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Décisions

Cass. com., 15 janvier 2020, n° 18-11.842

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

NGK Spark Plugs France (SAS)

Défendeur :

Société de Commercialisation de Produits Industriels (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

Mme Champalaune

Avocat général :

M. Douvreleur

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié, SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois

T. com. Paris, du 9 juin 2015

9 juin 2015

LA COUR : - Attendu, selon les arrêts attaqués, que la société de Commercialisation de produits industriels, exerçant son activité sous le nom commercial Sifam (la société Sifam), spécialisée dans la vente de consommables et pièces détachées pour motos, s'est vu refuser, par lettre du 21 mai 2002 de la société NGK Spark Plugs France (la société NGK), filiale de la société japonaise NGK Spark Plugs Co Ltd, fabricant de bougies d'allumage de dimension mondiale, la coopération qu'elle souhaitait établir avec la filiale malaise du groupe NGK, au motif que le renforcement du réseau de distribution de cette dernière n'était pas envisagé ; qu'à la suite d'une demande, le 24 mai 2006, de la société Sifam à la société NGK, les conditions d'une commande annuelle de bougies ont été discutées entre ces sociétés ; qu'en 2007, la société NGK, qui avait introduit une action en contrefaçon en Italie en 2006 et obtenu en France un arrêt, devenu irrévocable, jugeant contrefaisantes les bougies importées des Etats-Unis sur le territoire européen par la société Sifam, a refusé d'honorer une commande passée par cette dernière, au motif que la filiale italienne de la société Sifam avait, depuis 2005, importé en contrefaçon sur le marché italien des bougies NGK en s'approvisionnant auprès d'une société américaine ; que le 28 novembre 2008, la société Sifam a assigné la société NGK aux fins de voir reconnaître qu'un contrat avait été conclu entre elles et de la condamner à honorer la commande ; qu'à la suite d'une plainte déposée par la société Sifam auprès de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (la DGCCRF), le rapport d'enquête ayant été versé aux débats, le tribunal a dit que la société NGK avait commis un abus de position dominante en refusant de livrer ses produits à la société Sifam et l'a condamnée au paiement de dommages-intérêts ; que par un arrêt, devenu irrévocable, du 16 décembre 2015, la cour d'appel a infirmé ce jugement et estimé que les refus de vente opposés par la société NGK étaient légitimes du fait des actes de contrefaçon de la société Sifam et qu'ils n'avaient pas pour effet de cloisonner le marché ni d'en évincer la société Sifam, qui pouvait s'approvisionner auprès d'autres fournisseurs ; que, le 8 avril 2013, la société Sifam a passé une nouvelle commande à la société NGK qui a refusé de lui livrer des marchandises ; que, le 10 juillet 2013, la société Sifam a assigné en référé la société NGK aux fins d'obtenir la livraison de deux commandes et le paiement d'une provision à valoir sur son préjudice ; que le président du tribunal a dit n'y avoir lieu à référé mais a renvoyé l'affaire au fond à bref délai ; que le 30 juin 2014, la société Sifam a adressé une nouvelle commande à la société NGK qui a fait l'objet, le 31 juillet 2014, d'un nouveau refus de vente pour les mêmes motifs ;

