CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 8 janvier 2020, n° 18-04493
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Carrefour Proximité France (SAS)
Défendeur :
Ministre de l'Economie et des Finances, Coopérative Légumière Crimart
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
Mme Bodard Hermant, M. Gilles
Avocats :
Mes Guerre, Hichri, Teytaud, Druesne
FAITS ET PROCÉDURE
La société coopérative légumière Crimart a pour activité la collecte de fruits et légumes provenant de ses associés producteurs et la commercialisation de ces produits agricoles auprès des entreprises de distribution.
La société Dia France, à laquelle a succédé la société Erteco France, a été le promoteur d'un réseau de magasins intégrés et indépendants de maxi-discount alimentaire exploités, jusqu'en 2015, sous les enseignes ED et Dia. La société Carrefour Proximité France a absorbé Erteco le 1er octobre 2016 suite à une opération de fusion par absorption.
De 1996 au 26 mars 2014, la société coopérative légumière Crimart a entretenu des relations commerciales avec la société Erteco France qui assurait sous la dénomination ED, puis Dia France, l'exploitation et la location-gérance de commerces de détail à prédominance alimentaire.
Le 3 avril 2014, la société coopérative légumière Crimart adressait une lettre RAR à la société Dia France afin d'obtenir des explications quant à l'absence de commandes depuis le 26 mars 2014. Ce courrier est resté sans réponse.
Au cours d'un contrôle du Pôle C de la DIRECCTE de Haute-Normandie effectué en juin 2014, M. X, co-gérant, et Mme Y, directrice de la société coopérative légumière Crimart se sont plaints de la perte brutale et sans préavis des commandes émanant de la société Dia France.
Après avoir interrogé la société Dia France sur la réalité des relations commerciales la liant à la société coopérative légumière Crimart et sur les conditions de leur rupture, le ministre de l'Economie et des Finances représenté par M. Z, chef du pôle " concurrence, consommation et métrologie " (pôle C) de la DIRECCTE de Normandie a, suite à la fusion-absorption de la société Erteco France par la société Carrefour Proximité France, assigné cette dernière devant le tribunal de commerce de Lille.
Par jugement du 20 décembre 2017, le tribunal de commerce de Lille, statuant sur les demandes d'irrecevabilité de l'action du ministre de l'Economie et de sursis à statuer formées par la société Carrefour Proximité France dans l'attente d'un arrêt de la CEDH, a :
- donné acte à la société coopérative légumière Crimart de son intervention volontaire à l'instance ;
- débouté la société Carrefour Proximité France de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- enjoint à la société Carrefour Proximité France de conclure au fond et renvoyé l'affaire à son audience de mise en état du 8 février 2018 à 14h30 pour fixation ;
- condamné la société Carrefour Proximité France à payer au Trésor public la somme arbitrée de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 CPC ;
- condamné la société Carrefour Proximité France à payer à la société coopérative légumière Crimart la somme arbitrée de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 CPC ;
- débouté les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires ;
- condamné la société Carrefour Proximité France aux entiers frais et dépens, taxés et liquidés à la somme de 77,08 euros en ce qui concerne les frais de greffe.
Par jugement du 14 novembre 2018, le même tribunal a :
- dit brutale et fautive au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce la rupture de la relation commerciale commise par la société Carrefour Proximité France à l'égard de la société coopérative légumière coopérative légumière Crimart ;
- condamné la société Carrefour Proximité France à payer à la société coopérative légumière Crimart la somme de 35 219 euros à titre de dommages et intérêts, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la signification du présent jugement ;
- condamné la société Carrefour Proximité France à payer la somme de 100 000 euros au titre d'une amende civile ;
- condamné la société Carrefour Proximité France à payer 5 000 euros à la société coopérative légumière Crimart et 3 000 euros au ministre de l'Economie et des Finances au titre de l'article 700 CPC ;
- condamné la société Carrefour Proximité France à supporter les entiers frais et dépens de l'instance, taxés et liquidés à la somme de 104,52 euros en ce qui concerne les frais de greffe ;
- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement, sur l'indemnité de rupture au titre du préavis non exécuté, soit la somme de 35 219 euros ;
- débouté les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires.
Par déclaration du 28 février 2018, la société Carrefour Proximité France a interjeté appel du jugement rendu le 20 décembre 2017 par le tribunal de commerce et par déclaration du 29 novembre 2018, a interjeté appel du jugement rendu le 14 novembre 2018 par ce même tribunal.
Les deux procédures ont été jointes.
Vu les dernières conclusions de la société Carrefour Proximité France, déposées et notifiées le 28 février 2019, par lesquelles il est demandé à la cour de :
Vu les articles 9, 15, 16, 75, 117, 122 et 378 du Code de procédure civile ;
Vu l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ;
Vu l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
Vu les articles L. 442-6, L. 441-5-1, R. 470-1-1 et D. 442-3 du Code de commerce ;
Vu l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ;
Vu le Jugement du tribunal de commerce de Lille du 20 décembre 2017 ;
Vu le Jugement du tribunal de commerce de Lille du 14 novembre 2018 ;
Vu les pièces ;
- recevoir Carrefour Proximité France en son appel ;
- infirmer les jugements dans toutes leurs dispositions ;
Statuant à nouveau,
In limine litis, sur le défaut de pouvoir du représentant du ministre :
- constater que M. Z ne dispose pas du pouvoir nécessaire pour représenter le ministre ;
En conséquence,
- relever la nullité de l'assignation pour défaut de pouvoir.
Sur l'irrecevabilité de l'action du ministre tirée de la violation du principe de légalité des délits et des peines :
- relever que l'article L. 442-6 III du Code de commerce n'autorise pas le ministre à demander de " dire et juger " qu'une rupture d'une relation commerciale entre deux personnes privées présente un " caractère brutal " au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ;
En conséquence,
- dire et juger irrecevable le ministre en sa demande de " dire et juger " que la rupture de la relation commerciale entre Dia France et Crimart présente un " caractère brutal " au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ;
- rejeter l'ensemble des demandes subséquentes du ministre.
Sur l'irrecevabilité de l'action du ministre tirée de la violation du principe de personnalité des peines :
- relever que Carrefour n'était pas en relation avec Crimart et qu'elle ne peut donc pas être l'auteur de la pratique qu'entend lui reprocher le ministre ;
- relever que Carrefour n'est pas l'auteur des pratiques litigieuses et qu'elle n'a jamais été en mesure d'exercer une influence déterminante sur Dia France, seul auteur des pratiques litigieuses, et de veiller à ce que celle-ci respecte les règles du droit de la concurrence ;
- relever que l'Assignation n'a été introduite à l'encontre de Carrefour pour des pratiques de Dia France qu'après la réalisation des opérations de restructuration " extra-groupe " concernant Dia France et que le ministre ne peut donc pas lui imputer la pratique qu'il entend reprocher à Dia France ;
En conséquence,
- dire et juger irrecevable le ministre en sa demande d'imputer à Carrefour les pratiques qui auraient été commises par Dia France ;
- rejeter l'ensemble des demandes subséquentes du ministre.
Sur l'absence de rupture brutale des relations commerciales établies entre Dia France et Crimart :
- constater que, en 2013, Dia France a fait face à des difficultés économiques lourdes, à la chute des achats des magasins Dia approvisionnés de l'entrepôt de Louviers et à des pertes financières qui en ont résulté pour cet entrepôt en 2013 ;
- constater que Dia France a dû fermer l'entrepôt de Louviers dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi et réorganiser sa propre politique d'achat vis-à-vis de ses fournisseurs ;
En conséquence,
- dire et juger que Dia France n'a eu d'autres choix que de re percuter, en urgence, ses propres difficultés économiques et les décisions de réorganisation de son réseau et de sa politique d'achat sur Crimart prises en urgence ;
- dire et juger qu'aucune rupture brutale de la relation commerciale entre Crimart et Dia France, ne peut être imputable à cette dernière et à Carrefour qui s'y substitue ;
- dire et juger qu'il n'y a pas lieu à condamnation de Carrefour à une amende civile ;
- dire et juger que Crimart n'a subi aucun préjudice économique du fait de la cessation de sa relation commerciale avec Dia France ;
Si par extraordinaire la Cour venait à confirmer le Jugement du 14 novembre 2018 en ce qu'il a conclu que Carrefour a rompu brutalement ses relations commerciales avec Crimart :
- constater que le préavis de 15 mois accordé par le Tribunal est excessif ;
- constater que la véracité du préjudice économique dont s'est prévalu Crimart et qui a été retenu par le Tribunal n'est aucunement démontrée ;
- constater que le Tribunal n'a caractérisé aucun des critères légaux et jurisprudentiels requis pour de terminer le quantum de l'amende civile de 100 000 euros à laquelle il a condamné au paiement Carrefour Proximité France ;
En conséquence,
- dire et juger que le préavis devant être accordé à Crimart était au maximum de 6 mois ;
- dire et juger que coopérative légumière Crimart n'a pas démontré ni quantifié le préjudice économique prétendument subi ;
- dire et juger que l'amende civile de 100 000 euros n'est ni justifiée dans son principe ni dans son montant ;
En tout état de cause,
- rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions du représentant du ministre et de Crimart et rejeter notamment l'appel incident formé à tort et sans fondement par le représentant du ministre dans ses conclusions du 21 août 2018 ;
- condamner le ministre à verser à Carrefour la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner Crimart à verser à Carrefour la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner le ministre et Crimart solidairement aux entiers dépens sur le fondement de l'article 699 du Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions de la société coopérative légumière " Crimart ", déposées et notifiées le 8 avril 2019, par lesquelles il est demandé à la Cour de :
Vu les articles 378 et suivants du Code de procédure civile,
- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Lille du 20 décembre 2017 en toutes ses dispositions et plus particulièrement en ce qu'il a débouté la société Carrefour Proximité France de sa demande de sursis à statuer ;
Vu l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce,
- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Lille du 14 novembre 2018 en ce qu'il a :
* dit brutale et fautive la rupture de la relation commerciale commise par la société Carrefour Proximité France à l'égard de la société coopérative légumière Crimart ;
* condamné la société Carrefour Proximité France à payer à la société coopérative légumière Crimart la somme de 35 219 euros à titre de dommages et intérêts, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement ;
- débouter la société Carrefour Proximité France de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
Vu l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Carrefour Proximité France à verser en cause d'appel à la société coopérative légumière Crimart une somme de 7 500 euros ;
Vu l'article 699 du Code de procédure civile,
- condamner la société Carrefour Proximité France aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ceux le concernant au profit de Maître François Teytaud, avocat, conforme ment aux dispositions de l'article 699 du CPC.
