CA Paris, Pôle 5 ch. 16, 7 janvier 2020, n° 19-12209
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Sport One (SARL)
Défendeur :
Nike Europe Operations Netherlands (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ancel
Conseillers :
Mmes Aldebert, Schaller
Avocats :
Mes Hardouin, Boccon Gibod
I. FAITS ET PROCÉDURE
Faits :
1. La société Sport One est une société de droit français créée en 2006 par Mme X, sa gérante, et spécialisée dans l'achat et la vente de vêtements et chaussures de sport notamment les produits de la marque Nike. Cette activité est exercée depuis 2012 via des plateformes de vente sur le réseau internet. D'autres sociétés (et notamment la société Jeans Fetish) ont la même activité et sont gérés par M. Y, l'époux de Mme X.
2. La société Nike Europe Operations Netherlands (ci-après la société NEON), est une société de droit néerlandais, filiale du groupe NIKE spécialisé dans le design, la fabrication et la distribution d'articles de sport sous la marque Nike. Elle est responsable de la distribution des produits de marque Nike en Europe.
3. La société Sport One est depuis 2006 l'un des distributeurs agréés des produits Nike et bénéficiait à ce titre d'un compte distributeur sur le site " Nike.net " sur lequel elle passait ses commandes, lesquelles sont régies par des conditions générales de vente dont l'article 12 comporte une clause d'élection de for au profit des juridictions d'Amsterdam (Pays-Bas).
4. Le 20 mai 2013, la société Nike France a informé le gérant de la société Sport One qu'un distributeur agréé Nike n'était pas autorisé à présenter les produits Nike destinés à la vente au consommateur sur des sites internet de sociétés non agréées (tels que les sites www.amazon.com, www.ebay.fr, www.rueducommerce.fr ou encore www.cdiscount.com).
5. Par lettre du 25 février 2015, la société NEON, faisant valoir qu'au regard de la nouvelle stratégie de distribution " le positionnement commercial " de la société Sport One n'était plus en " adéquation avec la stratégie et les besoins commerciaux de NEON ", a mis fin aux relations commerciales établies avec la société Jeans Fetish ayant pour gérant M. Y avec un préavis de 11 mois précisant qu'elle n'accepterait donc plus de nouvelles commandes à partir du 30 juin 2015, délai qui a été prolongé par lettre du 25 juin 2015 de 6 mois complémentaires. La notification de cette rupture a été adressée plus précisément à la société Sport One le 18 mai 2015.
6. Par courrier du 25 juin 2015, la société NEON accordait une prolongation du préavis jusqu'au 1er décembre 2015 pour les commandes futures, et au 30 juin 2016 pour les commandes du réassort.
Procédure :
7. C'est dans ces conditions que la société Sport One a assigné la société NEON par acte du 9 mai 2017 devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de voir contester la rupture des relations commerciales et la voir condamnée à les poursuivre sous astreinte, et à titre subsidiaire, à sa condamnation au paiement d'une somme de 1 517 950 euros au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies, estimant que le préavis aurait dû être de 30 mois à compter du 18 mai 2015.
8. La société NEON, se fondant sur l'article 12 des conditions générales de vente, a soulevé l'incompétence du tribunal de commerce de Paris au profit du tribunal d'Amsterdam.
9. Par jugement du 1er octobre 2018, le tribunal de commerce de Paris a :
- Débouté la société Sport One SARL de sa demande en nullité de la clause attributive de juridiction ;
- Sursis à statuer dans l'attente de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne sur la question préjudicielle posée par la Cour de cassation le 11 octobre 2017 sur l'interprétation de l'article 23 du règlement n° 44/2001 afin notamment de savoir s'il permet au juge national saisi d'une action en dommages-intérêts intentée par un distributeur à l'encontre de son fournisseur sur le fondement de l'article 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de faire application d'une clause attributive de juridiction contenue dans le contrat liant les parties.
