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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 10, 6 janvier 2020, n° 18-15318

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Cofraneth LFC (SAS)

Défendeur :

Cardif Assurance Vie (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Loos

Conseillers :

Mme Castermans, M. de Chergé

T. com. Paris, du 14 mai 2018

14 mai 2018

FAITS ET PROCÉDURE

La société par actions simplifiée Cofraneth LFC (ci-après, " Cofraneth "), anciennement dénommée LFC Prop est une société spécialisée dans l'entretien et le nettoyage d'immeubles. Celle-ci a racheté le fonds de commerce de la société C'Clean.

La société anonyme Cardif Assurance Vie (ci-après, " Cardif ") exerce une activité de gestion de contrats d'assurance sur la vie et est propriétaire d'un parc immobilier dont un immeuble de bureaux sis <adresse>, qu'elle a acquis de la société Natio Vie. La société X en assure la gestion.

Le 1er septembre 1996 a été signé entre la société Natio Vie, propriétaire à l'époque de l'immeuble susmentionné, et la société C'Clean un contrat pour une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction et résiliable par chacune des parties avec un préavis de 3 mois, intitulé " Contrat d'entretien d'immeuble ". Son exécution s'est effectuée par l'embauche par la société C'Clean de la salariée en poste depuis 1992, Madame A, avec reprise du contrat de travail. Ainsi, la prestation consistait à affecter un salarié exerçant les fonctions de gardien de l'immeuble susmentionné.

Du 1er septembre 1996 au 2 mai 2016, date de départ en retraite de cette salariée, le contrat a été renouvelé sans discontinuité. Ainsi, la société Cardif y est devenue partie en sa qualité d'acquéreur de l'immeuble objet du contrat de gardiennage. Il en a été de même pour la société LFC Prop devenue société Cofraneth, en sa qualité de cessionnaire du fonds de la société C'Clean.

Le 20 mars 2014, la société X, mandataire de la société Cardif pour la gestion de l'immeuble, a mis en demeure la société LFC Prop d'établir un plan de prévention des risques professionnels et d'accepter un avenant contractuel en ce sens, rendu obligatoire à compter du 1er janvier 2012 pour tous les salariés intervenant dans les tâches d'entretien et de nettoyage. Celle-ci spécifiait qu'un défaut de réponse conduirait à une résiliation à titre conservatoire du contrat à compter du 3 avril 2014. Toutefois, les relations contractuelles se sont poursuivies jusqu'au départ en retraite de la salariée en avril 2016.

Le 2 mai 2016, la société X envoyait une lettre recommandée avec accusé de réception à la société Cofraneth l'informant mettre fin au contrat au 30 avril 2016.

La société LFC Prop, devenue Cofraneth, a contesté les conditions de cette résiliation.

Par exploit d'huissier du 14 mars 2017, celle-ci a donc assigné la société Cardif devant le tribunal de commerce de Paris.

Vu le jugement prononcé le 14 mai 2018 par le tribunal de commerce de Paris a statué dans les termes suivants :

Dit que la société LFC Prop devenue Cofraneth a commis une faute contractuelle justifiant la rupture sans préavis du contrat de gardiennage d'immeuble qui la liait à la société Cardif ;

Débouté la société LFC Prop devenue Cofraneth de l'ensemble de ses demandes ;

Condamné la société LFC Prop devenue Cofraneth à payer à la société Cardif la somme de 15 675,20 euros au titre du préjudice subi ;

Condamné la société LFC Prop devenue Cofraneth à payer à la société Cardif la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Débouté les parties de leurs autres demandes ;

Ordonné l'exécution provisoire ;

Condamné la société LFC Prop devenue Cofraneth aux dépens ;

Vu l'appel déclaré le 18 juin 2018 par la société Cofraneth,

Vu les conclusions signifiées le 15 mars 2019 par la société Cofraneth,

Vu les conclusions signifiées le 18 décembre 2018 par la société Cardif,

La société Cofraneth demande à la cour de statuer ainsi qu'il suit :

