CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 8 janvier 2020, n° 18-08690
PARIS
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Ineo Infracom (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Conseiller :
M. Gilles
Avocats :
Mes Mary, Gazagnes, Meyung Marchand
FAITS ET PROCÉDURE
La SNC Inéo Infracom est une société du groupe Engie, spécialisée dans la conception et la réalisation de réseaux et de systèmes d'informations.
M. X, comme sous-traitant de cette société, a été chargé de la réalisation de travaux de raccordement de câbles et de fibres optiques.
M. X a signé son premier contrat-cadre de sous-traitance avec la société Inéo le 16 avril 2004.
Les missions de sous-traitance ont pris fin au mois de juin 2015.
Estimant avoir été victime d'une rupture brutale des relations commerciales établies, M. X a assigné la SNC Inéo Infracom devant le tribunal de commerce de Paris, par acte extrajudiciaire du 28 février 2017.
C'est dans ces conditions que le tribunal de commerce de Paris, par jugement du 26 mars 2018, a :
- débouté M. X de toutes ses demandes ;
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamné M. X aux dépens.
Par dernières conclusions du 19 juillet 2018, M. X, appelant, demandé à la cour de :
- infirmer le jugement entreprise dans toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
- condamner la SNC Inéo Infracom à lui payer les sommes de :
75 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, et subsidiairement, sur le fondement des articles 1134, 1146 et 1147 du Code civil ;
5 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la SNC Inéo Infracom aux dépens.
Par dernières conclusions du 18 octobre 2018, la SNC Inéo Infracom prie la cour de :
Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,
Vu l'article 1315 du Code civil et l'article 9 du Code de procédure civile,
- dire qu'il incombe à M. X de rapporter la preuve qu'elle a été l'auteur de la rupture des relations commerciales dont il se plaint ;
- dire que cette preuve n'est pas rapportée ;
En conséquence,
- dire M. X mal fondé en son appel et l'en débouter ;
- confirmer dans toutes ses dispositions le jugement entrepris ;
y ajoutant,
- condamner M. X à lui payer une somme de 5 000 euros, par application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
SUR CE, LA COUR
Sur la rupture de relations commerciales établies
Les factures produites par M. X démontrent, entre janvier 2009 et juin 2015, un flux continu d'affaires entre les parties, avec des facturations mensuelles pour des chantiers précisément désignés.
Il est constant que ces relations commerciales ont commencé en 2004.
Si M. X a signé son premier contrat-cadre de sous-traitance avec la SNC Inéo Infracom le 16 avril 2004, il a signé les derniers :
- le 2 février 2015, celui-ci, portant le n° RI77/2126/2014/04/195, intitulé " Contrat-cadre de sous-traitance annuel 2014 ... (rétroactif au 2 janvier 2014) " étant resté en vigueur jusqu'au 31 décembre 2014, ou jusqu'à la réception des travaux afférents à toute commande réalisée au cours de ce dernier mois, en vertu d'une stipulation expresse des parties ;
- le 23 octobre 2014, celui-ci, portant le n° RI77/2126/2014/06/7, relatif à un marché de réseau très haut débit pour Orange, étant resté en vigueur jusqu'au 31 mars 2015, ou jusqu'à la réception des travaux afférents à toute commande réalisée au cours de ce dernier mois, en vertu d'une stipulation expresse des parties.
Il est démontré que M. X a été sollicité pour la dernière fois au mois de juin 2015, la dernière facture qu'il a établie à l'adresse de la SNC Inéo Infracom étant du 30 de ce dernier mois.
La SNC Inéo Infracom n'établit pas l'avoir sollicité pour des travaux après cette date.
M. X produit en cause d'appel une lettre recommandée datée du 17 août 2015, qu'il a adressée à la SNC Inéo Infracom, qui a signé l'accusé de réception revêtu d'un cachet de la poste du 17 août 2015. Cette lettre explique notamment qu'aucun travail ne lui a été donné après le 15 juin, qu'après avoir demandé en vain deux rendez-vous, des missions lui ont été promises, ainsi que la compensation des jours de repos ; cette lettre comporte également une mise en demeure de respecter le contrat.
La SNC Inéo Infracom ne conteste pas valablement la force probante de cette lettre recommandée et de cet accusé de réception, en affirmant que celui-ci correspondrait à un autre pli, étant précisé que la cour ne voit pas quelle mission aurait été confiée à M. X, qui aurait justifié d'envoyer, au lieu de la lettre litigieuse, des factures ou des relevés de travaux au mois d'août 2015, alors que la dernière facture est du mois de juin 2015 et que la SNC Inéo Infracom ne démontre nullement avoir tenté de confier une mission au sous-traitant après cette date.
La lettre de la SNC Inéo Infracom, répondant à la mise en demeure que lui a adressée le conseil de M. X, confirme au contraire que la SNC Inéo Infracom avait estimé qu'elle avait été contrainte de replacer son personnel sur plusieurs chantiers, pour lesquels il était, auparavant, fait recours à des sous-traitants.