10. Par jugement du 24 juin 2019, le tribunal de commerce de Paris, prenant connaissance de la décision de la Cour de cassation du 30 janvier 2019 rendue à la suite de l'arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne du 24 octobre 2018 (affaire C- 595/17 Apple Sales c/ eBizcuss.com) s'est déclaré incompétent et a renvoyé la société Sport One à mieux se pourvoir et l'a condamnée à payer à la société NEON la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
11. Par déclaration du 8 juillet 2019, la société Sport One a interjeté appel de cette décision.
12. Par ordonnance du 11 juillet 2019, la société Sport One a été autorisée à assigner la société NEON à jour fixe pour l'audience de ce jour du 9 septembre 2019 à 14h00, date à laquelle l'affaire a été renvoyée à l'audience du 12 novembre 2019.
II. PRÉTENTIONS DES PARTIES
13. Au terme de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 15 octobre 2019 la société Sport One demande à la cour de bien vouloir :
- déclarer l'appel formé par la société Sport One recevable et bien fondé,
- infirmer le jugement rendu le 24 juin 2019 par le tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions,
Statuer de nouveau,
- dire et juger que la clause d'élection de for et de droit applicable contenue à l'article 12 des Conditions Générales de Vente n'est pas applicable au présent litige.
- déclarer le tribunal de commerce de Paris compétent pour connaître de l'action engagée par la société Sport One
- dire et juger la loi française applicable au présent contentieux.
- débouter la société NEON de toutes ses demandes, fins et conclusions.
- condamner la société NEON à payer à la société Sport One la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel lesquels pourra être recouvrés par Maître Patricia Hardouin du cabinet 2H Avocats, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
14. Au terme de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 31 octobre 2019, la société NEON demande à la cour, au visa notamment du Règlement (UE) du 12 décembre 2012 et de l'ancien article L. 442-6 I-5° du Code de commerce (devenu article L. 442-1 du même Code), de bien vouloir :
- Confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 24 juin 2019 en toutes ses dispositions ;
- Condamner la société Sport One à verser à la société NEON une somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 et aux entiers dépens.
III. MOYENS DES PARTIES
15. La société Sport One fait valoir en substance que la clause d'élection de for dont se prévaut la société NEON est inapplicable en ce qu'elle ne vise pas les actions diligentées dans la présente instance de sorte que la détermination de la juridiction compétente doit être faite en application de l'article 7 du Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après désigné le Règlement Bruxelles I bis) désignant la juridiction du lieu du fait dommageable.
16. La société Sport One considère en premier lieu que le jugement doit être infirmé en ce qu'il a considéré qu'elle avait présenté une demande fondée sur deux moyens, l'un relatif aux pratiques anticoncurrentielles (article L. 420-1 et suivants du Code de commerce et 102 TFUE) et l'autre à la rupture brutale des relations commerciales (l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce (dans sa version en vigueur antérieure à l'ordonnance 2019-359 du 24 avril 2019) alors qu'elle avait fait deux demandes, l'une principale et l'autre subsidiaire, ce qui devait le conduire à examiner ces deux demandes.
17. Elle ajoute que le jugement du tribunal de commerce doit être infirmé en ce qu'il ne s'est pas prononcé sur l'applicabilité de la clause d'élection de for concernant sa demande fondée sur la rupture brutale des relations commerciales et qu'il ne pouvait se référer à la jurisprudence de la CJUE du 24 octobre 2018 (CJUE, 3ème chambre, 24 octobre 2018, Apple Sales International c. ebizcuss) pour fonder son incompétence alors qu'à la différence de cette décision qui portait sur une action en réparation consécutive à un abus de position dominante (art. 102 TFUE), son action est fondée à titre principal sur une restriction verticale prohibée par l'article 101 TFUE et qu'en application de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne Cartel Damage Claims du 21 mai 2015 (affaire C-352/13) une telle clause, qui ne peut concerner que des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, n'est applicable que si celle-ci se réfère aux différends relatifs à la responsabilité encourue du fait d'une infraction au droit de la concurrence, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
18. Elle précise qu'en l'espèce, la clause est nettement circonscrite en ce qu'elle n'a vocation à s'appliquer qu'aux litiges trouvant leur origine dans les commandes et l'exécution des conditions générales de vente et non aux litiges qui concernent le cadre général des relations commerciales entre les parties et en tout état de cause pas les conditions de la rupture et leurs conséquences. Elle considère à cet égard que la clause litigieuse étant réputée " conçue en faveur de Nike " et en sa défaveur, sa portée doit d'autant plus être interprétée strictement.