Vu l'article L. 442-6 du Code de commerce,

Infirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 14 mai 2018 ;

Statuant à nouveau,

- condamner la société Cardif à payer à la société Cofraneth :

* 63 110 euros à titre d'indemnité pour rupture abusive du contrat avec intérêts de droit à compter du 14 mars 2017 ;

* 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

Débouter la société Cardif de toutes ses demandes ;

Condamner la société Cardif en tous les dépens de première instance et d'appel ;

Ordonner l'exécution provisoire.

La société Cardif demande à la cour de statuer ainsi qu'il suit

Vu l'article L. 442-6 du Code de commerce,

Confirmer dans toutes ses dispositions le jugement rendu le 14 mai 2018 par le tribunal de commerce de Paris ;

Débouter la société Cofraneth de l'ensemble de ses demandes ;

A titre subsidiaire,

- limiter la responsabilité de la société Cardif à la somme de 18 407 euros ;

- ordonner la compensation de toute indemnité avec les sommes accordées à la société Cardif au titre des manquements contractuels de LFC Prop ;

- condamner la société Cofraneth anciennement LFC Prop à verser à la société Cardif la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société Cofraneth anciennement LFC Prop aux entiers dépens de l'instance.

SUR CE,

Considérant que l'appelante fait valoir, sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce, que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ; que le courrier du 3 avril 2014 ne saurait constituer un préavis en ce que les documents exigés ont été transmis dans le délai requis par la société Cardif, rendant inefficace la résiliation à titre conservatoire envisagée ; qu'elle considère que le courrier du 2 mai 2016 l'a privée de préavis pour avoir fixé la date de fin du contrat au 30 avril 2016 ; qu'elle poursuit en soutenant n'avoir commis aucune faute contractuelle susceptible de justifier une résiliation sans préavis ;

Considérant que, selon la société Cardif, l'appelante n'est pas fondée à réclamer une indemnité pour rupture brutale des relations contractuelles en application de l'article L. 442-6 du Code de commerce ; qu'elle soutient que la société Cofraneth a commis une faute contractuelle justifiant une rupture sans préavis, en refusant d'accorder à la salariée les indemnités de départ prévues par le convention collective des gardiens d'immeuble alors même que les avantages de celle-ci lui étaient garantis par l'article 3 du contrat du 1er septembre 1996 et que la société Cofraneth avait perçu une rémunération intégrant le coût de ces avantages ; que, subsidiairement, elle affirme que la société Cofraneth a en réalité bénéficié d'un préavis de deux ans après la notification le 21 mars 2014 d'une rupture à titre conservatoire à compter du 3 avril 2014; que cette rupture lui a été acquise dès lors que l'appelante n'a pas répondu à sa demande de mise en place d'un plan de prévention des risques professionnels; que le préavis a donc couru deux ans, les relations contractuelles s'étant poursuivies jusqu'en mai 2016 ; qu'à titre subsidiaire, elle affirme que dans l'hypothèse où sa responsabilité devrait être retenue dans le cadre de la rupture brutale du contrat, l'indemnité devrait être calculée sur la marge brute générée par le contrat et non sur le calcul de l'appelante qui ne repose sur aucun élément objectif et vérifiable ; qu'elle fait également valoir que sa responsabilité devrait être limitée au préavis contractuel de 7 mois découlant de l'article 8 dudit contrat ;

Considérant, ceci étant observé, que la société Cardif sollicite la confirmation du jugement qui a dit que la société LFC Prop avait commis une faute contractuelle justifiant la rupture sans préavis du contrat qui la liait à la société Cardif Assurance Vie ; que, nonobstant le fait que la société Cardif ne l'invoque pas, cette rupture résulte nécessairement du courrier recommandé daté du 2 mai 2016 adressé par la société X, mandataire de la société Cardif, à la société Cofraneth, indiquant que " Nous vous confirmons que suite au départ de la gardienne, nous mettons fin à votre contrat au 30/04/2016 " ; que préalablement, dans le même courrier, la société X réclamait la facture d'avril 2016 avec la copie du bulletin de salaire de Mme A et le calcul de la prime de départ à la retraite ;

Considérant que, dans ses écritures, la société Cardif reproche à la société Cofraneth d'avoir manqué à ses obligations en ayant conclu avec Mme A un contrat de travail relevant de la convention collective des entreprises de propreté alors qu'elle s'était engagée à lui faire bénéficier de la convention collective des gardiens d'immeubles ; qu'elle aurait ainsi subi un préjudice, en ce qu'elle a pallié la carence de la société Cofraneth dans le versement de l'indemnité de départ en retraite à laquelle avait droit Madame J. en vertu de l'article 3 du contrat du 1er septembre 1996 et a versé la somme complémentaire de 11 653,76 euros;

Mais considérant que, outre le fait que ce grief ne figure pas dans le courrier de résiliation du 2 mai 2016, la société Cardif invoque le contrat d'entretien d'immeuble conclu le 1er septembre 1996 entre la société Natio-Vie aux droits de laquelle elle se trouve et la société C'Clean aux droits de laquelle se trouve la société Cofraneth selon lequel la personne recrutée devra relever du statut contractuel des gardiens et concierges d'immeubles ou des employés d'immeubles ; que si les bulletins de salaire de Mme A de janvier 2016, février 2016 et mai 2016 mentionnent qu'elle relève de la convention collective des entreprises de propreté, il n'est pas cohérent de soutenir que cette circonstance qui remonte à l'année 1996 puisse justifier une rupture sans préavis de la relation commerciale d'entretien d'immeuble le 2 mai 2016 soit vingt ans plus tard ; que, de plus, le grief est d'autant plus formel que la comparaison des conventions collectives ne peut se limiter aux seules sommes dues en fin de contrat ; qu'enfin la société Cardif ne justifie pas avoir versé une quelconque somme d'argent à Mme A puisque le chèque daté du 30 mai 2016 versé aux débats émane non pas de la société Cardif mais d'une société La providence, domiciliée à Cesson Sevigné (35) ;

Considérant que, à titre subsidiaire, la société Cardif est mal fondée à se prévaloir du courrier du 20 mars 2014 comportant obligation d'apporter un avenant au contrat d'entretien de nettoyage et de verser un plan de prévention puisque la société Cofraneth justifie avoir satisfait à ces demandes par des documents accompagnant sa réponse du 3 avril 2014 ;

Considérant qu'il se déduit de ce qui précède que la société Cofraneth est bien fondée soutenir avoir fait l'objet d'une rupture sans préavis ; que le jugement déféré doit être infirmé de ce chef ;

Considérant que la société Cofraneth réclame 63 110 euros au titre de son préjudice " lié à la rupture abusive " et vise l'article 442-6 5° du Code de commerce sans autre développement ; que si l'on admet, conformément au calcul proposé par la société Cardif, que la marge brute correspond à la différence entre la facturation de la société Cofraneth d'un montant annuel de 69 655 euros et le salaire annuel versé à Mme A (38 100 euros), la marge brute se chiffre à 31 555 euros; que rapportée aux 7 mois de préavis prévus par l'article 8 de la convention de gardiennage, la société Cofraneth est en droit de solliciter une indemnisation d'un montant de 18 407 euros pour rupture brutale de relations commerciales établies ;

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement déféré ; Condamne la société Cardif Assurances Vie à verser à la société Cofraneth LFC la somme de 18 407 euros avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du présent arrêt ; Condamne la société Cardif Assurances Vie à verser à la société Cofraneth LFC la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne la société Cardif Assurances Vie aux entiers dépens.