Vu les conclusions du ministre de l'Economie et des Finances déposées au greffe et signifiées le 28 mai 2019 aux deux parties, par lesquelles il est demandé à la cour de :
Vu le Code de procédure civile et notamment ses articles 74, 117, 122, 378, 544 et 545,
Vu l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen,
Vu l'article L. 442-6 du Code de commerce dans sa version applicable au litige,
Vu les articles L. 490-8 et R. 490-2 du Code de commerce,
Vu l'arrêté du 24 septembre 2010 organisant la suppléance des représentants du ministre chargé de l'Economie désignés en application de l'article L. 490-8 (anciennement L. 470-5) du Code de commerce,
À titre principal,
- constater que la demande de sursis à statuer de la société Carrefour Proximité France est irrecevable et en tout état de cause infondée ;
- confirmer les jugements du tribunal de commerce de Lille du 20 décembre 2017 et du 14 novembre 2018 dans toutes leurs dispositions (à l'exception du montant de l'amende), et notamment :
* dire et juger que l'action du ministre, son assignation et l'intégralité de ses demandes sont parfaitement recevables ;
* dire et juger que la rupture de la relation commerciale mise en œuvre par la société Erteco France (anciennement Dia France) vis-à-vis de la société coopérative légumière coopérative légumière Crimart présente un caractère brutal au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;
* prononcer à l'encontre de la société Carrefour Proximité France venant aux droits de la société Erteco France (anciennement Dia France) une amende civile d'un montant de 150 000 euros, au titre de l'atteinte à l'ordre public économique ;
* condamner la société Carrefour Proximité France venant aux droits de la société Erteco France (anciennement Dia France) au paiement au profit du Trésor public de la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du CPC ;
* condamner la société Carrefour Proximité France venant aux droits de la société Erteco France (anciennement Dia France) aux entiers dépens.
SUR CE, LA COUR,
Sur la nullité de l'assignation pour défaut de pouvoir du représentant du ministre
La société Carrefour Proximité France (ci-après Carrefour) se fonde sur l'article 117 du CPC au soutien de sa demande la nullité de l'assignation pour défaut de pouvoir de représentation du ministre de l'Economie.
Elle dit que M. Z, chef du pôle " concurrence, consommation, répression des fraudes et métrologie " (pôle C) de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de Normandie ne dispose pas du pouvoir nécessaire pour le faire et que le défaut de pouvoir d'une personne assurant la représentation d'une partie constitue une irrégularité de fond affectant l'irrégularité de l'acte.
Elle fait valoir, sur le fondement des articles L. 442-6, III, l'article L. 490-8 (auparavant L. 470-5) et l'article R. 490-2 (auparavant R. 470-1-1) du Code de commerce que le ministre peut se faire représenter pour déposer des conclusions et les développer oralement à l'audience par une liste limitative et exhaustive des personnes parmi lesquelles le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, selon les modalités prévues par l'article 3 de l'arrêté du 24 septembre 2010, qu'en l'espèce, le chef du pôle " concurrence, consommation, répression des fraudes et métrologie " de la DIRECCTE de Normandie est à l'origine de l'assignation laquelle vise l'article R. 470-1-1 pour la représentation du ministre au lieu de l'article 3 de l'arrêté précité, seule disposition à même d'autoriser le chef du pôle à assigner au nom du ministre.
Carrefour estime donc que s'agissant d'introduire une instance, le chef de pôle aurait dû viser le texte qui lui permettait d'agir, et expliquer en quoi le représentant de droit du ministre était empêché
L'article L. 442-6 du Code de commerce dans sa version applicable à la cause dispose :
" Est introduite devant la juridiction civile ou commerciale compétente par toute personne justifiant d'un intérêt, par le ministère public, par le ministre chargé de l'Economie ou par le président de l'Autorité de la concurrence lorsque ce dernier constate, à l'occasion des affaires qui relèvent de sa compétence, une pratique mentionnée au présent article ".
Selon l'article L. 470-5 ancien du Code de commerce, pour " l'application des dispositions du [livre IV], le ministre chargé de l'Economie ou son représentant peut, devant les juridictions civiles ou pénales, déposer des conclusions et les développer oralement à l'audience. Il peut également produire les procès-verbaux et les rapports d'enquête ".
Il s'en déduit que le ministre de l'Economie peut introduire une action sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce et que lui-même ou son représentant peut déposer des conclusions et les développer oralement à l'audience.
L'article R. 470-1-1 du Code de commerce précise que :
" Sont désignés comme représentants du ministre chargé de l'Economie devant les juridictions civiles et pénales de première instance et d'appel, pour l'application de l'article L. 470-5 du Code de commerce et dans l'exercice de leurs attributions respectives :
1° Le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et, pour ce qui concerne les affaires dont ont été saisies les juridictions du ressort territorial dans lequel ils exercent leurs fonctions, les directeurs régionaux des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi et les directeurs des directions départementales chargées de la protection des populations ;
2° Par exception au 1°, lorsque l'action est fondée sur les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce et quelle que soit la juridiction devant laquelle elle est portée, le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ainsi que les directeurs régionaux des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, pour les affaires qu'ils ont instruites ; "
L'article 3, alinéa 1er de l'arrêté du 24 septembre 2010, dispose qu' " en cas d'empêchement des directeurs régionaux des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, les chefs des pôles " concurrence, consommation, répression des fraudes et métrologie " des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi les suppléent pour les attributions conférées à l'article R. 470-1-1 du Code de commerce ".
Il en résulte que l'action étant fondée sur l'article L. 442-6 du Code de commerce, le ministre de l'Economie pouvait être représenté par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, pour les affaires qu'il a instruites et ce dernier, en cas d'empêchement, pouvait lui-même être suppléé par le chef de pôle de la DIRECCTE.
En l'espèce, l'assignation du ministre de l'Economie en date du 22 décembre 2016 mentionne que M. Z, " Chef du pôle concurrence, consommation, répression des fraudes et métrologie (pôle C) de la DIRECCTE de Normandie ", représente le ministre " conformément aux dispositions de l'article R. 470-1-1 du Code de commerce ".
La seule omission dans l'assignation de la mention de l'article 3 de l'arrêté du 24 septembre 2010 ne peut entraîner la nullité de l'assignation alors que ce texte permet bien au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, en cas d'empêchement, d'être suppléé par le chef de pôle de la DIRECCTE.
A cet égard le ministre fait pertinemment valoir que l'article 3 susvisé organise automatiquement, pour les attributions conférées aux directeurs des DIRECCTE une suppléance fonctionnelle par les chefs de pôle, qui n'ont pas besoin d'être désignés nominativement à cet effet, la suppléance s'effectuant donc de plein droit, sans que le suppléant n'ait à justifier d'un pouvoir spécial. Il fait justement observer à cet égard que contrairement au premier alinéa, il résulte du second alinéa de cet article que, c'est la désignation par le chef de pôle empêché lui-même qui fonde le pouvoir de représentation des fonctionnaires de catégorie A.
Par ailleurs Carrefour soutient que le ministre n'établit pas en quoi son représentant était empêché alors que selon elle, l'assignation devait justifier du pouvoir donné au chef de pôle, par l'empêchement du représentant de droit du ministre.
Or, le ministre oppose à bon droit une jurisprudence constante du Conseil d'État (CE, 17 décembre 1999, RG n° 20-8623, 20-8682, 20-8770, 20-9837, 20-9838, 20-9839) rappelée par un arrêt du 2 juillet 2010 (CE, 2 juillet 2010, RG n° 32-5521) selon laquelle sans preuve d'une absence d'empêchement, la suppléance peut valablement s'exercer.
Il en résulte que l'exception de nullité de l'assignation est rejetée.
Sur les fins de non-recevoir
Le ministre de l'Economie estime que les demandes de l'appelante ne constituent pas des fins de non-recevoir de l'article 122 Code de procédure civile en ce qu'elles ne concernent pas le défaut d'intérêt à agir ou son défaut de qualité, mais des contestations de fond.
Mais Carrefour tant en ce qu'il oppose le principe de légalité des délits et des peines que le principe de personnalité des peines, invoque le défaut de droit d'agir du ministre relevant des dispositions de l'article 122 du Code de procédure civile.
Sur l'irrecevabilité de l'action du ministre prise du principe de légalité des délits et des peines
Carrefour soutient que le ministre ne pouvait demander au tribunal de " Dire et Juger que la rupture de la relation commerciale entre Dia France et Crimart présente un caractère brutal ", afin d'obtenir la condamnation de la société Carrefour Proximité France au paiement d'une amende civile fondée sur l'article L. 442-6, III du Code de commerce, cette disposition se devant d'être observée comme empreinte du principe de légalité des délits et des peines dont il ne peut en être fait une appréciation extensive.
Elle invoque à cet égard l'obligation faite au législateur de définir clairement et précisément les termes de toute infraction assortie d'une sanction, puisque les sanctions " ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition même si le législateur a laissé le soin de la prononcer a une autorité de nature non judiciaire " (Conseil constitutionnel, décision n° 89-268 DC du 29 décembre 1989) et que l'article L. 442-6 du Code de commerce a été considéré comme soumis au principe fondamental de l'article 8 de la DDHC, citant à cet égard la décision du Conseil constitutionnel (n° 2010-85 QPC du 13 janvier 2011).
Elle soutient que la lecture de l'article L. 442-6, III du Code de commerce permet seulement au ministre de formuler les demandes suivantes :
- ordonner la cessation des pratiques mentionnées à l'article L. 442-6 du Code de commerce
- constater la nullité des clauses ou contrats illicites
- répéter l'indu
- prononcer une amende civile.
Elle en déduit que le ministre ne peut demander au tribunal de dire et juger que la rupture d'une relation commerciale a été brutale.
Mais le ministre rétorque à juste raison qu'il a l'obligation de demander au juge de constater l'existence du comportement illicite pour que celui-ci se prononce ensuite sur la cessation de la pratique et sa sanction éventuelle par une amende, sauf à priver de tout effet utile l'article L. 442-6, III du Code de commerce.
En l'espèce, la démonstration de l'existence d'une rupture brutale est un préalable nécessaire à l'appréciation de sa demande d'amende civile, étant observé que la prétention du ministre tendant à la condamnation de la société Carrefour au paiement d'une amende est bien prévue à l'article L. 442-6, III du Code de commerce, pour s'être adonnée à une pratique restrictive de concurrence, siège de l'action du ministre au titre de la défense de l'ordre public économique.
La fin de non-recevoir prise du principe de légalité des délits et des peines est rejetée.
Sur l'irrecevabilité de l'action du ministre prise du principe de personnalité des peines Carrefour fait valoir que l'amende civile prononcée à son encontre ne respecte pas le principe constitutionnel découlant des articles 8 et 9 de la DDHC, selon lequel " nul n'est punissable que de son propre fait " (Conseil constitutionnel, décision n° 94-411 du 16 juin 1999) et que selon la Cour de cassation, appliqué à des personnes morales, ce principe conduit à ce que les infractions pénales commises par une société absorbée ne puissent être imputées à la société absorbante (Cass, Crim, 20 juin 2000, n° 99-86472).
Elle ajoute que si le Conseil constitutionnel s'agissant des infractions économiques de l'article L. 442-6 du Code de commerce, a admis que : " Appliqué en dehors du droit pénal, le principe selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait peut faire l'objet d'adaptations, dès lors que celles-ci sont justifiées par la nature de la sanction et par l'objet qu'elle poursuit et qu'elles sont proportionnées à cet objet " (Conseil constitutionnel, décision n° 2016-542 QPC du 18 mai 2016), et s'il a considéré que " une personne bénéficiaire de la transmission du patrimoine d'une société dissoute sans liquidation est susceptible d'encourir l'amende prévue par l'article L422-6 III du Code de commerce ", c'est en se fondant sur le concept, non pas juridique mais économique, d'entreprise et à sa continuité économique et fonctionnelle.
Elle considère que tel n'est pas le cas en l'espèce puisqu'elle a acquis Dia France, filiale d'une société espagnole, que les enseignes ont changé et que les magasins ont basculé du marché du " maxi-discount " vers les segments des supermarchés et des petits commerces de détail, de sorte que l'activité n'aurait pas continué au sens du Conseil constitutionnel. Elle ajoute que la procédure n'a été introduite qu'après la restructuration de la forme juridique de l'activité de Dia France, qu'elle n'a jamais été en mesure d'exercer une influence déterminante sur Dia France et de veiller à ce que celle-ci respecte les règles du droit de la concurrence. Elle rappelle à ce titre qu'elle n'a jamais été en relation avec la coopérative légumière Crimart et qu'elle ne peut être tenue pour auteur de la rupture brutale alléguée et assumer les conséquences de celle-ci.
Le ministre rétorque que le principe de personnalité des peines n'est en rien affecté dès lors que :
- l'activité économique se poursuit, indépendamment de la forme juridique choisie par l'entreprise et des différentes restructurations qui ont pu avoir lieu,
- l'amende est prononcée à l'encontre de la société absorbante bénéficiaire de la transmission du patrimoine de la société absorbée dissoute sans liquidation.
Le ministre estime que " la continuation de l'activité de la société absorbée par la société absorbante est ainsi concrètement réalisée par la simple et totale transmission de l'actif et du passif de la première. Sont évidemment comprises dans le passif de la société absorbée les obligations contractées par cette dernière du fait des éventuels comportements illicites qu'elle a perpétrés ".
La société coopérative légumière Crimart invoque la jurisprudence de la Cour de cassation pour s'opposer aux irrecevabilités soulevées par la société Carrefour (Com. 21 janvier 2014, n° 12-29.166).
Le principe de la personnalité des peines, résultant des articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789, ne fait pas obstacle au prononcé d'une amende civile à l'encontre de la personne morale à laquelle l'entreprise a été juridiquement transmise (Cass. com, 21 janvier 2014, n° 12-29.166).
Le critère de la continuité économique ne peut jouer qu'au cas où la personne morale responsable de l'exploitation de l'entreprise aurait cessé d'exister juridiquement après la commission de l'infraction (CJCE, 8 juillet 1999, Commission c/ Anic Partecipazioni, C-49/92, point 145).
Il n'est pas incompatible avec le principe de la responsabilité personnelle d'imputer la responsabilité d'une infraction à une autre société en sa qualité de société absorbante de la société qui a commis l'infraction lorsque cette dernière a cessé d'exister (CJUE, 5 décembre 2013 SNIA c/ Commission, C-488/11).
Dès lors, Carrefour oppose vainement ne pas être l'auteur des pratiques en cause survenues alors que l'absorption de la société Erteco France, elle-même venant aux droits de la société Dia France, n'avait pas encore eu lieu. Et, elle ne peut être suivie lorsqu'elle prétend que seule la société Dia France pourrait encourir la sanction que réclame le ministre de l'Economie, la restructuration de Dia France par Erteco France, puis de cette dernière par elle-même impliquant l'absence de continuité de l'activité économique susceptible de lui faire encourir l'amende civile.
En revanche, le ministre soutient à bon droit qu'une société absorbante bénéficiaire de la transmission du patrimoine d'une société absorbée dissoute sans liquidation est susceptible d'encourir l'amende imputable au comportement illicite de la société absorbée.
En l'espèce, la fusion-acquisition le 1er octobre 2016, de la société Erteco France avec la société Carrefour Proximité France a entraîné la dissolution sans liquidation de la société Erteco, de sorte qu'il y a bien eu maintien de l'existence d'une activité économique de la société Erteco tout au long de la relation commerciale entre cette société et la société coopérative légumière coopérative légumière Crimart, avec des magasins sous enseigne ED puis Dia rachetée en 2014 par Erteco, peu important que le fait générateur de la responsabilité ait eu lieu avant l'absorption de Dia France.
La fin de non-recevoir prise de la personnalité des peines est rejetée.
Sur le sursis à statuer
Carrefour demande à la cour de surseoir à statuer dans l'attente d'une décision de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) qu'elle a saisie sur requête à la suite de l'arrêt du 21 janvier 2014 par lequel la Cour de cassation l'a définitivement reconnue responsable des pratiques restrictives de concurrence commises par une société de son groupe qu'elle avait absorbée, sur assignation de cette dernière par le ministre sur le fondement de l'article L. 442-6 III du Code de commerce.
Le ministre s'y oppose aux motifs que Carrefour est irrecevable en cette demande sur le fondement de l'article 74 du Code de procédure civile, faute de l'avoir invoquée in limine litis en première instance, s'agissant d'une exception de procédure au sens de l'article 73 dudit Code comme tendant à suspendre le cours de la procédure. Il ajoute que les décisions de la CEDH sont dépourvues de force directement exécutoire.
La société coopérative légumière Crimart fait valoir que le recours devant la CEDH n'a pas été fait par la société Carrefour Proximité France mais par la société Carrefour France, deux sociétés appartenant au même groupe, mais néanmoins indépendantes. Elle ajoute que la décision de la CEDH n'aurait une influence que sur la recevabilité des demandes du ministre et non sur ses demandes propres.
La demande de sursis à statuer qui tend à suspendre le cours de l'instance, constitue une exception de procédure qui doit être soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir en vertu des dispositions des article 73 et 74 du Code de procédure civile.
La demande de sursis à statuer présentée par Carrefour, faute d'avoir été présentée in limine litis, est irrecevable, peu important que cette fin de non-recevoir qui peut être soulevée en tout état de cause, n'ait pas été soulevée devant le tribunal par le ministre ou par Crimart.
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
Carrefour qui ne conteste plus devant la cour le caractère établi des relations commerciales, ni davantage la rupture qu'elle justifie par le contexte économique. Elle dit qu'il existe une exception jurisprudentielle qui accepte qu'une partie rencontrant de telles difficultés, puisse diminuer voire arrêter les relations commerciales établies avec son partenaire.
Elle dénie toute stratégie d'achat délibérée de Dia France et explique la cessation de la relation commerciale entre cette dernière et Crimart par les difficultés économiques lourdes subies par Dia France qui ont affecté la rentabilité de l'entrepôt de Louviers lequel a dû être fermé.
Crimart fait valoir qu'aucun préavis écrit n'a été respecté, ce que la société Dia France a reconnu expressément lors du contrôle de la DIRECCTE. Elle ajoute que l'article L. 442-6 ne permet de s'exonérer du préavis raisonnable qu'en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ; que si la jurisprudence a admis de manière exceptionnelle, qu'une crise économique lourde dans un secteur d'activité pouvait être assimilé à un cas de force majeure, la situation de Dia France ne peut y être assimilée. Elle ajoute que Carrefour ne prouve d'ailleurs pas que les commandes passées jadis chez elle, ne l'ont pas été par la suite ailleurs.
Le ministre rétorque que si dans l'arrêt de la Cour de cassation du 12 février 2013 la société Caterpillar avait dû faire face à une baisse de son chiffre d'affaires de 70 %, justifiant l'arrêt brutal des relations commerciales, la société Carrefour n'apporte aucun élément comptable attestant de la baisse conséquente de son chiffre d'affaires.
Aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce dans sa version applicable à la cause :
" Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...) de rompre unilatéralement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ".
Le caractère établi des relations commerciales entre Dia France et Crimart pour la période du 13 septembre 1996 au 26 mars 2014, de même que la rupture sans préavis écrit, ne sont plus contestées par Carrefour devant la Cour.
Seul est en débat le point de savoir si Dia France a subi des difficultés économiques lourdes de nature à justifier la rupture de ses relations commerciales établies avec son partenaire.
Or, si une crise économique lourde dans un secteur d'activité peut être assimilé à un cas de force majeure et ainsi justifier une rupture sans préavis de relations commerciales établies, Carrefour ne rapporte nullement la preuve d'une telle crise dans le secteur du " hard-discount ", se bornant à verser aux débats des coupures de presse qui font état d'une baisse de 1,4 % entre 2009 et 2013 des magasins " hard-discount ", d'une baisse de part de marché dans ce secteur, celle-ci passant de 13,7 % en 2010 à 12,6 % en 2013 ainsi que d'une baisse de 11 % en 2013 pour Dia France ainsi que d'une réduction des effectifs de l'entrepôt de Louviers, à la suite de la fermeture de magasins et du rattachement de 17 magasins à d'autres entrepôts, sans produire aucun élément comptable établissant une baisse conséquente du chiffre d'affaires de Dia France.
En conséquence, la rupture brutale des relations commerciales établies à l'égard de Crimart est constituée.
Sur le préjudice
Carrefour estime que Crimart ne démontre pas que la rupture ait pu avoir le moindre impact sur son chiffre d'affaires et donc lui causer un préjudice. Elle fait valoir que le chiffre d'affaires de la société coopérative légumière entre 2004 et 2014, a globalement augmenté, tandis que la part représentée par Dia France dans ce chiffre d'affaires a corrélativement diminué.
Elle conteste la durée de préavis de 15 mois retenue par le tribunal alors qu'il n'existait pas de réelle dépendance économique, que Crimart a trouvé a posteriori un autre partenaire et qu'elle n'avait pas effectué d'investissements importants.
Cependant, les relations commerciales établies entre Dia France et Crimart ayant duré 17 ans et demi et Dia France était le troisième meilleur client de Crimart dont elle représentait 10 % de son chiffre d'affaires pour l'exercice 2013-2014, le tribunal, tenant compte d'un marché très concurrentiel et de la saisonnabilité des produits, a justement fixé à 15 mois, la durée du délai de préavis qui aurait dû être accordée à la société coopérative légumière.
Carrefour relève à raison que la marge sur coûts variables doit être retenue pour évaluer le préjudice et non la marge brute.
Dès lors le tribunal ne peut être suivi en ce qu'il a retenu un taux de marge brute de 14 % selon l'attestation de l'expert-comptable de Crimart (sa pièce 8), étant de surcroît observé qu'il ne s'agît que du taux de l'exercice 2013.
La marge sur coûts variables résultant de la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, il convient de déterminer la moyenne mensuelle sur coûts variables au cours des trois exercices précédant la rupture.
Au vu des exercices comptables 2011-2012, 2012-2013 et 2013-2014 produits (pièces 5, 6 et 7 de Crimart), des chiffres d'affaires et des charges variables, la cour dispose d'éléments suffisants pour fixer le taux de marge sur coût variable à la somme de 13,5 %.
En conséquence, sur la base du chiffre d'affaires moyen réalisé avec son partenaire des années 2011, 2012 et 2013 retenu par le tribunal de 201 252 euros, soit par mois 16 771 euros, il convient de fixer le préjudice subi par Crimart à la somme de 33 961 euros (16 771 x 15 x 13,5 %) du fait de la brutalité de la rupture.
Cette somme que Carrefour est condamnée à payer à Crimart à titre de dommages-intérêts produira intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement querellé du 14 novembre 2018.
Sur l'amende civile
Il appartient au juge saisi d'une telle demande, d'apprécier au cas par cas, s'il y a lieu de prononcer une amende civile et le montant de la sanction.
Carrefour fait valoir que l'amende disposée à l'article L. 442-6, III a strictement pour objectif de sanctionner les pratiques restrictives de concurrence et de préserver l'ordre public économique. Elle considère qu'en l'espèce le prononcé de l'amende ne se justifiait pas, étant donné les circonstances économiques : il ne s'agissait pas, contrairement à ce qu'a dit le tribunal, de manœuvres déloyales à l'encontre de la société coopérative légumière Crimart.
Elle soutient qu'il convient d'avoir égard à la gravité du comportement litigieux, le dommage à l'économie et la situation individuelle ; qu'en l'espèce, la rupture " ne saurait être assimilée à une clause déséquilibrée insérée dans une convention unique prérédigée signée par les fournisseurs d'une enseigne ou l'obtention d'avantages sans contrepartie, qui constituent l'essentiel des actions introduites par le ministre sur le fondement de l'article L. 442-6 III du Code de commerce ", qu'elle " ne concerne qu'un seul fournisseur local (Crimart) et ne relève donc pas d'une stratégie généralisée de déréférencement de Dia France à l'encontre de ses fournisseurs " et qu'elle " vise un fournisseur non économiquement dépendant de Dia France, puisque Dia France n'était que son troisième client et ne représentait que 10 % de son chiffre d'affaires l'année précédant la rupture ".
Carrefour considère également que le tribunal n'a pu relever aucun dommage à l'économie car la couverture géographique est très restreinte (Normandie), le marché des produits maraîchers est très concurrentiel et met en présence de nombreux producteurs et de nombreux acheteurs (dont les enseignes de la grande distribution alimentaire), aucune barrière à l'entrée de ce marché n'empêche ou restreint la liberté commerciale et concurrentielle des vendeurs comme Crimart, invoquant en outre, la taille moyenne de Dia France dans le secteur du hard-discount (3e enseigne à 18,4 %, soit moitié moins que le leader LIDL), voire très modeste dans le secteur de la grande distribution alimentaire (15e enseigne à 1,4 %, soit plus de 10 fois moins que le leader Leclerc à 19,74 %).
Elle ajoute que la situation individuelle de Dia France, subissant une crise économique, imposait de rompre les relations, sans pour autant que la rupture soit considérée comme un acte déloyal.
Mais le ministre, qui forme appel incident tendant à voir fixer à 150 000 euros le montant de l'amende, soutient à juste raison que la rupture brutale des relations commerciales constitue une pratique commerciale restrictive de concurrence, qu'elle constitue bien un trouble à l'ordre public, justifiant le prononcé d'une amende, et qu'une telle rupture risque d'engendrer la disparition d'un agent économique, influençant donc le marché de manière négative.
En revanche, le tribunal a justement apprécié le montant de l'amende à 100 000 euros, au regard de la gravité des faits.
Le jugement est donc confirmé de ce chef.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
Le sens de l'arrêt conduit à débouter Carrefour de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à la condamner à payer sur ce fondement à Crimart et au ministre la somme de 7 500 euros à chacun d'eux, en sus des sommes allouées à ce titre par le tribunal de commerce .
Par ces motifs : LA COUR, Déclare irrecevable la demande de sursis à statuer ; Rejette l'exception de nullité de l'assignation ; Confirme les jugements sauf à dire que le montant des dommages-intérêts que la société Carrefour Proximité France est condamnée à payer à la société Coopérative légumière Crimart s'élève à la somme de 33 961 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement du 14 novembre 2018; Condamne la société Carrefour Proximité France aux dépens et à payer à la société Coopérative légumière Crimart et au ministre de l'Economie et des Finances chacun la somme de 7 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toute autre demande.