19. La société Sport One ajoute que la clause ne se réfère nullement à la matière délictuelle si bien qu'elle doit être écartée également dans le cadre de l'action diligentée à titre subsidiaire fondée sur la rupture brutale des relations commerciales étant observé qu'elle n'est pas rédigée en termes suffisamment larges pour recouvrir le contentieux né de la rupture des relations commerciales établies.
20. Elle précise que si chaque commande constitue un contrat, il n'y a aucune raison pour que le champ d'application des conditions générales de vente dépasse le cadre du contrat et puisse, en l'absence de contrat-cadre, s'appliquer à l'ensemble de la relation contractuelle au risque à défaut de dénaturer les termes clairs de la clause et de contredire l'objectif de prévisibilité institué par l'article 25 du règlement Bruxelles I bis.
21. La société Sport One fait valoir que si la CJUE a considéré dans son arrêt Granarolo qu'une relation commerciale établie pouvait être dans son ensemble de nature contractuelle, cela ne permet pas d'en déduire une compétence de façon uniforme par type de contrat ou de relation alors même que la portée d'une clause de prorogation de compétence doit être stricte et que ce qui vaut pour une vente isolée ne vaut pas pour la relation commerciale d'ensemble, les deux constituant deux rapports de droit différents.
22. La société Sport One considère ainsi que ses demandes étant de nature délictuelle, la détermination de la juridiction compétente doit se faire par application de l'article 7 § 2 du règlement Bruxelles I bis qui désigne la juridiction du lieu du fait dommageable, qui s'entend du lieu du fait générateur ou du lieu de survenance du dommage, soit en l'espèce le lieu de son siège social et qu'en application des articles R. 420-3, annexe 4-2 et D. 442-3 du Code de commerce, le tribunal de commerce de Paris est compétent.
23. En réponse, la société NEON considère que la clause attributive de compétence est applicable à toutes les demandes de la société Sport One. Elle rappelle à cet égard qu'il ne peut y avoir d'interprétation stricte de la clause alors que cette interprétation doit être faite selon le droit néerlandais, comme étant la loi applicable au contrat. Elle ajoute qu'une telle clause peut s'appliquer quel que soit le fondement délictuel ou contractuel de la demande et que le seul critère pertinent consiste à vérifier quel " rapport de droit déterminé " les parties ont souhaité soumettre à la compétence de la juridiction désignée étant précisé que si l'intention des parties était de soumettre l'intégralité des litiges nés d'un contrat, la clause s'appliquera à tout type de demande qui n'est pas étrangère ou est en lien avec le rapport contractuel.
24. La société NEON expose que la clause attributive de compétence s'applique aux demandes d'un distributeur contre son fournisseur, fondées sur une prétendue infraction au droit de la concurrence, même si celle-ci n'était pas visée expressément par cette clause dès lors qu'en l'espèce les pratiques anticoncurrentielles alléguées par la société Sport One, qui prétend dans son assignation que l'article 9.4 des conditions générales de vente serait constitutif d'une restriction verticale caractérisée prohibée par le droit de la concurrence, ne sont pas étrangères au rapport contractuel entre les parties.
25. Elle considère qu'il n'y a pas lieu d'effectuer une distinction entre les prétentions fondées sur les ententes anticoncurrentielles et celles fondées sur les abus de position dominante et que peu importe la nature de la pratique anticoncurrentielle alléguée, le seul critère est celui du rattachement au rapport contractuel.
26. La société NEON fait valoir s'agissant de l'action en rupture brutale des relations commerciales que celle-ci est une notion autonome interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne comme étant de nature contractuelle dès lors qu'il existe entre les parties une relation contractuelle tacite de longue date reposant sur un faisceau d'indices concordants ce qui est le cas en l'espèce au regard des 9 années de relations commerciales entre les parties et des conditions générales de vente applicables à chaque commande.
27. Elle précise que s'il n'existait pas de contrat-cadre entre NEON et Sport One, le contrat entre ces deux sociétés était formé par les conditions générales et la politique de distribution de la société NEON, dont l'article 4 renvoie expressément aux conditions générales. Elle considère que ces deux documents (conditions générales de vente et politique de distribution) constituaient donc le seul cadre contractuel global applicable, régissant l'intégralité de la relation commerciale entre NEON et Sport One depuis 2006, soit depuis près de 10 ans, sans aucune contestation de la part de la société Sport One.
28. La société NEON ajoute que la clause attributive de juridiction prévue par ces conditions générales est rédigée de manière suffisamment large pour couvrir l'ensemble des litiges en lien avec la relation commerciale entre les parties puisque cette clause vise de manière large " toute action en justice ou procédure judiciaire " sous réserve que celle-ci soit " liée à une commande et/ou aux présentes conditions ".
IV- MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le moyen tiré de l'erreur de qualification commise par le tribunal ;
29. Il est constant qu'aux termes de son assignation initiale devant le tribunal de commerce, la société Sport One demandait à ce tribunal à titre principal de prononcer la nullité de la décision de la société NEON du 18 mai 2015 et à titre subsidiaire de dire que cette dernière avait rompu brutalement les relations commerciales.
30. Si le tribunal a considéré que l'annulation de la décision du 18 mai 2015 était en réalité fondée sur deux moyens, l'un fondé sur le droit de la concurrence et l'autre sur la cessation brutale des relations commerciales, alors que deux demandes avaient bien été formées, il ressort des motifs du jugement que le tribunal a tout de même apprécié l'application de la clause litigieuse tant sur le terrain du droit de la concurrence que sur celui de la rupture brutale des relations de sorte que la qualification initiale du tribunal n'a pas eu pour effet de priver la société Sport One d'une réponse sur les deux chefs de demandes qu'elles avaient formés et que le jugement ne peut donc être infirmé de ce chef.
Sur la compétence du tribunal de commerce de Paris ;
31. La présente action en réparation ayant été intentée en 2017 par une société de droit français ayant son siège social en France à l'encontre d'une société de droit néerlandais ayant son siège social au Pays-Bas, la cour est en présence d'un litige qui relève du champ d'application dans le temps et dans l'espace du Règlement Bruxelles I bis.
32. En application de l'article 4 paragraphe 1 de ce règlement, " Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. "
33. Cependant, en vertu de l'article 5.1 du Règlement Bruxelles I bis, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre peuvent aussi être attraites devant les juridictions d'un autre État membre en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du chapitre relatif à la " Compétence ", soit par les articles 7 à 26 de ce règlement.
34. En application de l'article 25.1 du Règlement Bruxelles I bis, si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d'une juridiction ou de juridictions d'un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties.
35. Il convient de rappeler que l'interprétation d'une clause attributive de juridiction, afin de déterminer les différends qui relèvent de son champ d'application, incombe au juge national devant lequel elle est invoquée (cf. CJUE arrêt du 21 mai 2015, CDC Hydrogen Peroxide, C-352/13 point 67).
36. En l'espèce, il est constant qu'aux termes de son assignation initiale, la société Sport One a sollicité à titre principal la nullité de la décision de la société NEON de rompre les relations commerciales en ce que cette décision est motivée par une pratique anticoncurrentielle caractérisée par une restriction verticale de concurrence et à titre subsidiaire le caractère brutal de la rupture des relations commerciales établies entre les sociétés depuis presque 10 ans.