Sur le premier moyen, le deuxième moyen, pris en ses troisième, quatrième, sixième, huitième et neuvième branches, et le troisième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches : - Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses deux premières branches : - Attendu que la société NGK fait grief à l'arrêt de dire que les refus de vente litigieux sont contraires aux articles 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) et L. 420-1 du Code de commerce et, en conséquence, de la condamner à payer à la société Sifam des dommages-intérêts alors, selon le moyen : 1°) que méconnaît les termes du litige, le juge qui modifie ou ajoute au fondement juridique de la demande : qu'il ressort expressément des écritures adverses concluant à la confirmation du jugement déféré, sauf sur le quantum du préjudice, que la demande était fondée sur l'abus de position dominante de la société NGK et que, selon les propres énonciations de l'arrêt attaqué, la société Sifam a soutenu que " le fait, pour la société NGK, qui détient une position dominante en France et en Europe et dans le monde, de refuser de livrer, sans raison objective, une entreprise, afin de l'écarter du marché et le refus de collaborer de manière positive avec un nouveau distributeur professionnel solvable, constitue une faute et un abus de position dominante passibles des sanctions visées aux articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce et L. 442-6 du même Code " ; qu'en reprochant à la société NGK d'être aussi responsable d'une entente anticoncurrentielle, la cour d'appel a méconnu les termes du litige en violation de l'article 4 du Code de procédure civile ; 2°) que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en relevant d'office les moyens tirés d'une application du droit européen de la concurrence et plus encore de l'existence d'une prétendue entente en l'espèce, sans inviter au préalable les parties à s'expliquer sur ces moyens, la cour d'appel a violé l'article 16 du Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'en l'état des conclusions de la société Sifam qui soutenait que " la société NGK opérait un cloisonnement du marché européen des bougies NGK par la voie détournée d'accords tacites avec ses cocontractants ", se prévalait de ce que " l'entente ainsi organisée par NGK avec ses distributeurs agréés s'inscrit ainsi dans une politique commerciale non avouée, visant à limiter par tous moyens la concurrence entre les filiales de NGK Japon en Europe et imposer aux distributeurs de chaque Etat membre un seul fournisseur de bougies NGK, l'appelante se réservant ainsi l'exclusivité d'approvisionnement du marché français ", faisait valoir que les pratiques de la société NGK affectait le commerce entre Etats membres et réclamait, notamment au visa de l'article L. 420-1 du Code de commerce, l'allocation de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par les pratiques alléguées, c'est sans méconnaître l'objet du litige ni violer le principe de la contradiction que la cour d'appel a qualifié les pratiques qui lui étaient soumises sur le fondement des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa cinquième branche : - Vu l'article 101 du TFUE, ensemble l'article L. 420-1 du Code de commerce ; - Attendu que pour dire que les refus de vente litigieux sont contraires aux articles 101 du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce et condamner la société NGK à payer des dommages-intérêts à la société Sifam, l'arrêt retient que les refus opposés à cette dernière ne sont fondés sur aucun des critères prétendument de sélection tenant à la qualité du point de vente et aux seuils d'achat, que ces refus discriminatoires, réitérés au moins une fois dans la période en question, ont eu pour objet et pour effet d'évincer de la distribution des bougies de seconde monte de marque NGK la société Sifam, classée à l'époque comme le cinquième distributeur français de pièces détachées et accessoires pour deux roues, et que si aucun élément du dossier ne permet d'établir que la société NGK verrouille le marché national, chaque distributeur français agréé pouvant librement approvisionner des distributeurs détaillants ou grossistes en Europe, il ressort des déclarations de chacun de ces distributeurs que, de facto, ils ne s'approvisionnent eux-mêmes qu'auprès de la société NGK, et non auprès de la société NGK Italie ou d'autres filiales européennes de la société NGK Spark Plugs Co Ltd, et qu'aucun détaillant ou grossiste situé hors de France ne vient leur acheter des bougies de marque NGK, qu'il en résulte un cloisonnement de fait des marchés nationaux que seuls des opérateurs, tels la société Sifam, sont de nature à remettre en cause, puisqu'en exportant ou important ces bougies, ils font jouer la concurrence inter et intramarques, et que la société NGK est donc responsable d'une entente anticoncurrentielle, enfreignant les articles 101 du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce ;

Qu'en se déterminant ainsi, par des motifs, impropres à établir l'existence d'une entente, même tacite, imputable au comportement de la société NGK, en l'état de l'absence de prohibition de droit, qu'elle a constatée, des exportations ou importations parallèles par celle-ci et du maintien de la liberté d'approvisionnement et de fourniture laissée par la société NGK à ses distributeurs, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Et sur le troisième moyen, pris en sa première branche : - Vu l'article 102 du TFUE, ensemble l'article L. 420-2 du Code de commerce ; - Attendu que pour confirmer le jugement en ce qu'il a décidé que la société NGK avait abusé de sa position dominante et la condamner à payer des dommages-intérêts, l'arrêt retient que les refus de vente de la société NGK sur le marché pertinent, constitué par le marché français des bougies d'allumage pour deux roues de seconde monte, sont de nature à exclure du marché un opérateur tel que la société Sifam, qui, par sa politique commerciale d'exportation et d'importation, anime la concurrence en Europe, cependant que le système de distribution mis en place par le groupe NGK cloisonne chaque marché national en implantant une filiale dans chaque Etat membre qui approvisionne des grossistes agréés, ceux-ci ayant déclaré aux services de la Direction Régionale de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi (la DIRECCTE) qu'ils ne s'approvisionnaient pas auprès des filiales européennes du groupe NGK, qu'il n'existe en effet aucun produit de substitution des bougies NGK et l'achat auprès des distributeurs agréés en France ne peut être réalisé à des tarifs aussi intéressants qu'auprès de la société NGK, ce que la société Sifam démontre, en versant un tableau comparatif des prix unitaires hors-taxes pratiqués par la société NGK et ceux de ses distributeurs agréés, d'où il ressort que les tarifs directement consentis par le fabricant sont beaucoup plus avantageux que ceux opérés par les distributeurs agréés, que les refus de vente sont donc susceptibles d'avoir pour effet de restreindre la concurrence effective sur le marché français des bougies d'allumage de seconde monte de la marque NGK, et de causer finalement un préjudice au consommateur ;

Qu'en se déterminant par ces seuls motifs, impropres à établir un abus de position dominante imputable à la société NGK, affectant la concurrence sur le marché français, en l'état de l'absence de prohibition de droit ou de fait par celle-ci, des exportations ou importations parallèles et du maintien de la liberté d'approvisionnement et de fourniture laissée à ses distributeurs, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Casse et Annule, sauf en ce qu'il rejette les exceptions de nullité des jugements, l'arrêt rendu le 5 juillet 2017, rectifié le 27 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris.