret) et de wagon isolé (29 % à 35 % des mêmes volumes) entre 2007 et 2009 ( décision attaquée, § 554), et sans méconnaître que les services de wagon isolé présentent des coûts plus élevés que les services de train massif ( décision attaquée, § 308), la cour juge impossible que l'abandon total de l'activité de train massif se traduise, même en cas de maintien des volumes d'activité de wagon isolé, par une réduction inférieure à 21,05 %, des charges de support et de structure. 147.Dès lors, la cour est en mesure de constater par elle-même que les prix pratiqués par la SNCF entre 2007 et 2009 étaient inférieurs au CMMLT.
Sur la contestation de la confusion des seuils dans le test de coût
148. SNCF Mobilités reproche à l'Autorité d'avoir confondu les deux seuils, CEM et CMMLT, et ainsi supprimé la " zone grise ", afin de ne pas avoir à démontrer l'existence d'une stratégie d'éviction.
149. Le test de coût retenu par l'Autorité serait inédit et non-conforme à la jurisprudence européenne et nationale.
150. L' Autorité expose que le test de coût retenu pour fonder la décision attaquée, est une application d'une méthode de calcul issue de la jurisprudence européenne (arrêt AKZO/Commission, précité, et arrêts suivants). En effet, elle a, dans la décision attaquée, retenu un horizon temporel de trois ans justifié par la durée moyenne de trois ans des contrats conclus sur le marché du fret ferroviaire par train massif). Cet horizon temporel conjugué au périmètre d'analyse, a conduit à ce que les seuils de coûts (CEM et CMMLT) soient confondus en l'espèce.
151. La société ECR fait valoir que la confusion des seuils - CEM et CMMLT- n'est pas inédite. Elle récuse les critiques de SNCF Mobilités quant aux paramètres pris en compte pour la réalisation du test, qu'elle juge pertinents au regard des circonstances de l'espèce, et souligne à son tour que la confusion des seuils résulte notamment du fait que l'Autorité a été légitimement conduite à retenir, pour le calcul de l'un et l'autre seuil, un horizon temporel identique, à moyen terme.
152. L' Autorité revendiquant avoir fait une application exacte du test de coût, tel que défini dans la communication du 24 février 2009, il convient de vérifier si, comme le prétend le requérant, le test mis en œuvre méconnaît cette communication.
153. Aux paragraphes 86 à 90 du présent arrêt, la cour a exposé les différences entre le mode de calcul du CEM et celui du CMMLT. Ces différences traduisent une différence de finalité de ces deux paramètres. Le CEM est la moyenne des coûts qui auraient pu être évités si l'entreprise n'avait pas produit une série d'unités supplémentaires au cours de la période correspondant aux pratiques. La référence explicite à " une unité supplémentaire " à" une série d'unités supplémentaires " dans d'autres versions linguistiques de la communication du 24 février 2009 - démontre, sans équivoque, que le CEM n'a pas vocation à déterminer la moyenne des coûts qui pourraient être évités en cas d'abandon total de l'activité examinée. Cette fonction est dévolue au CMML T, défini comme la moyenne de tous les coûts, variables et fixes, qu'une entreprise supporte pour fabriquer un produit déterminé.
154. En considérant, au paragraphe 533 de la décision attaquée, que le calcul du CEM intègre l'ensemble des coûts, variables et fixes, imputables à l'activité de train massif de la SNCF que celle-ci éviterait en cas d'abandon de l'activité de train massif, et, au paragraphe 534, que le CEM, comme le CMMLT, englobe" l'ensemble des postes de coûts, directs ou communs à d'autres activités, qui sont imputables à l'activité de train massif et qui pourraient être évités à long terme si elle était abandonnée ", 1' Autorité a dénaturé la notion de CEM et entaché d'erreur le test de coût qu'elle a mis en œuvre. Sous couvert d'une prétendue confusion du CEM et du CMML T, elle a en réalité renoncé à vérifier si les prix pratiqués par la SNCF étaient inférieurs au CEM, se bornant à les comparer au CMMLT, avec pour conséquence que les prix inférieurs au CMMLT ont été présumés être des prix d'éviction, alors que cette présomption ne s'applique qu'aux prix inférieurs au CEM.
155. À cet égard, force est de constater que la motivation figurant aux paragraphes 533 à 535 de la décision attaquée est impuissante à justifier le constat opéré par l'Autorité d'une confusion entre les CEM et le CMMLT. En effet, même sans remettre en cause le choix qui a été celui de l'Autorité, de retenir le même horizon temporel pour le calcul du CEM et du CMMLT, cela n'empêche pas que les calculs de l'un et l'autre intègrent des éléments de coût différents : la totalité des charges de production ( coûts variables) et des charges de support et de structure ( coûts fixes) rattachées à l'activité de train massif, pour le calcul du CMMLT, seulement une fraction de ces mêmes charges, dans une proportion à déterminer et d'ailleurs différente selon la nature des coûts, fixes ou variables, pour le calcul du CEM. 156. C'est également en vain que l'Autorité se prévaut de la décision Deutsche Post. Il est exact que, dans cette décision, la Commission a qualifié d'abus de position dominante, en application du test AKZO, la pratique de prix bas de la société Deutsche Post en se fondant sur le seul fait que l'entreprise dominante ne couvrait pas ses coûts incrémentaux liés à l'activité concurrentielle de transport de colis pour la vente par correspondance de façon récurrente sur une période de six années consécutives, et ce sans même établir l'existence d'un plan global de l'opérateur historique visant à évincer les concurrents. Toutefois, elle avait d'abord constaté qu'aucun coût fixe n'était rattachable à cette activité concurrentielle de la société Deutsche Post, compte tenu de l'obligation pesant sur elle de maintenir un service universel de transport de colis, de sorte que la confusion des deux seuils opérée par la Commission provenait de ce que l'un et l'autre étaient exclusivement constitués de coûts variables.
157. Rien de tel dans la présente espèce, où nul ne conteste que l'activité de transport par train massif de la SNCF génère à la fois des coûts variables et des coûts fixes, de sorte qu'aucune confusion n'est possible, pour les raisons déjà exposées, entre le CEM et le CMMLT. 158.Dès lors que le test de coût effectué par l'Autorité ne permet pas de répondre à la question de savoir si les prix pratiqués par la SNCF au cours de la période 2007-2009 étaient inférieurs (" zone noire ") ou supérieure (" zone grise ") au CEM, il appartient en principe à la cour de procéder elle-même à un test de coût.
159. Mais, d'une part, en l'état, le dossier ne contient pas les données suffisantes permettant à la cour de le faire. D'autre part et surtout, la cour juge inutile de renvoyer le dossier à l'Autorité pour que celle-ci procède à un nouveau test de coût, ainsi que l'a envisagé l'arrêt de cassation du 22 novembre 2016. En effet, ainsi que la cour le constate dans les développements qui suivent, il est établi que la SNCF a poursuivi une stratégie délibérée d'éviction de ses concurrents nouveaux entrants sur le marché du transport de marchandises par train massif, ce dont il résulte que, même à supposer que les prix pratiqués étaient supérieurs au CEM, elle a bien mis en œuvre une pratique d'abus de position dominante et enfreint les articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE.
Sur la contestation de l 'existence d'une stratégie d'éviction
160. D'une part, SNCF Mobilités conteste que la SNCF ait suivi une stratégie d'éviction de ses concurrents sur le marché du train massif.
161. Selon le requérant, les pertes de son activité de transport de marchandises s'expliquent par des circonstances sans aucun rapport avec une éventuelle stratégie d'éviction et aucun des documents retenus dans la décision attaquée ne ferait preuve d'une telle stratégie délibérée.
162. D'autre part, SNCF Mobilités expose que la SNCF n'a poursuivi aucune stratégie délibérée d'éviction, mais a mis en œuvre des pratiques purement défensives afin de résister à l'agressivité commerciale de ses concurrents. Il fait valoir que lorsqu'un opérateur, même dominant, se limite à défendre ses positions commerciales en proposant des prix se situant dans la moyenne de ceux de ses concurrents, son comportement ne permet pas de retenir une pratique d'éviction ou de prédation.
163. Selon lui, sans consacrer un droit absolu en la matière, la jurisprudence européenne admet une pratique d'alignement des prix, même de la part d'un opérateur dominant, lorsqu'elle n'est mise en œuvre que pour préserver ses intérêts commerciaux et non dans le but de renforcer sa position et d'en abuser.
164. Tel serait le cas en l'espèce, la SNCF n'ayant fait que s'aligner sur les propositions tarifaires de ses concurrents pour défendre sur certains trafics ses positions commerciales.
165. SNCF Mobilités reproche donc à l'Autorité d'avoir confondu les notions de prix d'éviction et d'alignement des prix.
166. L' Autorité répond, d'une part, qu'elle ne reproche pas à la SNCF d'avoir pratiqué des prix inférieurs à ses coûts totaux moyens et supérieurs à ses coûts variables, c'est-à-dire des prix situés dans la" zone grise ", ce qui aurait en effet exigé la démonstration d'une stratégie d'éviction, en application de la jurisprudence AKZO.
167. Elle lui reproche d'avoir pratiqué des prix inférieurs à ses coûts évitables moyens (c'est-à-dire en " zone noire "), de sorte qu'il serait inutile de démontrer la stratégie d'éviction. 168.Surabondamment, l'Autorité affirme qu'il y a bien eu, en l'espèce, une stratégie délibérée d'éviction de la concurrence, ce qu'elle a démontré aux paragraphes 563 à 565 de la décision attaquée.
169. La société ECR soutient également que les pratiques de la SNCF s'inscrivent bien dans le cadre d'une stratégie d'éviction, ainsi que le démontreraient l'ensemble des documents analysés dans la décision attaquée.
170. En premier lieu, il résulte de la jurisprudence des juridictions de l'Union que des prix supérieurs à la moyenne des coûts variables mais inférieurs à la moyenne des coûts totaux ne sont abusifs que lorsqu'ils sont fixés dans le cadre d'un plan ayant pour but d'éliminer la concurrence (TUE, arrêt du 30 janvier 2007, France Télécom/Commission, T-340/03, point 187, confirmé par CJUE, arrêt France Télécom/Commission, précité).
171. La charge de la preuve que l'opérateur en position dominante poursuit un plan d'éviction de la concurrence pèse sur l'autorité de concurrence, laquelle doit établir cette intention d'élimination sur la base d'indices sérieux et concordants (TUE, arrêt France Télécom/Commission, précité, point 197).
172. C'est donc à l'Autorité de rapporter la preuve que la SNCF a mis en œuvre, entre 2007 et 2009, une politique d'éviction de la concurrence dans le secteur du train massif.
173. En deuxième lieu, il y a lieu de souligner que, comme l'Autorité l'a relevé au paragraphe 521 de la décision attaquée, " les pertes subies par la SNCF sont durables, et même antérieures à l'ouverture du marché à la concurrence ". Ainsi, ce n'est pas à la suite de l'ouverture du marché du fret ferroviaire à la concurrence que la SNCF a commencé à fixer des prix ne lui permettant pas de couvrir la totalité de ses coûts.
174. Dans ces conditions, la preuve qu'entre 2007 et 2009, la SNCF a conclu des contrats non rentables ne suffit pas à établir la réalité d'une stratégie d'éviction, dès lors qu'elle s'est efforcée d'améliorer sa marge par rapport à la période antérieure à l'ouverture du marché à la concurrence ou, à tout le moins, de ne pas la dégrader. Caractérise en revanche une stratégie d'éviction le fait de gagner un contrat à n'importe quel prix, sans avoir égard à l'importance des pertes qu'il génère. En effet, aucune rationalité économique ne peut être trouvée à une telle politique de prix, dont l'unique finalité envisageable est l'éviction d'un concurrent de tel ou tel trafic.
175. En troisième lieu, il n'est pas nécessaire, pour établir une stratégie d'éviction, de rapporter la preuve qu'elle s'est appliquée à tous les contrats où la SNCF a été mise en concurrence, ni même à la majorité d'entre eux. En effet, d'une part, ainsi que l'indique elle-même la SNCF, certains contrats sont stratégiques. Or, s'ils le sont pour la SNCF, ils le sont a fortiori pour le développement de ses concurrents sur le marché du fret ferroviaire, de sorte qu'une stratégie de prix exagérément bas qui se concentrerait sur ces contrats stratégiques suffirait à entraver l'expansion des concurrents. A cet égard, c'est à juste titre que la société ECR fait valoir qu'empêcher les nouveaux entrants de remporter ces contrats, par hypothèse les plus importants, revient à les priver du bénéfice d'économies d'échelle et de possibilités de mutualisation des coûts.
176. D'autre part, il résulte de la jurisprudence des juridictions de l'Union que " la détermination d'un seuil précis de verrouillage du marché au-delà duquel les pratiques en cause doivent être considérées comme abusives n '[est] pas nécessaire aux fins de l'application de l'article 102 [du] TFUE " (CJUE, arrêt du 19 avril 2012, Tomra Systems e.a./Commission, C-549/10 P, point 46). Plus généralement, la Cour de justice a jugé que la fixation d'un seuil de sensibilité (de minimis) en vue de déterminer une exploitation abusive d'une position dominante ne se justifie pas, car cette pratique anticoncurrentielle est, de par sa nature même, susceptible de provoquer des restrictions de concurrence non négligeables, voire d'éliminer la concurrence sur le marché sur lequel opère l'entreprise concernée (CJUE, arrêt du 6 octobre 2015, Post Danmark, C-23/14, point 73).
177. C'est à la lumière des considérations qui précèdent que la cour examinera ci-après, si la preuve est rapportée que la SNCF a mis en œuvre, entre 2007 et 2009, une politique d'éviction de la concurrence dans le secteur du train massif.
178. Aux paragraphes 563 à 565 de la décision attaquée, l'Autorité a conclu à l'existence d'une telle politique, en renvoyant à l'analyse de diverses pièces effectuée aux paragraphes 199 à 207 de la décision attaquée.
179. Au paragraphe 201 de la décision attaquée, l'Autorité a considéré, sur la base d'un courrier électronique du 15 décembre 2006 de l'ancien directeur commercial de Fret SNCF (annexe 442 - cote 38749), que la SNCF a délibérément, pour certains trafics et clients donnés, décidé de pratiquer des prix qui étaient déconnectés de ses coûts de revient afin de conserver ces trafics sans considération de rentabilité.
180. Ce courrier électronique, adressé à M. Olivier M., alors directeur général délégué de la SNCF (annexe 442 - cote 38747) en charge de la branche Fret (" Dir FRET"), et dont l'objet est" Ventes à perte ... ", est ainsi formulé :
" Olivier Je reviens sur la question des contrats tri annuels qui seraient malgré tout en perte, (cf notre discussion d'hier)) Je crois nécessaire de préciser quelques éléments de contexte sur la méthode quant à ce délicat et complexe sujet :
Dans 3 cas et pour des raisons défensives, nous avons vendu aux prix du marché sans considération de rentabilité pour empêcher l'implantation hégémonique de nos concurrents (Basaltes sur Vautre neuille, Ineos sur Fos Italie, et eurorail sur epinal Espagne). Validation CDF
Dans les autres cas :
1 °) soit nous avons retravaillé les organisations de manière à réduire les coûts, souvent dans la vente de solutions garantissant une meilleure utilisation des moyens. Lorsque nous avons été amené[s] à baisser les prix, nous l'avons fait dans une moindre mesure que les améliorations de coûts. Nous avons donc amélioré la marge
2°) soit nous n'avons pas pu retravailler les organisations[,] car le service était produit dans le lotissement ; l'amélioration de la marge est venue d'une croissance des prix. (Ex STVA,) parfois de facturations complémentaires (dessertes dans le cas Eurorail) Comme évoqué je n'étais pas toujours en mesure de vérifier que la rentabilité nette était positive du fait de nos difficultés intrinsèque[s] à affecter des coûts globaux à des trains (affectation des charges au prorata temporis ou dans leur intégralité quelque que soit leur taux d'utilisation complémentaire.) Quel[les ]que soi[en]t ces difficultés d'affectation de coût, nous avons toujours veillé à ne pas vendre en deçà des coûts directs. En résumé et sauf raison stratégique, nous avons toujours amélioré la marge sans pour autant pouvoir garantir qu'elle était positive. Cette action est inscrite dans notre volonté de limiter AU MAXIMUM la pénétration des nouveaux entrants. "
181. Il convient de souligner que, le 2 janvier 2007, M. Olivier M. a transmis ce courrier électronique à M. Claude S., sans doute également membre de la direction de Fret SNCF (" FR/DIR "), avec pour seul commentaire : " Pour info " (annexe 442 - cote 38 749), ce qui suffit à établir qu'il en approuvait le contenu.
182. Le courrier électronique du 15 décembre 2006 ne peut être interprété autrement que comme l'énoncé d'une stratégie de Fret SNCF. Il en découle que, pour certains contrats jugés stratégiques, " en vue de limiter AU MAXIMUM la pénétration des nouveaux entrants ", la SNCF a contracté " sans considération de rentabilité ". Dans nn contexte où même les contrats pour lesquels la rentabilité a été prise en compte peuvent s'avérer déficitaires, la conclusion de contrats " sans considération de rentabilité " signifie, sans équivoque possible, que le seul objectif poursuivi était bien l'éviction de la concurrence à n'importe quel prix.
183. C'est en vain qu'il serait allégué, que l'ensemble des contrats litigieux visés dans le courrier électronique du 15 décembre 2006, y compris les trois contrats conclus sans condition de rentabilité, ont nécessairement été passés avant la période 2007-2009 concernée par la pratique objet du grief n° 10 (décision attaquée, § 593). En effet, l'énoncé de cette stratégie est postérieur à l'ouverture du marché du fret ferroviaire à la concurrence et ladite stratégie vise précisément à en limiter les conséquences pour la SNCF. Dans ces conditions, rien ne permet de penser qu'il y a été mis fin le 31 décembre 2006, ce que démontre, là encore, le courrier électronique du 2 janvier 2007.
184. Il est également indifférent, pour les raisons exposées aux paragraphes 175 et 176 du présent arrêt, que trois contrats seulement aient été concernés (au demeurant le nombre total des contrats passés depuis l'ouverture à la concurrence est inconnu). Il convient en outre de souligner qu'à la fin 2006, le marché n'était ouvert à la concurrence que depuis neuf mois, de sorte que les nouveaux entrants n'avaient encore pu concurrencer la SNCF que sur une faible part des contrats nouveaux ou renouvelés [ au 1" décembre 2006, seulement 14 % des volumes transportés par Fret faisaient l'objet d'appels d'offres ou étaient mis en concurrence (annexe 296 - cote 36938)].
185. D'autres éléments de preuve permettent à la cour de constater que la politique ci-dessus énoncée s'est effectivement poursuivie.
186. Au paragraphe 202 de la décision attaquée, l'Autorité a relevé qu'il ressort d'un document de chiffrage financier, adressé par un courrier électronique du 21 décembre 2007 au directeur de Fret SNCF (annexe 443 -cotes 38799 à 38804), que certains trafics parmi les plus importants engendraient d'importantes pertes dont la SNCF avait spécifiquement connaissance : " Notre étude s'est limitée aux contrats pluriannuels dont le chiffre d'affaires cumulé est supérieur à 6,5 M, représentant 90 % du chiffre d'affaires de l'ensemble des contrats pluriannuels. Au vu de cette première étude 3 contrats sont déficitaires : Lafarge Granulats pour-0, 1 M ; 01 / BSN pour -2,3 M (contrat stratégique d'après le PA à conserver malgré les coûts de production élevés); Total pour -0,6 M".
187. Si la majorité de la quarantaine de contrats visés dans le document de chiffrage financier ont été conclus avant 2007, puisque le début de leur validité est le 1 "janvier 2007, tel n'est pas le cas du contrat " 01 / BSN ", dont la validité (dates de début et de fin de contrat) s'étend du lerjanvier2008 au31 décembre2010 (annexe443-cote38803). Concernant ce contrat, et contrairement à ce que soutient SNCF Mobilités, le document de chiffrage financier ne peut être analysé comme une simple simulation de rentabilité ex post ; il ne peut en effet être sérieusement soutenu que, à peine quelques semaines ou quelques mois après les négociations commerciales ayant permis de remporter ce contrat, la SNCF aurait découvert l'étendue des pertes qu'il générerait.
188. Il résulte du document de chiffrage financier que la perte résultant du contrat " 01 / BSN >> s'établit au chiffre extrêmement élevé de 2,3 millions d'euros. Au surplus, le chiffrage de la marge générée par ledit contrat a été fait " hors frais de structure " (annexe 443 - cote 38800), dont la prise en compte n'aurait pu qu'alourdir encore le déficit. L'auteur du courrier électronique indique que ce contrat est " à conserver, malgré les coûts de production élevé ". Ce document confirme donc que, pour les contrats jugés stratégiques, la SNCF entendait les conserver ou les remporter, quelle que soit l'importance des pertes supportées, en d'autres termes " sans considération de rentabilité".
189. Aux paragraphes 203 à 205 de la décision attaquée, l'Autorité a constaté que, pour former ses prix pour certains appels d'offres, la SNCF avait utilisé des estimations de coûts qui étaient erronées et manifestement sous-évaluées, alors même que la hiérarchie de la branche Fret avait été alertée sur ces erreurs, relevant que ces sous-estimations " concernaient principalement les possibilités de mutualisation de certains trafics avec d'autres, qui sont souvent théoriques ou très hypothétiques, ainsi que l'exclusion de certains coûts que la SNCF doit nécessairement supporter comme les jours 'd'improductivité' du matériel roulant". Elle a fondé ce constat, d'une part, sur divers courriers électroniques envoyés par des analystes " coûts " de la SNCF en charge de la financiarisation des flux, rapportant les éléments sous-estimés et erronés selon eux, d'autre part, sur les échanges au sein de la SNCF, entre Fret SNCF et la filiale VFLI, à propos d'un client (flux de sable pour le contrat " 01 - BSN Sable Puy-Guillaume ") pour lequel toutes deux se positionnaient en concurrence l'une par rapport à l'autre.
190. S'agissant des éléments de preuve analysés au paragraphe 205 de la décision attaquée, l'Autorité a visé un certain nombre de pièces censées être relatives au contrat " OI - BSN Sable Puy-Guillaume ". Il est exact que, ainsi que le fait valoir SNCF Mobilités, une partie seulement de ces pièces concerne ce contrat, tandis qu'une autre partie a trait au contrat " AO Condat Le LArdin ". Mais l'erreur commise par l'Autorité est sans portée, car il est constant que Fret SNCF et la société VFLI ont été en relation pour l'attribution de ces deux contrats (en négociations en vue de confier la sous-traitance de l'un à la société VLFI ; en relation de concurrence pour l'autre), ce qui a donné lieu à des échanges entre salariés de l'un et de l'autre, ainsi qu'au sein de la société VFLI.
191. En ce qui concerne le contrat " AO Condat Le LArdin ", il fait l'objet de l'échange de courriers électroniques du 4 juillet 2008 entre un salarié de Fret SNCF et un salarié de VFLI (annexe 444-cotes 39036 et 39037), de l'échange de courriers électroniques du 24 juillet 2008 entre deux salariés de la société VFLI (annexe 451 - cotes 39442 à 39444), des échanges de courriers électroniques du 19 octobre 2008 à la fois entre un salarié de Fret SNCF et un salarié de VFLI, puis entre ce dernier et d'autres salariés de VFLI (annexe 450 - cotes 39435 et 39436), et enfin, du courrier électronique du 18 novembre 2008 adressé par la directrice commerciale de la société VFLI à ses équipes (annexe 91 - cote 19395). S'il est vrai que l'essentiel des commentaires quant à la sous-évaluation de l'offre de Fret SNCF, finalement retenue par le client, émane des salariés de la société VFLI, leur exactitude se trouve confirmée par le commentaire émanant du salarié de Fret SNCF transmettant à son homologue de VFLI l'offre de Fret SNCF:" Je suis personnellement dégoûté " ( cote 39436). Malgré le caractère elliptique de ce commentaire, son interprétation ne fait aucun doute : son auteur, dont on ne peut douter qu'il soit au fait des éléments techniques et de coûts sur la base desquels Fret SNCF a établi son offre, conteste la pertinence de cette offre.
192. La cour estime donc établi que Fret SNCF a remporté le contrat " AO Condat Le LArdin " sur la base d'une offre bâtie sur une sous-estimation des coûts dont l'entreprise était consciente, aboutissant à un prix ne couvrant pas les coûts.
193. Même si aucun élément du dossier ne permet de déterminer quelle a été la perte générée par ce contrat, l'exemple qu'il représente est topique de la volonté de la SNCF de gagner à tout prix certains contrats. En effet, la SNCF était en concurrence uniquement avec sa filiale VFLI. Le fait de remporter ledit contrat en proposant des prix ne couvrant pas ses coûts, alors que l'offre de la société VFLI aurait au contraire permis à celle-ci de dégager une marge positive, allait à l'encontre des intérêts du groupe SNCF. Ainsi que l'écrit la directrice commerciale de la société VFLI :
" Fret a baissé ses prix sur la pâte jusqu'à 14,39 /tonne sur 150 KT (là où nous proposions un prix de 14, 95 mais pour 180 KT et marge 8%). Et mon sentiment est que de toute façon Fret était prêt à baisser et baisser encore pour garder le dossier.
[...] Fret a été obligé de se retrancher derrière le prix ! C'était son seul argument face à nous pour arracher le marché. Et le seul capable de faire le poids dans ce combat inégal. N'oublions pas que nous avons a priori vite écarté VCF du dossier. [...] On est à l'inverse complet de l'offre groupe => en positionnant Fret à ce prix là, c'est la marge du groupe qui est inexorablement tirée vers le bas ! ! ! ! ! ! ".
194. En ce qui concerne le contrat " OI-BSN Sable Puy-Guillaume ", celui-ci a fait l'objet d'un échange de courriers électroniques le 18 avril 2008 entre salariés de la société VFLI (annexe 450- cotes 39427 et 39428; annexe 451 - cote 39440). Les divers intervenants expriment tous, d'une façon ou d'une autre, la conviction que Fret SNCF propose "généralement" des prix qui ne couvrent pas les coûts et présument que, s'agissant du contrat enjeu, le budget fret calculé par Fret SNCF" est certainement très largement sous estimé ". Certes, il ne s'agit pas, à l'époque de ces échanges, de conclusions fondées sur une analyse approfondie des caractéristiques dudit contrat. Mais il n'en reste pas moins que les salariés de la société VFLI, qui n'était pas, au sujet de ce contrat, en concurrence avec la SNCF, mais négociait avec elle un contrat de sous-traitance, considèrent tous comme une évidence que les estimations de coûts de la SNCF sur lesquelles celle-ci établit ses offres commerciales, ne sont pas fiables. Or il convient de rappeler que la société VFLI est une filiale de la SNCF, et que ses salariés ont des contacts personnels avec ceux de Fret SNCF, ainsi que le démontre 1' analyse des pièces relatives au contrat " AO Condat Le LArdin ".
195. S'agissant des éléments de preuve analysés au paragraphe 204 de la décision attaquée, figure, parmi les courriers électroniques émanant des analystes " coûts " de la SNCF, un message du 29 juin 2007 (annexe 445 -cotes 39109 et 39110) qui dresse l'agenda d'une réunion de travail interne sur une quinzaine de sujets divers. Sur l'un d'entre eux, l'auteur du message écrit :
" Joute sur le calcul des coûts de desserte terminale ==) JP Cariât Mise enjeu d'Olivier METGE (vu JPC sur un RV) Problème du mensonge du coût de desserte dans Norma / Arpège à multiplier/ 0,5 dans Normal 1,4*2 dans Arpège/ de 2 à 3 dans CAZF Commercialisation ? Impact du mensonge Norma Se voir à 3 avec Metge (oser le faire sortir de l'ombre ? Tabou ?)"
196. La société ECR a indiqué, sans être démentie, que " Norma " est le nom d'un outil de cotation des coûts utilisé par la SNCF, ce que la teneur du message qui précède confirme.
197. Il découle de ce courrier électronique que les équipes de la SNCF avaient à leur disposition un outil de cotation minorant les coûts réels. L'auteur du message emploie, à deux reprises, le terme de" mensonge " quant aux coûts de desserte calculés avec" Norma ", soulignant que d'autre outils (Arpège, CAZF) aboutissaient à des évaluations très supérieures.
198. La réalité de ce constat se trouve confortée par d'autres pièces.
199. Dans le courrier électronique du 10 juillet 2008 (annexe 444-cote 38858), il est indiqué qu'un autre outil de valorisation utilisé à l'époque au sein de Fret SNCF ("Booster") donne des coûts moins élevés. Même si l'analyste " coûts " auteur de ce courrier électronique retient finalement une valorisation supérieure à celle que donnerait " Booster ", il n'en reste pas moins que cette pièce confirme le constat qu'étaient à la disposition des salariés de la SNCF des outils aboutissant à une sous-évaluation des coûts.
200. De même, l'auteur du courrier électronique du 4 février 2008 (annexe 444- cote 39029) dénonce le fait que des contrôleurs de gestion utilisent, pour valoriser les coûts, une grille (" Book 1er semestre 2007 ") différente de celles mises en œuvre par les analystes " coûts ", et aboutissant à une minoration des coûts.
201. En outre, les échanges de courriers électroniques du 8 novembre 2007 (annexe 445-cotes 39140 et 39141), et l'échange de courriers électroniques du 8 février 2008 (annexe 444- cotes 38999, 39000 et 39008) démontrent à quel point, de l'aveu même des analystes " coûts " l'estimation des coûts était approximative.
202. La direction de Fret SNCF ne pouvait ignorer ce qui, à l'évidence, à la lecture de ces courriers, était de notoriété publique dans l'entreprise.
203. Dans une activité de services où une exacte évaluation des coûts est indispensable pour permettre à une entreprise de fixer le prix qui lui permettra de dégager une marge, et l'est d'autant plus que le marché concerné vient d'être ouvert à la concurrence, l'utilisation d'outils de cotation des coûts conduisant à une évaluation notoirement sous-estimée caractérise un comportement délibéré de la part de cette entreprise.
204. Même si les pièces analysées par l'Autorité aux paragraphes 206 et 207 ne permettent pas, en revanche, d'établir le constat de la mise en place d'une stratégie d'éviction par les prix sur les contrats les plus importants, la cour considère que l' Autorité a démontré, sur la base d'indices sérieux et concordants, l'existence d'un plan d'élimination, non certes pas de toute concurrence sur le marché du train massif, objectif que tous s'accordent à juger irréaliste et que la SNCF ne pouvait sérieusement viser, mais des concurrents sur certains contrats les plus importants, précisément ceux qui auraient favorisé l'expansion des nouveaux entrants.
205. SNCF Mobilités ne conteste pas le bien-fondé de la constatation opérée par l'Autorité au paragraphe 199 de la décision attaquée, selon laquelle la SNCF a aligné ses prix sur ceux de ses concurrents afin de rester compétitive, constatation d'ailleurs étayée par une note stratégique confidentielle datée de juillet 2007 soulignant : " Une diminution des prix sur les trafics conservés ou gagnés à la suite d'appels d'offres : moyennant une reconfiguration de l'offre et de l'outil industriel, l'expérience montre que la pression à la baisse sur nos prix est de 10 à 35%, afin que nos prix soient alignés sur ceux de la concurrence " (annexe 50 - cote 8907).
206. Selon le requérant, toutefois, une telle politique d'alignement sur les prix de la concurrence n'est pas constitutive d'une politique de prix d'éviction. Selon lui, en effet, le choix d'une entreprise d'abaisser ses prix, non pas pour renforcer sa position dominante ni pour évincer ses concurrents, mais simplement pour tenir compte de leur propre stratégie de conquête via une politique agressive des prix et de s'aligner, dans certains cas, dans le cadre d'une politique défensive, n'a en effet jamais en tant que tel constitué une infraction au droit de la concurrence.
207. Mais, il résulte de la jurisprudence des juridictions européennes qu'il n'existe pas un droit absolu pour un opérateur en position dominante à s'aligner sur les prix de ses concurrents : s'il est vrai que l'alignement de l'entreprise dominante sur les prix des concurrents n'est pas en soi abusif ou condamnable, il ne saurait être exclu qu'il le devienne lorsqu'il ne vise pas seulement à protéger ses intérêts, mais a pour but de renforcer cette position dominante et d'en abuser (TUE, arrêt France Télécom/Commission, précité, points 187, confirmé par CJUE, arrêt France Télécom/Commission, précité).
208. Or, pour les raisons déjà exposées, le fait pour une entreprise en position dominante de proposer des prix de 15 à 30 % inférieurs à ses coûts pour remporter les contrats les plus importants, ceux-là même qui permettraient aux nouveaux entrants sur le marché de se développer, sans avoir égard à la rentabilité de l'opération, s'analyse comme une politique visant à protéger sa position dominante.
209. À cet égard, il est indifférent qu'en pratique, la SNCF ait d'emblée proposé des prix bas ou qu'elle ait aligné ses prix sur ceux proposés par ses concurrents dans le cadre des mêmes appels d'offre. Dans l'un et l'autre cas, elle faisait le choix de remporter un contrat sans se préoccuper des pertes qu'il entraînerait.
210. Il importe également peu que ladite politique n'ait sans doute concerné qu'un nombre limité de contrats - mais les plus importants - et que ses effets aient pu être limités - ce que contestent l'Autorité et la société ECR. En effet, il est constant qu'afin d'établir le caractère abusif d'une pratique, l'effet anticoncurrentiel de celle-ci sur le marché doit exister, mais il ne doit pas être nécessairement concret, étant suffisante la démonstration d'un effet anticoncurrentiel potentiel de nature à évincer les concurrents au moins aussi efficaces que l'entreprise en position dominante (CJUE, arrêt Post Danmark, précité, point 66).
211. Au demeurant, dès lors qu'il est constant que la SNCF a remporté plusieurs contrats en proposant des prix de 15 à 30 % à ses coûts, il est certain que l'effet anticoncurrentiel n'a pas été seulement hypothétique.
212. Il suit de ce qui précède que l'Autorité a considéré à juste titre que la SNCF, en présentant des offres de prix inférieurs au CMMLT dans le cadre d'une stratégie d'éviction, a mis en œuvre des pratiques contraires aux articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE. Les moyens de SNCF Mobilités sont rejetés. Sur l'injonction prononcée par l'Autorité
213. SNCF Mobilités soutient, d'abord, que l'injonction prononcée n'est pas justifiée dans son principe. Il souligne qu'à aucun moment, l'Autorité n'a démontré ou suggéré, dans la décision attaquée, que la pratique objet du grief n° 10 se serait poursuivie au-delà del' année 2009. Selon lui, dès lors que l'infraction poursuivie a cessé avant la date de la décision qui la constate et la réprime, le prononcé d'une injonction pour l'avenir serait infondé en son principe-même, en application de l'art. L. 464-2 du Code de commerce.
214. Il fait ensuite valoir que cette injonction est juridiquement contestable dans la mesure où l'Autorité l'a prononcée sur le fondement du de l'article L. 464-1 du Code de commerce, alors que cette disposition très générale est relative aux missions de l'Autorité et aux objectifs de la politique publique à laquelle elle participe.
215. Enfin, SNCF Mobilités allègue que l'injonction n'est pas proportionnée, car elle lui impose un ensemble d'obligations qui pour l'essentiel, n'ont pas de lien avec la pratique reprochée. Il remarque qu'il n'a jamais été fait grief à la SNCF de ne pas avoir une politique tarifaire transparente et que lui imposer une comptabilité analytique " plus fine " est une ingérence dans sa gestion économique et financière. Au surplus, il critique le caractère flou des dispositions de l'injonction, notamment l'absence de définition d'une " comptabilité plus fine ".
216. L' Autorité explique que l'injonction, prise sur le fondement du I de l'art. L. 464-2 du Code de commerce, vise à garantir que la SNCF s'abstienne effectivement de poursuivre la pratique d'éviction par les prix et de la réitérer à l'avenir et qu'un tel objectif passe par la mise en place d'un dispositif comptable permettant à la SNCF d'avoir une connaissance plus fine de ses coûts liés à ses activités de fret ferroviaire. Cette injonction serait donc limitée à ce qui est nécessaire à cette fin.
217. L'Autorité réfute l'argument de SNCF Mobilités concernant l'ingérence dans son fonctionnement: l'injonction prononcée ne confie pas à l'Autorité le soin de fixer la politique tarifaire de la SNCF et laisse à cette dernière une très large marge de manœuvre pour déterminer la nature des mesures à prendre.
218. Elle conteste également que les obligations imposées à la SNCF soient imprécises et contradictoires et soutient que le moyen pris du caractère irréaliste des hypothèses retenues par l'injonction manque en fait.
219. La société ECR fait valoir que l' Autorité n'a cantonné son analyse à la période 2007-2009 que parce que les services d'instruction n'ont pas obtenu de la SNCF les données nécessaires, mais qu'elle n'a pas exclu que la pratique de prix d'éviction se soit poursuivie au-delà de l'année 2009. Elle conteste que l'injonction ait été prononcée sur le fondement de l'article L. 461-1 du Code de commerce. Enfin, elle fait valoir que l'injonction est bien en lien avec la pratique abusive et ne représente pas une immixtion disproportionnée dans la gestion de la SNCF.
220. Aux termes du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, " L'Autorité de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières ".
221. En l'espèce, l'Autorité a fait usage de la faculté que lui donne cet article d'imposer des conditions particulières, plutôt qu'une sanction, en enjoignant à la SNCF :
" - premièrement, de mettre en place, dans un délai de dix-huit mois à compter de la notification de la présente décision, une comptabilité analytique séparée pour son activité de fret ferroviaire par train massif, d'une part, et pour son activité de fret ferroviaire par wagon isolé, d'autre part; cette comptabilité doit permettre d'identifier et de rendre compte, de façon transparente, de l'imputation, à chacune de ces deux activités, de leurs coûts communs ; cette identification et cette imputation devront être effectuées en fonction de clés de répartition pertinentes et justifiées pour chaque catégorie de coûts ; les principes de comptabilité analytique seront soumis à l'Autorité de la concurrence lors d'une séance contradictoire qui sera organisée au plus tard dans un délai d'un an à compter de la notification de la présente décision, et à laquelle l'Autorité de régulation des activités ferroviaires J pourra être invitée en tant que témoin en application de! 'article L. 463-7 du Code de commerce ; la SNCF transmettra, trois mois au moins avant la séance, un rapport décrivant les principes de comptabilité analytique qu'elle envisage de retenir;
- deuxièmement, d'établir, dans un délai de dix-huit mois à compter de la notification de la présente décision, un rapport d'étape identifiant le montant des coûts qui pourraient être évités à horizon de trois ans dans l'hypothèse d'un abandon de l'activité de train massif, et justifiant les conclusions relatives aux différentes catégories de coûts évitables par des éléments précis s'appuyant sur des données d'exploitation effective actualisées; ce rapport permettra de vérifier les progrès réalisés en vue de garantir la mise en œuvre de l 'injonction;
- troisièmement, de garantir, dans un délai de trois ans à compter de la notification de la présente décision, que les prix des services de train massif qu'elle offre aux chargeurs couvrent les coûts moyens évitables à horizon de trois ans relatifs à ! 'activité de fret ferroviaire par train massif; un rapport attestant de la couverture de ces coûts évitables, répondant aux mêmes exigences que le rapport d'étape, sera remis à l'Autorité à cette échéance. " (décision attaquée, § 779).
222. En premier lieu, il convient de rappeler que les sanctions que l'Autorité peut infliger en application du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce visent à punir les auteurs d'infractions aux règles de concurrence et à dissuader les agents économiques de se livrer à de telles pratiques. Le même objectif de dissuasion doit être poursuivi par les conditions particulières, telle une injonction, que l'Autorité peut décider de prononcer en lieu et place d'une sanction.
223. Or cet objectif de dissuasion ne disparaît pas au seul motif qu'il a déjà été mis fin à l'infraction au moment où l'Autorité statue. En effet, une telle circonstance ne garantit nullement que l'entreprise en cause ne se livrera pas ultérieurement à de nouvelles pratiques anticoncurrentielles, l'expérience enseignant au contraire qu'il n'est pas rare qu'une entreprise engage dans de nouvelles pratiques anticoncurrentielles plusieurs années après qu'a pris fin celle pour laquelle elle a été sanctionnée.
224. Par ailleurs, aucune disposition légale ou réglementaire ne limite la possibilité pour l'Autorité d'imposer des conditions particulières lorsque l'infraction a cessé. A cet égard, il est sans importance que, à supposer cette affirmation démontrée, l'Autorité n'ait pas eu, avant la présente affaire, l'occasion d'imposer une injonction alors que la pratique en cause avait déjà cessé.
225. Dans ces conditions, il est indifférent que la pratique objet du grief n° 10 ne se soit pas prolongée au-delà de l'année 2009, ainsi que le soutient SNCF Mobilités, l'injonction n'ayant pas pour seule finalité de mettre un terme à une pratique toujours en cours mais pouvant avoir, ainsi qu'il a été dit, une fonction préventive et dissuasive.
226.En deuxième lieu, il ressort sans équivoque des paragraphes 767 et 770 de la décision attaquée que c'est bien sur le fondement de l'article L. 462-2 I du Code de commerce qu'a été prononcée l'injonction litigieuse. La circonstance que l'Autorité a ajouté, au paragraphe 772 de la même décision, que " [l]e recours à une injonction[ . .] s'inscrit[ . .] dans le cadre de la mission de régulation concurrentielle des marchés confiée à l'Autorité par l'article L. 461-1 du Code de commerce ", affirmation au demeurant exacte, ne saurait remettre en cause la constatation qui précède.
227. En troisième lieu, si l'article L. 462-2 I du Code de commerce ne spécifie pas en quoi peuvent consister des " conditions particulières ", il ressort de 1' économie de cette disposition que 1 'Autorité ne peut imposer que des conditions particulières qui ont un rapport avec la pratique concernée, en ce qu'elles visent à prévenir sa réitération ou celle de pratiques similaires par leur objet ou leurs effets.
228. Rien ne permet de mettre en doute que tel a été l'objectif de l'Autorité quand elle a imposé l'injonction litigieuse à la SNCF. Aux paragraphes 772 et 773 de la décision attaquée, l'Autorité a expliqué que " l'injonction doit permettre d'éviter que l'atteinte au fonctionnement concurrentiel du marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif identifiée dans la décision ne se poursuive ou ne se reproduise, tout en demeurant limitée à ce qui est nécessaire à cette fin ", et souligné que cette injonction mettrait " la SNCF en mesure de pratiquer une politique tarifaire plus transparente afin, non seulement d'être mieux armée face au risque de nouvelle infraction aux règles de concurrence, mais aussi de disposer pour l'avenir d'un outil de surveillance et d'évaluation plus fin des coûts attachés à ses différentes activités ".
22. Il convient de vérifier si l'injonction est proportionnée, ce qui suppose qu'elle soit d'abord apte à remplir son objectif qui est de favoriser la non réitération de la pratique objet du grief n° 10 ou de pratiques similaires par leur objet ou leurs effets.
230.À cet égard, ainsi que la cour l'a relevé au paragraphe 136 du présent arrêt, la SNCF n'a pas été en mesure de fournir des données fiables permettant de déterminer quels coûts seraient évitables en cas d'abandon de l'activité de train massif. Or la maîtrise de ces données est essentielle pour permettre à la SNCF de veiller à ce que sa politique de prix sur le marché du train massif ne soit pas constitutive d'un abus de position dominante de sa part et, le cas échéant, à l'Autorité pour vérifier qu'un tel abus a ou non été commis, puisqu'une politique tarifaire consistant à fixer des prix sous le CMML T fait courir à l'entreprise en position dominante le risque de commettre un abus de position dominante.
231. C'est à juste titre que l'Autorité a considéré que de telles données ne sauraient être réunies sans mise en place préalable d'une comptabilité analytique distinguant, en fonction de clés de répartition pertinentes et justifiées pour chaque catégorie de coûts, son activité de fret ferroviaire par train massif, d'une part, et son activité de fret ferroviaire par wagon isolé, d'autre part.
232. Certes, une comptabilité analytique ne vise pas, en soi, à identifier les coûts évitables aux fins d'un test de coût. Mais, sa mise en place à partir de données précises et d'une analyse approfondie, facilite l'exercice d'identification des coûts évitables.
233. Le premier terme de l'injonction apparaît donc à la fois utile pour atteindre l'objectif qu'elle poursuit, qui est d'éviter la réitération des mêmes pratiques, et proportionné.
234. Il en va de même du deuxième terme de l'injonction, qui n'est en rien contradictoire avec le premier terme, mais complémentaire de celui-ci.
235. Rappelant qu'aux termes des paragraphes 553 à 556 de la décision attaquée, l'Autorité a considéré que l' abandon total de l' activité de train massif" entraînerait vraisemblablement à moyen terme un redimensionnement de son activité de wagon isolé " et en a déduit que " Le calcul des coûts évitables en cas d'arrêt de l'activité du train massif requiert donc une reconstruction de la fraction des coûts communs qui pourrait être évitée, sur la base d'une organisation correspondant au maintien de la seule activité de wagon isolé", SNCF Mobilités fait toutefois valoir que le scénario contrefactuel qui fonde le deuxième terme de l'injonction est à la fois irréaliste en tant qu'il postule l'abandon total de l'activité de train massif, et aléatoire, en tant qu'il postule la réduction de l'activité de wagon isolé, et qu'il lui est impossible de satisfaire à ladite injonction.
236. À cet égard, la cour constate que rien, dans les paragraphes 773 à 779 de la décision attaquée, dans lesquels l'Autorité définit l'injonction prononcée à l'encontre de la SNCF, ne permet de penser que le montant des coûts qui pourraient être évités à horizon de trois ans dans l'hypothèse d'un abandon de l'activité de train massif, intègre des coûts générés par l'activité de wagon isolé, laquelle n'est pas concernée par la pratique. Elle relève également que telle n'est pas l'interprétation que paraît retenir l'Autorité elle-même au paragraphe 183 de ses observations.
237. En tant que de besoin, et dans la mesure où le deuxième terme de l'injonction vise à permettre à la SNCF de vérifier par elle-même où se situent les prix qu'elle pratique sur le marché du train massif par rapport au CMMLT, la cour considère qu'il n'y a pas lieu de postuler que l'abandon de l'activité de train massif entraînerait un redimensionnement - c'est-à-dire une diminution - de l'activité de wagon isolé, car le test de coût vise à déterminer, toutes choses étant égales par ailleurs, quels coûts évitables découlent de la seule activité examinée.
238. Sous cette réserve, la cour considère que l'exercice d'identification des coûts évitables en cas d'abandon de l'activité de train massif n'est nullement irréalisable. Elle rappelle à cet égard que les tests de coûts sont toujours fondés sur une telle démarche, reposant, s'agissant du calcul du CMML T, sur l'hypothèse d'un abandon total de l'activité examinée.
239. C'est en vain que SNCF Mobilités soutient que l'injonction prononcée constituerait une ingérence injustifiée dans la gestion de la SNCF. En effet, ainsi que le fait justement valoir l'Autorité, cette injonction ne lui confie pas le soin de fixer la politique tarifaire de la SNCF ou de faire évoluer son organisation dans un sens déterminé.
240. Quant au fait que le non-respect de l'injonction puisse donner lieu à une sanction en vertu de l'article L. 464-3 du Code de commerce, il s'agit d'une conséquence voulue par le législateur et inhérente à toute injonction.
241. En revanche, interprété à la lumière du paragraphe 77 4 de la décision attaquée, le troisième terme de l'injonction exige que les prix que la SNCF pratique, de façon globale, pour ses services offerts par train massif couvrent les " coûts qui pourraient être évités à un horizon de trois ans dans l'hypothèse d'un abandon de l'activité de train massif", c'est-à-dire soient supérieurs au CMML T. Cette injonction repose donc sur le postulat que des prix se situant sous le CMMLT sont présumés être des prix d'éviction. Or, ainsi qu'il résulte des développements qui précèdent, le CEM et le CMML T ne se confondent pas en l'espèce, de sorte que des prix qui se situent au-dessous du CMMLT, mais au-dessus du CEM, ne sont des prix d'éviction que s'ils s'inscrivent dans une stratégie d'éviction.
242. Le troisième terme de l'injonction, en interdisant par principe à la SNCF - aujourd'hui à SNCF Mobilités- de pratiquer des prix inférieurs au CMMLT, empiète donc indûment sur le pouvoir de cette entreprise de déterminer sa politique de prix dans le respect des règles de la concurrence. Il y a lieu, par conséquent, de modifier 1' article 8 de la décision attaquée en ce sens.
III. SUR LA TRANSMISSION DU PRÉSENT ARRÊT À LA COMMISSION DE L'UNION EUROPEENNE
243. En application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, le présent arrêt sera transmis à la Commission.
IV. SUR L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE ET LES DEPENS
244.L' équité ne commande pas de faire application de 1' article 700 du Code de procédure civile.
245.SNCF Mobilités sera condamné aux dépens.
Par ces motifs, Rejette la demande de l'Epic SNCF Mobilités tendant à l'annulation de la majoration de sanction au titre de la réitération ; En conséquence de l'arrêt de la cour d'appel de Paris n° RG 2013/01128 du 6 novembre 2014, qui a réformé l'article 7 de la décision de l' Autorité de la concurrence n° 12-D-25 du 18 décembre 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport ferroviaire de marchandises, en annulant irrévocablement la majoration de sanction au titre de l'appartenance à un groupe, Inflige à l'Epic SNCF Mobilités, venant aux droits de !'Epic Société nationale des chemins de fer français (la SNCF), une sanction pécuniaire de 53 014 000 euros au titre des pratiques visées aux articles 1 ", 2, 3 et 4 de la décision n° 12-D-25 du 18 décembre 2012; Rejette le moyen d'annulation des articles 5 et 8 de la décision n° 12-D-25 du 18 décembre 2012, pris de la violation du principe du contradictoire et des droits de la défense; Rejette la demande de !'Epic SNCF Mobilités tendant à voir réformer l'article 5 de la Décision n° 12-D-25 du 18 décembre 2012; Réforme l'article 8 de la décision n° 12-D-25 du 18 décembre 2012 en tant qu'il a enjoint à la SNCF, au titre des pratiques visées à l'article 5 de la même décision, de se conformer en tous points, à la troisième injonction ordonnée au paragraphe 779 de ladite décision, lui enjoignant " de garantir, dans un délai de trois ans à compter de la notification de la présente décision, que les prix des services de train massif qu'elle offre aux chargeurs couvrent les coûts moyens évitables à horizon de trois ans relatifs à l'activité de fret ferroviaire par train massif; un rapport attestant de la couverture de ces coûts évitables, répondant aux mêmes exigences que le rapport d'étape, sera remis à l'Autorité à cette échéance " ; Statuant de nouveau, Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une telle injonction ; Rejette pour le surplus les moyens de réformation de ce même article ; Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne l'Epic SNCF Mobilités aux entiers dépens.