Sur la compétence du tribunal de commerce de Paris pour connaître de l'atteinte au droit de la concurrence ;
37. Il a été dit pour droit dans l'arrêt précité C-352/13 du 21 mai 2015 (point 68) que l'article 23, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001 (devenu l'article 25 du Règlement Bruxelles I bis) doit être interprété en ce sens qu'il permet, dans le cas où des dommages et intérêts sont réclamés en justice en raison d'une infraction à l'article 101 TFUE et à l'article 53 de l'accord sur l'Espace économique européen, du 2 mai 1992, de prendre en compte les clauses attributives de juridiction contenues dans des contrats de livraison, même si une telle prise en compte a pour effet de déroger aux règles de compétence internationale prévues aux articles 5, point 3, et/ou 6, point 1, du dit règlement, à la condition que ces clauses se réfèrent aux différends relatifs à la responsabilité encourue du fait d'une infraction au droit de la concurrence. La CJUE a ainsi considéré que " la juridiction de renvoi devra notamment considérer qu'une clause qui se réfère de manière abstraite aux différends surgissant dans les rapports contractuels ne couvre pas un différend relatif à la responsabilité délictuelle qu'un cocontractant a prétendument encourue du fait de son comportement conforme à une entente illicite. En effet, un tel litige n'étant pas raisonnablement prévisible pour l'entreprise victime au moment où elle a consenti à ladite clause, l'entente illicite impliquant son cocontractant lui étant inconnue à cette date, il ne saurait être considéré comme ayant son origine dans les rapports contractuels. Une telle clause ne porterait donc pas valablement dérogation à la compétence de la juridiction de renvoi ".
38. Par ailleurs, aux termes d'une décision rendue le 24 octobre 2018 (C-595/17 Apples Sales Vs eBizcuss.com), et à la lumière de la décision précitée (C-352/13), la CJUE s'est interrogée sur le point de savoir " si cette interprétation de l'article 23 du règlement n° 44/2001 et les motifs la soutenant valent également à l'égard d'une clause attributive de juridiction invoquée à l'occasion d'un différend relatif à la responsabilité délictuelle qu'un cocontractant a prétendument encourue du fait d'une contravention à l'article 102 TFUE".
39. Ayant considéré que " alors que le comportement anticoncurrentiel visé à l'article 101 TFUE, à savoir une entente illicite, n'est en principe pas directement lié à la relation contractuelle entre un membre de cette entente et un tiers, sur laquelle l'entente déploie ses effets, le comportement anticoncurrentiel visé à l'article 102 TFUE, à savoir l'abus d'une position dominante, peut se matérialiser dans les relations contractuelles qu'une entreprise en situation de position dominante noue et au moyen des conditions contractuelles ", et que la " prise en compte d'une clause attributive de juridiction faisant référence à un contrat et à la relation correspondante ou aux relations en découlant entre les parties ne saurait être considérée comme surprenant l'une des parties ", la CJUE a dit pour droit que " l'article 23 du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens que l'application, à l'égard d'une action en dommages et intérêts intentée par un distributeur à l'encontre de son fournisseur sur le fondement de l'article 102 TFUE, d'une clause attributive de juridiction contenue dans le contrat liant les parties n'est pas exclue au seul motif que cette clause ne se réfère pas expressément aux différends relatifs à la responsabilité encourue du fait d'une infraction au droit de la concurrence ".
40. Il se déduit de ces deux décisions de la Cour de justice de l'Union européenne que l'application d'une clause attributive de juridiction dans le cadre d'une action en responsabilité fondée sur des pratiques anticoncurrentielles varie, non pas en fonction de la nature du comportement allégué, mais en considération du lien qui existe entre ce comportement et le contrat contenant la clause attributive de juridiction.
41. Il convient à cet égard d'apprécier si le litige porte sur des pratiques qui ne peuvent être considérées comme étrangères au rapport contractuel dans le cadre duquel la clause attributive de juridiction a été conclue, et pour ce faire de vérifier si les pratiques anticoncurrentielles auxquelles se serait livrée l'intimée, se sont matérialisées dans les relations contractuelles nouées entre les parties, au moyen des conditions contractuelles convenues.
42. En l'espèce, la société Sport One expose dans son assignation que la décision du 18 mai 2015 de cesser les relations commerciales ayant été motivée par " la prétendue inadéquation de son positionnement commercial avec la stratégie et les besoins commerciaux de NEON, et ce suite à une récente révision de la stratégie commerciale de cette dernière " et les dispositions " ayant trait à la vente en ligne par internet " qui figurent à l'article 9.4 de ses conditions générales de vente interdisant notamment l'acheteur d'utiliser " une marque Nike sur un site internet sans l'accord écrit préalable de Nike ", le comportement de la société NEON est " constitutif d'une restriction verticale caractérisée prohibée par le droit de la concurrence ".
43. La société Sport One ajoute ainsi que " la décision notifiée à la requérante par NEON le 18 mai 2015 de rompre les relations commerciales avec la société Sport One SARL, en ce qu'elle est motivée par une restriction verticale prohibée est nulle de plein droit ".
44. Il ressort de ces éléments que dans le cadre du présent litige, la demande principale de la société Sport One porte expressément sur l'appréciation au regard des règles de droit de la concurrence de la licéité de la clause 9.4 des conditions générales de vente, lesquelles contiennent aussi la clause attributive de juridiction litigieuse, rédigée comme suit :
" Article 12 - Droit applicable et compétence juridictionnelle
" 12.1 Toute commande sera considérée comme un contrat conclu aux Pays-Bas et soumise à tous égards au droit néerlandais, y compris la Convention sur la loi applicable aux contrats de vente internationale de marchandises.
12.2 L'Acheteur se soumet irrévocablement à la compétence des juridictions d'Amsterdam (Pays-Bas) pour toute action en justice ou procédure judiciaire liée à une Commande et/ou aux présentes Conditions.
12.3 Conçue en faveur de Nike, la clause 12.2 ne saurait affecter le droit pour celle-ci d'agir devant toute autre juridiction ".
45. S'il est vrai que cette clause vise " toute action en justice ou procédure judiciaire liée à une Commande " et que l'article 1.2 de ces mêmes conditions générales précise que " Chaque Commande acceptée constituera (...) un accord autonome conclu entre Nike et l'Acheteur ", cette même clause indique aussi qu'elle a vocation à s'appliquer cumulativement ou alternativement (" et/ou ") " aux présentes Conditions ", de sorte qu'elle couvre aussi toute action portant sur les conditions générales de vente, et notamment l'article 9.4 dont la société Sport One soutient l'illicéité pour justifier la nullité de la décision par laquelle la société NEON a mis fin à la relation commerciale.
46. En outre, l'article 13 de ces mêmes conditions générales de vente porte également sur les " règles applicables en matière de distribution sélective " et dispose que " l'Acheteur se conformera à tout moment aux règles de Nike applicables en matière de distribution sélective (...) ".
47. Ainsi la demande principale relative à la nullité de la décision du 18 mai 2015 étant fondée par la société Sport One sur l'illicéité alléguée de l'article 9.4 des conditions générales de vente au regard des règles sur le droit de la concurrence, il y a lieu de considérer que le comportement anticoncurrentiel allégué est en lien avec ces conditions générales de vente contenant la clause attributive de juridiction et que les pratiques dénoncées ne sont manifestement pas étrangères au rapport contractuel dans le cadre duquel la clause attributive de juridiction a été conclue.
48. En conséquence, la société Sport One n'est pas fondée à considérer que la clause attributive de juridiction insérée dans ces conditions générales n'a pas vocation à s'appliquer pour déterminer la juridiction compétente.
49. Il convient dans ces conditions de confirmer de ce chef le jugement du tribunal de commerce de Paris.
Sur la compétence du tribunal de commerce pour connaître de la demande de réparation fondée sur la rupture brutale des relations commerciales ;
50. Il convient de rappeler que l'article 25 du Règlement Bruxelles I bis précité ne limite nullement la portée d'une clause attributive de juridiction aux seuls différends de nature contractuelle mais vise plus précisément la faculté pour les parties de choisir la juridiction compétente " pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé ".