Si la SNC Inéo Infracom allègue avoir préparé à l'intention de M. X, dès le 24 juin 2015, un avenant au contrat-cadre ci-dessus qui était à échéance du 31 mars 2015, offrant d'en proroger la validité jusqu'au 31 mars 2016, avec effet rétroactif au 1er avril 2015, ce contrat a été expédié à M. X par lettre recommandée avec accusé de réception le 6 octobre 2015 seulement. Un courriel interne de la SNC Inéo Infracom daté du 28 octobre 2015 confirme que le pli recommandé non délivré venait d'être retourné à l'expéditeur.
Rien ne prouve que M. X s'était rendu injoignable depuis juillet 2015, ni que le projet du contrat lui avait été remis par un autre moyen.
Or, nulle mission n'a été proposée à M. X après juin 2015, si bien que, peu important que celui-ci ne soit pas allé retirer la lettre recommandée ci-dessus, il sera retenu que la relation commerciale établie a été rompue par la SNC Inéo Infracom à cette date.
Il n'est pas valablement soutenu en l'espèce que l'échéance du contrat-cadre au 31 mars 2015 faisait obstacle à la poursuite de la relation commerciale établie en l'absence de renouvellement ; la pratique des parties démontre, au contraire, que les facturations se poursuivaient après l'échéance du contrat-cadre en vigueur et que les contrats cadres étaient parfois régularisés a posteriori par les parties, avec le recours à la technique de l'effet rétroactif.
La circonstance que M. X ait fait valoir ses droits à retraite depuis le 1er décembre 2014, pour percevoir une pension modique, est indifférente en l'espèce, tout comme la radiation du registre des métiers, qui n'est intervenue que le 31 décembre 2015, après que la rupture des relations commerciales fut consommée.
La SNC Inéo Infracom ne peut valablement tirer des conséquences de l'âge de M. X au moment des faits, soit 67 ans, pour justifier la rupture sans préavis, ni davantage tirer argument du défaut de production par l'artisan du grand livre 2015.
Il résulte de ce qui précède que les moyens de la SNC Inéo Infracom et les motifs du tribunal ne peuvent être retenus par la cour, dès lors qu'il est prouvé en l'espèce que la SNC Inéo Infracom a rompu en juin 2015 et sans préavis la relation commerciale établie entre les parties.
M. X a donc droit à une indemnité en application des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.
Le jugement entrepris sera donc réformé.
Sur l'indemnité
Dès lors que la relation commerciale a duré un peu plus de 11 années, la cour dispose des éléments permettant de fixer à 11 mois la durée du préavis qui aurait dû être respecté par la SNC Inéo Infracom.
M. X réclame une indemnité de 75 000 euros correspondant à la moyenne du chiffre d'affaires réalisé au cours des 6,5 années ayant précédé la rupture.
La SNC Inéo Infracom conteste cette évaluation en faisant valoir qu'il est nécessaire de se fonder sur la marge brute et non sur le chiffre d'affaires.
La cour retient que, au vu des factures produites, pour les années 2012, 2013 et 2014, la moyenne du chiffre d'affaires mensuel a été de 5 921,91 euros.
La SNC Inéo Infracom soutient qu'il convient de déduire le coût des salaires et des cotisations sociales pour déterminer la perte de marge constituant le préjudice réparable.
Il doit être retenu que pour déterminer la perte de revenu réparable, il convient de déduire du chiffre d'affaires non réalisé le montant des charges économisées.
Le préjudice ainsi déterminé est certain.
La SNC Inéo Infracom expose à bon droit que les coûts d'assurance, les frais de déplacement, les éventuels frais de location de véhicule, les frais d'achat ou d'entretien des matériels, voire d'éventuels frais de sous-traitance en second rang sont susceptibles de devoir être déduits, s'ils ont été économisés.
M. X ne produisant aucun élément de ses comptes de résultat, ni même ses déclarations fiscales, bien qu'affirmant ne pas avoir eu de frais, ce qui n'est pas crédible, la cour, qui ne peut lui allouer la totalité du chiffre d'affaires perdu sur la durée du préavis, dit que la marge perdue n'a pas pu être inférieure à la somme de 30 000 euros.
M. X recevra donc une telle somme à titre d'indemnité, en vertu de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.
Sur les frais
M. X, en équité, recevra également une somme au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, dont le montant sera précisé dans le dispositif du présent arrêt.
La SNC Inéo Infracom, qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens.
Par ces motifs : LA COUR, Réforme le jugement entrepris en totalité, Condamne la SNC Inéo Infracom à payer à M. X une somme de 30 000 euros à titre d'indemnité pour rupture sans préavis de relations commerciales établies, Condamne la SNC Inéo Infracom à payer à M. X une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SNC Inéo Infracom aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.