51. Dès lors, l'application d'une telle clause ne dépend pas de la nature contractuelle ou délictuelle de l'action en responsabilité diligentée mais de la seule portée que les parties ont voulu donner à cette clause.
52. Il appartient donc à la cour d'apprécier en l'espèce si la clause litigieuse est rédigée en termes suffisamment larges pour englober l'action diligentée par la société Sport One en réparation du préjudice du fait de la rupture alléguée comme brutale des relations commerciales nouées avec la société NEON.
53. A cet égard, ainsi qu'il l'a été mentionné ci-dessus, si la clause litigieuse ne vise pas expressément ce type d'action, ses termes sont toutefois suffisamment généraux pour l'englober dès lors qu'elle se réfère non seulement à " toute action en justice ou procédure judiciaire liée à une Commande " mais aussi à toute action ou procédure judiciaire liée " aux présentes Conditions ", à savoir aux conditions générales de vente, auxquelles, d'une part, l'article 4 du document relatif à la politique de distribution de la société NEON renvoie expressément, et dont, d'autre part, certains articles ont un champ qui dépasse manifestement celui de la commande isolée et régissent les relations commerciales entre les parties.
54. Ainsi, l'article 9 intitulé " droits de propriété intellectuelle " dispose que " Nike se réserve tous les droits et objets de droits de propriété intellectuelle relatifs à ses produits (...). L'acheteur s'interdit d'utiliser ces droits et objets de droits de propriété intellectuelle, de les enregistrer ou de les mettre à la disposition d'un tiers sans l'accord écrit exprès et préalable de Nike (...) " et interdit notamment l'acheteur d'utiliser " une marque Nike sur un site internet sans l'accord écrit préalable de Nike ".
55. Tel est le cas aussi de l'article 10 intitulé " Confidentialité " au terme duquel " Nike et l'acheteur tiendront confidentielles et s'abstiendront de communiquer à un tiers, sans l'accord écrit préalable de l'autre partie, des informations techniques ou commerciales acquises de l'autre partie par suite de discussions, de négociations et d'autres communications entre eux se rapportant aux produits ou à la commande ".
56. Tel est le cas enfin de l'article 13 intitulé " règles applicables en matière de distribution sélective " selon lequel " l'Acheteur se conformera à tout moment aux règles de Nike applicables en matière de distribution sélective (...) ".
57. Il ressort de ces articles, insérés dans les conditions générales de vente, que celles-ci n'ont manifestement pas pour seul objet de régir chacune des commandes prises isolément, mais aussi les " discussions ", " négociations " et autres " communications entre eux se rapportant aux produits " en général ou encore aux règles de Nike " applicables en matière de distribution sélective ", autant de points qui ont trait aux relations commerciales établies entre les parties.
58. En l'état de ces éléments, il convient de considérer que la clause attributive de juridiction peut englober une action en réparation liée à la rupture des dites relations commerciales de sorte que seules les juridictions d'Amsterdam (Pays-Bas) désignées par cette clause sont compétentes pour en connaître et que le jugement du tribunal de commerce de Paris qui s'est déclaré incompétent doit être dès lors confirmé.
Sur les frais et dépens ;
59. Le sort des dépens et de l'indemnité de procédure a été exactement réglé par le tribunal de commerce.
60. À hauteur de cour, il y a lieu de condamner la société Sport One, partie perdante, aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
61. En outre, la société Sport One doit être condamnée à verser à la société NEON, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 10 000 euros.
V. DISPOSITIF
LA COUR,
Par ces motifs :
1- Confirme le jugement du tribunal de commerce de Paris rendu le 24 juin 2019 ; Y ajoutant,
2- Condamne la société Sport One à payer à la société NEON la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
3- Condamne la société Sport One aux dépens de l'appel.